Rapport d'information n° 16 (2013-2014) de M. Jean-Pierre CAFFET , fait au nom de la commission des finances, déposé le 2 octobre 2013

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N° 16

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2013-2014

Enregistré à la Présidence du Sénat le 2 octobre 2013

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des finances (1) sur l'enquête de la Cour des comptes relative à la gestion du patrimoine immobilier des centres hospitaliers universitaires (CHU) affecté aux soins ,

Par M. Jean-Pierre CAFFET,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : M. Philippe Marini , président ; M. François Marc , rapporteur général ; Mme Michèle André , première vice-présidente ; Mme Marie-France Beaufils, MM. Jean-Pierre Caffet, Yvon Collin, Jean-Claude Frécon, Mmes Fabienne Keller, Frédérique Espagnac, MM. Albéric de Montgolfier, Aymeri de Montesquiou, Roland du Luart , vice-présidents ; MM. Philippe Dallier, Jean Germain, Claude Haut, François Trucy , secrétaires ; MM. Philippe Adnot, Jean Arthuis, Claude Belot, Michel Berson, Éric Bocquet, Yannick Botrel, Joël Bourdin, Christian Bourquin, Serge Dassault, Vincent Delahaye, Francis Delattre, Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, MM. Éric Doligé, Philippe Dominati, Jean-Paul Emorine, André Ferrand, François Fortassin, Thierry Foucaud, Yann Gaillard, Charles Guené, Edmond Hervé, Pierre Jarlier, Roger Karoutchi, Yves Krattinger, Dominique de Legge, Marc Massion, Gérard Miquel, Georges Patient, François Patriat, Jean-Vincent Placé, François Rebsamen, Jean-Marc Todeschini, Richard Yung .

Mesdames, Messieurs,

En application des dispositions de l'article 58-2° de la loi organique du 1 er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF), votre commission des finances, par une lettre de son président Philippe Marini, en date du 21 novembre 2011, a demandé à la Cour des comptes de réaliser une enquête sur le patrimoine immobilier hospitalier.

Compte tenu de l'ampleur du sujet, il a été convenu de séparer l'enquête en deux volets. Le premier volet portait sur le patrimoine immobilier des établissements publics de santé non affecté aux soins . Celui-ci a été présenté le 18 janvier 2012 devant la commission des finances, lors d'une audition pour suite à donner 1 ( * ) .

En dépit des enjeux financiers et sociaux de la gestion du patrimoine privé des établissements de santé, ces travaux ont montré que la valorisation du patrimoine est longtemps restée une préoccupation secondaire et qu'elle demeure délicate à mettre en oeuvre, en raison de contraintes lourdes. La Cour des comptes a ainsi préconisé de définir une politique nationale « explicite », reposant sur un dispositif de pilotage à trois niveaux , constitué du ministère en charge de la santé, des agences régionales de santé (ARS) et de l'agence nationale d'appui à la performance des établissements de santé et médico-sociaux (ANAP).

Le présent rapport retrace les conclusions du second volet de l'enquête, portant sur la « gestion du patrimoine immobilier des centres hospitaliers universitaires ( CHU ) affecté aux soins ». Par opposition au patrimoine non affecté aux soins, le patrimoine affecté aux soins désigne les biens du domaine public hospitalier, dont la destination principale est la délivrance de soins. L'enquête de la Cour des comptes se concentre plus particulièrement sur le patrimoine immobilier affecté aux soins des centres hospitaliers universitaires (CHU). Au nombre de trente 2 ( * ) , les CHU sont des hôpitaux publics qui se caractérisent par :

- leur triple mission de soins , d'enseignement et de recherche ;

- leur activité centrée sur la médecine , la chirurgie et l'obstétrique (MCO), pour lesquels ils disposent de 36 % des lits ;

- leur poids dans l'activité hospitalière . Ils représentent environ 21 % de l'activité hospitalière et 41,5 % des dépenses hospitalières remboursées par l'assurance maladie.

Les capacités et les activités de soins et de recherche sont très variables d'un CHU à l'autre. La Cour des comptes a retenu pour son étude un échantillon représentatif de cette diversité, en sélectionnant sept CHU : l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), les Hospices civils de Lyon (HCL), l'Assistance publique-Hôpitaux de Marseille (AP-HM) et les CHU de Nantes, Toulouse, Tours et Besançon.

Selon l'usage, les travaux de la Cour des comptes ont donné lieu, le 2 octobre 2013, à une audition pour suite à donner mettant en présence les magistrats chargés de l'enquête, ainsi que :

- le ministère des affaires sociales et de la santé , représenté par Jean Debeaupuis, directeur général de l'offre de soins ;

- l'Agence nationale d'appui à la performance des établissements de santé (ANAP), représentée par Christian Anastasy, directeur général de l'agence ;

- la conférence des directeurs généraux de CHU , représentée par son président, Philippe Domy.

Constatant les limites des plans Hôpital 2007 et Hôpital 2012 , la Cour des comptes a présenté différentes recommandations afin d'améliorer l'efficience de la gestion du patrimoine immobilier des CHU. Ces dernières rejoignent en grande partie les préconisations formulées dans le cadre de l'enquête sur le patrimoine hospitalier non affecté aux soins : la professionnalisation des équipes hospitalières et le niveau d'expertise des agences régionales de santé (ARS) doivent être renforcés tandis que le rôle des tutelles nationale et régionale doit être affirmé.

Votre commission des finances partage le point de vue selon lequel le pilotage de l'investissement immobilier hospitalier doit être amélioré . Lors de l'audition pour suite à donner, la question de l'articulation entre la politique immobilière de chaque établissement et la politique sanitaire définie aux niveaux régional et national a suscité des échanges nourris. Dans un contexte d'évolution rapide des techniques et des modes de prise en charge, il est crucial de définir des stratégies immobilières cohérentes avec la politique nationale d'offre de soins.

Enfin, comme le rappelait le président de la sixième chambre de la Cour des comptes lors de l'audition, le présent rapport est présenté à un moment charnière : une relance de l'investissement hospitalier a été annoncée par le Premier ministre et une nouvelle stratégie nationale de santé a été présentée par la ministre des affaires sociales et de la santé le 23 septembre 2013. Le moment est donc particulièrement propice à un bilan des expériences passées afin de renforcer l'efficience des futurs investissements immobiliers des établissements de santé.

OBSERVATIONS ET RECOMMANDATIONS DE VOTRE RAPPORTEUR SPÉCIAL

Votre rapporteur spécial regrette n'avoir pu disposer d'un panorama consolidé du patrimoine immobilier affecté aux soins des établissements publics de santé. Il s'agit d'un obstacle persistant à la définition d'une véritable politique immobilière hospitalière au niveau national. Parmi les recommandations présentées par la Cour des comptes, votre rapporteur spécial souligne donc l'importance de mettre rapidement en oeuvre les mesures suivantes :

- associer l'ensemble des CHU au projet OPHELIE , outil national d'inventaire du patrimoine, afin de lever les éventuels obstacles à son déploiement (recommandation n° 2) ;

- rendre obligatoire , pour les CHU, la rédaction d'une annexe au contrat pluriannuel d'objectifs et de moyens des établissements portant schéma directeur hospitalier (recommandation n° 8).

Votre rapporteur spécial salue la mise en place de nouveaux outils de pilotage , tels que les schémas régionaux d'investissement en santé (SRIS) et le comité de performance et de modernisation des soins (COPERMO), afin de mettre en cohérence politique immobilière et politique de l'offre de soins .

Enfin, les conclusions de l'enquête de la Cour des comptes confirment la nécessité de rompre avec la logique de plan d'investissement immobilier pluriannuel . A cet égard, votre rapporteur spécial se félicite de la nouvelle approche retenue par le Gouvernement : un effort régulier d'investissement permettra de soutenir la modernisation continue des établissements publics de santé, tout en renforçant les conditions de leur soutenabilité.

SYNTHÈSE

I. UNE QUESTION IMMOBILIÈRE QUI S'INSCRIT DANS UN CONTEXTE FINANCIER TENDU

A. LA RELANCE DE L'INVESTISSEMENT IMMOBILIER HOSPITALIER ENTRE 2003 ET 2012

1. La nécessaire modernisation du patrimoine immobilier des CHU

Selon les données du ministère de la santé, le patrimoine immobilier affecté aux soins des CHU représente 13,3 millions de m 2 de surface construite , sur un total de 60 millions de m 2 pour l'ensemble des établissements publics de santé.

La Cour des comptes souligne les besoins importants des CHU en matière de rénovation de leurs locaux . Près de la moitié des CHU possèdent des bâtiments classés monuments historiques ou inscrits à l'inventaire supplémentaire. Ils se trouvent ainsi plus particulièrement confrontés au défi de mise à niveau de ce patrimoine ancien. En 2001, un état des lieux réalisé par la conférence des présidents de CHU, portant sur vingt-deux centres, faisait état de taux de vétusté et d'obsolescence élevés : 30 % du patrimoine immobilier pouvait être caractérisé comme vétuste et 9 % des locaux obsolescents.

2. Les plans Hôpital 2007 et Hôpital 2012
a) Des objectifs de modernisation de l'offre de soins hospitalière

Le mauvais état d'une partie de leur parc immobilier explique la large participation des CHU aux deux plans successifs de relance de l'investissement hospitalier.

Le plan Hôpital 2007 visait à moderniser l'offre de soins et le patrimoine hospitalier public et privé. Estimé à 10 milliards d'euros d'investissement et subventionné par l'Etat à hauteur de 6 milliards d'euros, il a été engagé en 2003 afin de relancer l'investissement hospitalier. La mise en oeuvre du plan Hôpital 2007 s'est toutefois écartée des prévisions initiales : le montant total d'investissement a finalement atteint 16,8 milliards d'euros en raison du nombre plus important que prévu d'opérations effectivement lancées, pour des montants supérieurs à ce qui avait été envisagé.

Lancé en 2008, le plan Hôpital 2012 avait pour objet de maintenir un niveau d'investissement équivalent à celui du plan précédent. Le plan visait ainsi un effort d'investissement de 10 milliards d'euros sur la période 2008-2012 , dont 5 milliards d'euros d'aides de l'assurance maladie. Selon le bilan de mise en oeuvre de la première tranche du plan, les investissements immobiliers ont représenté 85 % du montant des investissements validés. Le taux d'aide moyen pour ces opérations immobilières est de 48 %.

b) Le doublement des dépenses d'investissement des CHU

Sous l'impulsion du plan Hôpital 2007, les dépenses d'investissement des CHU ont fortement progressé. Si l'on considère la période 2003-2011 , les dépenses d'investissement des CHU ont plus que doublé pour s'élever au total à 18 milliards d'euros . Depuis 2008 - date à partir de laquelle les dépenses d'investissement strictement immobilières peuvent être isolées - les dépenses immobilières représentent environ 55 % de l'ensemble des dépenses d'investissement.

Les travaux de l'Inspection générale des finances (IGF) et de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) 3 ( * ) mettent en évidence le rôle déterminant des plans Hôpital 2007 et Hôpital 2012 dans le surcroît d'investissement enregistré entre 2003 et 2011. Les investissements immobiliers lourds y tiennent une place prépondérante : pour l'ensemble des établissements de santé, ceux-ci sont passés de 1,4 milliard d'euros en 2002 à plus de 4,2 milliards d'euros en 2009.

