DES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES QUI DOIVENT TIRER TOUTES LES CONSÉQUENCES DE LA PROFESSIONNALISATION DU SPORT
III. DES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES QUI DOIVENT TIRER TOUTES LES CONSÉQUENCES DE LA PROFESSIONNALISATION DU SPORT
A. CHANGER DE REGARD SUR LA PLACE DU SPORT PROFESSIONNEL DANS LA SOCIÉTÉ ET LE RÔLE DES COLLECTIVITÉS À SON ÉGARD
En quelques années, le sport professionnel a considérablement évolué, mais en ordre dispersé. Certains clubs ont poursuivi leur évolution sans modifier leurs pratiques, leurs infrastructures ni leurs objectifs, tandis que d'autres ont connu des changements décisifs tenant à leur actionnariat, à leurs moyens et à leurs résultats. Pour ces derniers, il est devenu normal de considérer le sport professionnel comme une activité économique à part entière et d'adopter des comportements d'entrepreneurs en essayant de diversifier et de maximiser les sources de revenus.
C'est ainsi que des nombreux clubs - en particulier dans le football et le rugby, mais pas seulement - ont connu un double mouvement de hausse des revenus issus des droits TV et d'augmentation de la masse salariale pour attirer les meilleurs joueurs. Confrontés à la nécessité de diversifier et de sécuriser leurs ressources, les clubs sont nombreux à vouloir disposer d'enceintes sportives récentes qui pourront générer des recettes nouvelles, notamment grâce aux loges et aux places « premium » qui peuvent constituer l'essentiel des revenus de la billetterie des grands clubs européens. Une conséquence non négligeable de cette évolution tient à l'augmentation du prix des places, qui a pour effet d'évincer toute une catégorie de supporters au profit d'une clientèle plus favorisée, avec pour conséquence de mieux sécuriser les stades mais aussi de changer leur sociologie et de transformer un spectacle populaire en activité de loisir coûteuse voire difficilement accessible.
En changeant de nature, en intégrant de plus en plus le secteur marchand, le sport professionnel ne peut plus être considéré a priori comme une compétence naturelle des collectivités territoriales . Un nouvel examen devient nécessaire concernant tant leurs modalités d'interventions financières que la question des infrastructures et, notamment, la propriété des enceintes sportives.
Dans un contexte marqué par la nécessité de réduire les dépenses publiques en général et les dépenses des collectivités territoriales en particulier, il apparaît nécessaire de veiller à ce que l'argent public ne vienne pas financer des activités qui relèvent d'abord du secteur marchand. Mais plus encore, il importe surtout de sortir de la situation consistant à privatiser les bénéfices des clubs prospères, qui peuvent bénéficier du soutien de grands investisseurs, et de « municipaliser » les pertes des clubs en difficulté, que ce soit au travers de subventions d'équilibre ou de prises en charge du coût des équipements . Comme l'a en effet expliqué devant votre mission Jacques Thouroude, président de l'Association nationale des élus en charge du sport (ANDES) : « lorsqu'on est en déficit, il n'existe qu'un interlocuteur, le maire ! Bien évidemment, la presse et les médias exercent une pression considérable sur les élus, ce qui est inacceptable. »
Mettre un terme à cette situation suppose de jeter les bases d'un nouveau modèle fondé sur une véritable culture du sport qui n'oublie pas sa responsabilité sociale et territoriale . Cela nécessite également, pour les collectivités territoriales, de repenser leur rôle dans l'accompagnement du sport professionnel en tenant compte des nouvelles réalités qui rendent très difficile la rentabilisation des infrastructures. Votre mission a ainsi souhaité que ses recommandations s'inscrivent dans le cadre d'un nouveau modèle du sport professionnel caractérisé par six grands principes qui détermineront la nature de ses recommandations :
- le nécessaire développement de la culture du sport ;
- le sport professionnel partenaire des dynamiques de développement économique local ;
- l'inévitable désengagement des collectivités territoriales du financement du sport business ;
- l'indispensable montée en puissance des investisseurs privés pour financer le sport professionnel ;
- l'ardente obligation pour le sport professionnel de revenir à plus de mesure pour rester populaire ;
- la réaffirmation de la responsabilité sociale et territoriale des clubs professionnels.
1. Le nécessaire développement de la culture du sport
« Les Français n'auraient pas de véritable culture du sport à l'image de celle de leurs voisins anglais, allemands, italiens et espagnols » , tel est l'argument souvent utilisé pour justifier les résultats fréquemment décevants des clubs français au niveau européen et le faible soutien populaire dont ils bénéficieraient. Cette spécificité en expliquerait d'autres comme la propriété communale des stades, que ne pourraient financer des clubs aux moyens trop modestes, et la nécessité de tenir certaines disciplines sous perfusion d'argent public.
