B. LES RAPPORTS « DE L'ARTICLE 67 » : UN DISPOSITIF QUI N'A PAS ENCORE TROUVÉ SES MARQUES

Aux termes de l'article 67 de la loi n° 2004-1343 du 9 décembre 2004 (adopté à l'initiative du Gouvernement), « À l'issue d'un délai de six mois suivant la date d'entrée en vigueur d'une loi, le Gouvernement présente au Parlement un rapport sur la mise en application de cette loi . Ce rapport mentionne les textes réglementaires publiés et les circulaires édictées pour la mise en oeuvre de ladite loi, ainsi que, le cas échéant, les dispositions de celle-ci qui n'ont pas fait l'objet des textes d'application nécessaires et en indique les motifs ».

Ainsi conçus, ces rapports devraient nettement faciliter le travail de contrôle de l'application des lois. En effet, comme le remarque à juste titre la commission des finances dans son bilan pour 2012-2013, les bilans d'application des lois établis par le Gouvernement fournissent « un support comparatif intéressant. Les dispositions commentées apportent en effet une analyse qualitative, qui permet parfois de constater des divergences d'interprétation sur l'application de certaines dispositions législatives entre le Gouvernement et le Parlement, ce qui peut expliquer les différences observées dans les bilans statistiques d'application des lois fournis par l'exécutif d'une part, le Parlement de l'autre. Ces différences peuvent être d'autant plus importantes que le périmètre d'analyse de l'application des lois par le Gouvernement se réduit aux seuls décrets et ne s'applique ni aux arrêtés, ni aux autres mesures réglementaires qui leur sont inférieures ».

Pourtant, jusqu'à présent, les rapports de l'article 67 sont encore loin d'atteindre la qualité que le Parlement serait en droit d'en attendre , et ne peuvent pas être exploités comme ils gagneraient à l'être, plusieurs facteurs semblant en limiter, et la connaissance effective, et le rendement réel.

1. Un décalage manifeste entre le droit et la réalité

Comme votre commission l'avait souligné l'an dernier, la première limite tient aux retards qui, jusqu'à présent, ont grevé le dépôt de la plupart des rapports dits « de l'article 67 » .

Jusqu'à l'année dernière, il était difficile d'en prendre la mesure, faute d'instrument récapitulatif de suivi du dépôt de ces rapports (en pratique, le dépôt des rapports de l'article 67 est annoncé en séance publique, mais noyée parmi beaucoup d'autres annonces formelles en séance, cette information passe plus ou moins inaperçue) 6 ( * ) .

Depuis lors, l'outil statistique s'est amélioré, car suite aux recommandations formulées l'an dernier par votre commission et avec le concours actif des gestionnaires de la base au sein de la direction des Systèmes d'information du Sénat, les rapports de l'article 67 sont désormais pris en compte par la base Apleg. Par ailleurs, la direction de la Séance tient un tableau chronologique des dépôts des rapports de l'article 67, que votre commission a pu se faire communiquer cette année ( cf. ce tableau en annexe du présent rapport ).

Or, le recoupement de ces deux sources d'information montre que sur les 30 lois promulguées au cours de la période de référence du présent rapport (c'est-à-dire entre le 1 er octobre 2012 et le 30 septembre 2013) et nécessitant la publication de mesures réglementaires d'application, les commissions permanentes n'avaient pu comptabiliser que deux rapports de l'article 67 dans le délai requis de six mois (décompte arrêté au 9 avril 2014).

Certes, il serait fallacieux d'affirmer que le Gouvernement n'a présenté aucun rapport de l'article 67 au titre de la période de référence, mais sur les 14 rapports déposés, les délais se sont échelonnés de 7 mois jusqu'à 15 mois après la promulgation (rapports concernant respectivement la loi du 26 octobre 2012 portant création des emplois d'avenir et la loi du 20 novembre 2012 relative à la régulation économique outre-mer).

Quant aux deux rapports déposés dans les délais, ils ne doivent pas faire illusion, car le dépôt du rapport ne signifie pas automatiquement la publication en temps utile des décrets correspondants... Ainsi, le rapport de l'article 67 relatif à l'application de la loi du 27 mai 2013 modernisant le régime des sections de communes, bien que déposé dans les six mois, se borne-t-il à indiquer évasivement que pour la mise en oeuvre de l'article 4 de cette loi (dont tous les autres articles sont d'application directe), « Un décret en Conseil d'État doit détailler les conditions de désignation et les modalités de fonctionnement de la commission syndicale spéciale. Il est en cours d'élaboration »...

Les observations formulées à ce propos par plusieurs commissions permanentes dans leur rapport pour la dernière session confirment ce décalage entre le droit et la réalité , peu propice à promouvoir les rapports de l'article 67 comme instrument performant du contrôle de l'application des lois.

La commission de la culture relève ainsi qu'au cours de l'année parlementaire 2012-2013, « aucun rapport du Gouvernement au Parlement sur la mise en application d'une loi à l'issue d'un délai de six mois suivant sa date d'entrée en vigueur, dans les conditions prévues à l'article 67 de la loi n° 2004-1343 du 9 décembre 2004, n'est paru ». Même analyse, tout aussi fondée, de la part de la commission du développement durable, qui « déplore qu'aucun rapport de cette nature ne lui soit parvenu au cours de l'année parlementaire 2012-2013 ».

Pour la commission des affaires économiques, « sur les vingt-six lois dont l'application est suivie cette année [...] une seule a fait l'objet de la remise d'un rapport en vertu de l'article 67 [...] Le rapport sur la mise en application de la loi n° 2012-1270 du 20 novembre 2012 relative à la régulation économique outre-mer et portant diverses dispositions relatives aux outre-mer a été présenté au Parlement le 14 mars 2014, soit près de 16 mois après la promulgation de la loi sur laquelle il porte ».

