Rapport d'information n° 358 (2013-2014) de MM. Yves KRATTINGER et François TRUCY , fait au nom de la commission des finances, déposé le 12 février 2014

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N° 358

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2013-2014

Enregistré à la Présidence du Sénat le 12 février 2014

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des finances (1) sur le service historique de la défense ,

Par MM. Yves KRATTINGER et François TRUCY,

Sénateurs.

(1) Cette commission est composée de : M. Philippe Marini , président ; M. François Marc , rapporteur général ; Mme Michèle André , première vice-présidente ; Mme Marie-France Beaufils, MM. Jean-Pierre Caffet, Yvon Collin, Jean-Claude Frécon, Mmes Fabienne Keller, Frédérique Espagnac, MM. Albéric de Montgolfier, Aymeri de Montesquiou, Roland du Luart , vice-présidents ; MM. Philippe Dallier, Jean Germain, Claude Haut, François Trucy , secrétaires ; MM. Philippe Adnot, Jean Arthuis, Claude Belot, Michel Berson, Éric Bocquet, Yannick Botrel, Joël Bourdin, Christian Bourquin, Jacques Chiron, Serge Dassault, Vincent Delahaye, Francis Delattre, Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, MM. Éric Doligé, Philippe Dominati, Jean-Paul Emorine, André Ferrand, François Fortassin, Thierry Foucaud, Yann Gaillard, Charles Guené, Edmond Hervé, Pierre Jarlier, Roger Karoutchi, Yves Krattinger, Dominique de Legge, Gérard Miquel, Georges Patient, François Patriat, Jean-Vincent Placé, François Rebsamen, Jean-Marc Todeschini, Richard Yung .

RECOMMANDATIONS DE VOS RAPPORTEURS

Recommandation n° 1 : réduire le nombre de sites du réseau territorial du Service historique de la défense (SHD).

Recommandation n° 2 : recentrer le réseau territorial sur ses missions de proximité (contrôle scientifique et technique, conseil, animation d'un réseau de « correspondants archives »).

Recommandation n° 3 : rééquilibrer les implantations locales du SHD en fonction de la répartition des forces sur le territoire national.

Recommandation n° 4 : élaborer un schéma directeur d'infrastructure pour le SHD.

Recommandation n° 5 : privilégier la construction de bâtiments neufs.

Recommandation n° 6 : regrouper les archives sur un nombre réduit de sites.

Recommandation n° 7 : intégrer le SHD dans le système d'information modernisé du ministère de la défense.

Recommandation n° 8 : moderniser les outils spécifiques « coeur de métier » et les intégrer dans un système d'information global.

Recommandation n° 9 : à court terme, clarifier les relations entre le SHD et sa tutelle, notamment par la suppression de la « tutelle métier » exercée par la délégation des patrimoines culturels ; à moyen terme, trouver un nouveau rattachement au SHD qui tienne mieux compte de ses spécificités, notamment le fait que lui sont confiées des missions administratives et de centre de recherche historique ; à défaut, envisager la partition du SHD.

Recommandation n° 10 : étudier l'intérêt d'une partition la direction de la mémoire, du patrimoine et des archives de manière à définir deux ensembles plus cohérents : immobilier et logement d'une part, politique culturelle, éducative et mémorielle d'autre part.

Recommandation n° 11 : mieux identifier et valoriser les missions proprement administratives accomplies par le SHD afin d'arriver à une meilleure adéquation entre la charge de travail qu'elles représentent et les effectifs qui y sont affectés.

Recommandation n° 12 : élaborer un schéma directeur de la numérisation, avec comme objectif de mettre en ligne les archives librement communicables et de gagner en efficacité dans l'accomplissement des missions administratives et de communication.

Recommandation n° 13 : doter le SHD de ressources lui permettant de mettre en oeuvre ce schéma directeur de la numérisation, au besoin par le recours à des prestataires extérieurs.

Recommandation n° 14 : développer l'archivage électronique, en reprenant si possible les systèmes déjà développés par nos alliés.

Recommandation n° 15 : renforcer la fonction historique du SHD et revaloriser son rôle auprès des armées.

Recommandation n° 16 : mettre en place des détachements chargés de collecter, sur les théâtres d'opération, documents, objets et témoignages, dans une finalité à la fois archivistique et historique.

Recommandation n° 17 : maintenir les ressources budgétaires et humaines du SHD tant que les mesures de rationalisation et de modernisation n'ont pas été mises en oeuvre avec succès.

AVANT-PROPOS

La France a une histoire politique, militaire, religieuse, culturelle, sociale mais aussi agricole, industrielle et technologique, qui lui vaut d'avoir accumulé un immense patrimoine archivistique.

Pendant des siècles, et nonobstant de très longues périodes de guerres, de crises politiques, de disettes et d'appauvrissement, des Français, conscients de leurs responsabilités, se sont attachés à conserver, préserver, sauver les documents qui intéressaient leur époque.

Dans le doute où ils étaient de leur importance, ils ont tout conservé, tout stocké, ce qui nous permet des siècles plus tard de connaître les faits importants mais aussi des faits infimes de la vie de tous les jours mais qui, avec le temps, ont pris pour nous une très grande valeur.

Quand on imagine la multiplicité des destructions, des incendies et des pillages qui nous privent d'une grande quantité d'objets, ce fut souvent de la chance d'en pouvoir conserver autant.

Quand on cite le devoir de mémoire, chacun pense avant tout au souci de conserver la mémoire d'évènements dramatiques où la France s'est trouvée engagée dans des situations fort différentes et qui ont profondément meurtri notre pays mettant en cause la responsabilité de telle ou telle politique ou de tel ou tel individu.

Mais on peut sans difficultés parler aussi, pour nous, d'un devoir de mémoire quand il s'agit de la gestion du patrimoine documentaire, des livres, des cartes, des plans et de toutes sortes d'objets produits par le savoir et les compétences humaines.

Sur le plan des individus, n'est-il pas essentiel pour nos concitoyens de pouvoir reconstruire la généalogie de leurs familles, de retrouver les traces de leurs ancêtres ?

La Révolution Française, tout en démantelant l'Église catholique de l'Ancien Régime, n'a-t-elle remplacé, sans délais, les registres paroissiaux qui notaient toutes les naissances, mariages et décès par ceux de l'état civil des communes ?

Or, identifier, classer, conserver, préserver, agencer, valoriser et faire connaître des archives est une tâche redoutable, une tâche sans fin et pleine de risques.

Le temps, la lumière, la poussière, l'humidité et la chaleur sont des ennemis des archives, comme le sont les moisissures ou le simple contact des mains ou des appareils de ceux qui les consultent.

La tâche des conservateurs d'archives est donc très difficile. Ils l'assument grâce à leur passion pour leur métier et à la qualité de leur formation.

Ces archives communales, départementales, régionales (pour les régions c'est un début), nationales vivent aux côtés de celles de nombreux autres organismes qui ont les mêmes fonctions, sociétés savantes, académies, entreprises publiques et privées.

Si la conservation des archives publiques produites par les services centraux de l'État relève normalement de la compétence des Archives nationales, qui dépend du ministère de la Culture, deux ministères disposent sur ce point d'une autonomie : le ministère des Affaires étrangères, avec les Archives diplomatiques, et le ministère de la défense avec, pour l'essentiel, le Service historique de la défense, sur lequel porte le présent travail de contrôle de la commission des finances du Sénat.

Le SHD a à connaître toutes les contraintes et toutes tâches qui ont été énumérées plus haut mais il connait aussi des spécificités importantes et des missions très particulières : le rapport les exposera et cet exposé surprendra surement.

Il faut dire que la nature même des archives qu'ils détiennent, la durée des périodes de l'Histoire de la France dans le monde qu'ils couvrent, les innombrables situations personnelles concernées, la sensibilité des problèmes soulevés donnent aux missions du SHD une connotation particulière.

Le rapport s'efforcera en les détaillant, de les mettre en valeur et de démontrer à quel point elles sont utiles et précieuses.

Jusqu'ici la France a su conserver en parfait état l'essentiel de ses archives.

Puisse-t-elle poursuivre ces efforts en dépit du fait que la crise économique et l'état préoccupant des finances publiques lui impose, dans ce domaine comme dans les autres, des restrictions budgétaires sévères et probablement persistantes.

PREMIÈRE PARTIE - UN SERVICE QUI PEINE À REMPLIR L'INTÉGRALITÉ DE SES MISSIONS

I. LE SERVICE HISTORIQUE DE LA DÉFENSE (SHD), PRODUIT D'UNE FUSION RÉCEMMENT PARACHEVÉE

Le code du patrimoine confie au ministère de la défense la conservation de ses archives. Les archives définitives et certaines archives intermédiaires de la défense sont conservées dans deux grands services, qui sont le Service historique de la défense (SHD) et l'Établissement de communication et de production audiovisuelle de la défense (ECPAD) 1 ( * ) . Les archives de la Légion étrangère sont quant à elles conservées de manière autonome à Aubagne.

Créé le 1 er janvier 2005, le SHD est un service à compétence nationale rattaché à la direction de la mémoire, du patrimoine et des archives (DMPA), l'une des directions du secrétariat général pour l'administration (SGA) du ministère de la défense. Il est le résultat de la fusion des quatre services historiques de l'armée de terre, de la marine, de l'air et de la gendarmerie nationale et du dépôt d'archives de la délégation générale pour l'armement (DGA).

Il est constitué d'un échelon de direction, dont les locaux se situent dans le château de Vincennes, et de trois centres :

- le Centre historique des archives (CHA), situé à titre principal à Vincennes et disposant d'un réseau territorial formé par les anciennes implantations portuaires du service historique de la marine (Cherbourg, Brest, Lorient, Rochefort, Toulon). Le site du Blanc qui recueille les archives de la Gendarmerie antérieures à 2009 lui est également rattaché ;

- le Centre des archives de l'armement et du personnel civil (CAAPC), créé en 1969 sur le site de l'ancienne manufacture d'armes de Châtellerault. Il assure la conservation, la gestion et la communication des archives techniques et administratives relatives aux études, essais et fabrications d'armement, ainsi que les dossiers individuels des personnels civils du ministère de la défense nés après 1870 ;

- le Centre des archives du personnel militaire, installé dans la caserne Bernadotte à Pau, détient notamment les archives du service national et a vocation à devenir le guichet unique pour l'accès aux archives du personnel militaire.

La fusion des services historiques des armées est intervenu dans le contexte de réforme du ministère de la défense et participe, plutôt tardivement, du mouvement d'interarmisation qui s'est véritablement enclenché à partir du début des années 1990.

Cette fusion a permis de progressivement réaliser des économies de fonctionnement, grâce à l'optimisation des achats dans le cadre d'une politique globale de marchés formalisés avec mise en concurrence, et des économies d'échelle substantielles générées par des commandes de masse sur des axes pluriannuels (acquisitions au profit de la conservation, nettoyage environnemental, microfilmage, restauration...).

Cependant, le processus de mutualisation lié à l'interarmisation a pris du temps à se mettre en place. En effet, le Centre historique des archives, constitué, à côté du CAAPC, pour regrouper les anciens services historiques de la défense, comportait à l'origine un département par armée. Ce modèle a été progressivement revu : après les fonctions de soutien, ainsi que trois fonctions du coeur de métier (Histoire, Symbolique et Bibliothèque) en 2008 et 2009, la fonction Archives, toujours organisée par armée, a été structurée selon une logique fonctionnelle transverse. Les départements des armées ont alors été supprimés. Cette réorganisation a été entérinée par la publication du décret et de l'arrêté d'organisation du SHD le 5 novembre 2012.

II. LES FONCTIONS DU SHD

A. LA FONCTION « ARCHIVES »

La fonction « Archives » du SHD est encadrée par le code du patrimoine qui impose une série d'obligations aux services producteurs d'archives publiques comme aux services d'archives publiques. Ceux-ci sont astreints à contrôler, collecter, classer, conserver et communiquer les archives publiques relevant de leur périmètre de compétence.

Plus spécifiquement, le code du patrimoine définit, à son article R. 212-65, les archives de la défense comme « l'ensemble des dépôts gérés par les services d'archives relevant du ministre de la défense ou dont le rattachement aux services d'archives du ministère de la défense est prévu par décret, en quelque lieu que ces dépôts soient établis ».

L'article R. 212-66 du même code précise que « les archives de la défense sont réparties :

« 1° En archives courantes constituées par les documents qui sont d'utilisation habituelle pour l'activité des services, établissements et organismes qui les ont produits ou reçus ;

« 2° En archives intermédiaires constituées par les documents qui, n'étant plus considérés comme archives courantes, ne peuvent encore, en raison de leur intérêt administratif, faire l'objet de tri et d'élimination ;

« 3° En archives définitives constituées par les documents qui ont subi les tris et éliminations définis à l'article R. 212-69 et qui sont à conserver sans limitation de durée. »

Le service historique de la défense est ainsi chargé d'assurer :

« 1° Le contrôle de la conservation des archives courantes ;

« 2° La conservation ou le contrôle de la conservation des archives intermédiaires ;

« 3° La conservation, la sélection, le classement, l'inventaire et la communication des documents conservés dans les dépôts centraux et annexes des archives ;

« 4° La conservation, la sélection, le classement, l'inventaire et la communication des archives privées qui sont acquises par le ministère ou qui lui sont remises à titre de don, de legs, de cession, de dépôt révocable ou de dation au sens de l'article 1131 et du I de l'article 1716 bis du code général des impôts 2 ( * ) . »

1. Le contrôle technique et scientifique

La mission de contrôle technique et scientifique, qui comporte une dimension de conseil aux services producteurs d'archives, connaît une montée en puissance progressive depuis 2012, mais des progrès restent à réaliser.

Cette évolution répond à plusieurs facteurs :

- la mise en place à moyen terme d'un système d'archivage des documents numériques du ministère de la défense nécessite d'anticiper et d'organiser en amont les futurs versements ;

- la réduction des effectifs rend de plus en plus difficile la réalisation interne de traitements importants des fonds d'archives. Il apparaît dès lors nécessaire de travailler auprès des services producteurs afin d'organiser au mieux la gestion des documents et des données dès leur création.

Plus ponctuellement, le renforcement de la mission de contrôle contribue à la préparation du déménagement de nombreux services du ministère vers le site de Balard. Ces services seront conduits à apurer leurs arriérés d'archives, en raison notamment de la contrainte d'espace dans les nouveaux bâtiments. Des actions de formation sont conduites et un réseau de correspondants archives se constitue. Le SHD réalise également des visites de terrain afin d'aider les services à déterminer les travaux préalables de tri et, sur autorisation, d'élimination à entreprendre avant le déménagement.

Les éliminations réalisées par les services producteurs allègent le coût de transport ainsi que la charge de travail du SHD, qui devraient sinon stocker des volumes importants d'archives inutiles en attendant de les traiter lui-même.

Après validation par le SHD (signature de bordereaux d'élimination), ces documents sont éliminés sur place. En 2012, un kilomètre linéaire d'archives, soit quatre fois plus que l'année précédente, a été autorisé à la destruction par les services du SHD basés à Vincennes.

Cette augmentation coïncide avec les restructurations menées par le ministère de la défense. Ainsi, la fermeture de quatre bases aériennes en 2012 a occasionné l'élimination de 400 mètres linéaires d'archives.

Au sein du CHA, la mission de contrôle est dévolue principalement :

- au département de la collecte et des recherches administratives (DCRA) pour l'administration centrale du ministère, le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationales (SGDSN), des opérations extérieures (OPEX) et de la Gendarmerie (pour les archives antérieures à son rattachement au ministère de l'intérieur en 2009, les plus récentes relevant de la compétence des Archives nationales) ;

- au département du réseau territorial (DRT) pour les unités, selon une logique géographique, à travers six échelons locaux (Cherbourg, Brest, Lorient, Rochefort, Toulon et Vincennes). Cette mission sur un périmètre interarmées est nouvelle pour les sites portuaires, auparavant chargés uniquement des archives de la marine.

2. La collecte et le traitement des archives

Les services concernés par la mission de collecte des archives publiques sont le DCRA de Vincennes (600 services versants de l'administration centrale ou des bases aériennes), les divisions Gendarmerie du Blanc (392 services versants), le CAAPC de Châtellerault (100 services versants), le CAPM de Pau (134 services versants) et deux des antennes portuaires de la DRT (Brest et Toulon avec respectivement 110 et 130 services versants).

La collecte d'archives privées

Contrairement aux archives publiques, la collecte des archives privées ne répond pas à une obligation légale mais constitue une politique volontaire du SHD. Elle concerne :

- les fonds d'archives papier, par dépôt, don ou achat ;

- la collecte de témoignages oraux d'anciens militaires ou acteurs de la défense (32 entretiens en 2012 représentant 65 heures d'enregistrement) ;

- les fonds iconographiques (majoritairement privés au SHD car la production interne du ministère de la défense est conservée par l'ECPAD).

Source : Service historique de la défense

La collecte s'est très fortement accrue depuis 2010. Elle a doublé entre 2010 et 2011 et a augmenté de presque la moitié entre 2011 et 2012, soit un triplement entre 2010 et 2012.

Accroissement brut du métrage conservé

(en mètres linéaires)

Source : service historique de la défense

L'essentiel de l'accroissement est dû aux trois entités du SHD qui jouent un rôle d'archivage intermédiaire : le site du Blanc (division des archives intermédiaires de la Gendarmerie), le CAAPC et le CAPM. L'intégration de ce dernier a particulièrement pesé, puisqu'il a reçu à lui seul 7,9 kilomètres linéaires, en raison du transfert, à l'occasion de son changement de rattachement, d'un grand nombre de dossiers conservés par la DSN. Les dissolutions d'unités contribuent également à ce phénomène : le site du Blanc a ainsi reçu, en 2012, 700 m 3 d'archives sur palettes, en provenance de 400 unités dissoutes de la Gendarmerie.

Le rôle d'archivage intermédiaire consiste en l'accueil de documents à titre provisoire, durant le temps de leur utilité administrative. La durée d'utilité administrative (DUA) est le délai durant lequel une catégorie de documents doit être conservée pour les besoins de son producteur, pour l'instruction d'un dossier ou en cas de recours a posteriori .

