AUDITION DE M. RAMON FERNANDEZ, DIRECTEUR GÉNÉRAL DU TRÉSOR
M. François Pillet , président . - Monsieur Fernandez, prêtez-vous serment de dire toute la vérité, rien que la vérité ? Levez la main droite et dites « Je le jure ».
M. Ramon FERNANDEZ . - Je le jure.
M. François Pillet , président . - Je vous en remercie.
Vous avez reçu un certain nombre de questions de notre part. Je vais vous laisser une dizaine de minutes pour présenter la synthèse de vos propos. Je passerai ensuite la parole à notre rapporteur et, bien sûr, à nos collègues qui souhaiteront intervenir.
M. Ramon FERNANDEZ . - J'ai envisagé une introduction répondant à la plupart de vos questions. Vous inscrivez l'évasion et la fraude fiscales, coeur de votre commission, dans un cadre plus général visant à mieux appréhender les actions menées en vue de réguler la finance.
Je ne rappelle le rôle du Trésor qu'afin de préciser que nous travaillons en lien étroit avec la Direction générale des finances publiques ainsi que la Direction de la législation fiscale sur les sujets d'évasion et de fraude fiscales. Auprès du Ministre, nous participons aux négociations permettant de décliner l'agenda international. Nous sommes mobilisés au G8, au G20, dans l'ensemble des instances financières internationales ainsi que dans le cadre européen (ECOFIN, Eurogroupe). Nous préparons également des projets de loi qui vous sont ensuite soumis.
En matière de lutte contre l'évasion et la fraude fiscales, notre action poursuit trois objectifs principaux. Le premier est d'identifier puis de faire pression sur les juridictions non coopératives. Ces juridictions sont notamment celles présentant des défaillances en matière de supervision prudentielle. Le Conseil de stabilité financière suit ce sujet. Je suis d'ailleurs Président du groupe d'experts dédié à cette question qui prépare les délibérations de ce conseil. Nous agissons également pour la transparence fiscale au sein du forum mondial, appuyé par l'OCDE. Enfin, nous luttons contre le blanchiment et le financement du terrorisme. Dans ce cadre, le Trésor prend la tête de la délégation française au GAFI.
Notre second objectif est de promouvoir une plus grande transparence des personnes morales et des autres constructions juridiques, notamment les trusts. Depuis quelques années, nous avons sensiblement progressé dans ce domaine.
Notre troisième objectif est de renforcer les cadres législatifs et réglementaires nationaux en matière de lutte contre le blanchiment et l'évasion fiscale. Les Etats se mettent d'accord au sein d'instances internationales pour fixer des standards et se coordonner pour les atteindre. Nous tentons de donner l'exemple en initiant des réformes. Notre coopération avec la DGFIP et la DLF a été récemment renforcée dans ce domaine. Nous avons en effet mis en place des réunions de coordination afin d'échanger au niveau technique en amont des négociations.
L'agenda en matière de régulation financière est plus que conséquent depuis la crise de 2008. Les actions que nous avons menées dans différents domaines permettent de mieux réguler les banques et les acteurs financiers. La capacité à gérer les crises a été significativement améliorée. Nous avons considérablement renforcé la résilience des banques en augmentant leurs fonds propres dans le cadre de Bâle 3. Nous avons également renforcé leur supervision en mettant en place un collège de superviseurs pour les groupes transnationaux. La loi de séparation et de régulation bancaire a accru la capacité de l'ACP dans ce domaine. Enfin, nous avons amélioré la gestion ordonnée de la liquidation d'une banque en période de crise. Il s'agit de l'agenda de la « résolution ». Dans ce cadre, nous venons d'adopter à l'ECOFIN une approche générale sur le projet de directive relative à la résolution bancaire. Ce projet introduit un régime harmonisé pour la résolution bancaire au sein de l'Union européenne. Ce texte est complété par une nouvelle proposition de la Commission européenne mettant en place un mécanisme de résolution unique pour les Etats membres participant à l'union bancaire. Une agence en charge de ces procédures sera mise en place. Un fonds de résolution financera les interventions de cette agence. Nous espérons adopter ce nouveau texte avant la fin de l'année 2013.