B. LA FORTE MONTÉE DE L'ENDETTEMENT DES CHU

1. Un recours massif à l'endettement en raison de plans mal encadrés

Le mauvais calibrage du nombre et des montants des opérations financées dans le cadre du plan Hôpital 2007 a entraîné un recours accru à l'emprunt par les établissements publics de santé.

La dette des hôpitaux publics a triplé en moins de dix ans, pour s'établir à 28,1 milliards d'euros en 2012 . Les CHU comptent parmi les établissements qui ont le plus largement recouru à l'emprunt : leur dette représente 37 % de la dette hospitalière totale , soit 10,5 milliards d'euros cumulés en 2012 . L'encours de leur dette a ainsi augmenté de 250 % durant les dix dernières années, contre 171 % pour l'ensemble des établissements publics de santé.

La Cour des comptes souligne dans son enquête le caractère « préoccupant » de la montée de l'endettement hospitalier, et ce d'autant plus que les intérêts d'emprunt représentent une charge de plus en plus lourde pour les CHU . Ces derniers se sont élevés à 327 millions d'euros en 2012, soit une progression de 46 % entre 2009 et 2012.

2. Une capacité des CHU à financer leurs investissements désormais limitée
a) La dégradation de la capacité d'autofinancement des CHU

Même si elle s'est améliorée au cours de l'exercice 2012, la situation financière des CHU demeure dans l'ensemble dégradée. Leur déficit s'est élevé à 321 millions d'euros en 2011 . Selon les résultats provisoires, les comptes des CHU devraient renouer avec l'équilibre en 2012, pour atteindre un résultat global de + 26 millions d'euros.

L'IGF et l'IGAS estiment que la capacité future des établissements publics de santé à investir se reconstitue même si elle reste très insuffisante pour garantir l'investissement courant. La mission conclue que : « la phase d'investissement massif a laissé, globalement, les établissements dans une situation d'endettement élevé, mais pas dans une situation structurellement déséquilibrée » 4 ( * ) .

Dans son rapport sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale de septembre 2013, la Cour des comptes souligne « les fragilités du redressement financier des hôpitaux publics » 5 ( * ) . Ce rétablissement serait en effet principalement imputable à des recettes exceptionnelles (cessions d'actifs, aides d'urgence aux hôpitaux les plus fragiles) et à des ajustements comptables 6 ( * ) . Les charges hospitalières continuent quant à elles de progresser, selon un rythme de + 4,2 % enregistré en 2011.

b) La saturation du recours à l'emprunt

L'écart entre un haut niveau d'investissement et une faible capacité d'autofinancement ne peut plus être comblé par le recours à l'emprunt bancaire, en raison :

- des niveaux d'endettement élevés de la plupart des CHU . La mission IGF-IGAS a relevé que neuf CHU (Assistance publique-Hôpitaux de Marseille, Dijon, Amiens, Nancy, Metz, Clermont-Ferrand, les Hospices civils de Lyon, La Réunion, Fort-de-France) détenaient une dette non soutenable 7 ( * ) en 2011 ;

- de la dégradation des conditions d'accès au crédit bancaire , dans le contexte de l'adaptation des établissements bancaires aux nouvelles normes prudentielles dites « Bâle III » et du démantèlement de Dexia Crédit Local, qui représentait environ 40 % des financements du secteur hospitalier public.

c) Le gel de la deuxième tranche du plan Hôpital 2012

Enfin, les subventions publiques en faveur de l'investissement immobilier hospitalier ont été moins importantes ces dernières années. Si la première tranche du plan Hôpital 2012 a bien donné lieu au versement de 2,2 milliards d'euros d'aides - pour un investissement total de 5,6 milliards d'euros - les décisions concernant la deuxième tranche du plan ont été suspendues . Le gel de ces financements a été confirmé par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2012 8 ( * ) , qui a réduit la dotation de l'assurance maladie au Fonds pour la modernisation des établissements de santé publics et privés (FMESPP).

C. LA RELANCE DE L'INVESTISSEMENT HOSPITALIER

La ministre des affaires sociales et de la santé, Marisol Touraine, a présenté le 4 mars 2013 un « pacte de confiance pour l'hôpital », à la suite de la publication du rapport d'Edouard Couty 9 ( * ) . L'une des mesures de ce pacte concerne l'investissement hospitalier. Selon la ministre, 45 milliards d'euros devraient être investis dans les hôpitaux publics d'ici les dix prochaines années , dans le cadre de nouveaux schémas régionaux d'investissement en santé (SRIS).

Lors de la présentation du plan « Investir pour la France », le Premier ministre a confirmé, le 9 juillet 2013, l'objectif d'un effort d'investissement de 4,5 milliards d'euros par an pour la modernisation des hôpitaux.

Votre rapporteur spécial , et rapporteur pour avis du projet de loi de financement de la sécurité sociale, sera particulièrement attentif à la mise en oeuvre de cette nouvelle stratégie d'investissement . Il convient de tirer les leçons des plans précédents afin de faire évoluer notre conception de l'investissement hospitalier. Dans cette perspective, la présente enquête de la Cour des comptes s'avère particulièrement utile ; elle met en évidence les gains d'efficience potentiels - jusqu'ici très peu exploités - des investissements immobiliers hospitaliers.

II. UN SUIVI DU PATRIMOINE IMMOBILIER DES CHU ET UNE AMÉLIORATION DE L'EFFICIENCE INSUFFISANTS

Au terme de l'examen approfondi de sept CHU, la Cour des comptes dresse deux principaux constats :

- d'une part, le suivi du patrimoine affecté aux soins est insuffisant tant au niveau régional qu'au niveau national ;

- d'autre part, l'effort accru d'investissement , ces dix dernières années, ne s'est pas accompagné d'une réelle dynamique d'efficience .

A. L'ABSENCE DE VISION CONSOLIDÉE DU PATRIMOINE IMMOBILIER AFFECTÉ AUX SOINS

1. La fragmentation de l'information relative au patrimoine et aux coûts de l'immobilier
a) Une connaissance du parc immobilier affecté aux soins insuffisante au niveau national

L'un des principaux motifs de votre commission des finances pour demander la présente enquête à la Cour des comptes était de disposer d'un état des lieux du patrimoine immobilier hospitalier. Faute d'un cadre commun permettant d'agréger l'ensemble des données des CHU, il n'a toutefois pas été possible de dresser un tel état des lieux.

La Cour des comptes relève toutefois que le recensement physique du patrimoine immobilier par chaque CHU est globalement satisfaisant . Ceux-ci disposent d'outils informatiques spécifiques, y compris d'outils d'aide à la gestion technique permettant d'améliorer la connaissance de l'état du parc et de superviser l'ensemble des équipements.

Cependant, la Cour réitère le constat dressé lors de la précédente enquête sur le patrimoine non affecté aux soins : « le ministère de la santé ne dispose pas d'outils suffisants de connaissance et de suivi du patrimoine hospitalier pour lui permettre de définir et de mettre en oeuvre avec toute la rigueur souhaitable une politique active en ce domaine ».

b) Une approche en « coût global » trop souvent négligée

S'agissant des coûts de l'immobilier hospitalier affecté aux soins, leur connaissance demeure parcellaire. Les travaux de la Cour des comptes font état d'un suivi relativement complet des coûts d'exploitation et de maintenance. Néanmoins, comme dans le cas du recensement du patrimoine physique, les données recueillies ne sont pas toujours comparables en raison de comptabilisations différentes.

De surcroît, la Cour des comptes relève que « lors du lancement d'une opération d'investissement, les CHU raisonnent rarement en coût global », ce qui conduit à négliger les coûts d'exploitation et de maintenance des investissements réalisés . Selon une étude de la mission interministérielle pour la qualité des constructions publiques, le coût d'investissement d'une opération immobilière du secteur tertiaire ne représenterait que 25 % du goût global, le reste correspondant à la dépense s'effectuant tout au long du cycle de vie du bâtiment 10 ( * ) .

2. Les progrès attendus du nouvel outil OPHELIE
a) La préparation de la certification des comptes des CHU

Dans le cadre de la préparation de la certification des comptes des établissements publics de santé, prévue par la loi Hôpital, patients, santé et territoires (HPST) 11 ( * ) , à compter de l'exercice 2014, la fiabilisation des données comptables relatives au patrimoine hospitalier est nécessaire.

C'est notamment pour cette raison que la direction générale de l'offre de soins (DGOS) a entrepris de mettre en place un outil spécifique d'inventaire du patrimoine immobilier hospitalier, affecté aux soins ou non, baptisé OPHELIE.

Pour les comptes de l'exercice 2014, seuls trente-et-un établissements seront concernés par l'obligation de certification 12 ( * ) ; en 2015 et 2016 tous les établissements dont les recettes dépassent 100 millions d'euros s'engageront progressivement dans la démarche de certification 13 ( * ) .

b) Le développement d'un outil d'inventaire et de gestion immobilière (OPHELIE)

Créé par l'agence technique de l'information sur l'hospitalisation (ATIH), sur le fondement d'un référentiel de l'Agence nationale d'appui à la performance des établissements de santé et médico-sociaux (ANAP), l'outil informatique OPHELIE représente une source de progrès potentiels importante. Il devrait permettre de disposer d'une vision globale, aux niveaux régional et national, de la surface du patrimoine immobilier hospitalier et de son état .

En outre, la DGOS souhaite faire d'OPHELIE un instrument de pilotage du patrimoine immobilier au niveau de chaque établissement . Recensant soixante indicateurs de performance dans cinq domaines (maîtrise des coûts immobiliers et de la valeur du patrimoine, maîtrise des risques réglementaires, sanitaires et techniques, adéquation fonctionnelle des locaux, performance environnementale et management de la fonction immobilière), l'outil doit permettre de renforcer les compétences de gestion des acteurs et de réaliser des comparaisons entre établissements afin de mieux maîtriser les coûts.

Après une phase de test dans les hôpitaux de Franche-Comté et des Pays-de-la-Loire, OPHELIE devrait être déployé au niveau national selon trois phases successives en 2014.

c) Un outil trop ambitieux ?

La Cour des comptes apparaît sceptique vis-à-vis du projet OPHELIE, qu'elle juge trop ambitieux. Elle relève notamment que « les CHU de l'enquête ont indiqué ne pas être informés de l'existence de cet outil et de son déploiement à venir » et ajoute que « les prérequis nécessaires à la mise en place d'OPHELIE ont probablement été mal évalués ».

Dans le cadre du premier volet de l'enquête relatif au patrimoine immobilier non affecté aux soins, votre rapporteur spécial s'était déjà interrogé sur le risque d'avoir procédé à la seconde étape (la mise en place d'un instrument de gestion immobilière) avant la première étape , qui correspondait à la réalisation d'un simple inventaire préalable.

Compte tenu de l'enjeu important que représente cet outil pour une meilleure gestion du patrimoine immobilier hospitalier, votre rapporteur spécial ne peut que se joindre à la recommandation de la Cour des comptes d' « associer rapidement l'ensemble des CHU au projet OPHELIE afin de lever les éventuels obstacles à son déploiement ».