Au terme de la DUA, les archives sont soit éliminées, soit cédées. Ainsi, le CAPM transfère les registres matricules et les fiches d'état des services des appelés du contingent, l'année de leurs 90 ans, à l'ensemble des archives départementales. Les pièces annexes sont en revanche définitivement éliminées à cette occasion (720 mètres linéaires en 2012).

Le traitement des archives collectées consiste en la constitution d'outils (répertoires, inventaires, bases de données) de description des documents, nécessaire à leur exploitation et à la mise à disposition du public.

3. La conservation
a) La conservation préventive et curative

Au 31 décembre 2012, le SHD détenait 405 kilomètres linéaires d'archives et 368 000 documents iconographiques : cartes, plans photographies, tableaux (notamment la « collection du ministre », constituée de tableaux représentant des scènes de batailles historiques).

Compte tenu de l'état souvent dégradé ou du caractère inadapté des locaux de conservation, le SHD consacre des ressources importantes à la mise en oeuvre d'actions de conservation préventive, qui visent à améliorer, autant que faire se peut, l'environnement dans lequel sont placés les fonds (installation de chauffages et de déshumidificateurs, dépoussiérage régulier, surveillance des moisissures, acquisition de matériaux de conservation spécifiques...).

Une attention particulière est portée au risque de développement de moisissures 3 ( * ) , qui constitue un danger aussi bien pour les fonds que pour le personnel.

Vos rapporteurs considèrent qu'il s'agit d'un problème particulièrement préoccupant, les conditions de température et d'hygrométrie propres à certains locaux conduisant inéluctablement au développement massif de moisissures (par exemple le bâtiment Castigneau 1 à Toulon, cf. infra ).

b) La restauration et la reliure

Le travail de restauration de documents dégradés est effectué en interne ou par des prestataires extérieurs dans le cadre de marchés triennaux ou d'opérations ponctuelles.

Le SHD dispose de trois ateliers de reliure et de restauration :

- à Vincennes, où deux restaurateurs travaillent pour l'ensemble des sites du SHD sur des opérations délicates (documents précieux) ou urgentes (expositions) ;

- à Toulon, seule antenne portuaire à conserver un restaurateur en raison des départs à la retraite non remplacés ;

- à Pau, où le CAPM a mis en place, dans le cadre de sa réorganisation, un atelier d'une dizaine de personnes, formées en 2012 à la restauration par un agent sur place, alors qu'il ne s'agissait pas à l'origine de leur métier. Vos rapporteurs ont pu constater lors de leur visite en juillet 2013 que cet atelier était pleinement opérationnel et apprécier la qualité du travail réalisé par des agents particulièrement impliqués.

Deux marchés triennaux, conclus en 2011, ont permis, en 2012, la restauration de 250 registres et ouvrages de bibliothèque, ainsi que de quelque 500 cartes et plans provenant de plusieurs sites. Parmi les fonds concernés, figure la Bibliothèque de l'Académie de Marine, conservée à Brest, ensemble bibliographique exceptionnel, principalement scientifique, constitué entre 1752 et la fin du XVIII e siècle.

4. La communication des archives

En application des article L. 213-1 et L213-2 du code du patrimoine, issu de la loi n° 2008-696 du 15 juillet 2008 relative aux archives , les archives publiques, y compris celles conservées par le SHD, sont immédiatement communicables, à l'exception des documents dont la divulgation porterait atteinte aux intérêts des individus, de l'État ou aux intérêts industriels et commerciaux protégés par la loi. Ces documents sont communicables, selon la nature des informations qu`ils renferment, à l'expiration de délais allant de 25 à 100 ans.

Les archives de la défense sont naturellement particulièrement concernées par les dispositions prévoyant que les informations portant atteinte à la sûreté de l'État, à la sécurité publique ou au secret de la défense nationale ne sont communicables qu'à l'issue d'un délai de 50 ans et que les archives « dont la communication est susceptible d'entraîner la diffusion d'informations permettant de concevoir, fabriquer, utiliser ou localiser des armes nucléaires, biologiques, chimiques ou toutes autres armes ayant des effets directs ou indirects de destruction d'un niveau analogue » ne peuvent être communiquées.

Le SHD, hors CAPM, a traité en 2012 plus de 15 000 recherches dont 10 500 au profit des particuliers et 4 500 dans un cadre institutionnel, notamment au profit du ministère de la défense. La communication des documents peut se faire sur place en salle de lecture, ou par l'envoi de copies.

S'agissant des particuliers, les demandes peuvent avoir un but soit administratif (preuve, reconnaissance de droits...), soit généalogique ou scientifique.

S'agissant des demandes institutionnelles, le SHD a mis en place un système de communications administratives qui permet aux services producteurs d'obtenir la communication rapide de leurs propres archives. Le CAAPC s'impose, au titre de la certification ISO-9001, des délais précis de retour des archives.

Le service est également saisi dans le cadre de procédures judiciaires (318 fois en 2012, dont 312 pour les archives de la Gendarmerie).

Certaines missions administratives du service vont au-delà de la simple communication d'archives. Le SHD est ainsi chargé de la qualification des unités combattantes, qui s'effectue à partir du dépouillement des archives des unités et exige la reconstitution précise de leurs activités en opération afin de déterminer les droits des militaires qui y ont participé.

Le CAPM est, quant à lui, chargé de la communication des états signalétique et des services (ESS) des appelés du contingent et de répondre aux demandes relatives à la certification de cartes du combattant, aux citations et aux décorations. À ce titre, il a traité en 2012 plus de 200 000 recherches, principalement au profit de particuliers.

5. La valorisation des fonds

Facultative sur le plan légal et réglementaire, la valorisation des fonds auprès du public constitue l'une des missions prioritaires confiées au SHD par sa tutelle. Le SHD mène ainsi de nombreuses actions culturelles et éducatives.

Il organise des colloques, conférences et expositions, par exemple, en 2012 et 2013, sur le thème de la Grande armée, en lien avec le bicentenaire de la retraite de Russie. L'exposition « Des aigles et des hommes » a ainsi attiré 16 000 visiteurs au Château de Vincennes.

L'exposition « Sur les traces de La Pérouse », à Brest, a accueilli environ 3 000 visiteurs.

Des projets éducatifs sont également menés, en collaboration avec le ministère de l'éducation nationale. Au cours de l'année 2012, le SHD a, par exemple, accueilli dans son antenne de Brest neuf lycées dans le cadre du projet Libros, avec l'objectif de faire travailler les élèves sur des traductions de textes latins issus du fonds de l'Académie de marine. Il a également organisé à Vincennes, le 1 er octobre 2013, la cinquième édition de la Journée de l'étudiant dans les archives de la défense.

Le SHD publie en outre divers ouvrages à destination du grand public : livres d'art, ouvrages méthodologiques sur la recherche.

B. LA FONCTION « BIBLIOTHÈQUE »

Les collections de la bibliothèque représentent environ 900 000 volumes. Le SHD est dépositaire des bibliothèques du Dépôt de Guerre, à Vincennes, et de l'Académie de Marine, à Brest. Il a également bénéficié du reversement de bibliothèques administratives du ministère de la défense et de bibliothèques de garnisons. Le SHD procède de plus à des acquisitions.

Les collections sont réparties sur plusieurs sites : en majorité à Vincennes, mais également à Cherbourg, Brest, Lorient, Rochefort, Toulon et Châtellerault.

Elles se sont enrichies de 3 000 documents en 2012. En effet, 4 500 documents ont été reçus et 1 500 éliminés, dans le cadre de la politique d'exemplarisation visant à limiter les doublons. Ce travail de sélection a été rendu particulièrement nécessaire par la réunion, en 2009, des bibliothèques des quatre services historiques, constituées indépendamment les unes des autres et présentant donc de nombreux recoupements.

La bibliothèque a également a dû cataloguer, dans le cadre du projet RETRIVAL (Retraitement d'Information valorisable), environ 250 000 documents conservés au Fort de l'Est à Saint-Denis, pour l'essentiel des brochures, livres et périodiques extraits des collections du SHD ou issus de dépôts effectués depuis les années 1990 par les cercles militaires et garnisons à mesure de leurs restructurations.

Parmi les documents issus de ces dépôts, seuls 15 % étaient susceptibles d'intégrer les collections du SHD, déjà très riches. Le solde a fait l'objet d'une sortie du domaine public, en vue de leur cession, qui a été confiée à France Domaines.

C. LA FONCTION « HISTOIRE »

Dans le cadre de sa fonction « histoire », le SHD développe une activité de recherche, d'études et d'enseignement, qui occupe 17 chercheurs militaires et civils et fait participer de nombreux personnels scientifiques de l'ensemble du service. Elle se traduit par :

- des productions écrites, en particulier des articles diffusés dans la Revue historique des armées, éditée par le SHD ;

- des activités d'enseignement, destinées notamment à la formation des personnels militaires, sous une forme académique et au travers d'études historiques de terrain dans les Ardennes et en Normandie ;

- des participations à des colloques ;

- des activités de conseil et d'expertise.

D. LA FONCTION « SYMBOLIQUE DE DÉFENSE »

Le SHD a en charge la création ou la validation des insignes et des fanions militaires. À ce titre, il participe à l'élaboration des textes réglementaires dans ce domaine de compétence, effectue des études historiques (928 en 2012), homologue les nouveaux modèles d'insignes et fanions militaires (844 en 2012) ou les réalise (16 en 2012).

Il est également chargé par le ministère de la défense de tenir une collection exhaustive : le département de la Symbolique de défense du SHD conserve à ce titre 47 000 insignes.

Le service conserve en outre 7 500 objets (drapeaux, fanions, uniformes) et assure la gestion d'environ 9 000 objets détenus par les unités militaires sur le terrain.

Il reçoit les drapeaux et les étendards des unités dissoutes, par procédure de reversement, lors des cérémonies de dissolution.

En 2012, 395 objets ont été collectés, par achat, don ou reversement.

Enfin, ce département possède une compétence reconnue dans le domaine de l'archéologie militaire : huit chantiers de fouilles ont été menés en 2012.

III. UNE SITUATION GLOBALE DÉGRADÉE

A. DES EFFECTIFS QUI ONT ENREGISTRÉ UNE FORTE BAISSE

Depuis 2009, le SHD est confronté à deux difficultés structurelles :

- la réduction des effectifs ;

- le recrutement difficile au sein du ministère de la défense (magasinier d'archives entre autres malgré les mesures incitatives déployées par la direction des ressources humaines du ministère), comme en interministériel (chargé d'études documentaires, conservateur, bibliothécaire dont les mobilités sont actées en commission administrative paritaire interministérielle).

Les dépenses de personnel de titre 2 sont regroupées depuis le 1 er janvier 2013 sur le budget opérationnel de programme (BOP) « Ressources humaines » unique du SGA.

En 2012, 257 postes ont été transférés au SHD en raison du rattachement du CAPM le 1 er janvier 2012.

Effectifs du SHD

(en ETP pourvus)

2005

2006

2007

2008

2009

2010

2011

2012

2013

Militaires

149

139

133

126

122

107

98

87

85

Civils

353

343

348

350

355

341

332

598

590

Total

502

482

481

476

477

448

430

685

675

Exécution titre 2

(en millions d'euros)

24

24

24,33

24,6

24,5

24,5

24,3

32,7

Source : Service historique de la défense

La problématique des effectifs est un enjeu majeur pour le SHD avec des déflations qui s'aggravent et mettent en péril sa capacité à s'acquitter de manière satisfaisante de l'ensemble de ses missions.

Le dévouement et la compétence d'un personnel en nombre insuffisant viennent palier, dans des conditions toujours plus difficiles, les manques, au détriment de certaines missions, qui apparaissent moins prioritaires.

B. UNE SOUTENABILITÉ BUDGÉTAIRE COMPROMISE MALGRÉ D'IMPORTANTES ÉCONOMIES

On assiste à un décrochage des ressources allouées au SHD par rapport à ses missions. En outre, deux menaces, liées à ce décrochage, pèsent sur soutenabilité budgétaire du SHD : un report de charges important et l'absence de marges de manoeuvre pour faire face aux dépenses imprévisibles résultant de la situation dégradée des locaux de conservation.

Initialement érigé en un BOP rattaché au programme 167 « Lien entre la Nation et son armée », le SHD est depuis la loi de finances initiale pour 2009 une unité opérationnelle (UO) du BOP ACP, lui-même rattaché au programme 212 « Soutien de la politique de défense ».

Les crédits du SHD relèvent sous-action 8-02 « Gestion et communication des archives historiques de la défense » de ce programme.

Les ressources budgétaires du SHD inscrites en loi de finances pour 2014 s'élèvent à 4,95 millions d'euros d'autorisations d'engagement (AE) et 4,54 millions d'euros de crédits de paiement (CP). L'écart entre AE et CP (0,41 million d'euros) est essentiellement lié au renouvellement en 2014 des marchés annuels de sauvegarde. Les crédits de paiement sont en baisse d'environ 10 % sur les trois dernières années, alors même que le SHD a intégré en 2012 le CAPM de Pau et donc plus de 100 kilomètres linéaires d'archives supplémentaires, des bâtiments et environ 270 personnels 4 ( * ) .

La ressource effectivement disponible en 2014 pour le SHD est réduite de 7 % au titre de la réserve de précaution et s'établit donc à 4,6 millions d'euros en autorisations d'engagement et 4,22 millions d'euros en CP.

Le budget 2014 du SHD regroupe deux composantes :

- d'une part, un budget de soutien , qui concerne principalement le site de Vincennes (gardiennage, nettoyage, maintenance courante et consommations énergétiques), ainsi que les actions traditionnelles de soutien (frais postaux, bureautique). Sont également comprises dans le périmètre des fonctions support les frais de formation et de déplacement, même si le SHD estime qu'il s'agit de dépenses « coeur de métier » liées à la spécificité et au rayonnement du service. Ce budget de soutien s'élève à 1,97 million d'euros (AE=CP) ;

- d'autre part, un budget dit « coeur de métier » , dont les dépenses portent principalement sur la conservation des archives du ministère et des collections de symbolique, ainsi que sur la valorisation de ses fonds d'archives et de ses collections patrimoniales à travers la publication d'ouvrages et la réalisation d'expositions. Ce budget bénéficie de 2,63 millions d'euros en AE et 2,25 millions d'euros en CP.

Le budget de soutien supporte 57,5 % de la réserve de précaution en AE et 62,7 % en CP, contre respectivement 42,5 % et 37,3 % pour le budget « coeur de métier », qui devrait se trouver ainsi relativement épargné.

Répartition des crédits de l'UO SHD en loi de finances pour 2014

(en euros)

Niveau

Description

Prévision de crédits 2014

AE

CP

Opération budgétaire (OB)

Communication et relations publiques

74 667

74 667

OB

Fonctionnement courant

259 202

259 202

OB

Déplacement et transport

129 332

129 332

OB

Formation et instruction

86 049

86 049

OB

Conservation du patrimoine culturel

2 365 833

1 956 573

OB

Enrichissement du patrimoine culturel

340 979

340 979

OB

Soutien courant des structures

1 695 206

1 695 206

Total

4 951 268

4 542 008

Source : Projet annuel de performance de la mission « Défense » pour 2014

Comme l'année précédente, la loi de finances pour 2014 prévoit que le SHD disposera de 240 000 euros de ressources extrabudgétaires, correspondant principalement à des attributions de produits liées à la rémunération de reproductions d'éléments de fonds d'archives réalisées par le SHD au profit des usagers, et à l'encaissement de ventes d'ouvrages, d'abonnements à la RHA, de droits d'auteur et de droits de publication.

En outre, son budget pourrait en outre être abondé de 15 000 euros en provenance du programme 144 « Environnement et prospective de la politique de défense », du fait du rattachement au SHD des crédits de fonctionnement de la fonction « histoire » de l'Institut de recherche stratégique de l'École militaire.

La gestion 2014 est marquée par le renouvellement des marchés pluriannuels de sauvegarde, pour un montant prévu de 819 000 euros. Ces marchés sont pilotés par le bureau de la conservation (marché de restauration de documents reliés et à plat) et par le centre des archives historiques (micro-filmage, numérisation de photos aériennes et reliure d'ouvrages).

Il apparaît que de nouvelles réductions de budget sont programmées, avec un objectif d'économie de 10 millions d'euros jusqu'à 2019.

L'essentiel des économies possibles, à structure constante, sur les dépenses de soutien courant a déjà été réalisé. Ces dépenses sont désormais largement incompressibles et liées à des marchés (gardiennage, nettoyage, fluides et énergies).

En l'état actuel des choses, ce sont donc les crédits de coeur de métier qui subiront la baisse, ce qui compromet la capacité du SHD à remplir ses missions. Certaines opérations ont d'ores et déjà été annulées, par exemple les opérations de cotation des archives du personnel militaire de Pau.

Ce phénomène risque de s'accroître compte tenu du report de charge de 2013 sur 2014, qui s'élève à 463 000 euros, représentant ainsi 11 % des crédits de paiement disponibles pour 2014. Il pourrait nécessiter de revoir à la baisse le plan d'engagement prévisionnel du SHD sur cet exercice.

Ces contraintes budgétaires, dans le contexte désormais d'une forte rigidité de la prévision de dépense (estimée à 83 %), rend le SHD particulièrement vulnérable sur le plan financier aux éventuels aléas de gestion. Or, ceux-ci, pour être imprévisibles quant à leur montant et leur nature, n'en sont pas moins quasi systématiques, en raison des conditions immobilières dégradées des bâtiments du SHD, notamment à Vincennes, lesquelles font peser une menace sur la qualité des normes de conservation des archives (inondations, contaminations), ainsi que sur les conditions de travail des personnels (insalubrité de certains bureaux), et génèrent des dépenses aléatoires (préventives et curatives) pour la conservation optimale des fonds (boîtes de conservation, désinfection, fumigations, déshumidificateurs...).

On constate ainsi une inadéquation entre les moyens budgétaires du SHD et ses missions, dont certaines constituent des obligations légales résultant du code du patrimoine (collecte, conservation et communication des archives) et du code de la défense (protection des informations classifiées).

C. LES LOCAUX DE CONSERVATION : UNE SITUATION CONTRASTÉE SOURCE D'INQUIÉTUDE

La question des infrastructures de stockage est absolument cruciale pour le SHD, car leurs caractéristiques conditionnent la bonne conservation des archives.