Cette vision pessimiste ne suffit pas, pourtant, à résumer la réalité comme l'illustrent la popularité du XV de France dans le tournoi des six nations, le succès jamais démenti des Internationaux de France de Roland-Garros ou l'intérêt grandissant pour le PSG. Il faudrait chercher d'abord dans la faiblesse du spectacle et du service proposés le désintérêt supposé du public. Que le niveau s'élève et que l'accueil s'améliore et il fait guère de doute que le public sera au rendez-vous, ce qui plaide pour un changement de paradigme et une plus grande responsabilisation des investisseurs privés dans le sport professionnel. Il est temps de considérer qu'il n'existe pas de fatalité à une absence de culture du sport professionnel en France.
2. Le sport professionnel partenaire des dynamiques de développement économique local
L'intervention des collectivités locales pour financer le sport professionnel a longtemps été justifiée par son impact sur l'économie locale. La présence d'un club professionnel dans une ville serait ainsi un facteur de notoriété de nature à attirer les investisseurs extérieurs à la cité, mais aussi une source de revenus pour la localité du fait de l'activité économique générée par les spectateurs.
Cependant, comme l'a rappelé l'économiste du sport Jean-Pascal Gayant devant votre mission, « les retombées économiques d'une grande infrastructure ou d'une manifestation dans un bassin économique local viennent des dépenses des spectateurs non locaux, qui constituent une injection nette de ressources. Or, dans le cas des stades, ces dépenses sont faibles - contrairement à l'organisation d'événements tels que les Jeux olympiques, le Tour de France ou un tournoi du grand chelem - et la retombée économique est très limitée ». On peut également rappeler que les travaux d'analyse menés sur ce sujet, notamment aux États-Unis 62 ( * ) , ont tendance à minimiser l'impact de la construction de stades sur le développement économique local.
Toutefois, on ne peut négliger le fait que de nouvelles infrastructures sportives peuvent participer à une dynamique de développement comme ce fût le cas à La Plaine Saint-Denis avec le Stade de France ou à Saint-Quentin-en-Yvelines ainsi que l'a expliqué à votre mission Robert Cadalbert, président de la communauté d'agglomération de Saint-Quentin-en-Yvelines, co-président de la commission des sports de l'Association des maires de grandes villes de France (AMGVF) : « depuis que nous développons le vélodrome, des entreprises s'installent à côté. Ce n'est jamais la seule cause, mais c'est une dynamique ».
Si le sport professionnel ne constitue donc pas, à lui seul, un moteur du développement local, il n'en demeure pas moins pourvoyeur d'emplois au même titre que les autres industries et services. Avec près de 280 000 emplois dont plus de 113 000 dans le secteur marchand et associatif, le sport est même devenu un secteur qui pèse dans l'économie mais qui reste sous-développé par rapport à la situation qui prévaut dans d'autres pays européens. Le développement du sport professionnel peut donc être considéré comme un objectif des politiques de développement local pour autant qu'il s'appuie sur des pratiques entrepreneuriales.
3. L'inévitable désengagement des collectivités territoriales du financement du sport business
Plus le sport professionnel se rapproche des règles de fonctionnement du secteur marchand, moins il devient légitime, pour les collectivités territoriales de financer des clubs professionnels au travers de subventions, d'achats de prestations voire d'infrastructures qui profitent de moins en moins au reste de la population et au sport amateur. C'est d'autant plus vrai lorsque ces subventions ne constituent qu'une part minime ou limitée du budget des clubs concernés, comme c'est le cas pour de nombreux clubs de Ligue 1 et du Top 14 qui sont, de fait, arrivés à maturité.
On pourrait faire valoir que les collectivités ne sont pas obligées de financer les clubs et qu'elles ne le font que librement et en connaissance de cause, dans le respect du principe de libre administration des collectivités territoriales. Ce serait, en réalité, sous-estimer le caractère déséquilibré de la relation entre les collectivités et les clubs. Comme le faisait remarquer Alain Serre, conseiller à la chambre régionale des comptes de Languedoc lors de son audition par votre mission : « le club tire sa puissance de l'opinion publique. La collectivité n'a d'autre choix que de le soutenir, sous l'oeil des médias, et pour des raisons de notoriété . Elle est en situation de faiblesse et ne sait même pas précisément quelle utilisation est faite de ses concours financiers, subventions d'intérêt général ou prestations de services : reprise du logo de la collectivité, achat de places, location de loges ». C'est précisément à cette relation déséquilibrée qu'il convient de mettre un terme aujourd'hui, à un moment où les investissements en jeu, et donc le risque pour les collectivités, deviennent particulièrement sensibles . Il revient au législateur de fixer des limites pour préserver les finances des collectivités territoriales, appelées à connaître une sévère cure d'austérité dans les années à venir.
