CHAPITRE DEUX
L'AFFAIRE HSBC, UNE AFFAIRE DE NOTRE TEMPS
L'affaire HSBC offre un épisode particulièrement saisissant dont les zones d'ombre doivent être dissipées et duquel il faut tirer toutes les leçons.
L'affaire HSBC est l'une des affaires les plus inquiétantes pour la réputation des banques survenues ces dernières années. Elle l'est d'autant plus qu'elle n'est pas isolée puisque d'autres révélations en rafale impliquant la responsabilité d'entités financières dans l'évasion fiscale internationale se sont produites ces dernières années.
Par ailleurs, elle illustre plusieurs problèmes de crédibilité de l'action publique dès lors que des données sensibles sont en jeu.
Plusieurs soupçons ont été formulés sur le traitement des données par les administrations qui ont pu devoir en connaître.
La commission d'enquête du Sénat sur l'évasion fiscale internationale avait dans son rapport de juillet 2012 mentionné certains d'entre eux.
Depuis, des travaux ont pu être conduits qui éclairent certains aspects de cette affaire. D'autres sont en cours. D'autres enfin seront nécessaires.
Les soupçons doivent être totalement dissipés ce qui demande un peu de travail supplémentaire, comme en attestent les analyses de votre rapporteur et le témoignage recueilli par la commission auprès de M. Hervé Falciani.
Mais, l'atteinte à la crédibilité de l'action publique portée par l'affaire HSBC ne se résume pas à ces zones d'ombre.
L'affaire HSBC a révélé l'étroitesse des moyens de l'administration, les difficultés juridiques non résolues à ce jour auxquelles elle se trouve confrontée, et qui sont un des éléments majeurs (parmi d'autres il est vrai) des performances médiocres des dispositifs mis en place pour donner toutes les suites nécessaires à ce type d'affaires.
Votre rapporteur a pris la mesure de l'ampleur de la charge de travail qu'a occasionné ce dossier aux services saisis (principalement la DNEF et la DNVSF).
Il s'associe aux propos tenus sur le courage des agents de la DNEF qui ont contribué, à leur place, à trouver des données particulièrement complexes à exploiter et hautement sensibles.
Cette affaire a donné lieu à un remarquable travail de notre collègue, rapporteur général de la commission des finances de l'Assemblée nationale.
Son rapport dresse les principaux constats suivants :
Principaux constats du rapport de M. Christian Eckert « Le Rapporteur général constate que : - bien que Monsieur Falciani ait dès l'origine contacté les services de la police judiciaire française (la DNIF), il a été mis en relation avec les services de l'administration fiscale (la DNEF). Outre que cet élément a fortement troublé Monsieur Falciani, il a été de nature, pour le moins, à retarder les poursuites judiciaires. - les informations transmises par Monsieur Falciani à la DNEF se sont révélées difficiles à mettre en forme en raison de leur volume, de leur cryptage, de leur opacité volontaire. La DNEF a pour autant mis en oeuvre des moyens informatiques et humains très importants. Elle a bénéficié de la coopération de Monsieur Falciani pour rendre lisibles les données. - les obstacles juridiques pour utiliser des données obtenues de façon illicite n'ont pas empêché la DNEF de commencer à les exploiter dès janvier 2009 et ont été en grande partie levés par leur transmission par les autorités judiciaires françaises en juillet 2009 en vertu de l'article L. 101 du livre des procédures fiscales. - sur le plan judiciaire, le Rapporteur général s'étonne du dépaysement du dossier HSBC de Nice vers Paris à la fin de l'année 2010, à la demande semble-t-il des autorités nationales. Il s'interroge sur le délai constaté avant que le parquet de Paris n'ouvre fin avril 2013 une information judiciaire. - la méthode d'exploitation des données par l'administration fiscale a été décrite au Rapporteur général et figure précisément dans le rapport. Elle a sa cohérence compte tenu de la seule mission de recouvrement et de sanctions administratives conduite par cette administration. Les résultats encore partiels des procédures mises en oeuvre sont documentés dans le rapport et sont le fruit d'une mobilisation importante des agents. - l'élaboration des listes de contribuables établies par l'administration fiscale a donné lieu à de nombreux commentaires dans les médias. Le Rapporteur