II. LA PRISE DE CONSCIENCE DE CES VIOLENCES PAR LA COMMUNAUTÉ INTERNATIONALE ET L'ÉLABORATION PROGRESSIVE D'UN CADRE JURIDIQUE COMPLET
Avant le conflit en ex-Yougoslavie, la dimension spécifique des violences sexuelles faites aux femmes pendant les conflits armés avait été prise en compte par le droit international.
L'article 27 de la quatrième convention de Genève de 1949 relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre prévoit ainsi que « les femmes seront particulièrement protégées contre n'importe quelle attaque allant à l'encontre de leur honneur, en particulier les viols, la prostitution imposée, ou n'importe quelle autre forme d'actes indécents ». Ghislaine Doucet (CICR) a insisté sur le fait que 195 États avaient adhéré aux quatre conventions de Genève et, partant, tenus de respecter l'interdiction des violences sexuelles posée par ces textes et par le droit international humanitaire coutumier, interdiction qui s'étend à la menace d'user de ces violences.
Malgré les nombreux cas de violences sexuelles qui avaient eu lieu pendant la guerre d'Espagne et pendant la deuxième guerre mondiale, la communauté internationale n'était pas prête, dans les premiers temps du conflit en ex-Yougoslavie, à appréhender le phénomène des viols de masse qui y étaient perpétrés . Yves Tomic (Association française d'études sur les Balkans) et Véronique Nahoum-Grappe, anthropologue, l'ont souligné : c'est d'abord à l'incrédulité que s'est heurté le récit de ces atrocités.
Il a fallu attendre l'hiver 1992-1993 pour que les premiers récits de crimes sexuels perpétrés à des fins de nettoyage ethnique soient pris au sérieux : le premier rapport remis à l'Assemblée générale des Nations-Unies par Tadeusz Mazowiecki remonte ainsi au 17 novembre 1992 ; par sa résolution 798, le Conseil de sécurité se déclare « horrifié » par les informations reçues sur la détention et les viols massifs et systématiques des femmes.
La guerre en ex-Yougoslavie est donc à l'origine d'un tournant qui a donné lieu au fil du temps à la constitution d'un ensemble de textes prenant la mesure de l'ampleur des crimes sexuels commis lors des conflits armés contemporains.
1. Le rôle des juridictions internationales
Le viol a tout d'abord été considéré comme un crime contre l'humanité par le statut du tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie , ce qui a aussi été le cas par la suite pour le Tribunal pénal international pour le Rwanda .
L'article 7 du Statut de Rome de la Cour pénale internationale de 1998 considère viol systématique, prostitution forcée, grossesses forcées, stérilisation forcée et « toute autre forme de violence sexuelle de gravité comparable » comme des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité dès lors que ces crimes sont perpétrés dans le cadre d'une attaque généralisée ou systématique contre une population civile. Anne Castagnos-Sen (Amnesty) a regretté que la France n'ait ratifié ce texte qu'en 2010 et que les conditions posées par la loi de ratification créent un déséquilibre, au regard de l'accès à la justice française, entre les victimes de torture et les victimes de crimes contre l'humanité 6 ( * ) .
La jurisprudence des juridictions internationales a permis des évolutions importantes pour punir les auteurs des violences sexuelles commises contre les femmes du fait des conflits armés : ce point a été relevé par Anne Castagnos-Sen (Amnesty).
Ainsi en 1998 , le tribunal pénal international pour le Rwanda a-t-il pour la première fois déclaré une personne accusée de viol coupable de crime contre l'humanité.
En 2001 , le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie a déclaré une personne accusée de viol coupable de crime de torture et donc de crime de guerre et de crime contre l'humanité. Il a également élargi la définition de l'esclavage considéré comme crime contre l'humanité pour y inclure l'esclavage sexuel.
2. Les résolutions « femmes, paix et sécurité » du Conseil de sécurité de l'ONU
Les résolutions « femmes, paix et sécurité » du Conseil de sécurité des Nations unies occupent une place à part dans cet ensemble juridique. Selon Anne Castagnos-Sen (Amnesty), elles ont constitué un préalable indispensable à l'évolution des mentalités et à la prise de conscience de la gravité des violences sexuelles commises en temps de guerre.
