2. Conforter le cadre politique des Etats et leur légitimité
Nombreux sont les pays africains qui ont réalisé des progrès remarquables au cours des deux dernières décennies. Toutefois, certains sont parvenus non seulement à augmenter de manière notable le revenu national, mais aussi à améliorer la situation sociale dans le domaine de la santé et l'éducation.
Dans la plupart de ces pays, le développement a été soutenu par un État proactif en matière de développement.
Comme l'a souligné M. Serge Tomasi, directeur adjoint de la direction de la coopération pour le développement à l'OCDE, « un État fort, dynamique et responsable qui élabore des politiques pour les secteurs public et privé, fondées sur une vision et un leadership à long terme, des normes et des valeurs partagées et des lois et des institutions qui favorisent la confiance et la cohésion » semble être une des clef de la réussite.
Pour parvenir à une transformation durable, les pays doivent adopter une approche du développement cohérente et équilibrée. Ceux qui ont réussi à stimuler et à soutenir leur croissance, en termes de revenu et de développement humain, n'ont pourtant pas suivi une recette unique. Quand on regarde l'évolution du Ghana, du Rwanda, du Botswana, qui se sont illustrés dans de nombreux domaines, on observe que, confrontés à différents défis, ils ont adopté des politiques diverses relatives à la réglementation du marché, la promotion des exportations, le développement industriel et les progrès technologiques.
Les gouvernements peuvent soutenir des industries qui, à cause de marchés incomplets, n'auraient aucune chance d'émerger autrement. Cette situation risque de favoriser la recherche de rentes et le « copinage », mais elle a néanmoins permis à plusieurs pays du Sud de transformer des industries inefficaces en premiers moteurs d'exportation, alors que leurs économies devenaient plus ouvertes.
Or, quand on regarde les pays africains en difficulté, on pense notamment au Mali ou à la Centrafrique, on ne peut être que frappé par la faiblesse des capacités institutionnelles et les difficultés à mener de véritables politiques publiques suivies dans le temps et coordonnées sur l'ensemble du territoire national.
M. Maurice Enguéléguélé, Coordonnateur des Programmes IAG (Institut africain de la gouvernance) nous a dressé un tableau de la gouvernance en Afrique qui témoigne des avancées mais aussi de nombreux défis qui attendent les pays africains dans la constitution d'États modernes.
Les problèmes ne sont pas seulement techniques, financiers et ne relèvent pas seulement d'un manque de formation des élites administratives, ils sont d'abord politiques. Comme la souligné M. Bertrand Badie, « c'est le contrat social entre les citoyens et l'Etat qui fait souvent défaut ».
Force est de constater que la volonté de vivre ensemble au-delà des différences ethniques, religieuses ou claniques fait souvent défaut, ce qui empêche la définition d'un intérêt général qui, à son tour, légitimerait un État impartial menant des politiques publiques au nom de cet intérêt général.
L'exemple ivoirien est frappant à cet égard. Fin 2010, les Ivoiriens s'apprêtaient à aller aux urnes pour élire leur président. Après une décennie de tensions sociales, de coups d'État et d'instabilité politique, ce pays d'Afrique de l'Ouest, autrefois considéré comme l'un des plus stables et prospères du continent, semblait sur le point de passer un cap. De l'avis quasi général, l'élection se déroula de façon démocratique. On connaît la suite. La crise électorale plongea le pays dans six mois de troubles qui firent environ mille morts et 1 million de sans-abri et forcèrent quelque 80 000 personnes à trouver refuge aux frontières du Ghana et du Libéria. En 2011, l'économie ivoirienne s'est contractée de plus de 7 %.
Les troubles survenus en Côte d'Ivoire sont un exemple extrême. Les conflits ne sont cependant qu'un aspect d'une question beaucoup plus vaste : la capacité d'un pays à se gouverner de façon respectueuse et transparente, tout en rendant compte de ses actes, la capacité à créer un espace public où tous les citoyens, quelle que soit leur origine, peuvent contribuer aux décisions qui détermineront l'avenir de leur pays.