De plus, votre rapporteur spécial souligne à nouveau la nécessité de disposer au plus vite d'un état des lieux complet, au niveau national, du patrimoine immobilier affecté aux soins . L'outil OPHELIE ne doit pas perdre de vue ce prérequis indispensable à l'amélioration de la gestion du patrimoine immobilier hospitalier.

B. DES GAINS D'EFFICIENCE NON EXPLOITÉS

1. La nécessité de mieux intégrer les contraintes normatives
a) Le « poids » croissant des normes

A l'instar des collectivités territoriales, les établissements publics de santé doivent se conformer à des obligations normatives croissantes. Ces obligations regroupent à la fois des normes générales, telles que les normes de sécurité-incendie ou les normes énergétiques issues du Grenelle de l'environnement, ainsi que des normes spécifiques aux activités médico-chirurgicales accueillies dans les bâtiments hospitaliers.

La Cour des comptes souligne le « défi technique, organisationnel et surtout financier » que représente la mise en conformité pour les CHU . De plus, certaines normes générales peuvent parfois entrer en conflit avec des normes spécifiques au milieu hospitalier.

b) Des conséquences organisationnelles et financières mal prises en compte

L'impact organisationnel et financier des différentes contraintes normatives n'est pas suffisamment pris en compte par les CHU. Au regard de l'ampleur des travaux que les mises aux normes nécessitent, il apparaît indispensable de mieux anticiper ce type de travaux et de les intégrer dans les schémas directeurs immobiliers des établissements.

L'absence de prise en compte, en amont, des contraintes normatives aboutit à l'absence d'évaluation de l'incidence financière des mises aux normes. Les seules données disponibles relatives au coût de mise aux normes au niveau national concernent les mises aux normes exceptionnelles liées à l'amiante, qui se sont élevés à 1 350 millions d'euros pour les CHU de Clermont-Ferrand, Caen, Fort-de-France et Pointe-à-Pitre.

Votre rapporteur spécial se joint ici à la Cour des comptes pour recommander l'intégration, dans les schémas directeurs immobiliers des CHU, des opérations de mise en conformité .

2. Une participation marginale de la politique immobilière à la reconfiguration de l'offre de soins
a) L'efficience, une préoccupation secondaire des investissements immobiliers hospitaliers

L'édition 2012 du panorama des établissements de santé, réalisé par la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (DREES) 14 ( * ) , souligne l'amélioration de l'efficience des établissements publics de santé entre 2003 et 2009, notamment sous l'effet de la mise en place de la tarification à l'activité (T2A).

Cependant, la Cour des comptes déplore le fait que les investissements immobiliers conséquents réalisés dans le cadre des plans Hôpital 2007 et Hôpital 2012 n'aient pas suffisamment recherché une meilleure efficience dans l'organisation des soins.

La Cour des comptes insiste en particulier sur la nécessité de passer d'une gestion purement technique à une gestion médico-économique , consistant à prendre en compte le rapport coût-efficacité de l'organisation des soins ainsi que son impact budgétaire.

b) La progression des surfaces et des capacités d'hospitalisation

Les investissements immobiliers réalisés dans les CHU ces dernières années ont pour la plupart conduit à une augmentation des surfaces ( + 33 % en moyenne entre 2001 et 2012 ) et de l'offre globale d'hospitalisation . L'exemple du CHR d'Orléans est éloquent : la construction du nouvel hôpital, devant regrouper les services déjà situés sur le site et ceux installés en centre-ville, a entraîné une hausse de près d'un tiers des surfaces.

La Cour des comptes identifie trois principaux facteurs expliquant cette situation :

- dans de nombreux CHU, le souci d'améliorer le confort hôtelier des patients s'est généralement traduit par une augmentation des surfaces plutôt que par une réduction du nombre de lits ;

- l' hospitalisation ambulatoire , qui recouvre l'hospitalisation de moins de douze heures sans hébergement de nuit, est relativement peu pratiquée dans les CHU ( 22 % de leur activité ) contrairement au secteur privé (70 %). Un objectif de la moitié des gestes chirurgicaux pratiqués en ambulatoire d'ici 2016 a pourtant été fixé par le ministère chargé de la santé ;

- les rationalisations de l'implantation immobilière , conformément au principe de pôles d'activités, créés par la loi HPST, sont encore limitées . La réorganisation des activités médico-techniques selon une logique de regroupement en plateaux pluridisciplinaires implique des réaménagements immobiliers lourds et coûteux, qui freinent leur mise en oeuvre. La Cour des comptes a même observé, dans certains CHU, une augmentation du nombre de blocs opératoires. S'agissant des fonctions logistiques , traditionnellement éclatées, les expériences de mutualisation sont encore rares. Il convient toutefois de noter la mise en service par l'AP-HM en avril 2013 d'une plate-forme regroupant la majorité de ses fonctions logistiques (fournitures et consommables, restauration, blanchisserie et stérilisation).

Face à ces constats, la Cour des comptes recommande de « conditionner strictement les aides à l'investissement hospitalier à des diminutions de capacité, à des réductions de surface et à des gains de productivité précisément documentés ».

Cette recommandation est cohérente avec les objectifs de développement de la médecine ambulatoire et de diminution de la durée des séjours hospitaliers. Toutefois, votre rapporteur spécial estime qu'un tel principe de réduction des surfaces et de diminution des capacités ne peut être appliqué de façon systématique . Une appréciation au cas par cas, projet par projet demeure préférable.

III. L'ESQUISSE D'UNE POLITIQUE IMMOBILIÈRE HOSPITALIÈRE PLUS EFFICIENTE

Partant du constat selon lequel, ces dernières années, la gestion immobilière des CHU a été principalement guidée par « une approche opportuniste en fonction des financements disponibles ou par les obligations de mise en conformité », la Cour des comptes formule un ensemble de préconisations visant à renforcer l'efficience de la gestion du patrimoine immobilier affecté aux soins.

A. INTÉGRER LA MAINTENANCE AU CoeUR DE LA STRATÉGIE IMMOBILIÈRE HOSPITALIÈRE

1. La formalisation d'une stratégie immobilière : une étape indispensable

La loi HPST a défini une nouvelle architecture de planification et de programmation médico-sociale. Ainsi, les établissements de santé doivent en principe inscrire leur stratégie immobilière dans le cadre :

- du projet régional de santé , définissant la politique de santé publique menée par l'agence régionale de santé (ARS) ;

- du contrat pluriannuel d'objectifs et de moyens (CPOM), signé entre chaque CHU et l'ARS dont il dépend, qui fixe les orientations du projet d'établissement définissant la politique générale de l'établissement pour une durée maximale de cinq ans.

L'intégration au sein du projet d'établissement d'un « volet immobilier » ou l'élaboration d'un document stratégique spécifique à la politique immobilière demeurent néanmoins une simple faculté. Dans le cadre de la présente enquête, la Cour des comptes constate que les projets d'établissement des CHU examinés consacrent une part très variable à la question immobilière. De plus, tous les CHU ne disposent pas de schéma ou de plan directeur immobilier .

Dans le premier volet de l'enquête relative au patrimoine immobilier privé des établissements de santé, la Cour des comptes avait déjà recommandé de rendre obligatoire la rédaction d'une annexe portant schéma directeur hospitalier au CPOM . Votre rapporteur spécial déplore que cette recommandation n'ait pas été suivie d'effet , et ce d'autant plus que la nécessité d'annexer au CPOM un document de stratégie immobilière a été réitérée par l'IGAS et l'IGF en mars 2013 15 ( * ) .

Le ministère des affaires sociales et de la santé a indiqué à votre rapporteur spécial que rendre obligatoire la rédaction de tels documents ne serait pas pertinent pour tous les établissements et aurait peu de chances de produire les effets escomptés. En outre, le ministère compte sur les futurs schémas régionaux d'investissement en santé (SRIS) pour atteindre l'objectif d'une prise en compte systématique des enjeux liés au patrimoine immobilier.

2. L'enjeu du développement d'une maintenance préventive

Dans le cadre de la présente enquête, la Cour des comptes a relevé plusieurs insuffisances en matière de maintenance des équipements et des bâtiments existants des CHU :

- la problématique de la maintenance est rarement intégrée dès la phase de conception du projet immobilier ;

- le recours à la gestion de maintenance assistée par ordinateur ( GMAO ) - qui permet d'améliorer la fiabilité et la disponibilité des équipements, la planification des interventions ou de mieux contrôler l'activité des prestataires externes - n'est pas généralisé dans tous les CHU ;

- la maintenance est trop souvent corrective , c'est-à-dire effectuée après détection d'une panne, et pas assez préventive . La maintenance préventive, exécutée à des intervalles prédéterminés ou selon des critères prédéfinis permet en effet de réduire la probabilité de défaillance d'un bien.

Pour la Cour des comptes, le contexte actuel exige de faire de la maintenance une priorité de la politique immobilière des CHU : « eu égard à la situation financière de l'assurance maladie et des CHU, l'enjeu majeur des prochaines années est d'abord d'assurer la durabilité du patrimoine rénové ou reconstruit par une attention soutenue à sa maintenance et son entretien ».

La question de l'internalisation ou de l'externalisation de la maintenance est donc amenée à prendre une importance croissante. S'il n'existe pas de règle en la matière, la Cour des comptes estime qu'environ deux tiers des tâches de maintenance des CHU sont réalisées en interne et un tiers en externe. Les missions des équipes de maintenance tendent ainsi à évoluer vers la supervision et le contrôle de l'exécution.

B. DES IMPÉRATIFS DE PROFESSIONNALISATION ET D'EXPERTISE ACCRUS

1. Poursuivre la professionnalisation des équipes des CHU

En raison de la technicité importante de certaines opérations immobilières, la Cour des comptes considère que les CHU doivent disposer, en interne, d'une capacité d'expertise forte . Elle insiste en particulier sur le renforcement des compétences en matière de maîtrise d'ouvrage . Si dans la majorité des cas les CHU ont recours à une assistance externe, il importe aux équipes des CHU de disposer des compétences pour comprendre les propositions du prestataire et suivre sa mission.

S'agissant du mode d'organisation à privilégier pour renforcer l'efficacité de la politique immobilière, la Cour des comptes préconise d' articuler étroitement la fonction de gestion du patrimoine immobilier avec les directions stratégiques (direction des finances, direction juridique, direction médicale). Elle mentionne notamment l'exemple de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) qui a fusionné les directions en charge des finances, de l'investissement et du patrimoine.

2. Conforter l'ANAP dans son rôle d'expertise et de conseil
a) Les compétences de l'ANAP en matière de gestion et d'investissement immobiliers

Créée par la loi HPST, l'Agence nationale d'appui à la performance des établissements de santé et médico-sociaux (ANAP) a pour objet d'aider les établissements de santé et médico-sociaux à améliorer le service rendu aux patients et aux usagers, en élaborant et en diffusant des recommandations et des outils leur permettant de moderniser leur gestion, d'optimiser leur patrimoine immobilier et de suivre et d'accroître leur performance , afin de maîtriser leurs dépenses.