La résolution 1325 (31 octobre 2000 ) du Conseil de sécurité des Nations-Unies 7 ( * ) appelle à la nécessité de protéger spécifiquement les femmes et les petites filles pendant les conflits armés. Elle pose aussi le principe de la participation des femmes au règlement des conflits, à l'édification et au maintien de la paix. Ce texte souligne les conséquences des violences commises contre les civils lors des conflits armés sur l'« instauration d'une paix durable et pour la réconciliation ». Il vise la mise en place d'une formation des personnels participant aux opérations de maintien de la paix qui prenne en compte les besoins et les droits fondamentaux des femmes et des enfants. Il recommande à tous les Etats de mettre fin à l'impunité des responsables de violences sexuelles contre des femmes et des petites filles et d'exclure ces crimes des mesures d'amnistie.
La résolution 1325 a été qualifiée par Fanny Benedetti (ONU Femmes) 8 ( * ) de « révolution », car elle a fait entrer les questions des violences sexuelles commises en temps de guerre dans le champ de compétences des institutions chargées de la paix et de la sécurité internationale . Elle établit un lien entre les violences subies par les femmes du fait des conflits armés et l'implication des femmes dans la reconstruction et le rétablissement de la paix.
La résolution 1325 exige, comme l'a souligné le 28 novembre 2013 devant la délégation le représentant de l'Etat-major des armées, des mesures concrètes dans les opérations de maintien de la paix : il s'agit des « 3 P » (prévention des violences, protection et participation accrue des femmes au règlement des conflits : sur ce dernier point, l'objectif est de faire participer les femmes en tant qu'acteurs du règlement des conflits et non pas seulement en tant que victimes).
Les résolutions qui ont été adoptées par la suite ont permis de compléter la résolution 1325 et de mettre en place un dispositif institutionnel relativement complet, comme le souligne le document annexé à ce rapport sur la mise en oeuvre, par le Ministère des affaires étrangères, de ces résolutions par la France 9 ( * ) .
La résolution 1820 (19 juin 2008) constate l'utilisation de la violence sexuelle « pour humilier, dominer, intimider, disperser ou réinstaller de force les membres civils d'une communauté ou d'un groupe ethnique » ; elle charge les missions de maintien de la paix de protéger les femmes et les enfants des violences sexuelles dans les conflits armés. Elle « exige » de toutes les parties à des conflits armés « qu'elles mettent immédiatement et totalement fin à tous actes de violence sexuelles contre des civils ».
Fanny Benedetti (ONU Femmes) a rappelé que cette résolution avait été adoptée dans le contexte du regain de violence constaté essentiellement dans le Kivu, où 30 000 femmes avaient été violées pendant la seule année 2008. Une innovation importante de la résolution 1820 par rapport à la résolution 1325 consiste en une accentuation de la lutte contre l'impunité .
La résolution 1888 (30 septembre 2009), adoptée dans le prolongement de la résolution 1820, exprime la préoccupation du Conseil de sécurité du fait de la persistance des violences sexuelles commises contre les femmes et les filles pendant les conflits armés et de la sous-représentation des femmes dans les processus de paix officiels.
Fanny Benedetti (ONU Femmes) a souligné l'importance des avancées permises par les « mesures concrètes » prévues par cette résolution, sous l'impulsion de la secrétaire d'Etat américaine Hillary Clinton : nomination d'un représentant spécial du Secrétaire général chargé de combattre la violence sexuelle en période de conflit armé, mise en place d'un groupe d'experts déployables sur le terrain, désignation de conseillers chargés de la protection des femmes au sein des opérations de maintien de la paix, présentation d'un bilan, dans le cadre du rapport annuel du secrétaire général, des mesures prises en faveur de la protection des femmes et des enfants contre les violences sexuelles.
La résolution 1889 (5 octobre 2009) rappelle la nécessité de faire pleinement participer les femmes au processus de paix ; elle estime que la « marginalisation des femmes risque de retarder ou d'entraver l'instauration d'une paix durable et de bonnes conditions de sécurité, ainsi que la réconciliation ». Cette résolution note le lien entre la protection des femmes pendant les conflits, leur promotion comme éléments moteur de l'instauration de la paix et la nomination de femmes à des postes de responsabilité au sein de l'ONU , « en particulier dans des missions de terrain, grâce à quoi l'ONU donne concrètement l'exemple dans la mise en oeuvre de la résolution 1325 ».