De ce point de vue, M. Maurice Enguéléguélé a souligné que les progrès réalisés entre 2000 et 2011 en matière de résorption du déficit de gouvernance politique en Afrique sont mitigés.
Les pays africains continuent de progresser dans la voie de l'ouverture politique et les taux de participation électorale ainsi que la participation de la société civile à la vie politique ont connu une constante évolution. La situation n'est toutefois pas idyllique. Il reste à institutionnaliser la culture de la démocratie et à renforcer I'État de droit, étant donné que les vestiges de l'autoritarisme menacent les processus démocratiques, que la démocratie consensuelle n'est pas encore ancrée au sein de la classe politique et que des législations restreignant l'espace de participation politique de la société civile ont été adoptées dans plusieurs pays. De ce fait, les tensions, les conflits et les crises politiques sont constants dans plusieurs pays.
De manière générale :
- le multipartisme a fleuri dans les différents pays africains, mais sans véritable institutionnalisation ;
- les élections ont lieu plus régulièrement, mais elles restent entachées d'irrégularités dans certains pays.
Depuis 2000, plus d'une soixantaine de scrutins ont été organisés dans les pays d'Afrique. Pour la seule année 2011, six de ces scrutins se sont soldés par une alternance politique (Niger, Zambie, Guinée-Conakry, Cap-Vert, Côte-d'Ivoire, Tunisie). Le cycle électoral pour l'année 2012 prévoit 20 élections (présidentielles -y compris celle anticipée en Guinée-Bissau- législatives, locales) sur le continent.
La qualité des élections demeure toutefois suspecte dans de nombreux pays où elles sont bien souvent une source de tensions, violences et conflits, en raison de l'imprécision du cadre législatif électoral, de la faiblesse ou de la partialité des organes de gestion des élections ou des contestations des résultats - comme cela a été le cas au Kenya, au Zimbabwe, en Côte d'Ivoire ou au Liberia.
La question de la légitimité des pouvoirs face à leur légalité s'est posée de manière accrue. Les acteurs africains se sont interrogés de manière récurrente sur la façon dont les sociétés peuvent se reconnaître dans leurs élus plutôt que dans la seule légalité des modalités de leur accès au pouvoir dans des contextes généralisés de pluralisme juridique.
La liberté de presse a progressé mais reste encore précaire -y compris dans les pays qui sont réputés pour le dynamisme et la ténacité de leurs médias, comme l'Afrique du Sud, le Nigéria, le Kenya ou le Sénégal.
Bien que la décentralisation et le développement local aient connu de notables avancées institutionnelles dans la plupart des pays africains entre 2000 et 2011, la tendance générale reste celle d'une concentration des pouvoirs de décision et des ressources au niveau central. Les collectivités et autorités locales ne jouent pas encore pleinement leur rôle d'agents du changement participatif, légitimes et de proximité pour une gouvernance de développement effective dans la mesure où elles n'ont pas bénéficié de transferts réels des moyens financiers. Cette situation est paradoxale, car le niveau local reste le lieu essentiel pour refonder la démocratie et l'État en Afrique en raison de sa proximité du citoyen et de la confiance que ce dernier doit avoir dans ses représentants.
Le facteur ethnique est resté une donnée importante dans la vie politique de plusieurs pays africains. La gestion de la diversité et le renforcement des identités nationales sont des problèmes. L'accession pacifique du Sud-Soudan à l'indépendance, le 9 juillet 2011, a ouvert la voie à un type de solution inédit depuis les indépendances en redessinant les frontières du Soudan.
La formule peut toutefois difficilement être reproduite dans d'autres pays sujets à des irrédentismes (Cameroun, Nigéria, Mali, République Démocratique du Congo, Sénégal, Somalie, Libye) et le principe de l'intangibilité des frontières hérité de la colonisation reste largement partagé.