Le parc immobilier mis à la disposition du SHD est particulièrement divers et éclaté. La multiplicité des implantations constitue un facteur de complexité, de même que l'environnement de certains des bâtiments, en particuliers ceux situés dans des ports militaires.

Le SHD dispose de deux types de bâtiments pour la conservation des fonds qui lui confiés : ceux construits à cette fin ou ayant été totalement réaménagés et ceux dont ce n'est pas la fonction initiale et qui restent peu adaptés.

Les premiers demeurent largement minoritaires et ne sont souvent pas conformes aux normes récentes, malgré les investissements consentis.

Des bâtiments adaptés ont été construits dans les années 1980, à Pau, à Lorient et au Blanc.

Plus récemment, des bâtiments existants ont été aménagés. C'est le cas d'un ancien parking sur la base militaire du fort Neuf à Vincennes, ainsi que d'une partie de l'ancienne manufacture d'armes de Châtellerault.

En 2012, le SHD a bénéficié :

- d'un bâtiment neuf, inauguré dans l'enceinte de l'arsenal de Toulon, offrant une capacité de 14 kilomètres linéaires (dont 5 kilomètres ont été immédiatement occupés par des documents en provenance des dépôts existants qui présentaient des conditions de conservations particulièrement précaires) ;

- de la rénovation et de l'aménagement de deux bâtiments de la caserne de Lorge-Haut à Caen, afin d'accueillir notamment les dossiers d'anciens combattants en cours d'entrée au SHD et stockés provisoirement chez un prestataire et au quartier Gallieni de Maisons-Laffitte ;

- de l'aménagement d'un bâtiment annexe au Blanc, afin de faire face aux besoins massifs de versements des unités de gendarmerie ;

- de travaux de mise aux normes de nouveaux magasins d'archives à Châtellerault.

Il faut relever que la plupart de ces locaux, même construits ou rénovés dans les règles à une date donnée, ne respectent pas les normes actuelles de conservation, qui ont connu d'importantes évolutions.

L'ensemble de ces chantiers n'offrent au SHD qu'environ 160 kilomètres linéaires de bâtiments d'archives adaptés à cet usage.

En conséquence, « une majorité des locaux de conservation se trouve, aujourd'hui encore, dans des bâtiments peu adaptés : anciennes casernes (Pau, Caen), anciens bâtiments maritimes (Brest, Rochefort, Cherbourg), anciennes casemates (Fort de l'est), hangars industriels (Châtellerault). La situation de ces nombreuses implantations se caractérise par une grande diversité dont le cas du château de Vincennes, où les fonds et collections sont conservés dans neuf bâtiments, pavillons royaux louis-quatorziens ou oeuvres de l'architecture militaire du XIX e siècle, représente un cas d'école . 5 ( * ) »

Sommairement aménagés pour recevoir des archives, ces bâtiments restent souvent vétustes et offrent des conditions de conservation médiocres, voire préoccupantes.

En raison de l'arrivée constante de nouvelles archives, qui devrait connaître un pic avec le déménagement de nombreux services du ministère de la défense vers le site de Balard, le recours par le SHD à des locaux inadaptés tend à s'accroître. Certains sites, dont les capacités arrivent à saturation, sont en effet contraints de délocaliser une partie de leurs fonds vers d'autres implantations militaires disposant de locaux inoccupés.

Il en va ainsi, par exemple, du site de Vincennes, qui a recours aux casemates du Fort de l'Est à Saint-Denis, comme du CAPM, dont une partie des archives est stockée dans un bâtiment annexe de l'école des troupes aéroportées (ETAP) de Pau. La caserne Bernadotte elle-même, site de stockage principal du CAPM, offre des conditions de stockage insatisfaisantes, malgré des travaux d'amélioration de la sécurité incendie. La construction d'un bâtiment dédié, offrant 20 kilomètres linéaires de stockage, est prévue. Les travaux devraient commencer en 2014 et s'achever en 2016.

À la dispersion des lieux de stockage sur le territoire métropolitain, héritage de l'histoire du SHD, s'ajoute ainsi une dispersion locale des fonds conservés qui rend plus difficile leur exploitation et leur communication au public.

Ces palliatifs atteignent leurs limites. Le CAPM de Pau ainsi que le site de Brest risquent, à court terme, de ne plus pouvoir répondre aux besoins de versement des services.

Il convient de souligner que le maintien d'archives dans des bâtiments inadaptés entraînent, en plus d'une dégradation accélérée des fonds, des coûts non négligeables (dépoussiérages et désinfections plus fréquents, mesures conservatoires d'urgence, restaurations plus nombreuses et plus lourdes).

On relèvera aussi la dégradation du service rendu aux usagers. Le CHA à Vincennes répartit ses archives dans 19 bâtiments implantés sur cinq sites. L'équipe de magasiniers, aux effectifs restreints, notamment en raison de difficultés de recrutement du fait de la pénibilité du travail, assure l'identification des documents dans les magasins, leur regroupement et leur mise à disposition des usagers en salle de lecture. Ces contraintes humaines et immobilières expliquent l'importance des délais d'attente et de réservation, de trois semaines actuellement à Vincennes, ainsi que le quota de cinq articles par usager et par jour actuellement imposés aux lecteurs.

IV. LA RÉORGANISATION DU CAPM, UNE RÉUSSITE MENACÉE

A. LA TRANSFORMATION DU CPAM EN CENTRE D'ARCHIVES : UNE RÉORGANISATION RÉUSSIE AVEC DES MOYENS EN FORTE BAISSE

1. Une réorganisation menée de manière exemplaire

L'intégration du CAPM au SHD répond à la volonté de recentrer la DSN autour de sa mission stratégique, la Journée défense et citoyenneté (JDC), et de rationaliser la fonction archives du ministère de la défense.

Plus qu'un changement de tutelle, il en résulte une transformation fondamentale : jusqu'ici considéré comme un centre administratif, le CAPM devient un centre d'archives .

En tant qu'établissement de la DSN, le BCAAM avait pour missions d'exploiter et de traiter les demandes des ressortissants dégagés des obligations du service national (DOSN) à partir des dossiers qu'il conservait.

En tant que centre du SHD, le CPAM doit réaliser les quatre missions traditionnelles d'un centre d'archives que sont la collecte, le classement, la conservation et la communication des archives publiques qui lui sont confiées, la mission administrative précitée étant intégrée dans la mission de communication.

Les fonds du CAPM

Les archives individuelles représentent 34 millions de dossiers individuels constitués de:

- dossiers de personnel DOSN (dégagés des obligations du service militaire) : plus de 28 millions de dossiers non officiers nés entre 1921 et 1998 (classes 41 à 98) (à l'exception des dossiers des sous-officiers honoraires Air et des officiers Mariniers honoraires) et administrés du livre I (non soumis aux obligations du service national) gérés par le CAPM depuis mars 2010.

- dossiers Officiers : 310 000 dossiers d'officiers de l'Armée de Terre, Gendarmerie, Santé et autres services communs depuis le 1 er janvier 1971 ;

- dossiers Féminines : 152 000 dossiers des féminines nées avant le 1 er janvier 1983, date de mise en place de la JAPD pour les filles ;

- dossiers étrangers : plus de cinq millions de dossiers des anciens ressortissants des colonies et protectorats français, ainsi que des étrangers ayant servi sous commandement français tels que les polonais et les tchèques lors de la campagne 1939-1940 (environ cent mille dossiers).

Les archives collectives sont constituées des archives administratives et médicales des unités dissoutes depuis 1936, ainsi que celles de plus de cinq ans d'âge des unités en activité. 17 000 formations de l'armée de terre et des services communs sont représentées. La collecte s'élève à environ neuf tonnes par an, soit deux kilomètres linéaires, dont plus de la moitié est détruite.

Le CAPM est aussi détenteur de la collection complète des ordres généraux et citations attribuées aux militaires depuis 1914 (plus de 6 millions).

Source : service historique de la défense

Le passage d'un statut à l'autre, outre qu'il implique l'accomplissement de nouvelles tâches, a donc nécessité la redéfinition des missions du centre, la transformation complète de ses structures et de ses modes de fonctionnement.

Cette évolution a été conduite par la chef de centre suivant une méthodologie dont vos rapporteurs ont constaté qu'elle avait produit un résultat remarquable.

Dans une première phase, les agents ont participé à la réalisation d'audits des activités du CAPM ainsi qu'à la rédaction des processus à mettre en oeuvre dans la nouvelle organisation du centre.

Parallèlement, des réunions ont été organisées avec les représentants du personnel pour présenter l'avancement des travaux et prendre en compte les critiques que ces derniers soulèvent (une fois par mois par la chef de centre, puis une fois par semaine durant la période qui a précédé la mise en place de la réorganisation).

Enfin, l'ensemble du personnel est réuni par deux fois pour une présentation de la réorganisation au cours d'une conférence suivie d'un débat.

La seconde phase, à partir de septembre 2011, consiste à mettre en pratique la réorganisation qui a été validée, en formant au préalable les agents, en déployant ensuite les nouveaux processus puis en les faisant vivre en maîtrisant les enjeux et les conséquences de cette réorganisation.

Simultanément, le futur référentiel unique d'organisation (RUO) a été publié en interne. Tous les agents ont alors été invités à choisir leur poste dans la nouvelle organisation. Pour cela, l'intégralité des fiches de poste de la nouvelle organisation a été publiée sur le réseau informatique interne. En outre, le nouveau département de la collecte et de la conservation a organisé un forum des métiers pour présenter ses activités aux agents intéressés.

Chacun a alors été invité à choisir trois postes dans l'ordre de ses priorités. Une fois cette sélection faite, les chefs de service correspondants ont priorisé leurs recrutements.

Pour cela, chaque personne a été reçue en entretien d'embauche par son futur chef de service. Une telle procédure implique donc de procéder dans l'ordre hiérarchique inverse. Ce sont donc les agents de catégorie A qui ont choisi leurs postes en premier (de novembre à décembre 2011), puis les agents de catégorie B ou assimilés (de janvier à février 2012) et enfin les agents de catégorie C et les ouvriers de l'État (de mars à avril 2012).

Les équipes ont ainsi constituées avant l'été 2012. Après une première prise de contact, elles ont été prêtes à fonctionner sous la nouvelle organisation en septembre 2012

2. Des moyens en forte baisse
a) Des effectifs en forte baisse

Les effectifs sont passés entre 2010 et 2013 de 332 à 262 personnes, soit une réduction de 21%. Cette réduction s'est traduite par la suppression de la quasi-totalité des postes militaires , les effectifs civils ayant été maintenus en portant un effort particulier sur l'encadrement, notamment en cadres B dont les effectifs ont été accrus de 50 %.

Évolution des effectifs du CAPM

Années

Personnel militaire

Personnel civil

Total général

Officiers

S/Officiers

Evat (1)

Total militaires

Cat A

Cat B

Cat C

Ouvriers d'État

Total civils

2010

6

58

10

74

6

20

174

58

258

332

2011

3

23

4

30

5

27

176

56

264

294

2012

0

0

0

0

9

29

186

52

276

276

2013

1

0

0

1

7

30

171

53

261

262

(1) Engagés volontaires de l'armée de Terre

Source : service historique de la défense

Si cela ne compense pas l'ensemble des suppressions de postes, la baisse des effectifs s'est pour partie effectuée dans le cadre d'une mutualisation de certaines fonctions de soutien grâce à :

- la création des bases de défenses (BDD), avec la suppression des 34 postes d'administration générale et de soutien commun et leur transfert vers le Groupement de soutien de la base de défense (GSBdD) de Pau ;

- la montée en puissance de la direction interarmées des réseaux d'infrastructure et des systèmes d'information (DIRISI) du ministère de la défense, avec la suppression des 15 postes d'informaticiens, et leur transfert vers la DIRISI.

En outre, le personnel restant a été profondément renouvelé : les départs ajoutés aux vacances de postes ont conduit à recruter sur cette période 83 personnes, dont 43, soit 52 %, dans le cadre des restructurations menées par le ministère de la défense.

Ce renouvellement et les nouvelles missions confiées au CAPM ont nécessité d'importantes actions de formation, dont a bénéficié l'ensemble du personnel.

Actions de formation au CAPM

- 34 cadres des catégories A et B ont suivi des formations au management (3 sessions de 3 jours pour un coût de 6 255 euros) ;

- la quasi-totalité des agents ont suivi une formation sur deux jours d'initiation à l'archivistique, assurée par des conservateurs du patrimoine du Service interministériel des archives de France (SIAF), (12 sessions de deux jours organisées pour 240 agents personnes, pour un coût total de 3 700 euros en frais de déplacement, les frais pédagogiques étant pris en charge par le SIAF, soit une économie de 85,3 % sur le budget de 25 200 euros initialement prévu).

- 40 agents oeuvrant dans le domaine de la communication des archives ont été formés au droit des archives par des intervenants faisant partie de l'Association des archivistes français, association reconnue par le ministère de la culture (deux sessions de trois jours organisées pour un coût de 7 800 euros).

Source : service historique de la défense

b) La baisse des dépenses de fonctionnement

Au 1 er janvier 2011, 1 068 000 euros de budget de fonctionnement ont été transférés du BOP de la DSN vers le BOP « Commandant interarmées du soutien » (COMIAS).

En 2011, la dépense a finalement été de 757 657 euro, le CAPM réalisant une économie de 29 % par rapport au budget transféré.

En 2012, la dépense connaît une nouvelle baisse, de 21 %, pour s'établir à 598 671 euros.

Au total, en deux ans, une économie de 44 % a été réalisée par rapport à l'enveloppe initiale

Les économies ont porté en particulier sur les consommables (frais postaux, fournitures de bureau, consommables informatiques et papier) avec une diminution en 2012 de 22,68 %, sur les dépenses diverses (nettoyage des locaux, mobilier, prestations multiservices, intérêts moratoires), qui baissent de 59,3 %, sur l'achat de mobilier (- 95 %), sur les dépenses d'abonnement (collecte et traitements des déchets, téléphonie et abonnements journaux), sur le ménage (- 74 %). Vos rapporteurs ont pu constater que le ménage des bureaux était désormais effectué par les agents eux-mêmes.

Ces efforts ont permis de compenser la hausse de 11,79 % du poste « énergies » et de dégager les ressources pour financer une hausse de 57,6 % des travaux de maintenance (alarmes, vidéo surveillance, incendie, casernement et reprographie).

c) Un budget « coeur de métier » fortement contraint

Le budget « coeur de métier » transféré au SHD le 1 er janvier 2012 s'élevait à 348 471 euros.

En 2012, la dépense s'est finalement établie à 291 000 euros, en retrait de 16,5 % par rapport à ce budget.

En 2013, le SHD n'a alloué au CAPM qu'un budget de 161 556 euros, soit une baisse de 44,6 % par rapport à l'année précédente.

B. UNE SITUATION DE CRISE SURMONTÉE

Au cours de l'été 2012, la charge de travail du CAPM s'est brusquement accrue :

- du fait de sa sortie de la DSN, le CAPM a récupéré environ cinq millions de dossiers supplémentaires en deux ans, qui étaient jusqu'ici gérés par les bureaux et les centres du service national (BSN et CSN) ;

- la remise en service de l'application KAPTA, développée par l'Office national des anciens combattants et victimes de guerre (ONAC-VG) et dédiée au traitement informatisé des cartes du combattant, titres de reconnaissance et retraite du combattant, a obligé le CAPM à travailler à la résorption des demandes restées en attente jusque-là. L'application connaissait des dysfonctionnements depuis sa mise en production en avril 2010 et était restée en panne huit mois en 2011. Un stock important de demandes s'était donc constitué et a été soumis massivement au CAPM en 2012. Celui-ci a ainsi, en moins de quinze mois, traité l'équivalent de cinq fois sa production annuelle moyenne ;

- la mise en place du Compte individuel de retraite (CIR), destiné au Service des retraites de l'État pour liquider automatiquement les pensions des agents, a provoqué un afflux de demandes totalement inattendu au CAPM. Jusqu'alors le CAPM traitait les demandes d'états de service de deux classes d'âge : celle des personnes atteignant 60 ans, et celles des personnels atteignant 55 ans . Avec la mise en place du CIR, le centre a dû travailler sur toutes les classes d'âge, alors que seules 23 classes sur 57 sont pour l'instant numérisées. Courant mai 2012, des demandes isolées sont parvenues au centre pour des agents hors ministère de la défense expliquant que le Service des pensions de l'État leur demande de fournir leur état de service avant le 31 décembre 2012 sous peine de ne pas se voir reconnaître leurs droits à pensions pour leurs années de service national. Cette échéance impossible à tenir a fortement mis sous tension le personnel du CAPM et a généré un stress important.

Face à cette situation de crise, intervenant dans un contexte de réorganisation interne, de baisse des effectifs et d'intégration des personnels nouvellement recrutés, la chef de centre a mis en oeuvre des solutions adaptées :

- suspension de la mise en place des nouveaux processus, de la démarche Qualité et de la démarche Marianne ;

-  mise en place de renforts internes des agents des bureaux devant exploiter les demandes des ressortissants par des agents de tous les autres services du centre (y compris du service de direction) ;

- recentrage de toutes les activités du centre sur la mission administrative : les agents chargés de la collecte et du classement oeuvrant quasi-exclusivement sur la mise à disposition des archives individuelles des classes 1990 à 1998 pour le traitement des demandes ;

- concertation avec les services concernés afin de définir une nouvelle procédure de traitement du CIR pour la validation des services militaires.

Compte tenu des contraintes, vos rapporteurs soulignent l'excellence du travail accompli : l'action de la direction du CAPM et le professionnalisme des personnels a permis de surmonter des difficultés qui auraient aisément pu déboucher sur une situation sociale intenable et un blocage administratif. Dans le même temps, la nouvelle organisation du CAPM a été consolidée, malgré les tensions nées de la surcharge de travail.

Vos rapporteurs y voient un exemple de conduite du changement et de gestion de crise : maintien permanent du dialogue avec les représentants du personnel et chacun des agents, actions de communication, actions de formation, amélioration de l'ergonomie des postes de travail, répartition des charges de travail, amélioration du management quotidien...