La résolution 1960 (16 décembre 2010) approfondit les questions concernant les femmes, la paix et la sécurité. Elle remarque « avec inquiétude que les auteurs de violences sexuelles sont peu nombreux à être traduits en justice ». Elle réaffirme la « responsabilité des dirigeants civils et des supérieurs militaires » pour « prévenir les actes de violence sexuelle » et estime que leur « inaction [pour assurer la sanction des coupables] peut donner à penser qu'ils tolèrent les actes de violence sexuelle en période de conflit ». Elle prévoit à cet effet la publication de « listes des parties qui se sont livrés à des viols ou à d'autres formes de violences sexuelles , ou qui s'en sont rendues responsables, dans des situations de conflit armé ». Elle appelle également à appliquer le « principe de tolérance zéro à l'égard de toute forme d'exploitation ou d'atteintes sexuelles imputables au personnel de maintien de la paix et au personnel humanitaire des Nations unies ».
Selon Fanny Benedetti (ONU Femmes), la possibilité d'établir des listes de belligérants (« naming and shaming » ou « listes d'infamie »), responsables des violences sexuelles est une « avancée importante » de cette résolution : il s'agit selon elle d'une menace efficace susceptible d'exercer un effet dissuasif sur les groupes rebelles, qui craignent de voir leur nom figurer sur des listes susceptibles d'être reprises par la Cour pénale internationale.
La résolution 2016 (14 juin 2013) pointe la nécessité de « lutter contre les idées fausses » selon lesquelles les violences sexuelles commises pendant les conflits armés seraient une « conséquence inévitable de la guerre ou un délit mineur », rappelle les avancées permises par le traité sur le commerce, souligne combien les violences sexuelles « compromettent le rétablissement de la paix et de la sécurité internationale », appelle les pays à prendre en compte les besoins particuliers des enfants et s'attache à la libération et à la réintégration des enfants-soldats. Elle établit un lien entre violences sexuelles commises pendant un conflit armé et l'infection au VIH et montre combien « le fardeau disproportionné que le VIH et le Sida imposent aux femmes et aux filles constitue toujours un obstacle à l'égalité des sexes ».
Par la résolution 2122 (18 octobre 2013), le Conseil de sécurité exprime une nouvelle fois sa préoccupation du fait de la « vulnérabilité accrue des femmes dans les situations de conflit armé et d'après-conflit ». Il constate que des efforts particuliers doivent être mis en oeuvre pour que « la justice transitionnelle couvre toutes les violations des droits de l'homme dont les femmes sont victimes et tienne compte des effets différents que ces violations ont sur les femmes et les filles, de même que les déplacements forcés, les disparitions forcées et la destruction des infrastructures civile ». La résolution rappelle que la paix durable « exige une approche intégrée » (politique, développement, droits de l'homme, égalité entre les sexes, état de droit). Elle insiste sur l'importance de l'accès à la justice pour les victimes et engage les Etats à « s'acquitter des obligations qui leur incombent dans la lutte contre l'impunité, à procéder à des enquêtes approfondies et à poursuivre les auteurs de crimes de guerre, d'actes de génocide, de crimes contre l'humanité et d'autres violations graves du droit international ».
Le Conseil de sécurité y souligne la nécessité d'un « engagement résolu en faveur de l'autonomisation des femmes et du respect de leurs droits fondamentaux » pour permettre une « application intégrale de la résolution 1325 ». Ce texte appelle les Etats à assurer l'accès sans discrimination des femmes « à l'ensemble des services de santé sexuelle et procréative, y compris en cas de grossesse résultant d'un viol ». La résolution souligne l'importance de disposer de renseignements et d'analyses complètes sur la situation des femmes et des filles et de la participation des femmes aux débats et processus électoraux ; elle engage les pays à « accroître le pourcentage de femmes militaires et policières » et à « s'acquitter des obligations qui leur incombent dans la lutte contre l'impunité ». Elle appelle enfin à la mise en oeuvre d'une étude mondiale sur l'application de la résolution 1325 en vue de la publication des résultats de cette étude dans le rapport annuel de 2015 du secrétaire général.
Fanny Benedetti (ONU Femmes) a insisté sur l'importance du débat annuel, au sein du Conseil de sécurité, consacré aux violences faites aux femmes dans les territoires en conflit : ce débat est le signe d'une mobilisation croissante des acteurs internationaux . Ainsi le débat du 18 octobre 2013 a-t-il porté sur « les femmes, l'état de droit et la justice transitionnelle ». Les intervenants ont montré que, 13 ans après l'adoption de la résolution 1325, la situation des femmes dans les territoires en conflit demeurait un défi, notamment en Syrie et en République centrafricaine.