Hausse des droits TV et baisse des subventions
Le montant total des subventions 63 ( * ) et partenariats des collectivités territoriales en direction des clubs professionnels des cinq principales disciplines collectives 64 ( * ) s'établissait pour la saison 2011-2012 à près de 157 millions d'euros en baisse de 4,4 millions d'euros par rapport à la saison 2009-2010. Pour ce qui est du football, les subventions s'élevaient à 18,1 millions d'euros pour la saison 2011-2012 en L1, en baisse de 16,9 % sur cinq ans et à 12,1 millions d'euros en L2, en baisse de 35,5 % sur cinq ans également. Pour le rugby, les chiffres étaient respectivement de 15,4 millions d'euros en Top 14 (+ 25,6 % en 5 ans) et 10,8 millions d'euros en Pro D2. Parallèlement au maintien à un haut niveau des subventions publiques, on constate que les clubs professionnels ont pu bénéficier d'importantes ressources nouvelles du fait de la hausse des droits de retransmission TV. Pour le football, le montant des droits de diffusion des matches de L1 et L2 est passé de 607 millions d'euros par saison sur la période 2012-2016 à 748,5 millions d'euros (+ 23 %) pour la période 2016-2020 suite à l'appel d'offres anticipé lancé le 6 mars 2014. Pour le rugby, le montant des droits est récemment passé de 32 millions d'euros par an à 71 millions d'euros. La hausse des droits TV pose aujourd'hui clairement la question de la pertinence du maintien des subventions des collectivités territoriales au sport professionnel et en particulier aux sports collectifs arrivés « à maturité » qui bénéficient déjà de ressources alternatives conséquentes.
Source : Mission commune d'information sur le sport
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Si un désengagement complet et immédiat des collectivités ne saurait être envisagé compte tenu de la place qu'occupent les clubs professionnels dans l'identité des territoires, une remise à plat ainsi qu'une clarification des rôles s'imposent afin, notamment, de préserver les ressources des collectivités. Un objectif doit être fixé, quitte à prévoir des clauses de revoyure et à accepter la perspective que les subventions resteront probablement indispensables pour certaines disciplines.
4. L'indispensable montée en puissance des investisseurs privés pour financer le sport professionnel
Dès lors que l'on accepte la perspective d'un moindre rôle des collectivités territoriales dans le financement du sport professionnel, il devient essentiel de permettre à des investisseurs privés de pouvoir mettre en oeuvre leurs projets , ce qui passe en particulier par la construction de nouvelles infrastructures qui offriront de nouvelles sources de revenus.
C'est pourquoi, les collectivités territoriales ne doivent pas hésiter, si elles en sont d'accord, à céder les stades et arénas aux clubs professionnels et ont tout intérêt à encourager les projets de développement à l'image de l'extension du stade de Roland-Garros de la FFT et de la construction du stade de la FFR à Ris-Orangis ou des nouveaux stades de Bordeaux, Lille, Lyon et Nice.
La délicate rénovation du Parc des Princes Le cas de Paris 65 ( * ) est suffisamment spécifique pour faire l'objet d'une mention particulière. Le Parc des Princes est jusqu'à présent la propriété de la Ville de Paris qui ne souhaite pas s'en défaire. Il était exploité dans le cadre d'une délégation de service public (DSP) conclue entre la Ville de Paris et la société d'Exploitation Sports Événements (SESE). Afin de permettre d'engager une profonde rénovation dans la perspective de l'Euro 2016, des négociations ont été menées au dernier trimestre 2013 qui ont abouti à l'adoption d'une convention d'occupation temporaire du domaine public (CODP) d'une durée de 30 ans permettant à la SESE contrôlée par le même actionnaire que celui du PSG de pouvoir gérer l'enceinte et de mettre en oeuvre un programme de 75 millions d'euros de travaux en contrepartie d'une redevance annuelle de 1 million d'euros. Cette solution convient à l'ensemble des parties car le PSG ne souhaitait pas se porter acquéreur d'un stade existant et ancien dont il est très difficile de changer le nom dans le cadre d'une démarche de nommage. On peut toutefois s'interroger sur le caractère optimal de cette solution puisqu'elle devrait permettre d'augmenter faiblement la jauge du stade qui passera de 48 000 à 50 000 places alors que la « norme » européenne est plus proche des 60-65 000 places 66 ( * ) . L'architecte du stade Roger Taillibert semble penser qu'une augmentation de la jauge jusqu'à 60 000 places devrait être possible en préservant l'enceinte actuelle. Pour autant, au regard des choix réalisés par les concurrents du PSG que sont les clubs du Bayern de Munich et le club d'Arsenal, on peut se demander s'il ne serait pas bénéfique pour les contribuables parisiens comme pour le propriétaire du PSG d'envisager une cession 67 ( * ) de l'enceinte et sa complète reconstruction.