Selon l'IGAS et l'IGF, « l'ANAP est la seule entité nationale crédible en termes de compétences sur l'ingénierie et l'immobilier » 16 ( * ) . En matière d'immobilier, l'ANAP a notamment réalisé un référentiel de dimensionnement des opérations immobilières et finalise un nouvel outil : l' observatoire des surfaces et coûts immobiliers en établissements de santé ( OSCIMES ).

Issu de la fusion de l'observatoire des coûts de la construction hospitalière créé en 2004 et de la base de données inter-CHU, l'outil d'aide à la décision OSCIMES a pour objectifs :

- d'améliorer la vision de l'impact économique et financier des décisions d'investissement immobilier ;

- d'obtenir des indicateurs de surface (par exemple, sur le nombre de m 2 par lit d'hospitalisation) et des estimations de coûts de construction.

La Cour des comptes s'est étonnée de l'accès « anormalement restrictif » à ce nouvel outil, limité aux établissements de santé ayant alimenté la base de données. Elle recommande ainsi de conférer un accès libre pour le ministère de la santé et les agences régionales de santé . A la suite des critiques de la Cour des comptes, votre rapporteur spécial note avec satisfaction l'engagement de l'ANAP à élargir l'accès à l'outil OSCIMES .

b) Des fonctions d'expertise et de conseil à renforcer

Outre la production d'outils et de référentiels, l'ANAP a vocation à intervenir de manière ponctuelle, auprès des établissements de santé qui en font la demande. A titre d'exemple, l'ANAP participe à une mission d'appui à la reconstruction du CHU de Pointe-à-Pitre.

En pratique, compte tenu des faibles moyens humains (quatre personnes) dévolus aux questions immobilières, l'ANAP ne peut répondre à toutes les demandes d'appui des établissements de santé . De plus, la Cour des comptes relève que la faiblesse des moyens de l'agence se traduit par la mise à disposition tardive de certains outils .

Votre rapporteur spécial note avec intérêt les suggestions de la mission IGAS-IGF 17 ( * ) en vue de renforcer les fonctions de conseil et d'expertise de l'ANAP. Le rapport recommande notamment :

- la constitution d' un pool de cinq à six ingénieurs hospitaliers, référents interrégionaux, qui effectueraient une vacation par semaine auprès de l'ANAP et pourraient être saisis par les établissements de santé et les ARS sur des projets d'investissement en phase d'étude ;

- le recrutement de deux équivalents temps plein (ETP) compétents techniquement sur les sujets immobiliers et ingénierie, par redéploiement de postes entre les différentes missions de l'agence.

C. AFFIRMER LE PILOTAGE AUX NIVEAUX NATIONAL ET RÉGIONAL

1. L'amorce de définition d'une politique immobilière hospitalière au niveau national
a) Les récentes mesures d'encadrement des investissements hospitaliers

Dans le contexte de dégradation de la situation financière des établissements publics de santé, la Cour des comptes note une volonté récente de superviser leurs projets immobiliers au niveau national. Celle-ci s'est principalement traduite par l'adoption des mesures suivantes :

- l'encadrement du recours à l'emprunt des établissements publics de santé . Le décret du 14 décembre 2011 18 ( * ) fixe notamment le type d'emprunts accessibles aux hôpitaux publics et prévoit une procédure d'autorisation préalable par le directeur général de l'ARS pour les établissements dont les indicateurs financiers sont dégradés. Sur les trente-deux CHU, seize étaient assujettis à cette autorisation préalable en 2012 ;

- la soumission des hôpitaux publics à la procédure d'évaluation des investissements par le commissariat général à l'investissement ( CGI ) pour les projets d'un montant supérieur à 50 millions d'euros. Sur le fondement de la contre-expertise réalisée, le CGI émettra un avis sur chaque dossier qui fera ensuite l'objet d'un arbitrage par le ministre ou le Premier ministre ;

- l'examen par le Comité interministériel de la performance et de la modernisation de l'offre de soins (COPERMO), créé en décembre 2012, des projets d'investissement hospitalier d'un montant supérieur à 50 millions d'euros. Le COPERMO devra ainsi jouer le rôle de « filtre » des dossiers transmis pour contre-expertise au CGI. La Cour des comptes met en garde contre le risque que le COPERMO soit réduit à « une chambre d'enregistrement », qui paralyserait le CGI par un trop grand nombre d'opérations à examiner.

b) L'élaboration de schémas régionaux d'investissement en santé

Issue du rapport d'Edouard Couty sur le pacte de confiance pour l'hôpital 19 ( * ) , la mise en place de schémas régionaux d'investissement en santé (SRIS) a pour objectif de garantir la mise en cohérence de l'ensemble des investissements à l'échelle d'un territoire et entend ainsi rompre avec l'approche projet par projet prévalant jusqu'alors.

Selon la circulaire du 28 mai 2013 du ministère des affaires sociales et de la santé, l'élaboration des schémas régionaux d'investissement en santé est prévue en deux temps. Les ARS doivent :

- avoir identifié, avant le 15 juillet 2013, les priorités d'investissement à horizon de dix ans, sur la base d'un diagnostic préalable des projets conduits ces dix dernières années ;

- bâtir un schéma stratégique et prospectif comportant quatre volets : un inventaire du patrimoine existant, une analyse stratégique des besoins d'investissement, une cartographie de l'ensemble des projets programmés sur les champs sanitaire et médico-social et une étude d'impact financier global contenant notamment une analyse de la soutenabilité financière des scenarii d'investissement.

Le calendrier d'élaboration des schémas apparaît « peu réaliste » pour la Cour des comptes . Cette dernière craint en effet que « ce travail précipité n'aboutisse, encore une fois, à présenter des dossiers déjà constitués en attente de financement, dont l'instruction n'aura répondu à aucune des exigences nouvelles par ailleurs définies ». De plus, il conviendrait que le schéma régional d'investissement en santé ait un caractère opposable .

Selon les informations transmises par le ministère des affaires sociales et de la santé à votre rapporteur spécial, les ARS ont transmis à temps les documents relatifs à leurs priorités d'investissement dans les dix ans à venir ; la direction générale de l'offre de soins (DGOS) procède actuellement à la synthèse de ces informations.

2. Quels pouvoirs pour les agences régionales de santé ?

Comme dans l'enquête relative au patrimoine des établissements de santé non affecté aux soins, la Cour des comptes recommande de renforcer le rôle des agences régionales de santé ( ARS ) dans le pilotage de la politique immobilière hospitalière . Cette préconisation rejoint l'analyse de l'IGAS et de l'IGF selon laquelle « l'ARS doit assurer la cohérence entre la vision microéconomique des projets d'investissement et la régulation territoriale » 20 ( * ) .

Désormais chargées de l'élaboration des schémas régionaux d'investissement en santé, de l'instruction des dossiers d'investissement hospitalier d'un montant inférieur à 50 millions d'euros ainsi que de la validation des évaluations socio-économiques des projets transmis au COPERMO, le rôle des ARS dans le pilotage de l'investissement immobilier hospitalier sera « décisif » selon les termes de la Cour des comptes. Celle-ci souligne, qu'en principe, « un dossier non conforme au projet régional de santé ne devrait pas pouvoir être validé par les ARS et transmis au comité [COPERMO]. Ce rôle devrait renforcer la position des ARS vis-à-vis des CHU ».

Toutefois, la Cour des comptes constate que les ARS ne disposent pas des « leviers juridiques » nécessaires pour peser dans la politique immobilière des CHU . Leur contrôle est en effet actuellement limité aux plans globaux de financement pluriannuel des établissements publics de santé, auxquels elles ne peuvent s'opposer que pour des motifs financiers 21 ( * ) . La Cour recommande donc de « donner les moyens juridiques aux ARS leur permettant de s'opposer à un projet d'investissement dont l'objet ou le dimensionnement ne sont pas conformes aux orientations régionales de l'offre de soins ou dont les gains d'efficience qu'il autorise sont insuffisants ».

En outre, au vu des ressources limitées des ARS sur les questions immobilières , la Cour des comptes suggère de revoir l'organisation du mode de suivi de ces questions, par exemple en mettant en place des cellules transversales, comme c'est déjà le cas dans certaines ARS, ou bien en mutualisant dans un cadre interrégional certaines compétences très spécialisées.

Votre rapporteur spécial partage le point du vue selon lequel le rôle des ARS dans le pilotage de la politique immobilière hospitalière doit être renforcé . Toutefois, il rappelle que le niveau d'information fourni à la représentation nationale sur le suivi de leurs actions et l'utilisation de leurs financements doit être amélioré .

D. DES RECOMMANDATIONS ANTÉRIEURES PARTIELLEMENT MISES EN OEUVRE

Parmi les vingt-trois recommandations formulées par la Cour des comptes dans le cadre de la précédente enquête sur le patrimoine immobilier des établissements publics de santé non affecté aux soins, cinq ont été suivies et dix sont en cours de mise en oeuvre . Selon le ministère des affaires sociales et de la santé, les schémas régionaux d'investissement en santé ( SRIS ), en cours d'élaboration, participeront à la réalisation d'un grand nombre de préconisations de la Cour des comptes .

Votre rapporteur spécial regrette néanmoins l'absence de prise en compte des recommandations suivantes :

- les recommandations liées à l'utilisation du patrimoine privé à des fins internes à l'établissement (politique de mise à disposition et d'attribution de logements de fonction) ;

- l'obligation de faire figurer une annexe portant schéma directeur immobilier au contrat pluriannuel d'objectifs et de moyens.

Enfin, votre rapporteur spécial insiste à nouveau sur le rôle d'impulsion indispensable de la tutelle nationale en matière de politique immobilière . En particulier, comme l'ont relevé l'IGAS et l'IGF dans le cadre de leurs travaux sur l'investissement hospitalier « la DGOS doit se repositionner sur le pilotage des sujets immobiliers et endosser pleinement son rôle de pilotage » 22 ( * ) . Les travaux entamés ces derniers mois constituent une avancée notable vers ce repositionnement.

TRAVAUX DE LA COMMISSION - AUDITION POUR SUITE À DONNER

Réunie le mercredi 2 octobre 2013 sous la présidence de M. Philippe Marini, président, la commission a procédé à une audition pour suite à donner à l'enquête de la Cour des comptes, transmise en application de l'article 58-2° de la LOLF, sur la gestion du patrimoine immobilier des CHU, affecté aux soins .

M. Philippe Marini, président . - Nous sommes réunis pour une audition pour suite à donner à une enquête réalisée par la Cour des comptes, à la demande de notre commission des finances, en application de l'article 58-2° de la LOLF. L'enquête d'aujourd'hui concerne le patrimoine immobilier dédié aux soins des centres hospitaliers universitaires (CHU).

Cette enquête vient utilement compléter les précédents travaux, réalisés par la Cour des comptes à notre demande, sur le patrimoine « privé », non affecté aux soins, des établissements publics de santé. Cette enquête nous est particulièrement utile pour se situer dans l'environnement complexe du monde hospitalier.

Il y a eu une prise de conscience, parmi les hôpitaux, des enjeux que représente le patrimoine immobilier. Cette prise de conscience progressive s'explique notamment par la forte dégradation des finances hospitalières. L'endettement des hôpitaux publics a presque doublé depuis 2006 et continue de progresser, pour s'établir à plus de 26 milliards d'euros.