3. Le plan national d'action français
La France a adopté en octobre 2010 un plan national d'action pour la mise en oeuvre de ces résolutions. Il vise la protection des femmes contre les violences, le renforcement de la participation des femmes aux missions de maintien de la paix et aux opérations de reconstruction, la sensibilisation au respect du droit des femmes à travers des programmes de formation, notamment à l'égard des personnels envoyés en opérations extérieures, ainsi que le développement de l'action diplomatique en faveur de l'agenda « femmes, paix et sécurité ».
En 2013, 37 pays ont adopté un plan d'action pour la mise en oeuvre de la résolution 1325, dont 17 pays de l'OTAN sur 28 : l'Espagne en 2008, la France en 2010, les États-Unis en 2012, l'Allemagne et la Grande-Bretagne en 2013. On remarque la relative lenteur de ce processus et la relative avance de la France.
Le ministère des affaires étrangères coordonne la mise en oeuvre du plan d'action français 10 ( * ) , qui vient à échéance à la fin de l'année 2013 et qui a fait l'objet d'un avis et d'une évaluation de la Commission nationale consultative des droits de l'homme. Un processus de révision aboutira à la mise à jour de ce plan pour la période suivante. Le pilotage du plan national d'action relève d'un comité interministériel qui se réunit tous les six mois.
Selon Anne Castagnos-Sen (Amnesty), le ministère de la Défense serait le seul à avoir véritablement tiré les conséquences de l'application de ce plan, notamment à travers l'élaboration d'un programme de formation de ses personnels.
Andy brooks (UNICEF) a par ailleurs insisté sur le rôle moteur de la France pour prendre en charge la situation des enfants victimes des conflits, à travers notamment la résolution 1612 (2005), spécifiquement orientée vers les violations des droits de l'enfant au cours des conflits.
4. La place déterminante des femmes dans les opérations de maintien de la paix
Le représentant de l'Etat-major des armées a distingué les deux volets que comporte la dimension du genre au ministère de la défense : l'égalité entre hommes et femmes et la condition féminine dans les armées d'une part, et d'autre part la place des femmes en opérations extérieures.
Sur le premier aspect de cette dimension, commenté par la haute fonctionnaire à l'égalité du ministère de la défense, la feuille de route approuvée par le premier comité interministériel des droits des femmes de novembre 2012 permet à la défense de gérer un plan d'action destiné à promouvoir l'égalité entre hommes et femmes.
Bien que l'armée française soit l'une des plus féminisées du monde occidental 11 ( * ) , Françoise Gaudin, haut fonctionnaire à l'égalité au ministère de la défense, a commenté les axes de progression que constituent le renforcement de l'encadrement féminin dans les écoles militaires, la constitution d'un vivier de recrutement de femmes investies de hautes responsabilités, la mise en oeuvre d'une réflexion sur l'accès des femmes aux formations militaires (Ecole de guerre et diplôme d'Etat-major) indispensables pour parvenir aux cursus de haut niveau, et enfin la mise en place d'un Observatoire de la parité à la défense. Par ailleurs, Françoise Gaudin a évoqué l'introduction de modules de formation aux enjeux de la parité et de l'égalité dans les grandes écoles et les lycées militaires.
Ces mesures s'inscrivent dans un ensemble qui, en opérations extérieures, vise l'application de la résolution 1325 qui est par ailleurs l'un des aspects de la contribution de la défense au plan de prévention et de lutte contre les violences faites aux femmes, s'agissant précisément des conflits.
La proportion de femmes dans les opérations extérieures est de 6 % environ ; il est plus important dans le service de santé des armées.
Selon le lieutenant-colonel Pierre Duchesne, les structures opérationnelles sur lesquelles s'appuie la mise en oeuvre de la résolution 1325 sont comparables d'un pays à l'autre ; elles comprennent des « conseillers genre » et des « gender focal point » ; elles comportent aussi des « équipes féminines, mixtes ou dédiées » comme par exemple les « female engagement teams » .
Le rôle des « gender observers » de l'OTAN s'inscrit également dans ces structures opérationnelles spécialisées dans les violences sexuelles liées aux conflits armés. La France est représentée dans la structure « genre » de l'OTAN notamment par un conseiller « genre ».
Pierre Duchesne (État-major des Armées) a par ailleurs indiqué que, pour les forces françaises, la fonction de « conseiller genre » serait tenue par les « conseillers environnement humain des opérations » (CONSEHO), choix qui situe ces conseillers dans un contexte plus large qui s'étend à toutes les populations vulnérables, y compris les enfants. Cet officier, qui aura suivi une formation spécifique et qui aura une expérience opérationnelle, sera le « conseiller du commandement et l'interlocuteur privilégié des ONG et autres agences sur le terrain ».