général ne peut qu'infirmer l'affirmation que des contribuables auraient « disparu » entre les différentes étapes autrement qu'en vertu de la méthode retenue par cette administration et aujourd'hui révélée en détail dans le rapport. Il peut même affirmer sans rompre le secret fiscal, qu'il a pu relever beaucoup d'erreurs dans les affirmations de certains médias sur le fait que tel ou tel contribuable figurerait ou ne figurerait pas dans les listes initiales ou finales. - le Rapporteur général n'a pu, pour les raisons précitées, faire les mêmes vérifications sur les travaux des services de la police judiciaire (IRCGN). Tous les acteurs, y compris Monsieur Falciani, ont confirmé que les données fournies directement à la DNEF et celles saisies ensuite par la justice étaient les mêmes. Les listes transmises par l'IRCGN au procureur de Nice et ensuite dépaysées à Paris ne peuvent pas faire l'objet d'analyses du Rapporteur général. Le Rapporteur général remarque enfin une nouvelle fois, si besoin était, que les fonctionnements bancaires sont au coeur des systèmes d'évasion fiscale. Il recommande que les superviseurs bancaires et en particulier en France les autorités compétentes comme la Banque de France ou l'ACPR (Autorité de contrôle prudentiel et de résolution) aient enfin mission et obligation de déceler, de réprimer et d'interdire les pratiques illicites des banques exerçant sur notre territoire. » |
Votre rapporteur souhaite apporter quelques compléments sur différents points qui concernent, pour les uns le déroulement de l'affaire, pour d'autres, les appréciations sur le fonctionnement de l'action publique, ses contraintes et ses performances.
I. LES ZONES D'OMBRE DE L'AFFAIRE DOIVENT ÊTRE DISSIPÉES
A. UN TRAITEMENT PRÉCOCE PAR LE MINISTÈRE DES FINANCES
S'agissant du déroulement de l'affaire, il n'est pas contestable que le choix d'orienter M. Falciani vers la DNEF peut être discuté.
Interrogé à ce propos M. Falciani mentionne que les services judiciaires ont expliqué leur attitude par le défaut d'attestation de l'origine des documents transmis qui auraient constitué une gêne pour eux. Les services auraient indiqué pouvoir les utiliser comme simples renseignements. La question est de savoir si un autre traitement aurait pu être choisi. Apparemment, il en va ainsi puisque le choix aurait pu se porter sur d'autres incriminations ne requérant nécessairement pas le détour du ministre des Finances, comme, par exemple, le blanchiment de fraude fiscale ou encore la non déclaration de comptes à l'étranger... Par ailleurs, les difficultés sur l'origine des preuves ne se posaient pas moins à l'administration fiscale qu'aux services judiciaires.
Comme le relève le rapporteur général de la commission des finances de l'Assemblée nationale, les informations transmises à la DNEF ont été difficiles à exploiter en raison tant de leur volume que de leur cryptage et de leur opacité volontaire et la Dnef a mis en oeuvre des moyens importants.
S'agissant de la coopération de M. Falciani, elle est avérée. Cependant il faut mentionner les propos tenus par celui-ci devant votre commission d'enquête faisant valoir que loin d'avoir été organisée, a donné lieu à« un certain ombre d'obstructions ; tout a en fait été organisé afin que je ne puisse apporter toute mon aide dans l'explication des mécanismes ou dans la mise en place d'une défense à la hauteur des menaces reçues ». Toutefois, interrogé pour qu'il apporte des précisions à ce sujet, M. Falciani n'a pas apporté de réponses circonstanciées.
Le rapport de notre collègue apporte une précision qui devrait intéresser le Sénat au vu des témoignages qu'il a recueillis dans le cadre de sa commission d'enquête sur l'évasion fiscale internationale. Il observe que les obstacles juridiques n'ont pas empêché la DNEF d'exploiter les données.
Cette observation vient infirmer, ou pour le moins nuancer, les propos tenus en présence du précédent directeur général des finances publiques par l'ancien responsable du contrôle fiscal, qui avait alors déclaré : « Avant que le procureur nous communique ces listes dans le cadre du droit de communication, nous en avions également été destinataire, du fait de l'informateur, mais nous ne les avions en aucune façon exploitées. Seules les listes du procureur l'ont été ».