Le Premier ministre a annoncé, le 9 juillet dernier, l'objectif de réaliser 45 milliards d'euros d'investissement dans les hôpitaux sur les dix prochaines années. A cet égard, l'enquête de terrain de la Cour des comptes nous fournit de précieux éléments de réflexion. Le monde hospitalier est en effet parfois contradictoire. Les grands sites hospitaliers ont connu des périodes successives de développement, une sorte de sédimentation de l'espace, qui n'a pas toujours débouché sur des solutions optimales en termes d'organisation de l'espace.

Plusieurs questions se posent. Quels enseignements tirer des expériences passées pour les futurs investissements immobiliers hospitaliers ? Quelles idées peuvent être avancées pour rendre encore plus efficace la maîtrise d'ouvrage publique ? Les décisions prises dans ce domaine ont des conséquences sur une longue période.

Suivant l'usage, l'audition est ouverte aux membres de la commission des affaires sociales, représentée par notre collègue Yves Daudigny, rapporteur général, sénateur et président du Conseil général de l'Aisne. Elle est également ouverte à la presse.

Je donnerai tout d'abord la parole à M. Antoine Durrleman, président de la 6 ème chambre de la Cour des comptes, pour un résumé des travaux de la Cour. Assisté de Mesdames Marianne Lévy-Rosenwald, Céline Prévost-Mouttalib et Sylvie Apparitio, il nous présentera une synthèse de cette étude aussi concrète que possible.

À l'issue de cet exposé, Jean-Pierre Caffet, rapporteur spécial des crédits de la mission « Santé » et rapporteur pour avis de la commission des finances sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS), s'exprimera et posera ses questions. Les rapporteurs généraux, s'ils le souhaitent, pourront aussi intervenir.

Puis, nous entendrons trois intervenants : Jean Debeaupuis, représentant l'autorité de tutelle et directeur général de l'offre de soins ; Philippe Domy, président de la conférence des directeurs généraux de CHU et directeur général du CHU de Montpellier et Christian Anastasy, directeur général de l'Agence nationale d'appui à la performance des établissements de santé (ANAP).

Je rappelle aux membres de la commission des finances que nous aurons, à l'issue de cette audition, à prendre une décision sur la publication de l'enquête de la Cour des comptes au sein d'un rapport d'information.

Je donne maintenant la parole à Antoine Durrleman. Je le remercie ainsi que ses collaborateurs pour la qualité du travail accompli.

M. Antoine Durrleman, président de la sixième chambre de la Cour des comptes . - Je vous présenterai l'étude menée par la Cour des comptes au travers des trois questions suivantes : de quoi parlons-nous ? Comment en parlons-nous ? Qu'en disons-nous ?

Les trente-deux centres hospitaliers universitaires (CHU) représentent 21 % de l'ensemble de l'offre hospitalière et 25 % du patrimoine immobilier hospitalier. Ils constituent le fleuron de l'offre hospitalière publique et préfigurent l'évolution à venir du monde hospitalier. Vous comprendrez donc que nos conclusions ne se limitent pas aux seuls CHU.

Dans la mesure où ces centres se caractérisent par une grande diversité, nous avons concentré notre analyse sur sept établissements nous paraissant correspondre à un panel représentatif : Paris, Lyon, Marseille, Nantes, Toulouse, Tours et Besançon.

Cette enquête intervient à un moment particulier et charnière dans l'évolution des CHU. Les plans « Hôpital 2007 » et « Hôpital 2012 » ont en effet permis de dégager des financements considérables, respectivement 16 milliards d'euros et 10 milliards d'euros. Les CHU en ont été les principaux bénéficiaires du fait de leur état de vétusté avancée. Aujourd'hui, ces efforts de financement ont trouvé leur aboutissement, tandis que d'autres crédits sont prévus pour l'avenir. Nous nous sommes donc attachés à éclairer tant le passé que le futur avec, à l'esprit, les notions indispensables de progrès médical et d'efficience des coûts.

Voici les principaux éléments de conclusion suite à nos travaux.

Tout d'abord, si des efforts ont été réalisés, la connaissance du patrimoine immobilier des CHU demeure imparfaite. Parmi les efforts notables, je veux en particulier relever l'atlas du patrimoine immobilier, établi par le CHU de Toulouse. On doit néanmoins regretter l'absence d'une méthodologie commune permettant une vision agrégée du patrimoine immobilier des centres. La direction générale de l'offre de soins (DGOS) met en place un nouvel outil de connaissance partagée dans ce domaine. Mais nous avons constaté que celui-ci reste largement inconnu dans les CHU, ce qui appelle une plus forte implication des équipes hospitalières sur ce projet.

En outre, l'effort de financement a obtenu des résultats positifs, mais les gains d'efficience auraient pu être plus importants. Parmi les résultats obtenus, on peut notamment évoquer l'amélioration de l'accueil du patient et l'intégration du progrès médical. Toutefois, des difficultés subsistent. L'accroissement des normes (générales et spécifiques) a eu pour conséquence une véritable course poursuite. Par exemple, à Tours, plus de 1 000 normes ont dû être intégrées en dix ans. La DGOS doit se mobiliser sur ce terrain. En particulier, la pression des normes incendie a mobilisé d'importants financements. Il faut rappeler que 16 % des bâtiments hospitaliers sont interdits d'exploitation. Certains CHU ont enregistré de réels progrès. Ainsi, l'Assistance publique-hôpitaux de Paris (AP-HP) a réussi à lever trente interdictions, mais vingt-deux nouvelles ont été prononcées. Il convient de rappeler que la responsabilité personnelle des directeurs généraux des CHU est engagée sur ce terrain. Une question se pose : plutôt que de rechercher une mise en conformité à tout prix, ne vaut-il pas mieux abandonner certains sites ? Dans cette perspective, la reconversion de l'Hôtel-Dieu à Paris nous paraît un exemple à suivre.

Il faut également souligner que la restructuration des CHU n'est pas achevée. Concernant les blocs opératoires ou le virage ambulatoire, des retards dans la programmation des nouveaux plateaux médicaux techniques sont à déplorer. Dans certains cas, ces plateaux ont eu tendance à s'accroître plutôt qu'à se resserrer, ce qui est paradoxal. C'est par exemple la situation à Tours. Dans le domaine de la stérilisation, l'effort d'investissement a amené à concentrer les sites. Mais un tel regroupement n'est pas toujours achevé, comme par exemple à Marseille. Des difficultés, selon nous davantage culturelles qu'opérationnelles, nous semblent freiner ce mouvement.

La modernisation s'est traduite par une augmentation des surfaces : + 30 % au CHU d'Orléans par exemple. Cette augmentation est justifiée par l'amélioration des conditions d'accueil du patient. Mais elle trouve aussi son explication dans l'augmentation du nombre de lits. Or, les durées moyennes de séjour se réduisent fortement et la part de la médecine ambulatoire s'accroît. Dès lors, on peut penser que le levier d'efficience représenté par la modernisation et l'investissement immobilier aurait pu être mieux utilisé.

Les CHU ont déjà beaucoup évolué. On doit notamment citer une professionnalisation plus affirmée, l'intégration des problématiques de maintenance, une meilleure maîtrise d'ouvrage et une plus grande prise en compte des enjeux financiers. Nous avons ainsi relevé de bonnes pratiques en matière de réorganisation à Toulouse et Paris. Toutefois, des progrès restent à accomplir dans la programmation en faveur d'un resserrement des surfaces. Celui-ci suppose une bonne connaissance du coût de fonctionnement au mètre carré. Par exemple, à la Pitié-Salpêtrière à Paris, ce coût s'élève à 107 euros par mètre carré. La mesure relative au ratio entre les différentes surfaces (dédiées à la circulation, à l'accueil, à l'hospitalier...) doit être plus rigoureuse. Par exemple, nous avons relevé une surface importante non affectée aux soins à l'hôpital Port-Royal à Paris. A cet égard, il convient de rappeler que l'Assistance publique-hôpitaux de Paris (AP-HP) a pour objectif une réduction de 15 % de ses surfaces d'ici à 2015.

Par ailleurs, les tutelles doivent également avoir une vision claire des programmations. De création récente, les autorités régionales de santé (ARS) souffrent d'une certaine forme de myopie : elles manquent d'expertise, de moyens et de vision transversale. Pour s'opposer à certains projets peu efficients, les ARS doivent désormais acquérir un surcroît d'expertise.

En ce qui concerne les autorités de tutelle nationales, nous avons constaté un resserrage très net de leur contrôle (par exemple s'agissant des emprunts contractés par des CHU connaissant des difficultés financières). Concernant les projets immobiliers, un référentiel a été mis en place, ainsi qu'un dispositif de contre-expertise. Cette dynamique s'inscrit d'ailleurs dans le prolongement de la programmation des finances publiques pour la période allant de 2012 à 2017. Le commissariat général à l'investissement recommande le déclenchement de l'expertise à partir d'un certain seuil de masse financière. Selon nous, ce seuil doit toutefois être assez bas pour permettre l'exercice d'une réelle contre-expertise. Nous pensons également qu'il faut inclure dans cette réflexion les investissements liés aux problématiques de mise en sécurité. Ces dernières se traduisent en effet souvent par la rénovation du bâtiment.

Les pouvoirs publics ont demandé l'élaboration de schémas régionaux d'investissement en santé (SRIS), ce qui correspond à une offre de soins territorialisée. Un outil reste toutefois à finaliser et devra être mis en partage : il s'agit de la grille et de la méthode d'évaluation du retour sur investissement.

En conclusion, je voudrais dire que, pour notre pays, l'hôpital public est à la V e République ce que l'école fut à la III e République : un vecteur de progrès essentiel à notre pacte social. Nous espérons que le rapport de la Cour des comptes présenté ce matin aide à progresser encore davantage sur ce chemin.

M. Philippe Marini, président . - Je vous remercie Monsieur le président. Il était en effet important d'apporter cette dimension historique à l'évolution des CHU et des hôpitaux publics dans leur ensemble. Je donne maintenant la parole à Jean-Pierre Caffet.

M. Jean-Pierre Caffet, rapporteur spécial . - Monsieur le président, je vous rejoins sur l'intérêt d'alimenter notre réflexion par une remise en perspective historique.

Tout d'abord, permettez-moi de rappeler les motifs qui ont conduit la commission des finances à confier une enquête à la Cour des comptes sur le patrimoine immobilier hospitalier : d'une part, il s'agissait d'établir l'état des connaissances et la nature du patrimoine détenu par les hôpitaux ; et, d'autre part, d'analyser les modalités de gestion de leurs différents types de biens.

Ce second volet de l'enquête sur le patrimoine dédié aux soins nous est présenté à un moment décisif. En effet, le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2014 confirme la volonté du Gouvernement de soutenir les investissements des établissements publics de santé et de mieux piloter cet investissement. Un plan de financement à hauteur de 45 milliards d'euros dans les dix prochaines années a également été annoncé. Enfin, l'expérience des plans « Hôpital 2007 » et « Hôpital 2012 » a montré les risques de dérapage de plans d'investissement mal calibrés ainsi que leurs conséquences négatives sur la soutenabilité financière des hôpitaux.