Au-delà de la sphère bancaire, nos efforts portent aussi sur le shadow banking. Il vise à réguler et superviser les acteurs exerçant des activités bancaires sans pour autant être des banques. Une régulation excessive de la sphère bancaire qui délaisserait ces acteurs aboutirait au déplacement des activités. D'autres travaux s'intéressent également aux assureurs systémiques afin d'améliorer la supervision et l'appréhension des enjeux que présentent ces acteurs.
Si vous me le permettez, Monsieur le Président, je vais décliner les domaines faisant, selon moi, l'objet d'importants progrès en matière d'évasion et de fraude fiscales L'essentiel des initiatives a été lancé en 2009 au G 20 de Londres. Les actions ont cependant connu une forte accélération en avril 2013. Le renforcement de la coordination au niveau international en matière de lutte contre l'évasion et la fraude fiscales a été rendu possible par deux facteurs. Le premier tient aux événements particuliers dans certains pays ayant mobilisé l'attention publique, mais également plus généralement aux informations publiées par des organes de presse, telles que celles rendues publiques dans le cadre d'Offshore Leaks. Le second est lié à l'effort de consolidation des finances publiques consentis par les Etats en cette période de crise. Le phénomène de l'évasion fiscale est devenu de plus en plus Insupportable dans toutes les économies. Nous devons relier le poids pesant sur les finances publiques depuis le début de la crise avec cette énergie déployée par les pouvoirs publics de différents pays afin que l'impôt dû ne s'échappe pas par des circuits parallèles.
Les initiatives nouvelles portent sur la promotion de l'échange automatique d'informations afin d'améliorer la coopération internationale en matière fiscale. De ce point de vue, le mois d'avril a été très important avec une réunion informelle des Ministres des Finances de l'Union européenne à Dublin, avec une initiative de cinq États dont la France, puis lors du G20 à Washington. Pour la première fois, les pays du G20 ont indiqué qu'ils considéraient cet échange comme le nouveau standard international de lutte contre l'évasion fiscale. Plusieurs initiatives concrètes relatives à l'échange automatique d'information sont déjà en cours : le FATCA, modèle américain et l'initiative pilote lancées par 5 pays européens (G5), dont la France fait partie, et qui regroupe désormais 17 pays européens, rejoints par des Etats du reste du monde tels que le Mexique et la Norvège. Les avancées sont très rapides, en lien avec les négociations sur les directives européennes.
La promotion de la transparence des personnes morales et des trusts est l'une des recommandations adoptées par le GAFI. Il s'agit là d'un axe essentiel dans la lutte contre la fraude et l'évasion fiscale et le blanchiment d'argent, qui passent souvent par l'utilisation de structures juridiques opaques. Là aussi, la réunion ministérielle du G20 a identifié ces structures comme des entités devant faire l'objet d'attention, en citant pour la première fois explicitement les trusts. En outre, lors du Sommet de Lough Erne en juin 2013, les dirigeants du G8 se sont engagés à mettre en place des plans nationaux afin de lutter contre l'opacité.
M. Éric Bocquet . -Excusez-moi de vous interrompre mais il me semble qu'à l'inverse, cette question n'a pas requis l'assentiment de tous au G8 et, si je ne m'abuse, ne figure pas dans la déclaration finale.
M. Ramon FERNANDEZ . - Il y a eu des percées importantes durant le G8, présidé par le Royaume-Uni. Suite au sommet de Lough Erne, les Etats se sont engagés à publier des plans d'actions nationaux afin d'améliorer la transparence des constructions juridiques, y compris des trusts. Il est exact que le communiqué final des chefs d'Etat ne cite pas explicitement les trusts ; en revanche les principes communs à ces plans d'action, agréés entre les chefs d'Etat et annexés au communiqué, les citent bien explicitement. Même si le texte ne nomme pas directement les trusts, le progrès est très important. L'engagement du G20 est également beaucoup plus clair qu'auparavant, notamment parce que les Européens ont adopté une position commune sur ce point.
L'agenda dit « BEPS » est également primordial. Il vise à lutter contre l'érosion de la base d'imposition et le transfert des bénéfices. L'OCDE a été missionnée par les États du G20 sur ce sujet. Le sommet de Saint-Pétersbourg au mois de septembre sera également saisi du sujet. L'idée générale de cette démarche est d'éviter la double non-imposition. En effet, en optimisant les règles fiscales de certains Etats mises en place pour éviter la double imposition, des grands groupes parviennent à payer très peu d'impôts. L'ensemble des membres du G20 s'accorde pour dire qu'il est inacceptable que des parts importantes de richesses échappent à tout impôt. L'économie numérique est une dimension sur laquelle nous portons tout particulièrement notre attention.