C. UNE RÉUSSITE À CONFORTER

La baisse des moyens du CAPM est de nature à compromettre le bon accomplissement des missions qui lui ont été confiées. Est en particulier menacée la mission administrative, qui semble avoir été sous-estimée mais qui reste, et a vocation à rester, la mission prioritaire du CAPM, malgré sa transformation en centre d'archives. Vos rapporteurs estimeraient particulièrement regrettable que les résultats acquis par le quasi-sauvetage réalisé entre 2011 et 2013 soient remis en cause par une baisse excessive de ressources déjà très limitées.

Le fait que le CAPM ait pu faire face à une situation exceptionnelle ne signifie pas qu'il a durablement la capacité d'accroître son niveau de production avec des moyens en diminution.

La construction d'un bâtiment neuf sur la base accueillant l'école des troupes aéroportées (ETAP) de Pau devrait améliorer la situation du point de vue des conditions de conservation des archives. Cependant, 7 kilomètres séparent ce site de la caserne Bernadotte, ce qui ne facilitera pas la communication ni l'exploitation des archives qui y seront conservées.

Des gains de productivité sont sans doute à rechercher dans l'amélioration de l'organisation géographique du CAPM et la modernisation de ses outils informatiques, qui lui permettraient de gagner en efficacité et ainsi absorber les restrictions budgétaires et en effectifs qui pourraient lui être imposées.

DEUXIÈME PARTIE - REMÉDIER À UNE UTILISATION SOUS-OPTIMALE DES RESSOURCES DUE À UNE ORGANISATION DÉFICIENTE ET DES MOYENS OBSOLÈTES

I. RATIONALISER L'INFRASTRUCTURE ET L'ORGANISATION TERRITORIALE

A. RATIONALISER L'ORGANISATION TERRITORIALE

L'organisation territoriale du SHD, qui ne doit pas être remise en cause dans son principe, nécessite d'être rationalisée, car elle est déséquilibrée géographiquement et conduit à une dispersion des ressources.

1. Développer les mutualisations

Les sites doivent atteindre une taille critique, dès lors qu'une pluralité de missions continue de leur être confiées. En effet, même si, par des actions de formation adéquates, certains personnels ont pu développer une forme de polyvalence, les sites déconcentrés du SHD apparaissent particulièrement vulnérables sur le plan des ressources humaines et sont rapidement et lourdement déstabilisés par les vacances de postes, liées aux difficultés budgétaires ou de recrutement, ainsi que par les congés pour cause de maladie non remplacés.

Les difficultés récurrentes rencontrées par ces structures conduisent à une dégradation des conditions de travail pour les personnels qui, malgré leur forte implication, ne peuvent assurer de manière satisfaisante l'ensemble des missions qui leur sont confiées.

Le site de Toulon constitue un exemple représentatif de ce phénomène.

Dans cette antenne du SHD, faute de personnel suffisant, les travaux de classement sont parfois interrompus pour de longues périodes, les horaires de la salle de lectures restreints et un retard important a été pris dans le calcul des unités combattantes et des actions de combat, nécessaire à l'établissement des droits des marins, ainsi que dans le traitement des demandes de vérifications de dossiers individuels de l'ONAC.

Les missions du SHD de Toulon sont donc manifestement trop lourdes par rapport à ses effectifs (16 ETP en 2013).

Missions du SHD Toulon

Dans le Quart sud-est interarmées :

- le contrôle des archives des unités de toutes les armées ;

- la création et le suivi d'un réseau et la formation des correspondants des unités de toutes les armées.

En Région Maritime Méditerranée et en Océan Indien :

- la collecte, le tri, la conservation, l'inventaire des archives de la Marine ;

- le contrôle scientifique et technique des archives courantes et intermédiaires de la Marine ;

- la direction et la gestion de la bibliothèque historique, le contrôle scientifique et technique des bibliothèques patrimoniales de la Marine ;

- l'accueil et l'orientation du public, la communication des archives dont la consultation est autorisée ainsi que celle des collections de la bibliothèque ;

- la préparation de l'instruction des demandes de communication, par dérogation, des archives qu'il conserve ;

- l'exécution des recherches utiles à l'administration et, dans la mesure du possible, des recherches historiques à l'exception des recherches généalogiques privées ;

- le calcul des unités combattantes ;

- le suivi, pour le compte de l'échelon central, des dépôts d'objets liés au patrimoine militaire et symbolique des unités ou services désarmés ou dissouts et de la mise en dépôt de ces objets auprès de services demandeurs ;

- la participation à l'action culturelle, en liaison avec les services des Archives nationales, les bibliothèques et les organismes culturels nationaux ou locaux ;

- l'établissement des statistiques nécessaires au contrôle de gestion et à l'établissement des bilans périodiques.

Source : service historique de la défense

Il est ainsi apparu, au cours du contrôle, que le SHD de Toulon n'était plus en mesure de répondre à certaines de ses obligations réglementaires. Des fonctions « coeur de métier » ne sont plus assurées (en particulier le classement des documents).

Vos rapporteurs estiment que la solution à ces difficultés passe nécessairement par la centralisation de certaines tâches et le regroupement de sites déconcentrés, dont certains n'effectuent plus ou presque plus de collecte, ont des missions administratives réduites et se révèlent surnuméraires dans leur aire géographique (voir infra ).

Le SHD semble commencer à avancer dans cette voie, mais de manière assez timide.

Face aux contraintes de personnel, en particulier de catégorie A, il a ainsi été décidé de ne pas remplacer le conservateur du site de Rochefort. Ses fonctions sont assurées par le conservateur en poste à Lorient. Interrogé par vos rapporteurs, le chef du SHD indique cependant qu'il n'y a aucun projet de fermeture de ce site.

Le SHD ne peut pourtant raisonnablement se permettre de maintenir des sites uniquement pour des raisons historiques locales.

Leur fonction culturelle, ou quasi muséale, pourrait le cas échéant être préservée dans le cadre d'un partenariat avec les collectivités territoriales concernées mais, comme service d'archives aux ressources particulièrement contraintes, le SHD doit en priorité réorganiser ses ressources pour améliorer l'efficacité du service rendu au ministère de la défense et aux administrés ainsi que les conditions de conservation des archives.

Recommandation n° 1 : réduire le nombre de sites du SHD.

2. Redéfinir les missions du réseau territorial

La nécessité de mutualiser et de regrouper les ressources ne signifient pas que le SHD doit abandonner le principe même d'un réseau territorial, qui pourrait contribuer très utilement à l'accomplissement de certaines missions, notamment la collecte ou le contrôle technique et scientifique des archives détenues par les unités.

La participation du réseau territorial actuel du SHD à ces missions est paradoxalement encore balbutiante et souffre d'être très insuffisamment dotée en effectifs.

Par exemple, un unique agent est actuellement chargé, et seulement depuis le 1 er janvier 2013, du contrôle scientifique et technique des archives courantes et intermédiaires détenues par les unités sur tout le territoire interarmées compris entre Lyon et Carcassonne.

Pourtant, ce travail en amont auprès des services producteurs et des services versants, le développement de correspondants au sein de ces services, la diffusion d'une culture et de compétences archivistiques favorisent une collecte à la fois plus complète et plus aisée à traiter. Les ressources consacrées à cette tâche doivent permettre d'en économiser d'autres dans la phase post-collecte, pour un résultat technique et scientifique finalement plus satisfaisant.

Au contraire, d'autres fonctions semblent contribuer de manière moins évidente à la plus-value qu'est susceptible d'apporter un réseau territorial et, même si leur exercice déconcentré présente certains avantages, gagnent globalement à être mutualisées.

Il en va ainsi de la conservation des archives, dont la dispersion sur de multiples sites rend plus difficile et plus coûteuse la gestion.

Recommandation n° 2 : recentrer le réseau territorial sur ses missions de proximité (contrôle scientifique et technique, conseil, animation d'un réseau de « correspondants archives »).

3. Rééquilibrer le réseau territorial en fonction de la répartition des forces sur le territoire

L'un des objets d'un réseau territorial est de développer, pour une politique archivistique plus performante, les liens avec les services et les unités qui produisent des archives. Pourtant, la simple observation de la carte des implantations du SHD fait apparaître un net déséquilibre géographique.

Les sites du SHD

Source : Service historique de la défense

On constate ainsi qu'alors qu'une part significative des forces armées est stationnée dans l'Est du territoire national, aucun site du SHD n'y est implanté.

Répartition des forces armées et sites du SHD

Zones de défense et de sécurité

Régions

Effectifs militaires moyens

Sites SHD

Est

Alsace

6 887

40 874

Néant

Bourgogne

2 995

Champagne-Ardenne

9 112

Franche-Comté

6 381

Lorraine

15 499

Nord

Nord-Pas-de-Calais

3 785

8 061

Néant

Picardie

4 276

Ouest

Basse-Normandie

1 481

42 681

Brest
Caen
Lorient
Le Blanc

Bretagne

21 281

Centre

12 863

Haute-Normandie

1 927

Pays-de-la-Loire

5 129

Paris

Ile-de-France

32 745

32 745

Vincennes

Sud

Corse

2 107

45 506

Toulon

Languedoc-Roussillon

6 627

Provence-Alpes-Côte-D'azur

36 772

Sud-Est

Auvergne

2 888

15 432

Néant

Rhône-Alpes

12 544

Sud-ouest

Aquitaine

14 736

32 746

Châtellerault Pau Rochefort

Limousin

1 159

Midi-Pyrénées

9 088

Poitou-Charentes

7 763

France métropolitaine

218 045

Source : commission des finances, à partir de l'annuaire statistique de la défense 2012-2013

Recommandation n° 3 : rééquilibrer les implantations locales du SHD en fonction de la répartition des forces sur le territoire national.

B. INVESTIR DANS DES LOCAUX MODERNES SELON UN SCHÉMA D'INFRASTRUCTURE RATIONALISÉ

La question du stockage des archives est centrale pour l'activité (conservation, exploitation et communication des documents) du SHD. Elle conditionne ses besoins budgétaires. Le retard d'investissement a un coût important, budgétaire et opérationnel.

Il apparaît absolument indispensable d'établir un schéma directeur d'infrastructure, au besoin en détachant de manière provisoire les personnels compétents dont dispose par ailleurs le SGA. Ce schéma est rendu particulièrement nécessaire du fait de l'éclatement des sites, de la diversité des bâtiments et des besoins spécifiques du SHD.

Vos rapporteurs s'étonnent que des investissements relativement importants aient déjà été réalisés sans qu'un tel schéma n'ait préalablement été établi, comme par exemple la construction bâtiment « Castigneau 2 » de Toulon, qui a coûté 4,4 millions d'euros et sera rapidement insuffisant ou les travaux d'étanchéité d'une casemate de Vincennes, qui ont nécessité 1,7 million d'euros, sans que le résultat ne soit parfaitement satisfaisant.

En outre, de nouveaux investissements ont été décidés ou sont envisagés :

- la construction d'un magasin de stockage sur la base accueillant l'ETAP de Pau, distante de plusieurs kilomètres du CAPM, soit près de 5 millions d'euros ;

- le remplacement des fenêtres en bois d'un bâtiment du CAPM par des fenêtres à double vitrage et filtrage UV, pour 1 million d'euros ;

- la reprise de l'étanchéité d'une casemate à Vincennes pour 900 000 euros ;

- une extension des magasins de Brest pour environ 2 millions d'euros.

Une telle démarche comporte le risque d'une allocation sous-optimale des ressources et conduit à rigidifier la structure territoriale du SHD, les bâtiments neufs ou spécialement aménagés pouvant difficilement être abandonnés, même s'il apparaît ensuite que leur implantation ne correspond pas à l'organisation optimale du service.

L'élaboration du schéma directeur d'infrastructure doit aller de pair avec une réflexion sur l'organisation territoriale du SHD et l'intérêt d'une mutualisation des capacités de stockage.

Les deux autres grands services d'archives de l'État, les Archives nationales et la direction des Archives du ministère des Affaires étrangères, ont fait le choix de quitter leurs locaux historiques pour s'installer dans des bâtiments neufs construits à cette fin.

Comme l'explique le ministère des affaires étrangères en réponse à des observations critiques de la Cour des comptes sur les conditions de la réalisation du site de la Courneuve, « la saturation complète des dépôts d'archives diplomatiques, les conditions très dégradées d'accueil des chercheurs, l'incongruité de maintenir au coeur du VIIème arrondissement de Paris des espaces de stockage d'archives expliquent que le ministère des Affaires étrangères ait recherché, pendant de nombreuses années, une solution de relocalisation de ses archives diplomatiques. Contrairement à ce qu'estime la Cour, un tel projet ne pouvait attendre quelques années de plus, sauf à considérer que l'État pouvait se satisfaire d'une dégradation des conditions de stockage, de préservation et de consultation de ses archives diplomatiques. »

Si les choix de financement et les conditions de réalisation de l'opération réalisée par le ministère des Affaires étrangères sont, pour certains de leurs aspects, contestés, notamment le recours à un partenariat public privé, la relocalisation des Archives diplomatiques a été très bénéfique sur le plan du service rendu au public et à l'administration, des conditions de conservation des fonds et des conditions de travail du personnel.

Le maintien des fonds dans des locaux inadaptés, demande des investissements ponctuels qui ne constituent pas une solution de long terme et est très consommateur en ressources, humaines comme budgétaires, notamment en raison des actions de conservation préventive et curative rendues nécessaires par la dégradation des fonds, pour un résultat final insatisfaisant.

La seule solution viable consiste en la construction de bâtiments modernes et fonctionnels, dont le coût de construction et les frais de fonctionnement peuvent être considérablement abaissés par un regroupement des archives en un nombre limité de lieux.

Une telle opération pourrait, pour une large part, s'autofinancer :

- grâce aux économies qu'elle permettrait de réaliser sur les dépenses de fonctionnement et, éventuellement, de personnel ;

- grâce au produit de la cession des bâtiments libérés, pour ceux d'entre eux susceptibles d'être mis en vente ;

- en se substituant aux investissements, d'une efficacité discutable, déjà prévus ou rendus inéluctables par l'état très dégradés des locaux utilisés par le SHD.

Elle est de toute façon absolument indispensable pour protéger d'une dégradation sinon inéluctable une part importante des archives publiques, dont la conservation constitue à la fois une obligation légale, un devoir moral à l'égard des générations futures et l'une des conditions essentielles de la continuité de l'État.

L'exemple de Toulon

Le site de Toulon pourrait paraître privilégié. Il a bénéficié d'investissements importants (dépôt construit dans les années 1980, dépôt « haute qualité environnementale » inauguré en 2011, mise aux normes « établissement recevant du public » de la salle de lecture en 2012). En outre, la maintenance a été externalisée pour un meilleur suivi.

Il se heurte pourtant à plusieurs difficultés, qui illustrent celles auxquelles est confronté le SHD de manière générale.

Certaines tiennent à la multiplicité des locaux. Pour le personnel, éclaté sur plusieurs sites, il en résulte une gestion complexe, qui entraîne des pertes de temps et un manque de synergie. De même, le délai de communication des documents s'en trouve ralenti (réponses à 48 h). Enfin, la maintenance est particulièrement lourde.

D'autres découlent de l'implantation des locaux, tous situés sur une base militaire en activité, et donc soumis à des obligations supplémentaires en termes de sécurité et de sureté (astreinte hebdomadaire selon planning, liens avec le poste de commandement de la base et le groupement des fusiliers marins, évaluations sécurités obligatoires...). La bibliothèque et les bureaux attenants, ouverts à la fois sur la ville et sur la base, nécessitent un sas de sécurité avec doubles alarmes. Entourée par la ville, la base navale ne peut s'étendre, ce qui rend particulièrement difficile tout projet d'extension des capacités d'archivage.

D'autres, enfin, viennent de la vétusté des locaux ou de leur inadaptation à la fonction qu'on veut leur faire remplir.

L'enclave du SHD dans la Corderie royale (bâtiment du XVII e siècle) abrite des magasins de bibliothèque d'une capacité de stockage de 2,767 kilomètres linéaires, une salle de lecture pour livres et archives de 40 places, et des bureaux. Ces locaux sont anciens, ce qui entraîne des problèmes de maintenance, de conservation préventive, de manque de stockage. Ils sont en outre éloignés des dépôts d'archives.

L'abri n° 11 consiste en un bunker de la seconde guerre mondiale, offrant une surface de stockage de 526 m 2 et servant de sas temporaire pour le matériel et les archives contaminées. Il est particulièrement vétuste et pose des questions quant à sa conformité aux normes de santé et de sécurité au travail.

Le dépôt d'archives « Castigneau 1 » (12 kilomètres linéaires d'archives), qui date des années 1980, est saturé. Son groupe aéro-réfrigérant est obsolète et présente des dysfonctionnements qui font peser un risque sur la conservation des fonds. Mal isolé, il est sujet à des hausses importantes du taux d'hygrométrie (jusqu'à 80 %), liées au climat méditerranéen et ne peut fonctionner sans un système de climatisation et de ventilation. Lors des pannes, la température en été avoisine rapidement 30 à 35 °C dans le bâtiment. Des problèmes importants de moisissures ont déjà conduit à la fermeture de certains magasins en raison des risques pour la santé du personnel.

Le dépôt « Castigneau 2 » (baptisé « Virginie Hériot » en mai 2012), installation classée pour la protection de l'environnement (ICPE), a une capacité de stockage d'archives de 13,5 kilomètres linéaires et offre des conditions de conservation très satisfaisantes. Il a cependant été sous-dimensionné pour des raisons financières, ne comporte ni locaux techniques ni locaux pour le personnel et se trouve disjoint du premier dépôt, ce qui accentue l'éclatement de la structure.

À l'évidence, l'élaboration d'un schéma directeur d'infrastructure doit s'accompagner d'une réflexion sur l'organisation territoriale du SHD.

Recommandation n° 4 : élaborer un schéma directeur d'infrastructure.

Recommandation n° 5 : privilégier la construction de bâtiments neufs.

Recommandation n° 6 : regrouper les archives sur un nombre réduit de sites.

II. MODERNISER POUR GAGNER EN PRODUCTIVITÉ

Malgré la fusion des anciens services historiques des armées, les outils informatiques mis en place par ceux-ci ont largement perdurés. Bien souvent obsolètes, ils ne permettent de communiquer ni au sein du SHD, ni avec le reste du ministère ou des administrations concernées.