La question de la reconstruction des États dans les situations de post-conflit continue d'occuper une place importante (Centrafrique, Côte d'lvoire, Liberia, Sierra Leone, ....), d'autant qu'elle est liée avec celles des processus de désarmement, démobilisation et réinsertion (DDR) et de la réforme du secteur de la sécurité (RSS).
Plus généralement, il faut souligner, pendant la décennie écoulée, la faiblesse généralisée des institutions démocratiques (parlements, justice, autorités de contrôle et/ou de régulation ainsi que de suivi/évaluation de la gestion des crédits publics et de la mise en oeuvre des politiques de développement), celle de la qualité du service public et des fonctions publiques, celle de l'apport de la décentralisation et la gouvernance locale dans la prestation effective de services aux populations.
La question de la corruption reste un problème central en Afrique subsaharienne même si ce continent est loin d'en avoir le monopole. L'indice de « Control of Corruption de la Banque mondiale » comme les enquêtes de l'association Transparency international ou la Fondation Mo Ibrahim souligne cependant l'ampleur du phénomène en Afrique.
La corruption demeure un frein au développement du continent.
La Banque mondiale estime que 40 milliards de dollars sont détournés chaque année dans les pays en développement -l'équivalent d'environ 20 à 40 % de l'aide publique au développement. Selon l'Union africaine, les ressources gaspillées du fait de la corruption en Afrique atteindraient 25 % du PIB total du continent. Pour la Banque africaine de développement (BAD), ce fléau conduit à la perte d'environ 50 % des recettes fiscales annuelles et engendre une augmentation des prix proche de 25 %.
La Banque mondiale estime ainsi que les pays qui mèneraient une lutte efficace contre la corruption pourraient s'attendre, dans le moyen terme, à une augmentation très significative de leur PIB. La corruption a, par exemple, pour conséquence, dans certains pays, l'augmentation jusqu'à 30 % du prix de raccordement d'une maison à un réseau d'eau. Du fait des sommes qui manquent dans les caisses de l'État et de l'affaiblissement des structures institutionnelles, certaines dépenses vitales ne peuvent être satisfaites. Ainsi la corruption engendre d'insidieux ravages sur les systèmes sociaux. Elle peut aussi conduire à biaiser les choix économiques au détriment des projets les plus justifiés socialement.
Alors certes, comme l'ont souligné nombre d'interlocuteurs une croissance économique vigoureuse est compatible avec un niveau élevé de corruption « bénigne » ou du moins « stable » et dont les produits sont largement redistribués ou réinvestis dans le pays lui-même. Toutefois une bonne partie du produit de la corruption est réinvesti en dehors du continent africain comme en témoignent les affaires liées aux biens mal acquis. Pour Mo Ibrahim dont la fondation s'est fixée pour objectif de favoriser la bonne gouvernance : l'évasion fiscale coûte chaque année de 70 à 120 milliards de dollars au continent africain.
Or pour atteindre leurs objectifs, les pays africains devront continuer de développer leurs propres sources de financement : d'une part, les sources privées, d'autre part, les sources publiques, dont les emprunts émis par l'État, qui peuvent notamment servir à financer des infrastructures telles que les routes et les écoles.
La fiscalité apparaît, à cet égard, de plus en plus comme une des pierres angulaires du développement ainsi que la principale option dont disposent les pays en développement pour mobiliser leurs ressources internes afin de bâtir leur avenir et réduire leur dépendance à l'égard de l'aide.
Ainsi Lionel Zinsou, président de PAIpartners, société d'investissement, nous a fait observer qu' au Bénin, il n'y avait au moment de l'indépendance qu'un seul hôpital public et seuls 400 000 enfants étaient scolarisés. Ils sont quatre millions aujourd'hui. Il a donc fallu construire les fonctions régaliennes. Or le pays est sous-équipé en moyens pour assurer les recettes publiques : l'Afrique souffre de la faiblesse de son système fiscal »
L'Afrique souffre de la faiblesse de son système fiscal.