L'enquête de la Cour des comptes appelle trois observations principales de ma part.

Premièrement, je constate des similitudes importantes entre les résultats et les recommandations de la précédente enquête sur le patrimoine privé des hôpitaux et ces nouveaux travaux sur le patrimoine dédié aux soins. En plus du défaut de pilotage national et régional et du manque de formalisation des stratégies immobilières des hôpitaux, je relève à nouveau la fragmentation de l'information.

Certes, au niveau de chaque CHU, la connaissance du patrimoine dédié aux soins est relativement bonne. Mais qu'en est-il précisément de l'outil de recensement national OPHELIE ? Celui-ci était censé être opérationnel en 2012. Des expérimentations ont eu lieu, mais le champ exact des établissements concernés demeure flou. La connaissance précise de l'existant apparaît pourtant comme un préalable nécessaire à la définition d'une politique nationale efficace.

Je me tourne donc vers le directeur général de l'offre de soins : pourriez-vous préciser quels seront les établissements et la part du patrimoine hospitalier concernés par OPHELIE à partir de 2014 ? L'ensemble des établissements publics de santé a-t-il bien vocation à utiliser OPHELIE ou bien s'agira-t-il uniquement des établissements dont les comptes seront certifiés en 2014 ?

Deuxièmement, le rapport de la Cour relève une volonté récente de superviser les projets immobiliers des hôpitaux aux niveaux national et régional, au travers de nouveaux instruments.

Je m'adresse à nouveau à Jean Debeaupuis. Pourriez-vous nous présenter l'état d'avancement des schémas régionaux d'investissement en santé (SRIS) qui doivent être préparés par les agences régionales de santé (ARS) ? Ces schémas auront-ils un caractère contraignant vis-à-vis des hôpitaux ? Comment est organisé le nouveau Comité interministériel de la performance et de modernisation de l'offre de soins (COPERMO), en charge d'examiner les projets d'investissement supérieurs à 50 millions d'euros ? Combien de projets ce comité devrait-il évaluer par an ? Selon quels critères ? Quelle sera l'articulation entre le COPERMO et le commissariat général à l'investissement ?

Troisièmement, je note la prise en compte par le Gouvernement des diverses recommandations de la Cour des comptes, de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) et de l'Inspection générale des finances (IGF) sur un point important : les prochains efforts d'investissement hospitalier ne devraient pas suivre une logique de plan à caractère pluriannuel. En pratique, est-ce-que cela signifie que les aides de l'assurance maladie ne seront inscrites en loi de financement de la sécurité sociale qu'une fois les projets sélectionnés ? Quel niveau d'autofinancement sera attendu de la part des établissements ?

Bien entendu, il sera particulièrement instructif de recueillir le sentiment de Philippe Domy, de la conférence des directeurs généraux de CHU, et de Christian Anastasy, de l'ANAP, sur les méthodes et instruments permettant de mieux piloter l'immobilier hospitalier.

Pour conclure, je tiens à saluer l'excellent travail des magistrats de la Cour des comptes. Je les remercie, ainsi que nos autres intervenants, d'avoir bien voulu venir nous éclairer sur ce sujet.

M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances . - Je m'associe aux appréciations portées par le rapporteur spécial Jean-Pierre Caffet. Je voudrais compléter son propos par trois questions supplémentaires, qui s'appuient sur la philosophie de la commission des finances sur ces sujets, et qui font aussi écho au fait que le Sénat est la chambre des collectivités territoriales, et que nous avons parmi nous des élus de tous les territoires, soucieux de rendre le plus opérationnel possible le système hospitalier.

Ma première question est générale et s'adresse à Antoine Durrleman et Jean Debeaupuis. Un grand nombre d'acteurs intervient dans les décisions d'investissement immobilier hospitalier : la commission médicale d'établissement, la tutelle ministérielle, les agences régionales de santé (ARS), le Comité interministériel de performance et de la modernisation de l'offre de soins (COPERMO) et le Commissariat général à l'investissement (CGI) pour les projets les plus coûteux. Pouvez-vous nous expliquer comment s'articulent leurs différentes interventions ? Quel est le cheminement type d'un projet ? Afin de concrétiser les choses et de prendre un exemple relativement connu, pourriez-vous nous indiquer par quelles phases d'examen doit encore passer le projet de pôle de santé universitaire de l'Hôtel Dieu ?

Ma deuxième question s'adresse à l'ensemble de nos intervenants : plusieurs rapports recommandent de conditionner strictement les aides publiques à l'investissement hospitalier selon différents critères. La Cour des comptes propose des critères liés à l'offre de soins (diminution des capacités, réduction des surfaces...), l'IGAS et l'IGF mettent en avant des critères de gestion (désendettement, évolution des besoins en fonds de roulement, marge brute non aidée...). Quelle approche vous semble la plus pertinente au regard de la spécificité des hôpitaux ? En appliquant de telles approches de façon trop stricte, ne risque-t-on pas de détériorer l'offre de soins sur certains territoires ?

Enfin, ma troisième question s'adresse à Antoine Durrleman et Christian Anastasy : la présente enquête de la Cour des comptes n'approfondit pas la question des partenariats publics privés dans le champ hospitalier. Ce type de contrat constitue-t-il une piste pour l'intégration de la maintenance préventive ? Existe-t-il d'autres outils pour mieux prendre en compte la maintenance dès la phase de conception des projets ?

M. Yves Daudigny, rapporteur général de la commission des affaires sociales . - Je m'associe aux remerciements qui ont été adressés aux membres de la Cour des comptes. Pour ma part, je formulerai deux questions. La ministre de la santé et des affaires sociales a présenté la semaine dernière les grandes lignes d'une stratégie nationale de santé. Il est vrai que le discours a davantage porté sur le début de la chaîne de soins que sur l'hôpital. Mais la question peut être posée : comment prendre en compte, au-delà des normes, les évolutions à venir dans l'organisation de la chaîne de soins ? Comment prendre en compte, aussi, la cohérence de l'organisation des soins sur un territoire ? Un exemple me semble parlant à cet égard : celui de la prise en charge ambulatoire, dont il est vivement souhaité qu'elle se développe en France, à l'égal de ce qui se passe dans d'autres pays.

Ma deuxième question est plus anecdotique : la Cour écrit, dans son rapport, que plusieurs CHU se caractérisent par une certaine inventivité architecturale. Cette particularité a-t-elle pu avoir pour conséquences des difficultés supplémentaires dans l'organisation du travail, ainsi que des coûts supérieurs à ce qu'ils auraient pu être ?

M. Philippe Marini, président . - Sur la question de la maîtrise d'ouvrage publique, il s'agit de savoir comment parvenir à une vision intégrée de l'investissement et des fonctionnalités si diverses d'un CHU.

M. Jean Germain . - Je voudrais préciser que dans « CHU », il y a « université ». Je m'étonne, tout en le regrettant, que la Cour n'ait pas consulté un certain nombre de personnes pour réaliser son enquête : le président du conseil de surveillance de chaque CHU choisi pour l'enquête, le président de la commission médicale d'établissement (CME) et le doyen de la faculté de médecine. Est-ce normal ? Cela fait dix-neuf ans que je suis président du conseil d'administration, devenu conseil de surveillance, du CHU de Tours. C'est le lien entre l'administration de l'hôpital, les élus et la population. Il ne faut pas oublier la dimension humaine des hôpitaux. Les personnels administratifs ne représentent qu'une partie de l'hôpital. Le CHU, c'est comme l'école publique. On ne parle pas ici de cliniques privées mais des CHU, créés par Robert Debré, un des succès de notre pays et dont les personnels sous aujourd'hui sous tension. Un CHU est un ensemble humain, qui doit vivre.

On m'a proposé en 1995 de supprimer l'hôpital Bretonneau, pour faire des économies, et de construire un hôpital à quinze kilomètres de la ville. J'ai imposé le maintien d'une partie du CHU en centre-ville. De plus, on a créé une maison de santé à côté, ce qui a permis de soulager les urgences. Il faut tenir compte de la vie locale sur ces sujets. Je souligne aussi que je préside le conseil de surveillance d'un CHU qui n'est pas en déficit, et qui n'est pas soumis à la législation sur les emprunts, car son endettement est limité.

Le deuxième sujet que je souhaite aborder est celui des normes : on découvre là ce que vivent les maires au quotidien. Pourquoi ne devrait-on pas respecter la loi, sous prétexte qu'on est dans un CHU, et au nom de l'impératif d'économies ? J'ai lu très attentivement le rapport de la Cour des comptes. Les normes d'accessibilité, les normes relatives à l'amiante, aux incendies et à la légionellose sont très importantes. Je pourrais d'ailleurs ajouter à cette liste les impératifs liés aux maladies nosocomiales.

Certaines recommandations de la Cour des comptes me semblent pertinentes : la nécessaire suppression de sites, le regroupement des fonctions logistiques, qui devrait être imposé partout, tout comme l'amélioration de la performance énergétique des bâtiments, que j'ai imposée en tant que président du conseil de surveillance.

De surcroît, L'Etat doit fournir au directeur du CHU et au président du conseil de surveillance un certain nombre de documents, en amont, par exemple pour établir le budget de l'établissement. Or, bien souvent, nous ne disposons pas de l'ensemble des chiffres permettant la préparation du budget de l'hôpital !

Je veux, enfin, sur un sujet plus personnel, signaler une inexactitude à la page soixante-quatorze du rapport, qui concerne le CHU de Tours. Il est indiqué que « les résistances locales des élus et de la population n'ont pas permis le regroupement du pôle pédiatrique ». Les élus et la population ne représentent pas rien !

Les élus ont souhaité regrouper la maternité et la néo-natalité, mais conserver un hôpital pédiatrique, où les enfants venant de différentes régions peuvent profiter de la présence de leurs parents à côté d'eux grâce au système de résidence qui a été instauré. Je le répète, un hôpital doit rester humain. Je plaide pour davantage de lien entre les élus et les différentes administrations. Et, en matière d'administration hospitalière, il y a un millefeuille à simplifier ; ceci serait certainement source d'économies.

M. Philippe Marini, président . - Merci. Ce témoignage concret illustre l'utilité pour un maire de présider le conseil de surveillance d'un hôpital.

M. Éric Doligé . - Je remercie à mon tour les membres de la Cour des comptes. Je souhaiterais aborder un sujet non traité dans votre présentation, celui du service d'aide médicale urgente (SAMU) et des pompiers. Je le vois à Orléans, où nous construisons un hôpital. On construit un centre d'alerte sur l'hôpital pour le SAMU, ce qui coûte très cher et, parallèlement, un deuxième centre pour les pompiers, pour un coût de 5 millions d'euros. Il y avait une économie d'échelle à réaliser, mais chacun sait qu'entre le « 15 » et le « 18 », beaucoup de tensions existent. Cela implique un manque d'efficacité, des problèmes de qualité de secours, et des surcoûts inutiles.

En pleine construction de l'hôpital, il y a déjà deux ans, nous avons réalisé que le projet comportait une centaine de places en trop. Mais, une fois que le projet était lancé, on ne pouvait plus rien faire pour pallier ce défaut. La question de l'affectation des surfaces supplémentaires n'est pas réglée et pose un vrai problème.