J'en termine en évoquant les initiatives qui visent à mettre la pression sur les juridictions non coopératives. La démarche consiste à lister les territoires qui ne jouent pas le jeu de la transparence et de la coopération internationale. Lors du G20 de Washington, nous avons obtenu une référence aux quatorze juridictions non coopératives en matière fiscale. Ces dernières ne disposent pas du cadre juridique permettant de se conformer aux standards établis par le Forum mondial sur la coopération en matière fiscale. Des travaux d'évaluation aboutiront à une notation de chaque juridiction en fonction de leur degré de coopération concrète en matière d'échange d'informations. Les premiers résultats seront connus d'ici à la fin de l'année. Aujourd'hui, 110 Etats font partie du Forum mondial qui s'engage dans cette démarche. En France, il existe également une liste des Etats et territoires non coopératifs, qui refusent de négocier des textes de coopération en matière fiscale avec la France, ou qui n'appliquent pas en pratique les accords existants. La prise en compte pour établir cette liste de nouveaux critères concernant l'échange automatique d'informations à des fins fiscale est prévue par le projet de loi sur la fraude fiscale en cours d'examen parlementaire. Enfin, vous le savez, le projet de loi de séparation et de régulation bancaire prévoit que banques aient l'obligation de rendre compte annuellement de leurs activités dans chaque juridiction. Nous pourrons ainsi, et cela est devenu une législation européenne dans le cadre de la via Directive sur les exigences de fonds propres, mieux identifier l'activité des entités opérant dans des juridictions non coopératives.
La crise financière de 2008 a entraîné un agenda de régulation financière qui, s'il n'est pas toujours perceptible, est extrêmement puissant. Il reste beaucoup d'actions à mener. Le deuxième temps de la crise, qui a vu les dettes et déficits publics s'accroître et certains pays connaître des crises importantes, a mis sur le devant de la scène les sujets d'évasion fiscale. D'importantes initiatives ont été prises dans ce domaine, engageant un mouvement que je considère sans retour.
M. Éric Bocquet . - Monsieur le Directeur général, je souhaiterais connaître votre point de vue sur l'instabilité financière. Quelle est selon vous l'éventuelle responsabilité des places offshore ? Nous avons posé cette question à plusieurs intervenants qui estimaient que l'incidence de leurs activités sur la crise financière était faible. Quelles seraient également les responsabilités incombant à la spéculation et à l'ingénierie financière ?
M. Ramon FERNANDEZ . - Je crois qu'il existe un consensus pour considérer que l'ingénierie financière est allée trop loin lorsqu'elle était mobilisée à des fins de spéculation pure. Comme le cholestérol, une partie est bonne, l'autre est mauvaise.
Je tiens par ailleurs à rappeler que les places offshore n'ont pas eu un rôle essentiel dans l'instabilité financière. Je ne dis pas pour autant que nous ne devons pas y porter attention, car je pense qu'elles posent d'autres problèmes. Mais les principales défaillances de banques étaient le fait d'établissements bancaires tout à fait « onshore ». Je pense par exemple à Northern Rock au Royaume-Uni ou tout récemment à SNS Reaal aux Pays-Bas.
M. Éric Bocquet . - Il me semble que des actifs douteux de Northern Rock ont depuis été identifiés au sein de leur entité de Jersey.
M. Ramon FERNANDEZ . - Je ne pense pas que cet événement ait mené Northern Rock aux difficultés insolubles qu'elle a connues. Même si encore une fois, la finance off-shore pose d'autres problèmes, qu'il nous appartient de résoudre, notamment grâce aux actions que nous menons dans la lutte contre les juridictions non coopératives au plan international. De la même manière, je ne crois pas que les problèmes de la banque franco-belge Dexia aient été liés à des activités sur des places offshore.
Les hedge funds n'ont pas non plus de responsabilité essentielle dans cette crise. Encore une fois, cela ne signifie pas que certains acteurs ou certaines places ne créent pas de problèmes. Pour cette raison, des agendas relatifs au blanchiment, au contrôle prudentiel et à la fiscalité mettent une pression sur les places ne respectant pas les standards internationaux. Ces pratiques ne sont pas pour autant responsables en tant que telles de la crise que nous avons connue. La crise des subprimes ou celle du secteur immobilier en Espagne ne concernaient pas des places offshore. La responsabilité des acteurs varie selon les sujets.