Fanny Benedetti (ONU Femmes) a constaté la sensibilisation accrue à la question des violences sexuelles au sein des forces de maintien de la paix, « notamment grâce à la présence de conseillers et de conseillères spécialistes des questions de genre, par l'augmentation du nombre de femmes dans les unités et par l'existence, dans certains pays, de bataillons entièrement féminisés affectés à des missions spécifiques ».
Le représentant de l'État-major des armées a également commenté les initiatives pionnières de la Suède, qui a développé une vraie expertise au sein du « Nordic center for gender in military ops » et de la Norvège, qui déploie sur le terrain des « gender advisor » depuis 2004.
Il a insisté sur le fait que la participation de femmes aux forces de maintien de la paix ne devait pas obéir à des quotas mais s'appuyer sur la plus-value opérationnelle liée à la présence de femmes sur le terrain . Il a à cet égard cité l'exemple de l'intégration d'une infirmière supplémentaire dans le mandat de la force française en Afghanistan pour tirer les conséquences du fait qu'il est impossible que des femmes afghanes se fassent soigner par des médecins militaires masculins. Dans le même esprit, il a souligné l'apport d'une « gender advisor » de nationalité norvégienne qui avait préconisé la construction d'une passerelle dont l'installation a beaucoup facilité la vie des populations civiles par rapport à l'ancien pont, d'un usage malcommode pour les femmes et les enfants.
Pierre Duchesne a par ailleurs noté les effets positifs de la prise en compte du facteur « genre » dans la planification des opérations , notant par exemple la réduction du nombre de violences liée à l'ajustement des horaires des patrouilles. L'éducation et la sensibilisation des forces et du commandement ainsi que l'élaboration de règles de comportement spécifiques jouent également un rôle important.
L'intérêt de la présence accrue de femmes pour prendre en compte les violences sexuelles liées aux conflits armés ne se limite pas aux forces armées.
Yves Tomic (Association française d'études sur les Balkans) a insisté sur la nécessité d'assurer une représentation équilibrée des hommes et des femmes dans toutes les organisations et structures internationales chargées de recueillir le témoignage de victimes de violences sexuelles : la présence de femmes est à l'évidence essentielle pour établir la vérité et pour permettre aux victimes de s'exprimer.
Dans le même esprit, il a relevé l'importance de la présence de femmes dans les structures judiciaires compétentes dans ce domaine , tant au sein du bureau du procureur qu'au sein de la cour elle-même.
Une remarque similaire a été exprimée s'agissant de la présence de femmes dans les camps de réfugiés . Souad Wheidi (Observatory on gender in crisis) s'est étonnée que les commandes destinées aux réfugiés, dans les camps accueillant des femmes libyennes, soient passées par des hommes : elles ne reflètent donc pas les besoins que les femmes n'osent pas exprimer à des hommes.
5. La déclaration sur la prévention des violences sexuelles dans les conflits adoptée dans le cadre du G8 de Londres en avril 2013
La Déclaration sur la prévention des violences sexuelles dans les conflits adoptée dans le cadre du G8 de Londres , le 11 avril 2013 , s'inscrit dans cet ensemble même si, comme l'a remarqué Virgili, historien, ce texte ne semble pas avoir suscité d'intérêt majeur en France.
Les participants au G8 d'avril 2013 sont partis du constat que les violences sexuelles commises lors des conflits armés « peuvent exacerber un conflit armé ou entraver le rétablissement de la paix et de la sécurité ». Or ces violences se poursuivent et sont perpétrées dans certains conflits de manière systématique, « atteignant des niveaux de brutalité terrifiants » malgré les efforts déployés par la société civile, au niveau local et international, pour « prévenir les violences sexuelles dans les conflits armés et y apporter une réponse ». L'enjeu de la lutte contre ces violences n'est donc pas seulement, d'après cette déclaration, le respect des droits élémentaires, mais très clairement le maintien de la sécurité internationale .
Les auteurs de la déclaration ont notamment insisté sur la nécessité de prévoir les financements appropriés pour assurer le soutien des victimes (sur les plans médical, psychologique, juridique et économique) afin de leur permettre de se réinsérer et d'obtenir justice. Ils n'oublient pas les enfants victimes de violences sexuelles, dont ils ont signalé qu'ils étaient « souvent exclus de programmes axés sur les adultes ».