C'est là un défi d'autant plus grand pour les pays africains que les recettes fiscales y sont proportionnellement beaucoup plus faibles que dans la zone OCDE : dans la moitié des pays d'Afrique subsaharienne, elles représentent moins de 15 % du PIB, contre 35 % environ dans les pays de l'OCDE. La fiscalité tend également à avoir une base plus étroite : dans une grande partie de l'Afrique, les recettes fiscales proviennent pour l'essentiel de l'exploitation des ressources naturelles, comme l'extraction minière et pétrolière, alors que la part de l'impôt sur le revenu et de l'impôt foncier y est beaucoup plus faible.
Politiquement parlant, ce type d'impôts est souvent plus facile à gérer que l'impôt sur les bénéfices des sociétés, l'impôt sur le revenu ou la taxe sur les ventes. Mais cette base étroite a un prix : si, pour une raison ou une autre, les compagnies pétrolières décident soudain de réduire leur production, cela peut entraîner une chute des recettes fiscales. C'est pourquoi Lionel Zinsou considère que « ce système de fiscalité de porte est un signe d'archaïsme et de pathologie fiscale. La part des recettes douanières est un bon indicateur de développement : plus elle est basse, plus le pays est développé. »
Les pays africains doivent mettre en place des systèmes qui incitent le secteur informel à intégrer l'économie légale. Pour cela les entreprises doivent trouver un intérêt dans le passage au secteur formel. Si elles sont seules à opérer ce changement, elles seront accablées de charges. Cela suppose donc en échange de bâtir des politiques publiques susceptibles d'offrir un bouquet de services et de prestations qui répondent aux attentes des entreprises et des salariés.
Une analyse, même sommaire, révèle qu'en Afrique la fragilité des constructions politiques peut menacer les acquis économiques. Ces risques sont frappants dans des pays comme le Zimbabwe, mais aussi dans des pays autrefois très stables, comme la Côte d'Ivoire, le Kenya, sans parler de pays comme le Mali, le Tchad, le Congo, Madagascar, etc.
Contrairement à ce que l'on espérait sans doute un peu naïvement, il y a vingt ans, lorsque fut lancé le processus de démocratisation après la conférence franco-africaine de la Baule, la démocratie superficielle qui se pratique dans ces pays n'a guère réduit les tensions politiques.
La démocratie ne peut se limiter en effet à des élections périodiques où le vote exprime essentiellement un rapport de forces ethniques. Elle rend parfois même plus difficile les traditionnelles politiques de redistribution des rentes qui, aux yeux des tenants du pouvoir, risquent désormais de conforter leurs oppositions.
Et le Printemps arabe, marqué par des révolutions et des conflits civils en Tunisie, en Égypte et en Libye, a fait apparaître une nouvelle source de fragilité des États en Afrique.
Éclatant subitement dans des pays d'Afrique du Nord qui semblaient politiquement stables et relativement prospères, ces conflits ont montré que le développement lui-même peut être un facteur de conflit s'il n'offre pas des opportunités économiques à la majorité de la population.
L'exclusion économique des jeunes -- de mieux en mieux formés et en relation les uns avec les autres et avec le reste du monde à travers les médias sociaux -- constitue un risque politique évident. Les troubles qui s'ensuivirent ont mis en évidence l'importance du développement partagé en matière de lutte contre les causes de conflit et de fragilité.
Toutes ces raisons font du renforcement de la gouvernance et d'institutions administrées par « l'État capable » une priorité d'abord des États africains, ensuite de leurs partenaires.
En réponse aux demandes visant l'amélioration de la gouvernance et de la prestation de services de base en Afrique, la France, avec d'autres partenaires bilatéraux et multilatéraux, finance de nombreux projets de renforcement des capacités des administrations, des parlements, des médias et des organisations de la société civile. Afin d'améliorer la gestion des finances publiques, elle contribue à soutenir la décentralisation financière et la mobilisation des ressources intérieures.