Des activités spéculatives telles que la titrisation à l'excès ou les montages complexes de produits financiers, ont effectivement joué un rôle important. La présidence française du G20 avait tenté de faire avancer les choses, par exemple sur les dérives de la financiarisation des matières premières. L'agenda n'est pas terminé. Nous venons d'accueillir un séminaire du G20 sur ce sujet et nous continuons de porter cette préoccupation au sein du G20.
L'ingénierie financière a également pu jouer un rôle. Je ne reviens pas sur l'existence d'une ingénierie utile et d'une ingénierie dangereuse.
M. François Pillet , président . - Si vous n'y voyez pas d'inconvénient, je vous propose de grouper les prochaines questions.
M. Yvon Collin . - Monsieur le directeur général, nous écoutons toujours vos propos avec grand plaisir. Pourriez-vous nous dire quelques mots sur les systèmes de compensation ? Vous semblent-ils suffisamment contrôlés ? Quelle analyse faites-vous par ailleurs de la multiplicité des structures dans les grands groupes financiers internationaux ?
Mme Corinne Bouchoux . - Vous évoquiez l'avancée des travaux en cours. Quelles sont selon vous les retombées négatives de la progression du concept de vie privée des personnes morales (arrêt récent du Conseil d'Etat) ? N'allons-nous pas perdre ce que nous gagnons grâce aux pratiques que vous préconisez ? Nous sommes par ailleurs d'accord sur les notions de listes. Quelle est selon vous la meilleure méthode afin d'aboutir à une liste unique ? Enfin, je me permets une remarque à voix haute. Une amélioration du système n'interviendra-t-elle pas uniquement lorsque nous connaîtrons une nouvelle génération de responsables d'entreprises, obligés d'avoir un discours clair ? Une personne que nous avions auditionnée l'année dernière disait qu'à une époque, tout le monde fraudait.
M. Ramon FERNANDEZ . - Je vais commencer en répondant à la question relative aux listes. Au niveau international, trois catégories de listes ont été établies. La première porte sur les territoires non coopératifs en matière fiscale. Le Forum mondial identifie quatorze juridictions n'ayant pas franchi la première phase d'examen. Cette liste a été rendue publique suite au G20 de Londres en 2009. La deuxième est celle du GAFI. Elle identifie les territoires ne respectant pas ses standards en matière de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme. Cette liste est publique. Enfin, une troisième, conduite par le Conseil de stabilité financière, porte sur le contrôle prudentiel. Un seul pays figure sur la liste « noire ». Nous considérons qu'il serait difficile de fusionner ces classements. En effet, même si les logiques peuvent être liées, elles restent spécifiques selon leur catégorie.
Par ailleurs, les Etats peuvent établir de manière autonome des listes de pays qu'ils considèrent au niveau national comme non coopératifs. C'est le cas de la France , qui établit une liste des Etats avec lesquels la coopération en matière fiscale n'est pas satisfaisante de son point de vue, ce qui correspond à des territoires que la communauté internationale n'a pas nécessairement identifiés comme peu coopératifs. Vous débattrez de ce point, Mesdames et Messieurs les sénateurs, lors des discussions autour du projet de loi contre la fraude. Le texte prévoit en effet que le gouvernement puisse ajouter à la liste les pays qui refusent de signer des textes de coopération en matière d'échange automatique d'informations fiscales, ou qui ont signé les textes mais ne les appliquent pas. Cette initiative nous aidera probablement à établir des listes plus effectives.
Concernant les systèmes de compensation, je dirais que les éléments relatifs aux infrastructures de marché sont complexes mais importants. Ces infrastructures incluent notamment les bourses. La conservation de l'influence et de la capacité d'action sur ces infrastructures représente un véritable intérêt. Elles incluent également les chambres de compensation. Il est très important de conserver une visibilité sur la chaîne du titre. Nous devons en effet savoir comment les titres sont échangés et compensés. Cette visibilité est d'autant plus importante sur des segments de marchés tels que celui des produits dérivés. Ces derniers étaient essentiellement échangés sur des marchés de gré à gré. Or nous tentons de les ramener sur des plateformes transparentes qui exigent des mécanismes de compensation. Ce point est inclus dans la législation européenne dite « EMIR » et son pendant aux Etats-Unis, le Dodd-Frank Act. Un accord a été conclu le 15 juillet 2013 entre les autorités européennes et américaines afin d'établir une reconnaissance mutuelle des règles régissant les échanges et la compensation des dérivés. Ce point est extrêmement important.