La commission des finances regrette pareillement ces manquements à l'article 67 : s'agissant d'une « disposition qui participe à l'amélioration de l'information du Parlement, on peut regretter qu'en pratique, seuls quatre des sept rapports attendus sur les lois relevant du contrôle de la commission des finances lui aient été transmis [...] On regrettera notamment que [...] la commission n'ait pas reçu le rapport relatif à la loi du 26 juillet 2013 de séparation et de régulation des activités bancaires, qui est pourtant la loi nécessitant le plus grand nombre de mesures d'application et celle pour laquelle le moins de textes ont été publiés ».

Quant à la commission des affaires étrangères -qui, il est vrai, ne gère qu'un faible nombre de lois en dehors des lois de ratification- elle n'attendait pas sur la période considérée de rapport de l'article 67 ; mais elle note « que la commission n'en a jamais reçu depuis la date d'entrée en vigueur de la loi de 2004 », alors que 12 lois de son ressort, adoptées depuis février 2005, auraient dû en faire l'objet.

2. Des informations d'un intérêt assez inégal, parfois incomplètes

Une seconde limite -dont était d'ailleurs convenu le Secrétaire général du Gouvernement, M. Serge Lasvignes, lors de son audition du 18 décembre 2012 devant la commission sénatoriale pour le contrôle de l'application des lois- réside dans l'hétérogénéité des rapports de l'article 67 , certains fournissant un ensemble d'informations assez détaillées et directement exploitables (notamment la liste des textes réglementaires d'application restant à prendre et, s'il y a lieu, les motifs pouvant justifier le retard pris), alors que d'autres se contentent d'un simple catalogue de mesures sans commentaires explicatifs.

En outre, dans bien des cas, les raisons alléguées par les ministères pour expliquer les délais de publication de tel ou tel texte d'application sont rédigées en termes évasifs et sans valeur ajoutée... « La concertation, qui s'avère difficile en raison du nombre d'interlocuteurs et de leurs intérêts divergents, est en cours sur ce sujet » (rapport sur la mise en application de la loi du 20 juillet 2011 de libéralisation des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques) ; ou encore « La complexité du texte à prendre et les longues concertations qu'il nécessite avec l'ensemble des parties prenantes, expliquent pourquoi le décret n'a pas encore été publié » (rapport sur la loi du 20 juillet 2011 relative à l'engagement des sapeurs-pompiers volontaires et à son cadre juridique)...

De même, plusieurs commissions déplorent le caractère incomplet de certains rapports de l'article 67. Ainsi, selon la commission des affaires sociales, « s'il est vrai que la mise en ligne [...] des échéanciers de parution des textes réglementaires et leur transmission au Sénat facilitent le contrôle de la mise en application des lois, ces échéanciers ne reflètent, de fait, qu'imparfaitement l'état de mise en application réel des lois considérées : seuls les décrets simples ou en Conseil d'État sont mentionnés, alors que la mise en application des lois requiert bon nombre d'arrêtés, voire laisse au Gouvernement le choix de la forme réglementaire qu'il juge la plus opportune ; enfin, les dates prévisionnelles de publication des textes ne sont ni systématiquement mentionnées ni toujours respectées - ce qui, s'agissant du second point, peut être acceptable mais qui mériterait au moins une mise à jour régulière des informations une fois connu le dépassement probable de cette date ».

La même critique ressort du bilan présenté par la commission des finances : « l'existence sur le site Légifrance d'un échéancier de parution des textes réglementaires, établi par le Secrétariat général du Gouvernement, permet de faciliter le contrôle de la mise en application des lois. Pour autant, on peut regretter que cet échéancier soit incomplet, pour deux raisons principales : l'absence de comptabilisation des arrêtés au seul profit des décrets simples ou pris en Conseil d'État ; l'irrégularité de mise à jour des dates prévisionnelles de publication des textes lorsque l'échéance est dépassée et que les mesures n'ont toutefois pas été prises ».

3. Rapports de l'article 67, le serpent se mord-t-il la queue ?

Au final, le Gouvernement semble éprouver des difficultés à faire paraître les rapports de l'article 67 en temps voulu, c'est-à-dire dans les six mois à compter de la promulgation de la loi ; les retards chroniques observés dans ce domaine amènent à s'interroger sur la pertinence de ce délai de six mois fixé par la loi de 2004 sans véritable étude préalable de faisabilité.

En second lieu, à partir du moment où le constat de la parution ou de la non-parution des décrets d'application peut être établi par d'autres instruments d'un maniement plus commode (en l'occurrence, la consultation de la base Apleg ou du site de Légifrance), le véritable intérêt des rapports de l'article 67 ne réside plus guère que dans les motifs allégués par le Gouvernement pour justifier l'absence des décrets attendus ; or, précisément, les explications fournies à ce propos manquent souvent de consistance, et ne débouchent pas sur l'instauration d'un véritable dialogue contradictoire entre la commission compétente et le (ou les) ministère(s) intéressé(s).


* 6 Le service de la Séance tient un tableau de ces dépôts, mais ce document ne fait pas l'objet d'une diffusion systématique auprès des commissions permanentes ou de la commission sénatoriale pour le contrôle de l'application des lois. Les rapports de l'article 67 sont ensuite renvoyés à la commission sénatoriale pour le contrôle de l'application des lois et, pour information, à la commission compétente.

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