S'agissant des outils bureautiques et de communication, le SHD accuse un retard certain. Une mise à niveau a été demandée à la direction interarmées des réseaux d'infrastructure et des systèmes d'information (DIRISI) du ministère de la défense, qui a pris du retard mais devrait déboucher dans le courant de l'année.

Le problème vient de certaines applications « coeur de métier », pour lesquelles l'offre standard de la DIRISI n'est pas adaptée et qui demandent des développements spécifiques.

La mise en place d'un système d'information et de communication intégré devrait permettre des gains de productivité importants, qui seront absolument nécessaires, mais peut-être pas suffisants pour absorber les nouvelles restrictions, en budget et en emplois, que pourraient subir le SHD sur la période à venir.

En particulier, compte tenu de l'organisation territoriale du SHD, le recours à la téléconférence permettra des économies sur les frais de transport qu'entraînent les réunions régulièrement organisées à Vincennes avec des personnels affectés dans les régions.

La numérisation des fonds, conduite de manière systématique par le CAPM, et de manière plus ponctuelle par le Centre historique des archives, souvent pour contribuer aux projets mémoriels de la DMPA (cf. infra ), doit également permettre, à condition qu'un système adapté de gestion électronique des documents (GED) soit mis en place, de gagner en efficacité.

Recommandation n° 7 : intégrer le SHD dans le système d'information modernisé du ministère de la défense.

Recommandation n° 8 : moderniser les outils spécifiques « coeur de métier » et les intégrer dans un système d'information global.

III. REVOIR LA PLACE DU SHD AU SEIN DE LA STRUCTURE DU MINISTÈRE DE LA DÉFENSE

Si l'intégration au SGA était sans doute la meilleure solution pour un service interarmées à compétence nationale comme le SHD, il est possible de s'interroger sur la pertinence qu'il y a à confier à une même direction - la DMPA - la charge de définir et conduire à la fois la politique immobilière, domaniale et environnementale du ministère de la défense, sa politique mémorielle et éducative, sa politique culturelle et de lui rattacher en outre le SHD, dont on a vu la diversité des missions.

S'il est effectivement raisonnable de penser qu'il peut y avoir de synergies intéressantes entre le SHD et les politiques mémorielles, éducatives et culturelles du ministère, les liens possibles avec la politique immobilière, qui représente la part la plus importante de l'activité de la DMPA, sont moins évidents.

Malheureusement, même entre activités apparemment complémentaires, il apparaît qu'une forme de concurrence s'est parfois installée.

La DMPA comprend ainsi une délégation des patrimoines culturels, dotée :

- d'un bureau des actions culturelles et des musées qui développe notamment des projets relatifs à l'histoire militaire et a soutenu l'édition par une société privée d'une revue, se présentant comme la « revue d'histoire de l'armée française », alors que le SHD, dont les ressources sont sous tension, édite la « Revue historique des armées », référence reconnue en la matière. Si le SHD n'a heureusement pas le monopole de la recherche en histoire militaire, il convient cependant, dans un contexte budgétaire très contraint, de ne pas disperser les ressources que consacre à cette activité le ministère de la défense ;

- d'un bureau de la politique des archives et des bibliothèques (BPAB) qui, d'après la présentation qu'en fait la DMPA, « conçoit, anime et évalue la politique du ministère dans le domaine des archives et des bibliothèques. À ce titre, il exerce le contrôle scientifique et technique des services d'archives intermédiaires et courantes. Il instruit les décisions concernant les demandes de consultation d'archives non librement communicables. Si nécessaire, il mène des inspections des services d'archives et des bibliothèques. En coordination avec les autres bureaux de la DMPA et en liaison avec les ministères de la culture, des affaires étrangères et de l'éducation nationale, il inscrit l'action du ministère de la défense dans une politique publique globale tout en en préservant l'originalité et la richesse ». La plupart de ces compétences pourraient utilement être confiées au SHD lui-même.

S'agissant, par exemple du « contrôle scientifique et technique des services d'archives intermédiaires et courantes », cette tâche revient normalement au service d'archive compétent. D'ailleurs, comme cela est indispensable à une politique archivistique performante, le SHD accomplit déjà cette mission et cherche à la développer, grâce notamment à son réseau territorial, tout en nouant des relations étroites avec les services versants et en conduisant auprès d'eux des actions d'accompagnement, de formation et de conseil.

De même, la compétence d'instruction des demandes de consultation d'archives non librement communicables est confiée au seul SHD par le décret précité du 17 janvier 2005.

Il convient donc, au minimum, de clarifier les compétences des diverses entités de la DMPA en matière archivistique, culturelle et historique afin, en particulier, d'éviter les doublons et la dispersion des moyens. Le principe de l'exercice d'une « tutelle métier » exercée par la délégation des patrimoines culturels sur le SHD apparaît peu pertinent.

La question de la pertinence du périmètre actuel de la DMPA est également posée.

Il serait ainsi envisageable de regrouper au sein d'une direction plus homogène la politique culturelle, éducative et mémorielle du ministère.

Le SHD pourrait demeurer dans un tel ensemble, même si vos rapporteurs sont conscients de la difficulté qu'il y a à lui trouver une place parfaitement cohérente au sein du ministère de la défense, compte tenu de la diversité de ses missions.

Le SHD a, en effet, vocation à remplir des fonctions pour le ministère, administratives et scientifiques, qui vont bien au-delà de la simple conservation et valorisation d'un patrimoine archivistique. Il a d'ailleurs pu, dans les années récentes, pâtir d'être mis au service de la politique mémorielle et culturelle menée par la DMPA, qui a parfois mobilisé de manière prioritaire les ressource limitées du service au détriment du développement de la recherche historique. Celle-ci, par son caractère scientifique et son utilité en termes de retour d'expérience (RETEX), se distingue nettement de l'activité mémorielle, qui est par ailleurs parfaitement légitime et indispensable pour l'entretien du lien armée-Nation.

Le SHD pourrait donc être directement rattaché au SGA, afin d'éviter que l'une ou l'autre des missions qui lui confiées ne soit privilégiée du fait de la tutelle exercée par une direction spécialisée.

Alors que, jusqu'en 2005, chaque service d'armée relevait de son propre état-major, il apparaît que, depuis la fusion et le rattachement au DMPA, ce lien naturel s'est fortement distendu. Tandis que les armées américaines et britanniques ont conservé, voire accru, la proximité entre fonction historique et état-major et y voient un intérêt opérationnel évident, l'organisation retenue jusqu'ici par le ministère de la défense contribue une forme d'éloignement et de dilution assez préjudiciable.

Recommandation n° 9 : à court terme, clarifier les relations entre le SHD et sa tutelle, notamment par la suppression de la « tutelle métier » exercée par la délégation des patrimoines culturels ; à moyen terme, trouver un nouveau rattachement au SHD qui tienne mieux compte de ses spécificités, notamment le fait que lui sont confiées des missions administratives et de centre de recherche historique ; à défaut, envisager la partition du SHD.

Recommandation n° 10 : étudier l'intérêt d'une partition la DMPA de manière à définir deux ensembles plus cohérents : immobilier et logement d'une part, politique culturelle, éducative et mémorielle d'autre part.

TROISIÈME PARTIE - RELANCER LES MISSIONS EN SOUFFRANCE

I. MIEUX PRENDRE EN COMPTE LES MISSIONS SPÉCIFIQUES DU SHD À L'ÉGARD DU MINISTÈRE DE LA DÉFENSE ET DES ADMINISTRÉS

Certaines des missions administratives du SHD sont conçues comme de simples composantes de la mission générale de communication qui incombe à tout service d'archives.

Elles se distinguent pourtant assez nettement de cette mission, notamment en ce qu'elles impliquent non simplement de communiquer des documents archivés, mais la production de pièces administratives à partir des dossiers conservés.

Il en va ainsi de la qualification des unités combattantes et des actions de feu des unités marine, qui nécessite des personnels capables de reporter des points de navigation sur une carte et sachant lire des documents opérationnels (ordres de circonstance du commandant, journaux de bord et de navigation pour les bâtiments, ordres de missions aériennes pour les aéronefs).

Si le ministère de la défense ne disposait pas de l'autonomie en matière d'archives et était soumis à l'obligation de confier ses archives définitives aux Archives nationales, les documents nécessaires à la qualification des unités seraient en réalité conservés dans un service administratif dédié du ministère de la défense, chargé de leur traitement afin d'en extraire les informations nécessaires à l'établissement des droits des marins. Il serait impensable de verser ces archives aux Archives nationales et de charger ce service du ministère de la Culture d'effectuer les calculs nécessaires. Ce n'est qu'au terme de leur traitement administratif que ces archives seraient reversées à un service d'archives définitives.

Il faut donc se garder d'assimiler service d'archives intermédiaires, qui gardent un intérêt administratif, et service d'archives définitives. On pourrait même considérer que certains documents sont sans doute des archives intermédiaires ou définitives du point de vue des services versants (par exemple les journaux de bord et de navigation pour les unités marines), mais constituent en réalité des archives courantes pour le SHD.

La situation du CAPM, récemment intégré au SHD, est assez éclairante de ce point de vue. Chargé de la communication des états signalétique et des services (ESS) des appelés du contingent, de la certification des cartes du combattant, ou encore de la rédaction de mémoires de proposition pour les décorations, le CAPM a traité en 2012 plus de 200 000 demandes de documents administratifs, qu'il lui appartient souvent d'élaborer à partir des dossiers qu'il conserve.

Dans sa configuration actuelle, le SHD n'est donc pas le simple pendant des Archives nationales pour le ministère de la défense.

Persister, comme semblent le faire la DMPA et le SGA, à le considérer strictement comme un centre d'archives, en prenant comme modèle les Archives nationales, conduit à ce que soient parfois négligées les missions administratives du SHD.

Il a ainsi fallu attendre qu'un rapport de l'Inspection générale des armées - Marine (IGAM) pointe les dysfonctionnements dans l'établissement des droits des marins pour que la tutelle du SHD s'avise de renforcer, de manière toujours insuffisante, les moyens du site de Toulon.

De fait, la qualification des unités combattantes et des actions de feu des unités marine de Toulon accuse un retard moyen de huit ans, qui peut atteindre dix ans pour certains bâtiments.

Cette tâche, très spécialisée, est effectuée par deux sous-officiers réservistes (avec l'aide d'un agent de l'antenne) effectuant des périodes de vingt-cinq jours par an et nécessite un temps de mise à niveau initiale de trois à sept jours avec des effets mécaniques sur le rythme du travail.

En 2012, les périodes de réserve ont fait l'objet d'un droit de tirage important par le SGA, pour plus du tiers de l'horaire théorique. Malgré une exploitation maximale de ses capacités, l'antenne de Toulon ne parvient plus à remplir sa mission de manière satisfaisante.

Face à cette situation, plutôt que d'attendre que le SHD soit doté des moyens adéquats, la préfecture maritime a procédé en 2013 à la mise temporaire pour emploi de trois personnels militaires (officiers mariniers).

La situation, déjà évoquée, du CAPM est approchante : s'il a trouvé les ressources internes pour faire face à un surcroît exceptionnel d'activité et, notamment, pour traiter les demandes de l'ONAC en vue de l'établissement de cartes du combattant et de titres de reconnaissance de la nation, on continue d'exiger de lui qu'il assume ses nouvelles missions de centre d'archives tout en réduisant ses moyens.

Il convient donc que ces missions administratives soient mieux identifiées et valorisées au sein du SHD, afin d'arriver à une meilleure adéquation entre la charge de travail qu'elles représentent et les effectifs qui y sont affectés.

La modernisation du système d'information du SHD et la numérisation des fonds doivent également contribuer à gagner en productivité et ainsi améliorer des délais de traitement qui ne sont, aujourd'hui, pas toujours acceptables.

Recommandation 11 : mieux identifier et valoriser les missions proprement administratives accomplies par le SHD afin d'arriver à une meilleure adéquation entre la charge de travail qu'elles représentent et les effectifs qui y sont affectés.

II. EXISTER EN LIGNE OU DISPARAÎTRE DE LA MÉMOIRE DES HOMMES

En participant à l'activité mémorielle et éducative de la DMPA et en menant ses propres actions de valorisation des archives, le SHD contribue déjà au renforcement du lien armée-Nation.

Le SHD peut y contribuer encore plus puissamment en numérisant ses fonds et les mettant en ligne.

Comme le démontre l'engouement d'un nombre croissant de nos concitoyens pour la généalogie, l'exode rural, les migrations, le délitement des liens traditionnels depuis la Révolution industrielle ont contribué à un fort sentiment de déracinement des individus, à une forme de perte identitaire. Si la recherche des liens familiaux contribue à combler ce vide, il importe qu'elle soit inscrite dans l'histoire de la Nation elle-même. Pour cela, l'accès aux documents d'archives militaires joue un rôle essentiel et doit être possible par simple consultation en ligne.

La Troisième République a usé du service militaire, rendu universel, obligatoire et personnel par la loi Berteaux de 1905, pour former une nation unitaire. Les grands conflits du XX ème siècle ont appelé des millions d'hommes sous les drapeaux et profondément marqué notre pays. Il est nécessaire de donner les moyens aux jeunes générations, qui n'ont pas connu le service national ni de conflits majeurs, de renouer un lien, à travers le destin de leurs ancêtres ou de leur territoire, avec l'armée, qui continue d'être l'une des institutions fondamentales de notre République. Au-delà du renforcement du lien armée-Nation, l'enjeu est bien d'aider l'individu à trouver sa place dans la Nation elle-même, sur un territoire, dans une histoire à la fois propre et commune, grâce la réappropriation par chacun d'un passé militaire le plus souvent méconnu.

Pour cela, il est essentiel d'assurer l'existence numérique des archives de la défense et d'une histoire militaire qu'il faut continuer d'écrire. De plus en plus, ce qui ne sera pas accessible en ligne aura comme disparu aux yeux des hommes. Au contraire, ainsi que le montre l'exemple de la généalogie, l'accès en ligne amène de très nombreuses personnes à s'intéresser à des informations qui les concernent mais qu'elles n'auraient pas consultées par les voies traditionnelles.

Le SHD dispose bien d'un site Internet, ayant reçu 898 481 visites en 2012, qui propose notamment un certain nombre d'instruments de recherches 6 ( * ) . Ce site, techniquement obsolète, ne peut s'inscrire en l'état dans les réseaux du ministère de la défense. Il a été d'ailleurs été l'objet de plusieurs piratage en 2012 et 2013 et est resté longtemps indisponible.

La refonte du site, préparée en 2012 et ayant fait l'objet d'une publication de marché suivie d'un examen des offres, a finalement été abandonnée en 2013 en raison des contraintes budgétaires du service.

Il faut par ailleurs relever que la DMPA dispose de crédits de numérisation, essentiellement consacrés à sa politique mémorielle. C'est dans ce cadre que s'effectue l'essentiel de la numérisation des fonds du SHD. Les commémorations du centenaire de la Grande guerre, auxquelles le SHD doit naturellement contribuer activement, vont continuer de mobiliser les ressources de la DPMA. Le SHD manque de moyens pour mener une réelle politique autonome et suivie de numérisation (hors CAPM).

Vos rapporteurs considèrent que la politique mémorielle menée par le ministère de la défense est tout à fait nécessaire. Ils saluent d'ailleurs la très belle réalisation que constitue le site « Mémoire des hommes », qui met à disposition du public divers documents et bases nominatives numérisés à partir des fonds du SHD, notamment 1,3 million de fiches des « Morts pour la France » de la Première Guerre mondiale.

Le site « Mémoire des hommes » : une réalisation de la DMPA à partir de la numérisation de fonds du SHD

« Inauguré le 5 novembre 2003 avec la mise en ligne des 1,3 million de fiches des "Morts pour la France" de la Première Guerre mondiale, complétées en 2008 par la mise en ligne des journaux des unités pour ce conflit, le site Mémoire des hommes n'a cessé de s'enrichir de nouvelles bases nominatives prenant en compte les trois premières générations du feu. Ainsi, sont également en ligne les bases des "Morts pour la France" de la Guerre d'Algérie et des combats du Maroc et de la Tunisie (25 000 noms), de la Guerre d'Indochine (37 000 noms), des fusillés du Mont-Valérien (1 010 noms), des militaires décédés durant la Seconde Guerre mondiale (203 000 noms).

« En juin 2011, le site a pris un nouvel essor en publiant, en partenariat avec les Archives nationales et l'association des Amis du Service historique de la défense à Lorient (ASHDL), un portail de ressources documentaires et des fonds d'archives numérisés concernant la Compagnie des Indes au XVIIIe siècle. [...]

« En 2012, deux nouvelles bases ont intégré Mémoire des hommes . La première concerne les soldats tués sur les théâtres d'opérations extérieurs entre 1905 et 1962, la seconde intéresse la 4e génération du feu : depuis 1963, des milliers de soldats sont déployés sur différentes opérations extérieures (OPEX) qui ont coûté la vie à plus de 600 militaires français.

« A l'occasion de la fin de la Guerre de Corée, en 2013, une base nominative (289 noms) en articulation avec une carte interactive des principaux lieux de décès des soldats, ainsi que les JMO du Bataillon français de l'ONU, ont été mis en ligne.

« Depuis son ouverture, Mémoire des hommes a enregistré près de 11 millions de connexions, ce qui correspond chaque mois à une moyenne de 130 000 connexions, 900 000 fiches individuelles vues et 4 millions de pages de JMO consultées.

« Après une profonde refonte, la nouvelle version du site est disponible à l'occasion du lancement des commémorations du Centenaire de la Première Guerre mondiale. Elle offre de nouveaux fonds et de nouvelles fonctionnalités. Sont désormais en ligne le catalogue des historiques régimentaires pour les unités engagées dans la Grande Guerre ainsi que la base Sépultures de Guerre jusqu'à alors accessible via un autre site du ministère de la défense. D'un point de vue fonctionnel, les internautes peuvent désormais interroger en une seule fois l'ensemble des bases nominatives ainsi que les unités engagées dans la Première Guerre mondiale. Ils disposent également d'un espace personnel afin d'historiser leurs recherches, de liens permanents vers les fiches nominatives et les images, enfin d'une visionneuse de documents numérisés unique et performante.