Je ne connais pas le détail de la jurisprudence relative à la notion de vie privée des personnes morales que vous évoquez. Je peux tout de même dire que des initiatives telles que la création de registres afin d'identifier les trusts ou les fiducies, n'ont pas vocation à rendre publiques toutes les informations dont l'administration dispose à leur sujet. L'administration fiscale doit bien entendu avoir accès à ces informations. La DGFIP gère d'ailleurs le registre des fiducies en France. Il permet d'identifier le bénéficiaire effectif d'une fiducie ou d'un trust. De nouvelles mesures sont actuellement envisagées dans le cadre du projet de loi sur la fraude fiscale. J'examinerai ce sujet qui mérite certainement une certaine vigilance et j'indiquerai ce point à la DGFIP qui est davantage concernée. Ce que j'en connais m'amène à penser que la nouvelle législation envisagée, autant que la législation existantes, ne devrait pas se heurter aux difficultés mentionnées en matière de vie privée des personnes morales.
M. François Pillet , président . - Je vous rappelle que vous avez la possibilité d'enrichir vos réponses par écrit à l'issue de cette audition.
Quelle est la situation des créances compromises des banques ? Peut-on craindre qu'elles soient fondues dans certains produits et cédées à des clients qui n'en auraient pas pleine connaissance ?
M. Ramon FERNANDEZ . - Je pense que le dispositif de supervision français a fait les preuves de sa robustesse. Nous n'avons d'ailleurs pas rencontré les difficultés de certains pays, les créances douteuses dans les bilans des banques françaises restent à des niveaux satisfaisants. Selon moi, nous ne courrons donc pas le risque dont vous faites état, d'autant que les événements de ces dernières années ont renforcé la vigilance du régulateur. Des structures communes à l'ACP et à l'AMF ont été mises en place afin de veiller aux conditions de commercialisation des produits financiers.
Par ailleurs, un exercice important va être conduit en Europe par la BCE. Il concernera toutes les banques européennes de taille significative c'est-à-dire, a minima, les 130 établissements ayant vocation à passer sous la supervision directe de la BCE à compter du second semestre 2014 (la création de l'« union bancaire » se traduit en effet par la mise en place d'un superviseur unique au sein de la BCE). Avant la mise en place opérationnelle du superviseur unique, la BCE procédera à un examen des bilans bancaires. Il inclura notamment une revue des actifs et devrait nous permettre d'évaluer avec précision la qualité des actifs bancaires et de clarifier le niveau des créances douteuses pour l'ensemble de ces banques. Cette expertise sera menée par des équipes de superviseurs épaulés d'auditeurs externes.
M. Éric Bocquet . - Avez-vous une estimation des créances douteuses des banques françaises ?
M. Ramon FERNANDEZ . - Le gouverneur de la Banque de France serait certainement plus à même de vous répondre. Nous n'avons cependant aucune inquiétude quant à la robustesse des banques françaises, en particulier de ce point de vue.
M. Éric Bocquet . - La presse évoquait un montant élevé pour la Société Générale.
M. Ramon FERNANDEZ . - Je ne dispose pas d'une telle information. Je me renseignerai afin de vous transmettre d'éventuelles données. Les montants que vous mentionnez m'étonnent tout de même.
Le travail d'examen que j'évoquais intégrera également un « stress test » dans lequel l'hypothèse d'une crise très brutale dont l'impact sur les bilans sera simulé. Les conséquences qui seront tirées de cette étude pourront mener à une recapitalisation des banques pour les segments nécessaires, par des ressources privées, publiques, nationales ou européennes.
M. François Pillet , président . - Je laisse la parole à Madame des Esgaulx.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx . - Dans l'examen des bilans que vous évoquez, allez-vous étudier les comptes consolidés des filiales ?
M. Ramon FERNANDEZ . - L'examen portera sur les groupes bancaires dans un périmètre consolidé, c'est-à-dire que les filiales seront aussi observées.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx . - J'ai cru comprendre que jusqu'à présent, l'ACP examine uniquement les comptes consolidés, sans étudier la totalité des opérations. Nous sommes intrigués par le nombre considérable de filiales de ces banques. BNP Paribas dispose de 300 filiales. Ces créations ont bien un intérêt. Je souhaiterais que cette question soit étudiée.
