PREMIÈRE PARTIE - LES CONDITIONS D'EXAMEN DE LA RECEVABILITÉ FINANCIÈRE DES INITIATIVES PARLEMENTAIRES
I. LES ORIGINES DE L'ARTICLE 40 DE LA CONSTITUTION
L'article 40 de la Constitution constitue l'un des traits les plus marquants du parlementarisme rationalisé institué en 1958. Pour autant, cette procédure trouve ses origines dans des périodes plus anciennes ; partiellement appliquée sous la IV e République, elle existe - dans une forme assez proche - au Royaume-Uni depuis le début du XVIII e siècle.
En 1706, la Chambre des communes a décidé d'interdire aux parlementaires de prendre l'initiative d'une dépense publique , sauf à ce que celle-ci soit « recommandée par la Couronne » 3 ( * ) . Le contexte politique de l'époque justifiait le fait que la Chambre ne souhaite pas accroître les dépenses de la Couronne, ce qui explique qu'elle ait elle-même limité ses pouvoirs budgétaires, et ce en dépit du renforcement concomitant de son contrôle sur les finances publiques 4 ( * ) ; aussi le monopole de l'exécutif en matière de dépenses a-t-il été inscrit dans le Règlement de la Chambre des communes en 1713 et subsiste encore à ce jour 5 ( * ) .
Les développements qui suivent reviennent sur les origines de l'article 40 de la Constitution afin de mieux approcher l'esprit de celui-ci, à travers les travaux de ceux qui ont participé à sa rédaction, et donc d' éclairer l'interprétation qui peut en être faite .
A. L'ENCADREMENT DES POUVOIRS FINANCIERS DU PARLEMENT
Le souci d'encadrer constitutionnellement les pouvoirs du Parlement en matière financière était présent dès le début des travaux préparatoires de la Constitution du 4 octobre 1958 ; ainsi, l'avant-projet de Constitution préparé à la mi-juin 1958 par le groupe de travail mis en place par le Gouvernement à cette fin prévoyait, dans l'article relatif à l'initiative des lois, que les « propositions et amendements formulés par les membres du Parlement ne sont pas recevables lorsque leur adoption aurait pour conséquence une diminution des ressources ou une aggravation des charges de l'Etat » .
Ce projet connaissait des antécédents notables, bien que limités dans leurs effets, à travers l'article 17 de la Constitution de 1946 et la « loi des maxima » (cf. infra ). L'article 17 précité écartait l'initiative des dépenses lors de la discussion budgétaire, interdisant les créations ou augmentations de dépenses dans ce cadre :
Les députés à l'Assemblée nationale possèdent l'initiative des dépenses.
Toutefois, aucune proposition tendant à augmenter les dépenses prévues ou à créer des dépenses nouvelles ne pourra être présentée lors de la discussion du budget, des crédits prévisionnels et supplémentaires.
S'inscrivant dans une même logique d'affermissement des restrictions apportées à l'initiative parlementaire, la recevabilité financière et la recevabilité aujourd'hui prévue à l'article 41 de la Constitution faisaient l'objet d'un traitement conjoint dans l'article 35 de l'avant-projet gouvernemental présenté au Comité consultatif constitutionnel, qui était ainsi rédigé :
Les propositions et amendements formulés par les membres du Parlement ne sont pas recevables lorsque leur adoption serait contraire aux dispositions de l'article 33 ou à la délégation prévue à l'article 34 ou lorsqu'elle aurait pour conséquence, soit une diminution des ressources, soit une aggravation des charges publiques .
En cas de désaccord sur la recevabilité entre le Gouvernement et le Président de l'assemblée intéressée, le Conseil constitutionnel est appelé à statuer à la demande de l'un ou de l'autre.
Il apparaît tout d'abord que la notion de « charges publiques » était abordée au pluriel, à la différence de la rédaction définitive de la Constitution. L'avant-projet permettait, par conséquent, la compensation d'une création ou d'une aggravation d'une charge publique par la réduction d'une autre charge ou par l'accroissement des ressources . Ensuite, un rôle d'arbitrage entre le Gouvernement et le Parlement était réservé au Conseil constitutionnel en matière de recevabilité financière.
Selon le commissaire du Gouvernement, Raymond Janot, l'article 35 de l'avant-projet avait pour objet de « constitutionnaliser la loi des maxima » 6 ( * ) .
L'accueil réservé à l'article 35 de l'avant-projet gouvernemental par le Comité consultatif constitutionnel pourrait aujourd'hui surprendre. En effet, l'inquiétude des parlementaires membres de ce Comité semblait non pas résulter d'une limitation des pouvoirs du Parlement en matière de dépenses, mais de l'impossibilité supposée de procéder à une réduction des impôts .
Cette préoccupation ressort clairement de l'intervention de René Dejean, député et vice-président du Comité consultatif, lors de la séance du matin du 31 juillet 1958. Ainsi, celui-ci s'interrogeait : « Je suis entièrement d'accord pour qu'aucune proposition de loi ne puisse aggraver les charges publiques, mais, par contre, lorsqu'il est question d'une diminution des ressources, c'est-à-dire lorsque le parlementaire au lieu d'être dépensier souhaiterait être économe, allez-vous l'en empêcher ? [...] Il ne serait donc pas permis à un parlementaire de solliciter que la charge fiscale pût être diminuée ? Je trouve cela un peu excessif ».
Par conséquent, les premières réflexions du Comité consultatif tendaient vers une réduction du champ des « ressources » pour le limiter à celles nécessaires au financement des dépenses adoptées dans le cadre du budget. Toutefois, cette modification a été écartée à l'initiative du commissaire du Gouvernement, Raymond Janot.
Aussi la volonté des rédacteurs de la Constitution de retenir une définition large des « ressources publiques » entrant dans le champ de l'actuel article 40 est-elle clairement établie.
* 3 Cf. John Hatsell, Precedents of Proceedings in the House of Commons , 1818.
* 4 Cf. Joachim Wehner, Effective Financial Scrutiny: The Role of Parliament in Public Finance , World Bank Parliamentary Staff, 2008 .
* 5 Cf. Standing Orders of the House of Commons (2011), n° 48 .
* 6 Réunion du Comité consultatif constitutionnel du matin du 8 août 1958.