B. DE LA RELATIVITÉ DES PRINCIPES

1. L'inégalité entre les handicaps

L'article L. 114-1 du code de l'action sociale et des familles, issu de l'article 2 de la loi du 11 février 2005, dispose que constitue un handicap toute limitation d'activité ou restriction de participation à la vie en société subie dans son environnement par une personne en raison d'une altération substantielle, durable ou définitive d'une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles, mentales, cognitives ou psychiques, d'un polyhandicap ou d'un trouble de santé invalidant.

À côté de ce que l'on désigne souvent par le raccourci « handicap fauteuil », existe ainsi une diversité de handicaps moins faciles à appréhender pour ce qui est des interactions avec l'environnement quotidien. Il s'agit, selon des définitions élaborées par le Certu (Cerema) et les Cétés, en lien avec les principales associations de handicapés :

- du handicap mental, conséquence d'une déficience intellectuelle qui peut être considérée comme une capacité plus limitée d'apprentissage et un développement intellectuel significativement inférieur à la moyenne ;

- du handicap mental, conséquence d'une déficience intellectuelle qui peut être considérée comme une capacité plus limitée d'apprentissage et un développement intellectuel significativement inférieur à la moyenne ;

- du handicap cognitif, conséquence de dysfonctionnements des fonctions cognitives : troubles de l'attention, de la mémoire, de l'adaptation au changement, du langage, des identifications perceptives et des gestes. Il n'implique pas de déficience intellectuelle mais des difficultés à mobiliser ses capacités ;

- du handicap psychique, conséquence de troubles psychiques invalidants. Comme pour le handicap cognitif, il n'implique pas de déficience intellectuelle.

Un des points communs à ces formes de handicap tient à ce qu'ils engendrent des difficultés d'insertion dans l'environnement liées à la gestion du stress, à l'angoisse et à la peur de l'inconnu. D'où l'importance de créer dans l'espace public un environnement physique, cognitif et humain favorable, ce qui pose des problèmes tout à fait différents de ceux résultant du « handicap fauteuil » : l'aide humaine est indissociable de l'accessibilité physique ou technique, c'est pourquoi la formation des personnels d'accueil des services publics est cruciale de ce point de vue ; des repères fixes et des formes simples susceptibles de prévenir la désorientation des personnes handicapées sont tout aussi importants ; le croisement aisément repérable des informations sonores et visuelles constitue une autre nécessité de l'approche de ces handicaps ; le rôle des technologies de l'information et de la communication peut être primordial.

Le handicap visuel et le handicap auditif posent aussi des problèmes spécifiques.

Cette diversité des situations peut engendrer des attentes différentes et, tendanciellement, contradictoires. Ainsi, quand une personne en fauteuil roulant a besoin d'une surface plane pour évoluer sans difficulté dans l'espace public, une personne atteinte de déficience visuelle a besoin, au contraire, de reliefs lui permettant de se repérer sur le sol.

Or, faute d'une connaissance suffisante de besoin résultant de ces différentes formes de handicaps n'entraînant pas l'utilisation d'un fauteuil roulant, la réglementation issue de la loi de 2005 a presque entièrement été axée sur le « handicap fauteuil ». Le rapport sur l'ajustement de l'environnement normatif concluant les travaux présidée par la sénatrice Claire-Lise Campion note que cette situation « s'explique par des besoins non formulés à l'époque par les associations de personnes handicapées, par des solutions techniques non identifiées ou balbutiantes et par une acceptabilité sociétale insuffisante ».

Ainsi, de la même façon que le suffrage universel a été réservé à la population masculine jusqu'en 1944, l'accessibilité universelle a été réservée jusqu'à ce jour à une forme spécifique de handicap, en dépit des impérieuses formulations de la loi de 2005, dont il était pourtant possible de prévoir l'inapplicabilité à l'ensemble des handicaps dans les délais impartis, au vu de la connaissance lacunaire des besoins prévalant en 2005.

2. Que l'exception infirme la règle

Le clivage entre la conception de l'accessibilité adoptée par la loi de 2005 et les réalités de terrain est aussi illustré par l'importance revêtue par la thématique des dérogations pour l'application de cette loi. En ce qui concerne les ERP, sont prévues les dérogations exceptionnelles suivantes :

- impossibilité technique résultant de l'environnement du bâtiment, des caractéristiques du terrain et de contraintes liées, par exemple, à la prévention des inondations ;

- motifs liés à la conservation du patrimoine architectural en cas de création d'un ERP dans un bâtiment classé ou inscrit au titre des monuments historiques ;

- travaux d'accessibilité susceptibles d'avoir des conséquences excessives sur l'activité de l'établissement ;

- création d'un ERP ou d'une installation ouverte au public dans une construction existante, en cas de contraintes liées par exemple à la solidité du bâtiment. Dans le cas où un ERP remplit une mission de service public, la dérogation ne peut être accordée que si des mesures de substitution sont prévues.

La notion de disproportion manifeste a fait l'objet de travaux et de réflexions qui tendent à en faciliter la mise en oeuvre. À ce sujet, il a été prévu, dans le cadre de la concertation, d'affiner cette notion en retenant comme motifs possibles : l'incapacité pour un établissement à financer les travaux d'accessibilité, l'impact sur la viabilité économique future de l'établissement, l'impact de la rupture de la chaîne de l'accessibilité sur les prestations délivrées par l'ERP en aval de cette rupture, cet impact devant être examiné handicap par handicap.

En ce qui concerne les transports collectifs, la directive du ministre des transports du 13 avril 2006 relative à l'application de la loi 2005-102 du 11 février 2005 pour l'accessibilité des services de transport public terrestres de personnes handicapées et à mobilité réduite, dont la décision du Conseil d'État n° 343364 du 22 juin 2012 emporte l'illégalité sur ce point, a invité, dans les termes suivants, les autorités organisatrices de transport à concevoir la mise en accessibilité ligne par ligne, et non point d'arrêt par point d'arrêt, et à renoncer à engager des travaux au cas où ceux-ci seraient manifestement disproportionnés par rapport à leur impact effectif sur le fonctionnement du service : « Dès lors que le nombre d'emplacements d'arrêts à rendre accessibles est très élevé (comme par exemple, dans le cas où il s'agit de rendre accessible l'ensemble des arrêts de car d'un territoire départemental), l'impossibilité technique pourra s'apprécier en fonction des secteurs desservis (urbains, péri-urbains ou ruraux) d'une part au regard de la disproportion manifeste entre les travaux à réaliser et leur impact sur le fonctionnement normal du service de transport et sur les conditions générales de sécurité et, d'autre part, des mesures prises au titre du schéma directeur de mise en accessibilité des services de transport public élaboré par l'autorité responsable concernée, après concertation avec les associations représentatives de personnes handicapées ».

On relèvera, comme dernière illustration du caractère en partie utopique de la notion d'accessibilité retenue par la loi du 11 février 2005, les atténuations apportées par la loi du 28 juillet 2011 tendant à améliorer le fonctionnement des MDPH et portant diverses dispositions relatives à la politique du handicap aux obligations d'accessibilité imposées aux logements neufs, pour ce qui est des logements temporaires ou saisonniers. Le décret pris pour l'application de cette loi décret prévoit un quota de logements adaptés d'au moins 10 %.

L'ensemble de ces exceptions à la règle d'or de l'accessibilité universelle infirme sa plausibilité plus qu'elle ne la confirme.

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