INTRODUCTION
« Sé en gwo désod ki ka mété lod. »
(« Il faut un coup de tonnerre pour éclaircir le temps. »)
Mesdames, Messieurs,
Après de longues années marquées par de graves dysfonctionnements sur fond de profond malaise identitaire, une ultime secousse, à la rentrée 2013, a provoqué la fracture de l'édifice universitaire tripolaire des Antilles et de la Guyane, mettant fin à une union de trente ans. La scission du pôle guyanais fut consommée en deux mois à peine, dans un contexte où les perspectives d'évolution institutionnelle et les rivalités politiques locales ont eu un effet catalyseur et ont encouragé un emballement des événements.
Les revendications des étudiants et des syndicats au début de la crise étaient concrètes, relatives à l'offre de formation et aux conditions de vie étudiante, et ceux-ci dénonçaient publiquement les malversations et coteries minant le fonctionnement universitaire et générant un climat délétère sur le campus.
Comme chaque fois ou presque concernant les crises qui éclatent dans les outre-mer, la réaction attend le moment ultime et une situation envenimée au point de devoir trancher dans le vif sans pouvoir éviter les dégâts collatéraux faute de les avoir évalués. Malgré les multiples audits de la Cour des comptes et de l'Inspection générale de l'administration de l'éducation nationale et de la recherche (IGAENR) réalisés au cours de la dernière décennie, qui auraient dû depuis longtemps susciter la prise de conscience nécessaire et des mesures énergiques, les premiers signaux intervenus au cours de l'été en provenance du pôle guyanais, annonciateurs du séisme, n'ont pas conduit les pouvoirs publics à anticiper la gravité de la situation. Et, par la suite, la gestion de la crise a continué à révéler une absence de maîtrise de la situation dans son ensemble : les Antilles, laissées à l'écart des tractations sur l'éclatement de l'Université des Antilles et de la Guyane (UAG), étant à leur tour impactées par l'onde de choc.
Dans la plus grande confusion, alimentée notamment par l'absence de perspectives globales, les tensions se sont exacerbées. Elles sont aujourd'hui encore extrêmement vives, la présidence de l'université, en dépit d'efforts et d'une ténacité remarquables, de même que l'administration provisoire du pôle guyanais, éprouvant les plus grandes difficultés à assurer un fonctionnement minimal.
Alertée de la gravité de la situation universitaire aux Antilles et en Guyane, la délégation à l'outre-mer, présidée par M. Serge Larcher, sénateur de la Martinique, a estimé nécessaire de mener une réflexion approfondie et sereine pour contribuer à reconstruire un avenir de l'enseignement supérieur dans cette partie de la France qui nous est chère. Eu égard à la nature du sujet, elle a souhaité que la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, présidée par Mme Marie-Christine Blandin, sénatrice du Nord, apporte son expertise. La commission et la délégation ont ainsi créé, en décembre 2013, un groupe de travail commun de quatorze membres 2 ( * ) , présidé par M. Thani Mohamed Soilihi, sénateur de Mayotte, avec un binôme de rapporteurs en la personne de Mme Dominique Gillot, sénatrice du Val d'Oise chargée des questions relatives à l'enseignement supérieur au sein de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, et M. Michel Magras, sénateur de Saint-Barthélemy. Le groupe de travail, bien que comprenant naturellement des représentants des trois départements directement concernés, a opté pour des rapporteurs extérieurs à ces départements afin d'afficher la meilleure neutralité possible dans ses investigations.
En l'espace de trois mois, seulement, afin de tenir compte de l'urgence à tracer des perspectives d'avenir dans un calendrier ayant pour butoir la publication d'une ordonnance le 22 juillet 2014 en application de l'article 128 de la loi n° 2013-660 du 22 juillet 2013 relative à l'enseignement supérieur et à la recherche, le groupe de travail a mené des travaux d'une grande densité avec un déplacement aux Antilles et en Guyane à la fin du mois de janvier ainsi qu'une visioconférence et des auditions à Paris, soit une quarantaine de réunions pour plus de cinquante heures d'échange avec les interlocuteurs de terrain 3 ( * ) , sans parler de l'échange de courriers, de dossiers et d'analyses reçus de toutes les parties prenantes.
Le groupe de travail a ainsi pu rencontrer près de cent-vingt acteurs et partenaires concernés par l'avenir universitaire aux Antilles et en Guyane, dans une démarche d'écoute la plus large possible. Son souhait le plus cher est que ses travaux contribuent à jeter les fondations d'une nouvelle donne universitaire permettant de concilier la prise en compte des identités territoriales et les exigences d'une taille critique, pour le plus grand bénéfice de la jeunesse et des territoires à disposer de l'excellence universitaire.
Dans des départements en proie à des difficultés économiques et sociales majorées en comparaison de celles qui sévissent dans l'hexagone, en particulier le chômage des jeunes qui y bat des records, la nouvelle université doit constituer l'armature du système d'éducation, de formation et de recherche permettant de développer des stratégies territoriales de mise en valeur des nombreux potentiels, trop souvent, encore en jachère et pourtant si complémentaires et si utiles à l'innovation et au développement de la connaissance tels que conçus en métropole. Atteindre cet objectif nécessitera de réunir les conditions d'une offre de qualité, ce qui suppose de rendre l'université attractive, apaisée et stimulante tant pour ses étudiants que ses enseignants-chercheurs : si cette exigence obéit à des critères multiples, un dimensionnement suffisant est une donnée incontournable. De même, l'ancrage de l'offre universitaire des départements français d'Amérique dans le paysage universitaire national invite à concevoir une organisation mettant en oeuvre mutualisation, solidarité et mobilité facilitée.
C'est en gardant constamment à l'esprit la nécessité de concilier le respect des identités de chacun des territoires inscrits dans des contextes régionaux différents et l'aménagement des conditions nécessaires à une offre universitaire de qualité que le groupe travail a conçu un schéma pragmatique, équilibré et souple, fondé sur des mécanismes destinés à éviter les blocages et l'inertie des procédures qui ont rongé l'UAG de l'intérieur, tout en appelant à un regroupement qui privilégie le mode associatif.
Conscient du poids d'une histoire dont il faut tirer tous les enseignements et de la nécessité de saisir l'opportunité de remise à plat qui se présente, le groupe de travail s'est employé à dessiner un horizon fédérateur permettant de garantir la cohérence et le rayonnement du système français d'enseignement supérieur et de recherche dans des zones aussi stratégiques que les Antilles, la Caraïbe et l'Amérique du Sud. Le bouleversement institutionnel en cours doit être l'occasion de redéfinir les contours d'un projet éducatif et scientifique solide, respectueux des identités territoriales, profilé pour valoriser les potentiels de chacun et fondé sur les complémentarités et des logiques coopératives entre les trois territoires ultramarins qui sont parties prenantes du rayonnement et du développement nationaux.
* 2 Composition du groupe de travail : annexe 1.
* 3 Cf. liste des personnes auditionnées et liste des déplacements.