Source : Mission commune d'information sur le sport
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Une question se pose néanmoins qui tient à la capacité et la volonté des investisseurs privés de se substituer aux collectivités pour financer le sport professionnel. Il est en effet indispensable de s'assurer de la viabilité d'un nouveau modèle qui ne pourrait se reposer sur les aides publiques, nul ne souhaitant mettre en péril l'existence même des clubs professionnels. Sur ce point, une simple comparaison internationale apparaît de nature à rassurer puisque, dans la plupart des pays européens, il n'existe pas de subventions des collectivités territoriales aux clubs professionnels .
En France même, les entreprises sont déjà très impliquées dans le sponsoring des clubs mais elles sont aujourd'hui limitées dans leurs initiatives par l'implication considérable des collectivités, qui souvent apposent leurs logos sur les meilleurs emplacements des maillots et limitent les conditions de l'intervention des investisseurs privés, par exemple en matière de nommage des stades.
5. L'ardente obligation pour le sport professionnel de renforcer sa légitimité pour rester populaire
Certes, le sport professionnel est devenu une industrie du spectacle presque comme les autres avec ce que cela implique en termes d'augmentation des rémunérations de ses « acteurs ». Mais les clubs professionnels doivent prendre garde à ce que toute « mesure » ne disparaisse pas dans l'échelle des valeurs, au risque de se couper du soutien populaire qui donne tout son sens aux exploits sportifs. Si le « fair-play » financier mis en oeuvre par l'UEFA ou d'autres initiatives relevant de l'autorégulation ne permettraient pas de modérer certains excès, il conviendrait de réfléchir à l'adoption de dispositifs s'inspirant du salary cap anglo-saxon au niveau de chaque ligue professionnelle. À cet égard, l'expérience du salary cap mise en oeuvre par la ligue nationale de rugby à l'initiative de sa direction nationale de contrôle de gestion (DNCG) constitue un précédent dont il conviendra d'analyser les résultats afin d'en tirer des enseignements pour les autres ligues.
6. La réaffirmation de la responsabilité sociale et territoriale des clubs professionnels
Des clubs plus puissants et plus autonomes doivent également être plus présents dans la vie sociale des territoires pour mener davantage d'actions en matière d'éducation et d'insertion professionnelle. Une évolution culturelle est sans doute à conduire pour reconnaître la légitimité des clubs professionnels à devenir des référents dans ce domaine et non plus simplement des acteurs secondaires. À l'avenir, les clubs devront être jugés autant sur leurs performances sportives que sur leur capacité à rescolariser les élèves en difficulté par exemple ou à initier des parcours d'insertion pour les publics les plus éloignés de l'emploi.
* 62 Voir notamment les travaux de Robert A. Baade : Stadiums, Professional Sports and Economic Development : Assessing the Reality, 4 avril 1994, Policy Study et les travaux de Charles Santo : The Economic Impact of Sports Stadiums : Recasting the Analysis in Context, 2005, Journal of Urban Affairs.
* 63 Les données mentionnées sont extraites du rapport de la Mission d'évaluation de la politique de soutien au sport professionnel et des solidarités avec le sport amateur de juillet 2013 rédigé par MM. Rémi Duchêne, Pierre Lepetit et Bertrand Jarrige.
* 64 Football L1 et L2, Rugby Top14 et Pro D2, Basketball Pro A, Pro B et LFB, Handball D1M, Pro D2 et D1F, Volleyball LAM, LBM et LAF.
* 65 Votre mission a été reçue au Parc des Princes le 18 décembre 2013 par M. Jean-Claude Blanc, directeur général délégué du PSG.
* 66 L'Allianz Arena du Bayern de Munich compte 66 000 places et la Veltins Arena du FC Schalke 04 possède 62 000 places tandis que l'Emirates Stadium d'Arsenal comprend 60 000 places.
* 67 À noter que dans des entretiens accordés à L'Équipe le 3 février 2014, Mmes Anne Hidalgo et Nathalie Kosciusko-Morizet se sont déclarées favorables à une cession du Parc des Princes au PSG.