6. Le traité sur le commerce des armes
Le Traité sur le commerce des armes , ouvert à la signature le 3 juin 2013, relève selon Anne Castagnos-Sen (Amnesty) de l'ensemble juridique renforcé depuis 2000 pour favoriser la prévention et la lutte contre les violences sexuelles lors des conflits armée. Plusieurs des résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies y font d'ailleurs référence. En effet, l'article 7 de ce traité vise explicitement les violences faites aux femmes et engage les Etats exportateurs à s'assurer que les armes classiques ne puissent servir à commettre des actes de violence graves fondées sur le sexe ou des actes graves contre des femmes ou des enfants.
7. La recommandation du CEDAW du 18 octobre 2013
Anne Castagnos-Sen (Amnesty) a relevé l'intérêt que présente la recommandation n°30, adoptée le 18 octobre 2013 par le Comité sur l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes, sur les femmes dans les conflits (CEDAW).
Ce texte, élaboré dans le cadre de la convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes , concerne tant les Etats parties à un conflit que ceux qui fournissent des troupes lors d'opérations de maintien de la paix. Il fait obligation aux Etats de s'assurer que les membres des groupes armés et des compagnies de sécurité, par exemple, soient tenus pour responsables des crimes qu'ils commettraient éventuellement contre des femmes.
Cette recommandation invite à la vigilance envers les acteurs non étatiques des conflits. Comme la résolution 1325, ce document reconnaît le rôle central des femmes dans la prévention des conflits et dans la reconstruction des pays dévastés par les guerres.
On peut voir dans cet ensemble juridique complet , constitué au fil du temps, à la fois le signe positif de la prise de conscience de la communauté internationale devant la gravité des violences sexuelles commises du fait des conflits armés et de sa faiblesse à traiter efficacement cette question.
Il semble en effet paradoxal que la communauté internationale dispose d'un tel arsenal de textes alors que, tous les observateurs le relèvent, non seulement ces violences ne cessent pas, mais encore leurs auteurs bénéficient trop souvent d'une impunité déplorée par tous les observateurs. Pour Andy Brooks (UNICEF), l'impuissance de la communauté internationale à protéger les victimes de ces violences dans les situations de conflits armés constitue le signe d'un « échec collectif » qui contraste avec l'engagement de l'ONU, au plus haut niveau, en faveur de la lutte contre ces violences.
* 6 Voir le compte rendu du 21 novembre 2013.
* 7 Le texte intégral de cette résolution figure en annexe.
* 8 Directrice exécutive du Comité ONU Femmes France. ONU Femmes est une entité de l'ONU créée par la résolution 64/289 de l'Assemblée générale (2 juillet 2010) pour renforcer les mécanismes institutionnels en faveur de la promotion de l'égalité des sexes et de l'autonomisation des femmes. Le rôle d'ONU Femmes, selon le site www.franceonu.org, est d'appuyer les organes intergouvernementaux dans l'élaboration de politiques, de règles et de normes mondiales, d'aider les Etats membres à appliquer ces règles et de fournir un appui aux pays qui le demandent, de mettre en oeuvre des partenariats avec la société civile, de demander des comptes au système des nations unies sur ses propres engagements en faveur de l'égalité des sexes.
* 9 Aux résolutions « femmes, paix et sécurité » commentées ci-dessus s'ajoute la résolution 1674 (28 avril 2006 ), qui ne concerne pas spécifiquement les violences sexuelles commises lors de conflits armés, mais l'ensemble des violences dont les populations civiles peuvent être victimes pendant les conflits (y compris des formes de violence qui, sans viser nécessairement les femmes en tant que telles, les concernent directement : recrutement des enfants-soldats, traite des êtres humains et déplacements forcés). Cette résolution fixe le cadre de l'action du Conseil de sécurité sur la protection des civils lors des conflits armés et prévoit l'intégration, aux mandats des missions de maintien de la paix de l'ONU, de dispositions concernant la prévention des violences sexuelles, la sécurité dans les camps de réfugiés et aux alentours ainsi que la sécurité du rapatriement des populations civiles.
* 10 Consultable sur le site du ministère des affaires étrangères : www.diplomatie.gouv.fr/fr/IMG/pdf/PNA_fr_DEF.pdf.
* 11 L'armée française se situe à cet égard au deuxième rang des armées européennes et de l'OTAN, comme l'a précisé le Lieutenant-colonel Pierre Duchesne le 28 novembre 2013.