« Afin de poursuivre l'enrichissement du site, la DMPA mettra en place en 2014 un plan pluriannuel de numérisation des fonds conservés au Service historique de la défense. Il concerne en priorité les registres de contrôles des troupes et de l'inscription maritime depuis le XVIIe siècle, mais également les cartes des tranchées de la Première Guerre mondiale et les fichiers des Alsaciens-Mosellans incorporés de force dans l'armée allemande pendant la Seconde Guerre mondiale. »

Source : site « Mémoire des hommes », http://www.memoiredeshommes.sga.defense.gouv.fr/

Cependant, le SHD doit procéder, progressivement, à une numérisation systématique de ses fonds, à laquelle ne peut se substituer les opérations menées ponctuellement en fonction du programme commémoratif du ministère de la défense.

Cette démarche implique également de ne pas laisser se perdre la masse d'archives nativement numériques que produit désormais le ministère de la défense.

La simple collecte des documents papier, telles qu'elle se pratique presque exclusivement aujourd'hui, conduira à terme à une perte de substance particulièrement dommageable et des aspects essentiels de l'activité actuelle du ministère seront oubliés.

Recommandation n° 12 : Élaborer un schéma directeur de la numérisation, avec comme objectif de mettre en ligne les archives librement communicables et de gagner en efficacité dans l'accomplissement des missions administratives et de communication.

Recommandation n° 13 : doter le SHD de ressources lui permettant de mettre en oeuvre ce schéma directeur de la numérisation, au besoin par le recours à des prestataires extérieurs.

III. DÉVELOPPER L'ARCHIVAGE DES DOCUMENTS ÉLECTRONIQUES

A. UN ARCHIVAGE ÉLECTRONIQUE INDISPENSABLE MAIS ENCORE AU STADE EMBRYONNAIRE

Le développement des technologies de l'information et de la communication a profondément modifié les méthodes de travail. Les données numériques peuvent avoir une forte valeur juridique, stratégique ou patrimoniale et constituent souvent la seule trace de certains aspects de l'activité d'une administration. Leur perte constitue à la fois un risque sur le plan juridique et pour la continuité des activités.

La collecte des seuls documents sur support papier conduit à la perte d'une quantité très importante d'information sur l'activité du ministère de la défense, y compris en opération. Les courriers électroniques, en particulier, peuvent être particulièrement engageants sur le plan juridique et éclairants pour les historiens.

Il faut relever que la reconnaissance de l'écrit électronique comme preuve par la loi n° 2000-230 du 13 mars 2000 portant adaptation du droit de la preuve aux technologies de l'information et relatif à la signature électronique a ouvert la voie à l'« administration électronique », à la dématérialisation des processus et à la production d'originaux numériques.

Comme dans la majorité des administrations publiques, l'archivage électronique au ministère de la défense semble encore manquer d'un cadre systématique et d'une véritable gestion du cycle de vie de l'information.

En raison des enjeux, notamment en termes judiciaires, de retour d'expérience et de reconnaissance des droits des militaires, un effort particulier a été fait pour la collecte d'archives électroniques en opération extérieure (OPEX), y compris hors du SHD avec la mise en place de la Cellule d'Archivage Opérationnelle des Armées  (CAOA) par l'État-major des armées.

Les archives électronique reversées en 2012 au SHD, essentiellement au titre des opérations menées par la France en Afghanistan (opération Pamir), en Côte d'Ivoire (Licorne) et au Liban (dans le cadre des Nations-Unies), n'ont cependant représenté qu'un volume total de 3,7 Go de données, soit l'équivalent d'une clef USB de moyenne capacité et 200 à 300 fois moins que la capacité de stockage d'un ordinateur de bureau d'entrée de gamme.

Il convient de noter que la collecte sur les théâtres, qui concerne essentiellement des documents classifiés, s'effectue souvent dans des conditions difficiles et a pu pâtir de défaillances techniques. Certains choix de support de stockage se sont révélés inadéquats et ont conduit à des pertes de données. En particulier, il est apparu, en Afghanistan et au Mali, que les DVD et CD-R supportaient mal l'exposition prolongée à de fortes chaleurs.

En revanche, l'archivage systématique des documents électroniques produits dans le cadre de l'activité courante du ministère en est encore au stade de la réflexion.

B. LE PROJET VITAM - ARCHIPEL

Le ministère des affaires étrangères, le ministère de la culture et de la communication et le ministère de la défense ont décidé de s'associer pour concevoir et réaliser en commun une solution logicielle interministérielle d'archivage électronique que chacun pourra utiliser ensuite dans son système d'information. C'est l'objectif principal du programme VITAM (Valeurs Immatérielles Transférées aux Archives pour Mémoire) qui devra couvrir les besoins d'archivage intermédiaire comme d'archivage définitif. Ce programme a reçu un avis favorable du CIAF  (Comité interministériel des Archives de France) le 16 juillet 2013 et de la DISIC (Direction interministérielle des systèmes d'information et de communication) le 3 septembre 2013.

Le projet doit démarrer en 2014 et permettre de couvrir les besoins essentiels dès 2016, avant que de nouvelles versions ne soient développées pour les besoins complémentaires.

L'implémentation de VITAM, aussi bien aux Archives nationales qu'au ministère de la défense (sous le nom ARCHIPEL), nécessitera une reprise des données et des métadonnées, une adaptation des procédures, ainsi qu'un interfaçage avec les applications métiers des services d'archives.

Vos rapporteurs estiment que la mémoire dématérialisée doit, tout comme les archives sur papier, faire l'objet d'un archivage définitif et rester accessible et que, par conséquent, les services d'archives ne peuvent se détourner cette évolution, s'ils veulent continuer d'assumer leurs missions.

Ils se félicitent donc qu'un tel projet ait été initié, mais n'en minimisent pas la difficulté.

Les données numériques sont facilement manipulables et falsifiables. Il peut être difficile d'identifier la version validée d'un document et d'avoir accès à l'information pertinente, nécessaire à la prise de décision. Il est nécessaire de garantir la force probante et la sécurité des documents produits et archivés (empreintes, signature électronique, horodatage, gestion des droits d'accès, gestion des traces).

L'obsolescence technologique, extrêmement rapide, compromet la pérennité de l'accès aux données stockées. Des stratégies de pérennisation (outils d'identification et de conversion de formats, veille technologique sur les supports et les formats de données, plans de migrations des supports, des formats) doivent donc être mises en oeuvre.

L'archivage électronique implique ainsi une participation active des producteurs de données et nécessite de prendre en compte le cycle de vie de l'information et de mettre en oeuvre une véritable « gouvernance des données numériques ».

Compte tenu de ces contraintes, la conservation de données électroniques n'est finalement pas beaucoup moins coûteuse que le stockage de documents sur support papier et demande des investissements importants en infrastructures, ainsi que des moyens humains conséquents. Elle n'en est pas moins indispensable.

Le classement et l'exploitation des données passent eux-mêmes par le recours à des technologies pointues (gestion électronique des documents, moteurs de recherche, bases de connaissance, référentiels sémantiques, thesaurus, ontologies...).

L'expérience américaine invite à la circonspection quant au calendrier prévu pour le projet VITAM et aux moyens susceptibles d'y être consacrés.

Le service d'archives nationales des États-Unis, la National Records and Archives Administration (NARA), travaille depuis 2001 à la mise au point d'un système d'archivage électronique ( Electronic Records Archive - ERA), dont le développement s'est effectué de manière incrémentale à partir 2005 et s'est arrêté en 2011 à la suite d'un rapport très critique du United States Government Accountability Office (US GAO, équivalent américain de la Cour des comptes), qui préconisait de se contenter des fonctionnalités déjà mises au point en raison du coût excessif du projet.

En effet, alors que la société Lockheed Martin , première entreprise mondiale de défense, avait remporté en 2005 le contrat pour un budget initial de 317 millions de dollars, le US GAO a estimé que le projet était en retard et pourrait, s'il devait être mené à son terme, coûté plus de un milliard de dollars.

Vos rapporteurs forment le voeu que le projet VITAM, dont l'échelle comme les moyens sont plus modestes, connaîtra plus de succès et tirera les enseignements nécessaires des déboires qu'ont connu plusieurs projets de développements informatiques réalisés pour le compte d'administrations publiques en France, à commencer par le calculateur de paie LOUVOIS du ministère de la défense.

Ils s'interrogent cependant sur le choix de développer un système ab nihilo avec des moyens aussi limités alors que des pays alliés ont consacrés d'importantes ressources à des projets similaires, qui pourraient servir de base de travail et permettrait d'éviter de connaître les mêmes difficultés.

Le risque est grand qu'en ne comptant que sur nos propres forces tout en n'y consacrant pas toutes les ressources nécessaires, l'objectif ne soit atteint qu'à long terme, faisant perdurer une carence très dommageable dans la collecte des archives publiques.

Recommandation n° 14 : développer l'archivage électronique, en reprenant si possible les systèmes déjà développés par nos Alliés.

IV. MIEUX DÉFINIR ET RENFORCER LA FONCTION « HISTOIRE »

A. RENFORCER LA FONCTION HISTORIQUE DU SHD ET REVALORISER SON RÔLE AUPRÈS DES ARMÉES

La fonction histoire, essentielle à l'origine des services historiques des armées puis du SHD, semble avoir été progressivement marginalisée.

Une note de la délégation aux patrimoines culturels de la DPMA du 13 décembre 2010 définit ainsi de manière très restrictive la place de la recherche historique au sein du SHD : le SHD ne serait pas un organisme de recherche, mais un service d'archives comportant des chercheurs travaillant directement à partir des fonds et collections du service.

La lettre de mission adressée par le directeur de la DPMA au Général Olivier Paulus, chef de service de 2011 à 2013, est explicite. Alors que le décret n° 2005-36 du 17 janvier 2005 portant création du SHD précise que le service « contribue aux travaux relatifs à l'histoire de la défense », la recherche historique ne serait qu'une fonction support du coeur de métier « archives » et aurait pour objet principal de contribuer à leur valorisation à travers des actions culturelles ou pédagogiques, comme la mise en place d'un service éducatif chargé « de former les jeunes en leurs procurant les clefs de lecture des objets patrimoniaux que les archives conservent et, d'une manière plus générale, de les initier à des pratiques qui viennent compléter l'enseignement de l'histoire ».

Selon les directives de la DPMA, les chercheurs doivent être astreints à participer à l'accueil en bibliothèque et aux actions éducatives.

De même, est contestée l'intérêt des « staff-rides » 7 ( * ) , auxquels contribue le SHD pour le cours supérieur d'état-major (CSEM), ainsi que les activités d'enseignement dans les écoles militaires.

L'organisation actuelle du SHD est symptomatique de cette conception. Le centre de recherche historique du service est un simple département - le département recherche études enseignement (DREE) - du Centre historique des archives (CHA), situé à Vincennes.

Pourtant, la recherche historique au SHD constitue une mission autonome, qui doit également être au service des forces, et pas seulement de la valorisation des archives auprès du public, en contribuant à éclairer la formation des officiers, la réflexion stratégique et la planification des opérations.

L'intervention au Mali a démontré que les documents et les observations de terrain de l'époque coloniale pouvaient être directement utiles à la conduite des opérations. Le caractère stratégique du contrôle de la ville de Kidal a ainsi été évalué notamment à l'aune d'une analyse historique produite par les chercheurs du SHD.

Aux États-Unis, au Royaume-Uni, la recherche en histoire militaire, y compris sur des évènements très récents, est extrêmement valorisée.

Le Secrétaire à la défense américain, l'équivalent de notre ministre de la défense a directement auprès de lui un bureau historique, de même que chacune des armées et que l'État-major général.

Les historiens militaires participent activement à la formation des officiers, aux réflexions stratégiques et à la planification des opérations.

L'histoire en appui des opérations

« [...] Le Dépôt de la guerre, créé par Louvois en 1699, n'était pas uniquement destiné à la conservation inerte des archives. Il formait une gigantesque base de données dans laquelle puisaient les chefs militaires et politiques pour préparer de nouvelles opérations. Louis-Alexandre Berthier, le chef d'état-major de Napoléon Ier, le savait mieux que quiconque, lui qui avait appris le métier d'ingénieur géographe aux côtés de son père, Jean-Baptiste, qui organisa le Dépôt de la guerre comme un véritable outil opérationnel. À cette époque, on était persuadé que Frédéric II de Prusse avait perdu la bataille de Kolin (18 juin 1757) parce qu'il n'avait pas pu disposer des cartes du théâtre d'opération.

Le travail cartographique réalisé par les ingénieurs géographes constituait un matériau utile, même lorsque les cartes étaient périmées. Celles-ci, en effet, ne sont pas de simples photographies du territoire. Elles en sont une lecture, une interprétation. Elles racontent une histoire, qui peut être complétée par d'autres sources qui sont celles de l'histoire militaire : les mémoires, les reconnaissances et les journaux des marches et des opérations, institués en 1874. Après la défaite de 1870, on savait que le témoignage des opérations présentes nourrirait l'histoire et la réflexion stratégique de l'avenir. De fait, dans le sillage de l'École supérieure de Guerre, créée en 1876-1880, la pensée militaire s'enracina dans la réflexion historique. Contrairement à une idée couramment admise, l'exploitation de l'histoire par les penseurs militaires de la période 1870-1914 ne fut pas caricaturale. Elle se révéla, au contraire, d'une incroyable richesse et donna naissance à une grande profusion d'idées nouvelles. C'est la transcription doctrinale de cette profusion qui fut défaillante, en réduisant le modèle napoléonien à quelques mots d'ordre réducteurs. Cette simplification d'une réalité complexe était le contraire de l'exercice critique auquel nous invite la science historique. [...]

Aujourd'hui, c'est un autre danger - celui de l'amnésie - qui guette la pensée militaire. Le lien entre les opérations en cours et l'histoire des conflits passés s'est considérablement distendu. Les archives du Service historique de la défense apparaissent souvent comme les vestiges d'un temps révolu. Elles ne sont pas connectées aux circuits du retour d'expérience et aux sphères opérationnelles. L'amnésie d'aujourd'hui crée ainsi les conditions de celle de demain. Il n'y a, à cela, aucune fatalité. Pratiquée avec méthode, rigueur et esprit critique, l'histoire peut encore nourrir la pensée militaire. »

Source : Hervé Drévillon, extraits de « L'histoire en appui des opérations », Armées d'aujourd'hui, n° 381, juin 2013

Selon les dernières indications transmises à vos rapporteurs, le ministère de la défense a récemment été décidé de renforcer la compétence du SHD en matière de recherche historique, dans le respect de sa mission archivistique. Pour cela, lui sera transféré le pôle historique de l'Institut de recherche stratégique de l'école militaire (IRSEM).

L'IRSEM, dont la création a été formalisée par un arrêté du 15 octobre 201 0 , est un centre de recherche de niveau ministériel, issu de la fusion du Centre d'études en sciences sociales de la défense (C2SD), du Centre d'études et de recherches de l'enseignement militaire supérieur (CEREMS), du Centre d'études d'histoire de la défense (CEHD) et du Centre des hautes études de l'armement (CHEAr).

En pratique, trois postes vont être transférés de l'IRSEM au SHD, dont un de professeur des universités, qui prendra la tête du nouveau pôle histoire du SHD et sera également directeur scientifique du SHD. À ce titre, il aura une mission d'animation de la politique de la recherche, associant les historiens, mais aussi les conservateurs. Le pôle histoire sortira du CHA pour être directement rattaché au chef du SHD, et concerner ainsi l'ensemble des centres du SHD. L'importance de la démarche historienne pour la réflexion stratégique sera réaffirmée.

Vos rapporteurs approuvent cette évolution et souhaitent que la nouvelle organisation ainsi définie soit mise en place rapidement.

Cependant, pour éviter que les mêmes errements se reproduisent, il convient de revenir sur la tutelle exercée par la DMPA, qui, jusqu'ici, a plutôt oeuvré dans le sens d'une restriction, voire d'une extinction, de l'activité de recherche historique menée par le SHD. Il importe notamment que le budget de fonctionnement du pôle histoire soit géré par le SHD et non directement par la DMPA.

Recommandation n° 15 : renforcer la fonction historique du SHD et revaloriser son rôle auprès des armées.

B. DÉVELOPPER LA COLLECTE EN OPÉRATION, DANS UNE FINALITÉ À LA FOIS ARCHIVISTIQUE ET HISTORIQUE

L'expérience américaine est, sur ce plan, particulièrement intéressante. Les forces américaines comportent des military history detachment (MHD), formés de deux à trois personnes, chargée d'intervenir sur les théâtres d'opération dans les fonctions suivantes :

- collecte des archives électroniques auprès des producteurs et stockage sur des serveurs ;

- conduite de l'histoire orale ;

- écriture de monographies (facilitant la publication d'une histoire des opérations rapidement après les faits) ;

- collecte des objets pour les musées.

Leur action permet une collecte plus efficace des archives mais également d'obtenir plus rapidement un retour d'expérience fondé sur une méthodologie historique rigoureuse, consistant notamment en une analyse scientifique du déroulé des opérations. De même, la publication d'ouvrages historiques se fait dans un temps beaucoup plus court qu'en France.

A l'heure actuelle, aucune de ses missions n'est effectuée au niveau français, hormis la mise en place balbutiante de la collecte des fonds électroniques (cf. supra ).

Il s'agit plus d'une question de culture que de moyens : un MHD de trois personnes, souvent réservistes 8 ( * ) , suffit pour une force projetée de 45 000 hommes.

Recommandation n° 16 : mettre en place des détachements chargés de collecter sur les théâtres d'opération : documents, objets et témoignages dans une finalité à la fois archivistique et historique.

V. EVITER UNE DÉGRADATION DE LA SITUATION AVANT LA MISE EN oeUVRE DES MESURES DE RATIONALISATION ET DE MODERNISATION

Vos rapporteurs ont pu relever l'implication et le professionnalisme des divers personnels du SHD. Ils ont également constaté que les restrictions budgétaires et la diminution des effectifs les plaçaient souvent dans une situation difficile en raison de l'impossibilité de d'accomplir de manière satisfaisante l'ensemble de leurs missions.