S'agissant des normes, il ne s'agit pas de ne pas les respecter. J'ai produit un rapport sur le sujet. Le problème vient de la superposition des normes. Peut-être pourrait-on avoir une vision plus européenne et plus égalitaire en la matière ?

Enfin, je voudrais insister sur l'impact de la désertification médicale concernant les besoins en matière de services d'urgences. A Orléans, les saturations sont extrêmes du fait de l'absence de médecins localement. Les pompiers emmènent tout le monde aux urgences, qui s'en retrouvent totalement embouteillées. En conséquence, il faudrait des surfaces supplémentaires, car nous ne sommes pas en capacité de régler ce problème dans les conditions actuelles.

M. Edmond Hervé . - Je lirai avec beaucoup d'attention l'excellent rapport de la Cour des comptes et je me joins aux remerciements précédemment exprimés. Vous évoquez la mutualisation, la coordination, les relations avec l'extérieur : ce sont des processus absolument nécessaires, qui rencontrent parfois des obstacles. Je me souviens par exemple des violentes oppositions du corps médical, en 1984, avec la mise en oeuvre de la départementalisation.

J'ai beaucoup apprécié l'intervention de Jean Germain. Dans mes fonctions de maire, ce qui m'a le plus intéressé, c'était la présidence du conseil d'administration du CHU de Rennes, que j'ai exercée pendant trente-et-un ans. Je n'ai jamais manqué une seule de ces réunions, même ministre. J'ai voté tous les budgets. On ne rend pas suffisamment hommage aux personnels des hôpitaux, si impliqués. Le directeur général doit être soutenu par le président du conseil d'administration. Je dirais même plus : lorsque l'on travaille sur le bon fonctionnement d'une institution telle qu'un CHU, il faut une parfaite entente entre le président du conseil de surveillance, le directeur général, le doyen, le président de la commission médicale d'établissement (CME) et le préfet ou son représentant.

A partir de là, quels enseignements tirer ? Premièrement, la France a une excellente administration hospitalière, mais l'administration de la santé est dépourvue de moyens, indépendamment de la qualité et du dévouement des personnes qui exercent ces fonctions.

Il y a des explications à cela : je m'agace notamment des différences d'indemnités entre hauts fonctionnaires, selon que l'on exerce au ministère des affaires sociales ou à Bercy. On doit avoir le courage de traiter cette question.

S'agissant de la tutelle, il faut être conscient de l'écart existant entre celle-ci et l'opinion générale, y compris celle des responsables hospitaliers et des élus locaux, ce qui me paraît grave dans une démocratie. Je pense que loyauté, responsabilité et bon sens ne sont pas incompatibles avec l'exercice de la tutelle.

Par ailleurs, je suis très attaché aux grands équilibres budgétaires, mais on ne peut pas raisonner de manière générale sur un sujet comme les CHU. Certes, il faut un cadre, mais n'oublions pas la territorialisation, c'est-à-dire la nécessité de répondre à des besoins différents selon les territoires. De plus, il existe une grande spécificité des CHU. Par exemple, sur le concept de durée moyenne de séjour : globalement, il y a une grande baisse de cette durée. Mais je ne pense pas que la durée de séjour dans une maternité de CHU, de l'ordre d'une journée et demie, soit la panacée, surtout lorsque l'on sait quel type de populations fréquente les maternités des CHU.

S'agissant de la sécurité : oui, il faut respecter des normes. Mais on se heurte à une application extrême des normes de sécurité dans le cadre de la commission de sécurité. Chacun se protège, cherche à se couvrir. Il faut un dialogue entre le ministère de la justice et le ministère de la santé sur ces sujets. Je ferai allusion à cet égard à un exemple personnel dans ma région : une nuit, l'incendie d'une clinique privée a causé vingt-cinq morts. Il est évident que ceci a des répercussions. Et, lorsque vous êtes membre d'un conseil d'administration, que vous avez un choix à faire entre l'acquisition de cinq portes coupe-feu dans une cave ou l'ajout d'un instrument important dans un bloc opératoire, vous n'hésitez pas ! J'en connais les conséquences.

Sur les surfaces : j'entends bien qu'il faut des normes de surface, mais il faut prendre le temps de voir concrètement comment elles peuvent être gérées. Quand on a une salle d'urgence, dans un CHU, égal au dixième de notre salle de réunion, la première chose que l'on fait est de l'agrandir, ce qui n'a rien de répréhensible.

Enfin, quand on parle de lits, il faut là encore raisonner service par service. Par exemple, en matière de soins palliatifs, on a des efforts à faire. Les coordinations sont nécessaires, il faut une certaine spécialisation. Par ailleurs, il arrive que dans certains services de nos CHU, le confort hôtelier n'égale pas le confort qui existe dans d'autres établissements privés.

Enfin, je ne suis pas opposé aux partenariats public-privé (PPP), mais je pense que le ministère doit jouer dans ce domaine un rôle de conseil et d'expertise en relation avec l'administration hospitalière, pour que, dans les rapports avec le privé, tout le monde se retrouve à égalité. De plus, l'application du PPP dans le secteur hospitalier est particulièrement difficile, tant il faut préciser de points dans le contrat. Je m'excuse pour la longueur de mon intervention, mais ce sujet me tient à coeur, et l'on ne peut pas le traiter du seul point de vue comptable.

M. Philippe Marini, président . - Chacun peut ici mesurer l'engagement des élus locaux au côté des établissements hospitaliers. Nos collègues ont parlé avec leur expérience, mais aussi avec leur coeur. N'oublions pas que les CHU sont des établissements publics de l'Etat, que le principe de territorialisation s'y applique et que cela rend complexe l'exercice des fonctions de régulation et de tutelle. D'où la pluralité des organismes qui s'en occupent. Au nom de l'Etat, la vision la plus globale est celle du directeur général de l'offre de soins. Je passe donc la parole à Jean Debeaupuis.

M. Jean Debeaupuis, directeur général de l'offre de soins (DGOS) . - Je remercie la Cour des comptes ainsi que la commission des finances pour avoir demandé une enquête sur ce sujet. Celle-ci est extrêmement détaillée et restitue les échanges nourris avec le ministère des affaires sociales et de la santé et avec les opérateurs concernés.

En introduction, je souhaiterais souligner deux points. Tout d'abord, quels que soient nos parcours respectifs, nous connaissons bien, autour de la table, les CHU, leurs spécificités, leurs réussites et leurs difficultés. Pour la gouvernance de ces établissements, la bonne entente entre les présidents de conseil de surveillance, que vous êtes, et l'ensemble de la communauté hospitalière est nécessaire. Ensuite, je signale que mon propos sera plus large que le champ de l'enquête. Comme vous l'avez souligné, Monsieur le Président, la DGOS, ancienne direction de l'hospitalisation, s'occupe désormais de l'offre de soins et prend en compte l'ensemble du parcours de santé. Je suis convaincu que les outils que nous avons conçus s'adressent autant aux trente-deux CHU qu'aux autres établissements de santé.

Les trois axes majeurs qui ont guidé l'action du ministère de la santé en matière de gestion patrimoniale des établissements sont une meilleure connaissance du patrimoine, le développement d'une approche plus stratégique du patrimoine existant et la mise en place d'un dispositif de pilotage renforcé, avec notamment le comité interministériel de la performance et de la modernisation de l'offre de soins (COPERMO) mis en place par la ministre en décembre dernier.

Sur la meilleure connaissance du patrimoine, la Cour des comptes nous appelle à aller plus loin. C'est un défi fondamental pour nous. Je rappelle qu'il concerne l'ensemble des acteurs : les établissements au premier chef, en tant que maîtres d'ouvrage, les agences régionales de santé (ARS) et l'échelon national de pilotage. Le travail de fond a abouti puisque le système d'information OPHELIE, élaboré grâce à la collaboration de l'ANAP et de l'agence technique de l'information sur l'hospitalisation (ATIH), sera déployé dans une trentaine d'établissements avant la fin de l'année. Cet outil va donc être testé en conditions réelles. Nous avons choisi d'articuler le déploiement de cet instrument avec la démarche de certification des comptes des établissements de santé. Les premiers établissements à faire l'objet d'une certification le seront pour les comptes de l'année 2014. La montée en charge sera ensuite progressive. Les décrets sur la certification ont récemment été examinés par le Conseil d'Etat et devraient être publiés très prochainement. Je rappelle que le seuil fixé par le Gouvernement pour la certification est de 100 millions d'euros de budget annuel. La certification et l'utilisation d'OPHELIE devraient donc concerner la majorité des établissements. Notre intention est bien de déployer cet outil à l'ensemble des établissements, mais en commençant par les établissements qui se sont portés volontaires et qui prendront part à la première vague de certification des comptes. J'en profite pour rectifier un point : le comité de pilotage du projet OPHELIE comprend naturellement des représentants des établissements publics de santé, et notamment des CHU. C'est avec eux que les décisions de partage de données et d'évolutions de l'outil seront prises.

Concernant la mobilisation des acteurs en matière de gestion du patrimoine et de certification des comptes, tous les établissements vont devoir s'engager encore plus fortement dans cette démarche de recensement, d'optimisation et de valorisation de leur patrimoine. C'est une condition évidente pour une vision sincère et fiable des immobilisations. Ce mouvement a été lancé par une circulaire publiée en octobre 2011.

Cette connaissance étant améliorée, comment avoir une approche plus stratégique du patrimoine des établissements ? Chacun a pu mesurer les limites des plans antérieurs, « Hôpital 2007 » et « Hôpital 2012 », même s'ils ont permis la modernisation d'un patrimoine parfois vétuste : une insuffisante prise en compte du patrimoine existant, des effets d'aubaine et surtout la montée de l'endettement. Le ministère de la santé a donc entamé une démarche de remise à plat des investissements en santé au niveau régional. La circulaire du 28 mai 2013 donne un cadre général à l'élaboration des schémas régionaux d'investissement en santé (SRIS). Le champ de ces schémas est le plus large possible : hospitalisation, médico-social, médecine de ville ou encore systèmes d'information.

Dans le cadre de l'élaboration des SRIS, il est demandé aux établissements et aux ARS de répondre à trois exigences. Tout d'abord, il faut argumenter et documenter le plus possible la stratégie territoriale, en cohérence avec la stratégie régionale de santé. Ensuite, les schémas devront promouvoir les parcours de santé, afin de décloisonner et renforcer les complémentarités entre la ville et les établissements de santé. Ensuite, la circulaire demande de prendre davantage en compte le patrimoine existant. La Cour des comptes souligne, en la matière, la démarche exemplaire et pionnière de l'ARS d'Ile-de-France. A priori, les SRIS ne devraient pas conduire à une augmentation des immobilisations, mais favoriser une valorisation des surfaces existantes. Les marges d'optimisation sont importantes ; elles ne sont pas incompatibles avec les priorités de santé publique telles que le développement des soins palliatifs ou des transplantations. Le parcours de santé peut être en effet réparti entre différentes régions.