Cette contradiction pose à l'évidence des problèmes, dont celui de son interprétation. Tenait-elle à une volonté d'expliquer l'apparente inertie du ministère par les contraintes juridiques de l'exercice ; s'agissait-il d'une simple inadvertance ou une façon de se défendre de toute falsification. Si l'exploitation des données a porté sur celles transmises par le procureur, alors il ne saurait avoir de falsifications réalisées à Bercy, toute éventuelle falsification concernant les seules données remises à la justice et exploitées par elle...
Les constats qu'on peut réunir sur ce point tranchent également avec les déclarations du ministre du budget de l'époque qui avait indiqué que le ministère ne pouvait exploiter la liste puisqu'elle avait été volée et illégalement fournie à la justice.
Ces contradictions alimentent le dote sur l'intégrité des données par rapport à celles transmises par M. Falciani.
Sans doute faut-il considérer les déclarations concordantes de M. Falciani et de l'administration des finances. Ceux-ci convergent pour indiquer que les données transmises à l'administration fiscale et au procureur ont été identiques.
Sur ce point le témoignage de l'administration fiscale est étonnant. Puisqu'on ne voit pas comment elle serait en mesure de se prononcer sur ce point. A-t-elle jamais disposé des données brutes transmises au procureur ?, N'a-t-elle pas plutôt reçu de sa part que des données retraitées par l'IRCGN en septembre 2009 et janvier 2010 ?
Par ailleurs, si M. Falciani peut sans doute estimer que les données transmises aux deux autorités étaient des copies conformes, ce sentiment ne paraît pas reposer sur une connaissance exhaustive de leur contenu.
Interrogé par la commission d'enquête, il a indiqué n'avoir pas eu de connaissance complète du contenu des données transmises par lui.
« Je ne me suis en aucun cas intéressé aux opérations bancaires ou aux noms figurant dans ces documents »
Deux listes ont été établies à partir de données remises par M. Falciani: celle du ministère des Finances et celle du procureur.
On souhaiterait pouvoir les confronter pour vérifier l'intégrité des données.
Mais, en réalité, à supposer même que les documents soient des copies conformes, on ne pourrait en inférer qu'elles sont de contenus intègres.
Le procureur de Nice, qui avait mentionné avoir recouru à deux services pour décoder les informations saisies par lui (l'IRCGN et le service de la douane judiciaire), s'était étonné des résultats de ces expertises en suggérant que des falsifications étaient intervenues.
Sur ce point, le rapporteur général de la commission des Finances de l'Assemblée Nationale indique ne pouvoir affirmer que la liste du procureur reflète bien les données transmises par M. Falciani. Le soupçon demeure que, la liste judiciaire puisse avoir sa singularité et qu'elle ne puisse servir d'étalon dans une opération de vérification.
L'indisponibilité de la liste judiciaire du fait de son statut de pièce judiciaire n'est pas le principal obstacle à la valeur probante d'un tel rapprochement. Il faut considérer qu'à supposer même que les deux listes soient identiques, leur comparaison ne signifierait pas qu'elles n'ont pas été falsifiées. Elles pourraient fort bien l'avoir été harmonieusement d'un côté et de l'autre.
Certes, un premier contrôle de cohérence pourrait-il être entrepris par le juge en charge de l'instruction qui est saisi de la liste du procureur. Mais, ce contrôle ne suffirait pas à emporter la certitude.
Interrogé sur ce point, qui semble le concerner, M. Falciani suggère une solution consistant à comparer les données françaises avec les données fournies à la justice espagnole.
Votre rapporteur recommande qu'une telle vérification soit entreprise dans le cadre des conventions d'assistance mutuelle entre les deux pays.
Par ailleurs, il serait justifié de se rapprocher de la justice suisse puisqu'aussi bien des observations ont pu être faites sur l'intégrité des données fournies dans le cadre de la commission rogatoire adressée par elle à la France dans cette affaire.
En toute hypothèse les éléments connus ne permettent pas d'emporter la conviction que la liste de Bercy, dont l'histoire apparaît sous un angle inédit, et en contradiction avec les propos jusqu'alors recueillis, reflète correctement les données brutes transmises au ministère.