Compte tenu d'une situation sociale et de conditions de conservation des archives préoccupantes, il serait très hasardeux d'imposer de nouvelles restrictions dans l'état actuel du service.

Vos rapporteurs considèrent que constituent un préalable la rationalisation de la structure, la mise en place de nouveaux outils informatiques et la définition d'un plan d'investissement de nature à garantir la pérennité des archives conservées par le SHD.

En effet, la pénurie de moyens conduit le SHD à réagir plutôt qu'à préparer l'avenir, à sacrifier certaines de ses missions essentielles, notamment la recherche historique et l'entretien du lien Armée-Nation. Elle ralentit la reconnaissance des droits des militaires qui ont mené des actions de feu et ont ainsi exposé leur vie pour la Nation. Enfin, malgré les efforts du SHD, la situation déplorable de certains locaux de stockage met en péril la conservation des archives.

Pourtant, le SHD pourrait remplir ses missions avec ses moyens humains et budgétaires actuels, voire avec les moyens qui résulteront de la baisse programmée de ses effectifs et de son budget, s'il se réorganisait et se modernisait.

Recommandation n° 17 : maintenir les ressources budgétaires et humaines du SHD tant que les mesures de rationalisation et de modernisation n'ont pas été mises en oeuvre avec succès.

EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 12 février 2014, sous la présidence de Mme Michèle André, vice-présidente, puis de M. Philippe Marini, président, la commission a entendu une communication de MM. Yves Krattinger et François Trucy, rapporteurs, sur le service historique de la défense.

Mme Michèle André , présidente . - Nous allons entendre une communication de nos collègues Yves Krattinger et François Trucy sur le service historique de la défense. Ce contrôle a été engagé alors que François Trucy était encore rapporteur spécial de la mission « Défense ». Conformément à son souhait, Dominique de Legge lui a succédé dans cette responsabilité. Notre collègue François Trucy a cependant souhaité mener cette mission de contrôle à bien et nous l'en remercions, ainsi que pour tout ce qu'il a fait pour la commission depuis bien longtemps. Je le remercie particulièrement d'avoir fait de moi son héritière pour les jeux en ligne.

M. François Trucy , rapporteur . - Si, en principe, les archives de l'État sont conservées par les Archives nationales, la loi a créé une exception pour deux ministères : le Quai d'Orsay, avec les Archives diplomatiques, et la Défense, avec le service historique de la défense, qui est l'objet du contrôle que nous allons vous présenter.

Je précise d'entrée de jeu que nous sommes largement en retard pour produire devant vous ce rapport, qui était prévu au programme de l'année 2013.

Yves Krattinger et moi avons cependant des excuses exceptionnelles à ce retard. En 2013, ce service a vu exploser le binôme qui le dirigeait, formé d'un général et d'un cadre supérieur du ministère de la culture, et ce pour des raisons tout aussi inacceptables les unes que les autres.

Il nous aura fallu attendre longtemps la nomination d'un autre général et le temps qu'il lui fallait pour prendre en main sa direction.

Je suis personnellement très intéressé et très admiratif des services d'archives, qu'elles soient nationales ou locales, car elles sont le support de notre grande Histoire et de nos petites histoires, qui ont tant d'intérêt.

J'espère que ce contrôle vous permettra, à votre tour, de prendre la mesure de l'étendue des missions du service historique de la défense, de la variété et de la difficulté de ses tâches. Contrairement à une idée reçue, qui juge que le service historique de la défense n'a rien d'autre à faire que de stocker, entretenir et exploiter les archives les plus anciennes et les plus vénérables, le service historique de la défense vit dans l'actuel, reçoit, à longueur d'années, des masses énormes de données qu'on lui demande d'identifier, classer, stocker et qui proviennent d'une multitude de sites : bases de défense, unités, bâtiments de la Marine nationale, bases aériennes, écoles... À Pau, où vivent les archives de tout l'historique de tous les militaires, de toutes les époques, le service effectue un travail essentiel pour les intérêts de ces militaires.

Vous apprendrez aussi que la poussière, les moisissures et l'humidité sont les pires ennemis des manuscrits et des archives.

Créé le 1 er janvier 2005, le service historique de la défense est un service à compétence nationale, rattaché à la direction de la mémoire, du patrimoine et des archives (DMPA), l'une des directions du secrétariat général pour l'administration (SGA) du ministère de la défense. Il est le résultat de la fusion des quatre services historiques de l'armée de terre, de la marine, de l'air et de la gendarmerie nationale et du dépôt d'archives de la délégation générale pour l'armement (DGA).

Il est constitué d'un échelon de direction, dont les locaux se situent dans le château de Vincennes, et de trois centres :

- le Centre historique des archives (CHA) situé, à titre principal, à Vincennes et disposant d'un réseau territorial formé par les anciennes implantations portuaires du service historique de la marine (Cherbourg, Brest, Lorient, Rochefort, Toulon). Le site du Blanc, qui recueille les archives de la Gendarmerie antérieures à 2009, lui est également rattaché ;

- le Centre des archives de l'armement et du personnel civil (CAAPC), créé en 1969 sur le site de l'ancienne manufacture d'armes de Châtellerault. Il assure la conservation, la gestion et la communication des archives techniques et administratives relatives aux études, essais et fabrications d'armement, ainsi que les dossiers individuels des personnels civils du ministère de la défense nés après 1870 ;

- le Centre des archives du personnel militaire (CAPM), installé dans la caserne Bernadotte à Pau, détient notamment les archives du service national et a vocation à devenir le guichet unique pour l'accès aux archives du personnel militaire.

La fusion des services historiques des armées est intervenue dans le contexte de réforme du ministère de la défense et participe, plutôt tardivement, du mouvement d'interarmisation qui s'est véritablement enclenché à partir du début des années 1990.

Cette fusion a permis de progressivement réaliser des économies de fonctionnement, ce qui a donné l'occasion au ministère de la défense, dans le cadre de la réduction de ses dépenses dites de soutien, de réduire les moyens alloués au service historique de la défense.

Celui-ci a une autonomie budgétaire réduite. Il ne gère que ses dépenses de fonctionnement, ses dépenses de personnel étant regroupées, depuis le 1 er janvier 2013, sur le budget opérationnel « Ressources humaines » du SGA. Les dépenses d'investissement et informatiques sont prises en charge directement par les entités compétentes du ministère.

Les ressources budgétaires du service historique de la défense inscrites en loi de finances pour 2014 s'élèvent à 4,95 millions d'euros d'autorisations d'engagement (AE) et 4,54 millions d'euros de crédits de paiement (CP).

Les crédits sont en baisse d'environ 10 % sur les trois dernières années, alors même que le service historique de la défense a intégré, en 2012, le CAPM de Pau et donc plus de 100 km linéaires d'archives supplémentaires, des bâtiments et environ 270 personnels.

Au total, l'effectif du service historique de la défense s'élevait, en 2013, à 675 personnes. Hors centre de Pau, ses effectifs ont baissé de plus de 15 % depuis 2005. Les effectifs du CAPM ont eux-mêmes baissé de 21 % entre 2010 et 2013, avec une quasi disparition des postes militaires.

Ces réductions pèsent énormément sur un service qui a de multiples missions, dont certaines souffrent d'un manque de moyens.

Le service historique de la défense, c'est en effet, à la fois : le gardien des traditions et de la symbolique militaire, chargé d'homologuer, de répertorier et de rassembler les emblèmes et insignes ; une bibliothèque regroupant près d'un million d'ouvrages ; un centre de recherche historique ; un centre d'archives, et de manière connexe, un important centre administratif.

En termes de ressources, c'est la fonction archivistique et administrative qui pèse le plus. Le service historique de la défense est chargé des « 4 C » du travail d'un centre d'archives : collecter, classer, conserver, communiquer, autant de tâches qui correspondent à des obligations légales posées par le code du patrimoine. Ses fonds représentent plus de 400 kilomètres linéaires d'archives remontant jusqu'au 17 e siècle. Il faut l'imaginer : mises bout à bout, les archives du service historique de la défense couvriraient presque la distance entre Paris et Lyon. En 2012, ce sont près de 15 kilomètres linéaires d'archives supplémentaires qui ont été collectés et que le service historique de la défense doit trier et classer.

La conservation n'est pas qu'un stockage passif : il convient de mettre en oeuvre des actions préventives et curatives, ainsi que de restaurer les documents dégradés. Il s'agit là d'un des points noirs du service historique de la défense, mais nous y reviendrons.

La communication des documents au public, enfin, est également une obligation légale, limitée seulement par les délais de communicabilité des documents ou leur caractère secret. Outre les nombreuses demandes liées à la généalogie ou à la recherche historique, cette mission de communication comprend un large aspect administratif.

C'est au service historique de la défense que vous vous adressez pour obtenir votre état signalétique et des services.

C'est également le service historique de la défense qui assure la qualification des unités combattantes et des actions de feu ou de combat pour l'établissement des droits des militaires. Pour prendre l'exemple de la marine, cette tâche nécessite des personnels capables de reporter des points de navigation sur une carte et sachant lire des journaux de bord et de navigation.

C'est enfin, mais je pourrais continuer, le service historique de la défense qui produits les certificats nécessaires à l'établissement par l'ONAC-VG des cartes de combattant et des titres de reconnaissance de la Nation.

Sans compter que le service historique de la défense réalise également des recherches pour le ministère et est régulièrement sollicité dans le cadre de procédures judiciaires au titre des archives de la Gendarmerie.

Malheureusement, le service historique de la défense peine à remplir ses missions. Les travaux de qualification des unités combattantes accusent un retard de près de dix ans pour certaines unités. Pour pouvoir répondre aux demandes des administrés, certains sites ont cessé de traiter les archives nouvellement versées, ce qui est très dommageable. La fonction de recherche historique, si elle continue de donner lieu à la publication d'articles, d'ouvrages et de la Revue historique des armées, est largement négligée. La communication d'archives en salle de lecture exige un délai de réservation de trois semaines et est limitée à un quota de cinq documents par jour et par lecteur.

Le diagnostic, pour Yves Krattinger et moi, est assez clair : le service historique de la défense est malade de la dispersion de ses sites et du piteux état de la plupart de ses locaux, notamment de conservation. Cette situation d'inertie historique et de sous-investissement a un coût : celui des rustines que constituent les chauffages installés dans les locaux mal isolés ou les déshumidificateurs qui tournent dans des casemates saturées d'humidité ; celui de la restauration des ouvrages anciens rongés par l'eau ; celui de la désinfection des documents contaminés par les moisissures ; celui du risque pour la santé des personnels qui travaillent dans des locaux dont l'air est rendu irrespirable par ces mêmes moisissures ; celui du transport des documents entre les salles de lecture et des magasins distants parfois de plusieurs kilomètres ; celui du temps passé par les personnels à se battre contre une infrastructure défaillante et des outils obsolètes.

Sans vouloir dramatiser, car tous les fonds du service historique de la défense ne sont pas en péril, il faut souligner que certains m'ont paru réellement menacés par des conditions de conservation déplorables.

Le service historique de la défense est détenteur d'un trésor qu'il faut protéger, mais, plus prosaïquement, il remplit un certain nombre de missions au profit du ministère de la défense et des administrés, à partir de dossiers pas toujours aussi fascinants que des cartes de marine du XVII e siècle.

Ces missions sont néanmoins d'importance. Il s'agit rien moins que de fournir des informations nécessaires à l'établissement de droits sociaux, notamment de retraite, de centaines de milliers d'anciens militaires et de millions de Français ayant effectué leur service militaire.

Mes chers collègues vous savez tout.

J'espère que nous vous avons convaincus de l'importance du service historique de la défense et de l'ardente nécessité de ne pas amputer ses moyens, ni de différer sa modernisation.

Si l'État n'a pas les moyens de maintenir son effort, les crédits de fonctionnement, y compris ceux de la masse salariale, alors il est d'autant plus nécessaire de rechercher, pour le service historique de la défense, une autre distribution de ses sites.

S'agissant de la Marine nationale, il me paraît difficile de maintenir éternellement autre chose qu'un seul site par façade maritime et si, pour la façade méditerranéenne, le Pôle de Toulon s'impose, ne faudra-t-il pas, sur la façade atlantique, rassembler les activités de Brest, Rochefort, Lorient sur un seul pôle ?

S'agissant du site du Château de Vincennes, je forme le voeu que le service historique de la défense puisse, le plus vite possible, bénéficier ailleurs qu'à Vincennes des investissements immobiliers dont ont profité, il y a peu, les Archives nationales et les archives de la Diplomatie française et ce, avec des résultats excellents.

Vincennes est un lieu magnifique, prestigieux mais très difficile à gérer et chaque jour moins adapté aux missions du service historique de la défense. Il est illusoire de vouloir moderniser le site par quelques aménagements locaux. Ce serait du gaspillage et ne ferait que retarder les solutions qui s'imposent.

En conclusion, mes chers collègues, j'adopte, pour en finir, une sorte de raccourci.

Je crois plus que jamais à l'importance de la mission du service historique de la défense et je souhaite, maintenant, que vous puissiez partager ce point de vue. Cette institution a besoin de se moderniser et ses données doivent être mieux accessibles pour les usagers. Ceci est possible à condition que, dans le contexte de restrictions et de recherche d'économies que nous vivons, on lui permette de conserver ses moyens quitte à se montrer plus exigeant sur ses résultats.

M. Yves Krattinger , rapporteur . - François Trucy a parfaitement planté le décor et a déjà bien décrit la situation du service historique de la défense et les difficultés auxquelles il est confronté.

Je vais m'efforcer de synthétiser notre diagnostic et d'exposer les quelques recommandations que nous avons pu établir au terme de nos travaux.

La conservation des archives fait partie des missions essentielles de l'État et conditionne la continuité de la Nation.

En particulier, les archives militaires de la France constituent un bien commun auquel les citoyens doivent avoir largement accès pour inscrire leur histoire familiale et personnelle dans celle de la Nation en armes.

C'est au service historique de la défense qu'incombe la tâche de collecter, classer, conserver et communiquer les archives de la défense et, à partir d'elles, d'écrire l'histoire des armées, de s'assurer que les services rendus au combat par nos soldats leur soient reconnus et d'éclairer les stratégies de notre sécurité nationale.

Malheureusement, dans le grand mouvement de réorganisation, et parfois d'attrition, qu'ont connu nos forces armées depuis la fin de la Guerre froide et le début des restrictions budgétaires, le ministère de la défense semble avoir perdu la vision claire de ce que le service historique de la défense représente, des enjeux qui lui sont attachés, comme des défis que lui adressent les évolutions sociales et technologiques du monde contemporain.

La disproportion est flagrante entre les maigres économies recherchées auprès d'un service déjà paupérisé et les pertes immenses en mémoire et en intelligence qu'occasionnerait un accroissement des défaillances dans la constitution et la préservation des archives de la défense, ainsi que dans l'écriture de l'histoire militaire.

De fait, les conditions de conservation des archives sont, au service historique de la défense, souvent inacceptables. La seule réponse apportée pour l'instant est un saupoudrage d'opérations de mise aux normes, insuffisantes, ou de constructions, limitées et en ordre dispersé.

On consacre des moyens à éviter le naufrage, mais le maintien à flot reste précaire et des voies d'eau, au sens propre comme figuré, apparaissent tous les jours.

Le dévouement et la compétence d'un personnel en nombre insuffisant vient palier, dans des conditions toujours plus difficiles, les manques et les difficultés, au détriment de certaines missions, jugées moins prioritaires.

Une part importante des ressources investies le sont à fonds perdus : la situation n'est pas durable et les « rafistolages » ne font que différer l'échéance.

Je vous rassure, il ne s'agit pas pour nous de réclamer aveuglément plus de moyens pour l'un des multiples services de l'État confrontés aux restrictions budgétaires nécessaires au redressement des finances publiques.

Le service historique de la défense peut remplir ses missions avec ses moyens actuels, voire avec les moyens qui résulteront de la baisse programmée de ses effectifs et de son budget, dès lors qu'il se réorganise et se modernise.

Mais cela implique une mise de départ, sans doute importante par rapport à ce que le ministère de la défense était jusqu'ici disposé à investir dans ce service, mais qui lui permettra rapidement de réaliser de véritables économies, de celles qui ne vous appauvrissent pas à long terme. Cela lui permettra surtout de s'acquitter de ses obligations légales et morales.

Le service historique de la défense ne cesse de subir sa situation : les baisses d'effectif, les restrictions budgétaires, la perte de son autonomie, ses archives qui se dégradent, ses locaux frappés d'insalubrité. Sur la reculade, il pare au plus pressé et consacre ses moyens limités à gérer l'urgence. Il importe de lui redonner des marges de manoeuvre, un avenir, une ambition.

Pour cela, avec mon collègue rapporteur, nous avons défini un plan d'action clair et précis, qui implique une réorganisation et une modernisation à travers une stratégie cohérente.

Premièrement, il faut recentrer le réseau territorial sur les tâches qui nécessitent une proximité avec les unités versantes : la formation des correspondants archives, le conseil, le contrôle scientifique et technique. Ces fonctions sont aujourd'hui embryonnaires mais, correctement effectuées, elles permettraient une collecte à la fois plus exhaustive et plus facile à traiter. Actuellement, certaines unités négligent leurs archives, au détriment de l'établissement des droits des anciens combattants, tandis que d'autres reversent, sans tri ni classement, reportant la charge sur le service historique de la défense, qui ne peut plus l'assumer seul.

Deuxièmement, il faut mettre en adéquation le réseau territorial avec la répartition géographique des forces : les antennes du service historique de la défense sont à l'ouest et une grande partie des forces à l'est.

Troisièmement, il faut diminuer le nombre de sites pour une meilleure mutualisation des moyens et pour une politique d'investissement plus efficace. Le service historique de la défense ne peut plus se permettre de gérer autant de sites, comportant des bâtiments multiples et dispersés. Il ne peut plus maintenir des équipes locales, chargées d'exercer tous les métiers du service historique de la défense à la fois (archives, bibliothèque, communication, missions administratives...) et de taille trop réduite pour développer des synergies (une quinzaine de personnes par exemple à Toulon).

Quatrièmement, en cohérence avec cette réorganisation, il faut établir un schéma directeur d'infrastructure, aujourd'hui manquant, et réaliser les investissements indispensables à la pérennité des archives, dont les conditions de conservation sont, pour une partie d'entre elles, inacceptables et finalement coûteuses.