M. Ramon FERNANDEZ . - Vous avez raison de souligner l'importance de regarder les filiales. Vous auditionnerez certainement le Président de l'ACP ; vous pourrez lui demander les détails de cet examen. La législation ne suppose pas d'appliquer les exigences prudentielles établissement par établissement et filiale par filiale mais, naturellement, lorsque nous étudions les groupes bancaires, les filiales sont aussi étudiées. Pour cette raison, dans le cas de filiales à l'étranger, nous mettons par exemple en place des collèges de superviseurs réunissant les superviseurs du pays d'origine et du pays d'accueil.
M. Yvon Collin . - Monsieur le directeur général, estimez-vous que les autorités monétaires européennes doivent davantage tenir compte de la situation de transparence des pays partenaires ? Pourrait-on, en somme, pénaliser des opérations transitant par des zones non conformes au regard des règles prudentielles ou fiscales comme le prévoit le dispositif FATCA aux Etats-Unis ? Exerce-t-on par ailleurs un contrôle des mouvements de capitaux des pays en crise bénéficiant de soutiens européens ?
M. Ramon FERNANDEZ . - Le contrôle des mouvements de capitaux a été au coeur de certains programmes de soutien tels que celui de Chypre. La condition sine qua non de ce soutien était la réalisation d'un examen extrêmement précis des dispositifs légaux en vue de lutter contre le blanchiment ainsi que de leur mise en oeuvre. Par ailleurs, des dispositions ont été prises de manière transitoire afin de contrôler les mouvements de capitaux dans un contexte de crise bancaire très sévère. Ce cas est toutefois extrême, la majorité des programmes ne présentant pas ce type de difficultés spécifiques. Les conditionnalités ne portent donc pas sur l'évolution des mouvements de capitaux. En revanche, nous essayons de mettre en place un programme finançant l'économie. Ce financement requiert de créer les conditions afin que les capitaux reviennent dans des pays qui ont recouru au FMI lorsqu'ils n'avaient plus accès aux marchés.
Concernant l'inspiration des dispositifs FATCA, nous travaillons en ce sens. En effet, le « projet pilote » de 5 pays européens, dont la France, et qui s'étend aujourd'hui à 17 pays européens et à des pays hors UE comme le Mexique ou la Norvège prévoit la mise en place effective d'un dispositif d'échange automatique d'informations, tout comme FATCA. Concernant le volet dissuasif, toutefois, nous restons fidèles au principe d'établissement de listes d'Etats non coopératifs. L'inscription sur liste est en effet primordiale car les Etats détestent être identifiés comme non coopératifs. Les processus de revues, mis en place notamment par le Forum mondial, identifient si les conventions signées et les actes juridiques considérés sont effectivement mis en oeuvre. De notre côté, notre droit positif prévoit des conséquences fiscales s'attachant à l'inscription sur la liste française des territoires non coopératifs. Ces dispositions existent donc dans notre droit fiscal. Le « FATCA européen » aura pour effet de systématiser cet échange d'informations afin de mettre une pression très forte sur les Etats qui ne jouent pas le jeu.
Je présidais hier le groupe d'experts du Conseil de stabilité financière sur les juridictions non coopératives en matière de règlementation et de contrôle prudentiel. Certains Etats considèrent que les sanctions à l'égard de juridictions ne permettant pas l'échange d'informations sont illégitimes.
M. François Pillet , président . - Avez-vous des exemples de ces Etats ?
M. Ramon FERNANDEZ . - Je ne dispose pas d'exemple précis. La logique de sanction ne fait cependant pas consensus au sein de la communauté internationale. Certains considèrent en effet que nous devons rester dans un cadre coopératif dans lequel la confiance prime. Notre vision est plus intrusive. Nous estimons que lorsqu'un Etat ne joue pas le jeu, nous pouvons légitimement interdire à nos établissements d'effectuer des opérations dans ces juridictions. Encore une fois, cette vision n'est absolument pas consensuelle.
M. François Pillet , président . - Monsieur le directeur général, je vous remercie et vous prie de nous excuser pour le relatif retard pris dans votre audition.
M. Ramon FERNANDEZ . - Je vous remercie, Monsieur le Président. Nous vous transmettrons dans les meilleurs délais les compléments de réponses à vos questions.