La solution idéale, à la fois la moins coûteuse sur le long terme et la plus efficace, est ainsi de construire de vastes bâtiments neufs, dans des zones où le foncier est à la fois moins cher qu'en centre-ville et moins complexe qu'un port militaire en activité.

Les travaux actuellement entrepris consistent souvent en des cautères sur une jambe de bois, en des mises aux normes urgentes et coûteuses de bâtiments dont on sait qu'ils ne pourront pas durablement accueillir des archives.

Il est vrai que le ministère de la défense construit, ponctuellement, pour le service historique de la défense, un bâtiment neuf, moderne. Mais cela se fait en dehors de toute réflexion sur un schéma directeur d'infrastructure et sur l'organisation territoriale du service historique de la défense.

Faute d'une réflexion globale et d'y consacrer les moyens nécessaires, le ministère de la défense finit par gaspiller les quelques investissements qu'il consent à réaliser pour le service historique de la défense. On le sait, construire plusieurs petits bâtiments, dispersés dans toute la France, coûte fatalement beaucoup plus cher en investissement comme en fonctionnement.

La construction de bâtiments neufs est une solution à laquelle de nombreux conseils généraux ont eu recours pour les archives départementales.

Je souligne que cela a également été le choix du ministère de la culture pour les Archives nationales et du ministère des affaires étrangères pour les Archives diplomatiques, qui ont été installées dans des bâtiments neufs respectivement à Peyrefitte et à la Courneuve.

Cinquièmement, il faut enfin moderniser les outils informatiques du service historique de la défense afin d'améliorer la productivité et les conditions de travail des personnels. Le service historique de la défense n'est aujourd'hui toujours pas intégré au système d'information du ministère et très en retard pour l'ensemble de ses outils informatiques.

Ces cinq mesures permettront au service historique de la défense d'améliorer le service rendu au ministère comme aux administrés et de dégager en interne les ressources pour s'attaquer aux véritables défis qui l'attendent.

Premier défi, la collecte et le stockage des documents électroniques : aujourd'hui une grande part de l'activité du ministère s'effectue uniquement et directement sous forme électronique, y compris en opération. Ces données numériques peuvent avoir une forte valeur juridique, stratégique ou patrimoniale. Les courriers électroniques, en particulier, peuvent être particulièrement engageants sur le plan juridique, et éclairants pour les historiens. Aujourd'hui, malgré les projets en cours, la collecte des documents nativement numériques est très limitée. Les données récupérées par le service historique de la défense sur toute l'année 2012 représentent trois gigaoctets, soit l'équivalent d'une clef USB de petite capacité, comme on peut en acheter pour quinze euros.

Ce type de projet est complexe, qui nécessite de mettre en place un système de gestion de l'information sur l'ensemble de son cycle de vie, depuis sa création jusqu'à son archivage définitif. Le stockage est lui-même délicat, car aux problèmes de sécurité s'ajoutent ceux liés à l'obsolescence des formats. Les Archives nationales, le Quai d'Orsay et le ministère de la défense travaillent actuellement à un projet commun.

Deuxième défi, la numérisation des fonds et leur consultation en ligne. La numérisation au service historique de la défense s'effectue surtout au soutien des opérations mémorielles organisé par le ministère. Ces opérations sont souvent très réussies, comme le site « Mémoire des hommes », mais ne peuvent se substituer à une politique systématique de mise en ligne des fonds du service historique de la défense.

Il y a là un triple enjeu.

Le premier rejoint la question de la modernisation et des gains de productivité.

Le deuxième tient au fait que, dans le monde contemporain, ce qui n'a pas d'existence numérique, ce qui n'est pas accessible en ligne, finit par disparaître aux yeux des hommes. Au contraire, ce qui est disponible sur Internet finit souvent par trouver une audience beaucoup plus large qu'auparavant. Il n'y a qu'à constater l'explosion des recherches généalogiques. Les salles de lecture se vident et les sites Internet explosent sous la pression.

Le troisième enjeu est lié au précédent. Dans notre société de plus en plus individualiste, nos compatriotes sont souvent comme déracinés et peinent parfois à se vivre comme pleinement citoyens de la République. Il s'agit de leur permettre de se réapproprier, à travers le passé militaire de l'endroit où ils vivent ou celui de leurs aïeux, une histoire partagée.

Il faut profiter de la soif qu'ont les Français de retrouver des racines, comme en témoigne leur engouement pour la généalogie, pour resserrer le lien, tellement distendu depuis la fin du service national, entre les citoyens et leur armée, et renforcer ainsi le sentiment d'une appartenance commune à la Nation.

Troisième défi, le développement de la fonction historique du service historique de la défense, aujourd'hui négligée. Aux États-Unis, au Royaume-Uni, la recherche en histoire militaire, y compris sur des évènements très récents, est extrêmement valorisée.

Le Secrétaire à la Défense américain, l'équivalent de notre ministre de la défense, a directement auprès de lui un bureau historique, de même que chacune des armées et que l'État-major général.

Les historiens militaires participent activement à la formation des officiers, aux réflexions stratégiques et à la planification des opérations.

Des équipes d'historiens et d'archivistes vont sur les théâtres d'opération pour recueillir documents et témoignages. Un retour d'expérience, fondé sur une méthodologie historique rigoureuse, est rapidement organisé et des ouvrages historiques scientifiques sont ensuite édités. La méthode historique permet de fonder la réflexion stratégique sur une analyse scientifique du déroulé des opérations.

Il s'agit plus d'une question de culture que de moyens : une équipe de trois personnes, souvent réservistes, suffit aux Américains pour récupérer, en quelques semaines, documents, papier ou numériques, et témoignages oraux essentiels pour une force projetée de 45 000 hommes.

L'armée française est encore loin de ce modèle, même si le ministère de la défense a tout récemment décidé de renforcer le pôle histoire du service historique de la défense en lui transférant l'activité historique de l'Institut de recherche stratégique de l'École militaire, soit l'équivalent de trois postes.

Il est temps de constituer la recherche historique au service historique de la défense en une mission autonome au service des forces, et pas seulement de la valorisation des archives auprès du public. L'histoire doit contribuer à éclairer la formation des officiers, la réflexion stratégique et la planification des opérations.

Présidence de M. Philippe Marini, président

M. Philippe Marini , président . - Merci beaucoup pour ce travail passionnant et passionné, de la part de deux rapporteurs totalement investis dans ce sujet. Nous allons maintenant passer aux questions.

M. Philippe Dallier . - Nous avons rarement entendu un réquisitoire aussi dur et clair...

M. Yves Krattinger . - Il s'agit d'un simple constat.

M. Philippe Dallier . - On peut presque utiliser le terme de réquisitoire, la situation décrite étant assez consternante. Je souhaiterais, plus particulièrement, aborder le sujet de la numérisation qui devrait favoriser le travail de conservation et d'accès des archives de la Défense. Comprenant de vos propos que très peu a été fait dans ce domaine, existe-t-il un schéma directeur de numérisation ? Ou, à tout le moins, une réflexion ou une estimation des sommes nécessaires à engager dans cette opération, au moins pour les archives à venir, ou encore pour simplement regrouper les documents ?

Le recours à des prestataires extérieurs, comme le font certaines collectivités territoriales afin de combler leur retard lorsqu'il est conséquent, est-il également envisagé ?

Mme Michèle André . - Vous avez évoqué la possibilité de construire de nouveaux bâtiments pour accueillir les archives, en faisant référence aux travaux de certains départements qui disposent désormais de locaux adaptés permettant un stockage convenable des documents conservés. A-t-on une idée du coût de ce type d'investissement, certainement important compte tenu du linéaire concerné ?

Par ailleurs, quel rôle joue le service historique de la défense dans la commémoration de la Grande Guerre ?

M. Albéric de Montgolfier . - Je remercie avant tout les rapporteurs pour leur travail et je souhaiterais savoir si le service historique de la défense a recours à l'expertise du ministère de la culture et du service interministériel des Archives de France.

Qu'en est-il également de la valorisation commerciale des archives ? En effet, si l'accès aux archives est gratuit, certaines sociétés les exploitent ensuite, par exemple à Rochefort, en produisant notamment des maquettes de bâtiments ou de bateaux. Dans ce cas, le bénéfice des droits de propriété intellectuelle ne pourrait-il être envisagé, comme dans d'autres pays ? Il semble que le ministère de la défense ne se soit jamais intéressé aux recettes commerciales qui peuvent être tirées de son patrimoine. Une réflexion est-elle en cours ?

M. Jean Germain . - L'exposé des rapporteurs était effectivement très intéressant. L'histoire de la défense, c'est aussi une partie de l'histoire de la France. Il est important que les archives de la défense soient accessibles au public, qui recherche des informations personnelles ou familiales, mais également pour le travail des chercheurs. À ce titre, je souhaitais savoir si celui-ci était facilité, et notamment s'il existait un lieu de regroupement permettant aux chercheurs de consulter les archives conservées dans divers sites géographiques ?

M. François Marc , rapporteur général . - Suite à cette présentation objective, pas rassurante quant à l'état des archives de la défense qui se dégrade, et mettant en évidence la nécessité d'une action urgente, je souhaiterais savoir s'il pourrait être pertinent que le regroupement des sites, principalement situés sur la façade ouest de la France, s'effectue selon les trois types d'armes : air, terre et mer.

M. Yvon Collin . - À la lumière de ces exposés, je suis également inquiet quant à la conservation des archives de la défense et je souhaitais savoir si un traitement spécifique était opéré pour les documents photographiques et cinématographiques.

M. Philippe Marini , président . - Le choix de ce thème de contrôle était particulièrement judicieux.

M. Yves Krattinger , rapporteur . - Nous avons été affectés par ce que nous avons constaté quant à la conservation des archives de la Défense. L'histoire personnelle et familiale de chacun d'entre nous est liée à celle de la France et je pense que tout le monde réagirait comme nous l'avons fait, en manifestant de la peine face à cette situation.

Le niveau de numérisation des archives de la Défense est très insuffisant, nous enregistrons un incroyable retard. Aucun schéma directeur n'est mis en place en la matière, seuls quelques projets ponctuels peuvent exister.

Il pourrait certainement y avoir recours à des prestations extérieures pour procéder à la numérisation des archives et cela a certainement déjà été fait pour plusieurs opérations ciblées.

Même si le nombre annoncé de consultations numériques des archives peut paraître important, il convient de le relativiser comparé à celui des particuliers potentiellement concernés, au regard des Français ou étrangers ayant combattu dans l'armée française ou auprès d'elle, et susceptibles d'être intéressés par les données disponibles. Le droit à l'accès numérique des archives de la défense reste à « fabriquer ».

Les enfants qui préparent actuellement la commémoration de la Grande Guerre ne peuvent aisément accéder aux documents concernant les combattants, qui peuvent s'avérer géographiquement éloignés.

Un véritable schéma directeur est donc nécessaire et le recours à des prestataires extérieurs pourrait effectivement être retenu, d'autant que l'armée ne pourra certainement pas mettre les moyens humains nécessaires dans les prochaines années.

S'agissant du coût des bâtiments neufs, il convient, tout d'abord, de constater qu'à Vincennes, les archives sont mal conservées, l'hygrométrie ne pouvant notamment y être gérée, et difficiles d'accès pour les personnels, comparé aux systèmes modernes.

Certes, les bâtiments neufs coûtent de l'argent à l'investissement mais sont ensuite bien plus efficaces pour conserver et accéder aux documents archivés.

En tout état de cause, un schéma d'infrastructures est nécessaire pour ces bâtiments.

Il est évident que les différents locaux du Centre historique des archives situés sur la façade ouest de la France pourraient être utilement regroupés, alors qu'ils se trouvent actuellement implantés là d'où partaient autrefois les bateaux de la marine nationale.

Concernant la commémoration de la Grande Guerre, le service historique de la défense souhaite évidemment participer mais, sans que le travail des personnels ne soit à mettre en cause, il ne pourra certainement pas répondre à toutes les sollicitations des particuliers qui se feront jour à cette occasion.

La collaboration au sein du service historique de la défense entre militaires, historiens et conservateurs du ministère de la culture semble compliquée, en tout cas au niveau hiérarchique. Nous avons ressenti très vite une distance entre les différents services, car chacun est sur la défensive, et un malaise profond qui peine à se dissiper. Je rappelle que le général en charge du service historique de la défense a été remplacé en 2013, alors que cela n'a pas encore été le cas du conservateur général du patrimoine qui a quitté ses fonctions au même moment que lui.

Pour autant, les personnels que nous avons rencontrés sont compétents et ont la volonté de bien faire. Ainsi, à Pau, le lieutenant-colonel Michèle Szmytka, en charge du centre des archives du personnel militaire, qui est autrement entièrement « civilianisé », a produit un travail extraordinaire en opérant une véritable transformation de son service, qui aurait pu être encore plus formidable s'il avait disposé de locaux plus modernes. Les agents, dont une bonne part a été recrutée très récemment, ont été formés aux métiers de l'archivage, de la restauration ou de la reliure et étaient d'ailleurs très fiers de présenter leur travail.

S'agissant de la valorisation commerciale, que j'ai d'ailleurs abordée plusieurs fois au cours de mes entretiens, la gratuité des archives est un principe fondamental, un tabou infranchissable pour les services concernés, sauf si un texte devait prévoir le contraire.

Mme Michèle André . - Ce n'est d'ailleurs pas à eux de décider !

M. Yves Krattinger , rapporteur . - Tout-à-fait.

Concernant l'accès des chercheurs aux archives militaires, c'est un peu le « parcours du combattant ». Beaucoup de déplacements sont nécessaires puisque la numérisation des documents est insuffisante. La situation est préoccupante en la matière, alors qu'au contraire, les universités peuvent aujourd'hui s'échanger des documents à des milliers de kilomètres de distance, d'un pays à l'autre !

À titre personnel, je ne suis pas certain que le regroupement de plusieurs implantations puisse s'effectuer en retenant la distinction entre les trois armées (terre, air, mer) car, si elle se comprend historiquement, elle pourrait sembler moins pertinente aujourd'hui et encore moins demain, compte tenu des fortes imbrications entre elles. Le service historique de la défense a d'ailleurs adopté une organisation interarmées.

Enfin, concernant les archives photographiques et cinématographiques, elles ne relèvent pas de la compétence du service historique de la défense.

M. Philippe Marini , président . - Il existe pourtant une cinémathèque militaire dont le travail est assez remarquable et les personnels y sont disponibles.

M. Yves Krattinger , rapporteur . - Effectivement, monsieur le président, mais la conservation de ce type de documents est de la compétence du second service d'archives du ministère de la défense : l'établissement de communication et de production audiovisuelle de la défense (ECPAD), qui est un établissement public.

M. François Trucy , rapporteur . - Je souhaiterais indiquer qu'en loi de finances pour 2014, 240 000 euros sont inscrit en attribution de produits au profit du service historique de la défense, correspondant à la vente de publications ou à droits d'auteurs.

Pour conclure, je mentionnerai deux anecdotes.

Au cours d'une opération militaire, Charles IX avait perdu ses archives, en particulier les cartulaires qui constituaient notamment la preuve qu'il possédait certains territoires. C'est à cette occasion qu'il a été décidé que les archives ne devaient plus suivre le roi lors de ses campagnes militaires et qu'elles devaient être conservées avec soin.

À titre personnel, j'ai moi-même découvert une médaille dans les souvenirs militaires de ma famille qui s'est avérée être une médaille de Sainte-Hélène, éditée à 400 000 exemplaires par Napoléon III. Véritable « coup médiatique », elle a été présentée comme un message de Napoléon à ses compagnons d'armes et a été distribuée à l'ensemble des survivants.

M. Albéric de Montgolfier . - Quelles seront les suites données à ce très intéressant rapport ?

M. Philippe Marini , président . - Je vais déjà vous proposer d'autoriser sa publication, mes chers collègues. Nous pourrions ensuite retenir ce thème parmi ceux que nous aborderons lors de l'audition par la commission des finances du ministre de la défense, à l'occasion de la préparation de l'examen de la loi de règlement pour 2013.

M. Yves Krattinger , rapporteur . - Nous enverrons également un exemplaire de notre rapport au ministre, accompagné d'une lettre que je cosignerai avec François Trucy.

À l'issue de ce débat, la commission a donné acte de leur communication à MM. Yves Krattinger et François Trucy, rapporteurs, et en a autorisé la publication sous la forme d'un rapport d'information.


* 1 L'ECPAD, constitué en établissement public administratif depuis 2001, conserve les archives audiovisuelles du ministère. Il est également une agence d'images et un centre de production audiovisuelle. Les collections représentent aujourd'hui près de 3 millions de clichés et 21 000 titres de films, soit environ 110 000 éléments physiques.

* 2 Article R. 212-6 du code du patrimoine.

* 3 En principe, les échantillons suspects sont transférés à l'hôpital militaire Bégin de Vincennes, avec lequel le service a passé une convention. En cas de réponse positive aux examens, les documents sont envoyés chez un prestataire pour désinfection à l'oxyde d'éthylène.

* 4 Il faut cependant souligner que les changements de périmètre du service et dans la prise en charge budgétaire de certaines dépenses (embasement, dépenses de personnel, informatique) ainsi que le caractère périodique de certaines dépenses (marchés pluriannuels) rendent difficile l'analyse de l'évolution des crédits budgétaires du SHD.

* 5 Damien Richard, « La conservation au Service historique de la défense », Revue historique des armées , 269, 2012, p. 115-120.

* 6 Fichier ou base de données qui décrit le contenu d'un ensemble de documents conservés par un service d'archives, afin de permettre au chercheur de repérer les documents utiles à sa recherche.

* 7 Inaugurées au XIX e siècle par les Prussiens sous l'appellation d' « historische Geländebesprechungen », puis reprises par les armées britanniques et américaines sous le terme de «staff ride», les études historiques sur le terrain ont été introduites, en France, aux Écoles de Saint-Cyr Coëtquidan en 2003 puis au CSEM en 2004, avec le concours du SHD.

* 8 Les MHD sont au nombre de 35, dont 27 constitués de réservistes, 7 relevant de la Garde nationale et un d'une unité active.

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