La Cour des comptes recommande d'adopter un « calendrier réaliste » pour l'élaboration des SRIS, permettant l'établissement d'un état des lieux préalable. C'est bien la méthode qui a été retenue par la ministre. Les ambitions méthodologiques des SRIS ne pourront être réalisées que dans une perspective pluriannuelle. Pour répondre à votre question, Monsieur le rapporteur spécial, sur l'état actuel de préparation des SRIS, les vingt-six ARS ont envoyé durant l'été au ministère une première version des schémas. Cette première génération est amenée à être déclinée et approfondie. Il y a encore un travail méthodologique important avant d'atteindre les ambitions exposées dans la circulaire. Je terminerai sur le troisième axe, concernant le fonctionnement du COPERMO. La Cour des comptes note que ce nouveau comité est susceptible de renforcer la qualité des investissements.

M. Philippe Marini, président . - Quels sont les moyens dont disposera ce comité ? S'agit-il d'une simple réunion ou y aura-t-il une substance ?

M. Jean Debeaupuis . - Cela fait près d'un an que ce comité se réunit en alternant des séances sur la performance et des séances sur l'investissement. Il travaille en lien avec le commissariat général à l'investissement. Déjà onze dossiers ont été examinés par le comité à l'aune des critères de cohérence territoriale, de soutenabilité financière et de validation des référentiels capacitaires les plus exigeants, et ont fait l'objet d'une validation par la ministre.

Je citerai quelques exemples de projets emblématiques avant de laisser la parole à mes voisins : le projet du CHU de Nantes, planifie dans les dix ans à venir une réduction des capacités complètes d'hospitalisation de 30 % avec un fort développement de l'ambulatoire ; le projet du CHU de Clermont-Ferrand intègre, quant à lui, une valorisation importante dans le cadre de la cession de l'Hôtel-Dieu ; le projet du CHU de Belfort-Montbéliard prévoit, à travers le regroupement sur un site unique, un gain structurel de 12 millions d'euros pour un investissement de 250 millions d'euros.

Pour répondre à l'objectif de soutenabilité, il est demandé aux établissements d'atteindre un taux de marge brute non aidée de l'ordre de 8 %.

M. Philippe Marini , président . - Je me tourne à présent vers Philippe Domy, en sa qualité de président de la conférence des directeurs généraux de CHU. Avant de nous indiquer le rôle de cette conférence, pouvez-vous nous faire partager votre expérience en tant que directeur général d'un grand établissement de santé ? Quel est votre point de vue sur le paysage des différentes procédures et entités qui jouent un rôle dans le suivi des investissements hospitaliers ? Je souhaiterais également recueillir votre avis sur les relations entre les établissements de santé et les ARS. Quel est le poids de ces agences vis-à-vis des grands CHU, très structurés et très compétents ? Quelle est la valeur ajoutée de la tutelle régionale par à rapport aux grands établissements ?

M. Philippe Domy, président de la conférence des directeurs généraux de CHU . - Monsieur le président, mesdames messieurs les sénateurs, vos questions et vos commentaires montrent à la fois votre intérêt pour la chose hospitalière et votre attachement à ces grandes institutions de service public que sont les CHU.

Qu'est-ce que la conférence des directeurs généraux de CHU ? Vous l'avez souligné, dans la tradition d'autonomie qui est la leur, les établissements manquent parfois de coordination. C'est la raison pour laquelle, très tôt, nous avons ressenti le besoin de mieux nous connaître afin de mieux agir ensemble. Comme cela a été rappelé, les trente-deux CHU représentent une masse significative de l'offre de soins. De plus, compte tenu de nos missions, soins, enseignement, recherche, nous avons à la fois un rôle de proximité, de référence et de dynamisation de l'enseignement et de la recherche. Nous sommes donc les garants de l'anticipation d'une réponse adéquate à l'évolution des besoins de santé. Nous nous rencontrons en conséquence selon un rythme mensuel, sur des thématiques communes comme la stratégie, les affaires financières, les ressources humaines ainsi que l'architecture et l'ingénierie patrimoniale.

Le principe premier est que l'on agit bien si l'on sait ce que l'on est et ce que l'on fait. Or le premier défaut était l'insuffisance de bases de données permettant de connaître la nature et le volume du patrimoine de nos établissements. A la suite de la réalisation en 2012 d'un « Livre blanc pour l'investissement hospitalier », nous avons décidé de créer une base de données, en lien avec les services du ministère de la santé et l'ANAP. Nous sommes ensuite convenus avec la DGOS de verser cette base de données aux bases de données constituées par les prédécesseurs de l'ANAP afin d'avoir une vision consolidée, au niveau national, du patrimoine hospitalier. Il est important de noter que l'outil OPHELIE a pour origine une initiative des CHU et des opérateurs de terrain. Nous sommes engagés auprès du ministère afin de faire en sorte que cet outil devienne une aide à la prise de décision.

Sur les aspects plus stratégiques, je pense que nous allons connaître un bouleversement majeur dans la prise en charge des patients, notamment avec la prise en charge ambulatoire. L'objectif est d'atteindre, dans le champ de la médecine-chirurgie-obstétrique (MCO), la cible de 50 % des indications, établies en vue d'une intervention chirurgicale, qui seraient prises en charge en ambulatoire. Cette évolution aura un effet significatif sur l'organisation des établissements et nécessitera une refondation complète des modes de prise en charge et une adaptation des plateaux techniques.

Par rapport au sujet qui est le nôtre aujourd'hui, je souhaiterais souligner qu'une baisse du nombre de lits n'équivaut pas nécessairement à une baisse des dépenses hospitalières. En effet, le rapport entre les surfaces dédiées à l'hébergement et celles dédiées aux plateaux techniques (exploration, diagnostic, intervention...) devrait s'inverser. Or le coût d'exploitation des surfaces dévolues aux plateaux techniques est bien plus élevé. Plus nous allons monter dans la prise en charge ambulatoire, plus nous allons développer nos plateaux techniques. Sur une plus courte période, avec des équipements plus coûteux, il faudra prendre en charge davantage de patients. Le coût en plateaux techniques va donc significativement augmenter, quand bien même les fonctions hôtelières diminueront drastiquement. Au-delà de la pris en charge ambulatoire, il faut aussi noter le développement de la médecine prédictive et de la thérapie cellulaire.

Le bouleversement qui devrait avoir lieu dans les années à venir pose donc la question de la planification des différents investissements. Il est nécessaire d'adopter une démarche prospective, en tentant d'imaginer ce que sera l'hôpital dans dix ans. Nous savons d'ores-et-déjà qu'il y aura moins de fonctions d'hébergement, davantage de plateaux techniques et une logistique plus légère mais que l'hôpital ne coûtera pas moins cher !

M. Jean-Pierre Caffet, rapporteur spécial . - Je comprends ce que vous indiquez à propos du transfert de surfaces entre la fonction hôtelière et la fonction d'intervention médicale. Vous nous dites que cela permettra d'accueillir plus de patients. Est-ce que cela signifie qu'il y aura davantage d'interventions ? Comment expliquer cette hausse du nombre d'interventions et de patients en ambulatoire par rapport à l'hospitalisation conventionnelle ? Est-ce l'évolution des pathologies ?

M. Philippe Domy . - Oui, il y aura une plus grande production d'actes et donc une hausse de la productivité de l'hôpital public. Dans le même temps, nous ferons face au développement des maladies chroniques, qui nécessiteront un recours ambulatoire aux plateaux techniques plus important. Il devrait y avoir une diversification de l'offre de soins et des pratiques qui entraînera une hausse du nombre d'actes, y compris d'actes plus coûteux en interventions et en consommables.

Parallèlement, à certaines périodes de l'année, dans les services d'urgences, nous manquons de lits pour faire face aux patients en aval. Il faudrait donc réaffecter une partie du potentiel d'hébergement à l'aval immédiat, dans les services d'urgences. Les CHU sont l'un des derniers lieux où il existe une réponse permanente de proximité, de recours et de référence. Les lits tendent souvent à se remplir le week-end. Il faut également prendre en compte cet aspect médico-social, que les CHU sont les seuls à assumer.

M. Philippe Marini, président . - Les hôpitaux généraux en assument également une partie ?

M. Philippe Domy . - Les hôpitaux généraux, par exemple, ferment des lits de réanimation pendant l'été.

Je me permets de signaler un point important aux élus que vous êtes : les problèmes de cohérence stratégique entre hôpitaux sont parfois liés au poids politique des présidents de conseils de surveillance.

S'agissant des ARS, il est vrai qu'il leur est parfois difficile d'assumer leur rôle face aux CHU. Il peut y avoir des déséquilibres d'expertise entre les grands établissements et les ARS. Mais il y a aussi des rivalités politiques d'un territoire à l'autre. Je plaiderais pour que les élus soient conscients de ce problème et nous aident dans la résolution de ces conflits d'intérêt. Il convient de partir de l'intérêt réel du patient et de veiller à ce qu'y soient affectés les moyens appropriés. Il faut éviter la multiplication des manoeuvres dilatoires. Par exemple, dans ma région, entre Montpellier et Nîmes, ce sont des choses que nous vivons régulièrement.

M. Jean Germain . - J'ajoute que la complémentarité de l'offre de soins ne s'apprécie pas uniquement au sein d'une même région. Il faut l'apprécier au niveau interrégional.

M. Philippe Domy . - Bien sûr. La démonstration est faite au travers des schémas régionaux d'investissement en santé. Dans certaines activités telles que la chirurgie cardiaque, ou la neuroradiologie, nous voyons bien que c'est au niveau suprarégional qu'il faut s'organiser.

M. Philippe Marini, président . - Monsieur Anastasy, vous êtes le directeur de l'Agence nationale d'appui à la performance des établissements de santé (ANAP). Expliquez-nous votre position dans ce dispositif de conseil des établissements et de l'administration centrale, et d'évaluation des investissements.

M. Christian Anastasy, directeur général de l'Agence nationale d'appui à la performance des établissements de santé et médico-sociaux (ANAP) . - Je dirai pour commencer quelques mots sur l'ANAP. Elle résulte de la fusion de trois entités (la mission nationale d'appui à l'investissement hospitalier - MAINH -, la mission nationale d'expertise et d'audit hospitaliers - MEAH - et le groupement pour la modernisation du système d'information hospitalier - GMSIH), ce qui marque un effort de regroupement de la part de l'Etat pour aller dans le sens d'une meilleure prise en compte de l'aspect systémique de l'organisation des établissements de santé. L'Inspection générale des finances nous considère comme un démembrement de l'Etat, et préférerait que nous ayons le statut d'un service à compétence nationale rattaché au ministère de la santé. Le Conseil d'Etat estime pour sa part que, de par son autonomie, l'ANAP est une agence, et qu'elle joue un rôle de structuration et d'accompagnement d'une politique nationale.

Au sein de l'ANAP, nous sommes tous des professionnels de terrain, des docteurs, des ingénieurs, des soignants. Nous ne créons pas de normes supplémentaires, mais nous nous employons à faire émerger les aspects les plus positifs de notre système hospitalier. On s'intéresse à ce qui va bien, en lien avec les professionnels de terrain. Par exemple, dans le domaine de la gestion des lits - la ministre a annoncé une action structurante dans cent-cinquante établissements - nous avons bâti un programme en lien avec les établissements. Nous avons fait ressortir les meilleures idées des établissements à travers une modélisation des bons outils de terrain. Notre mission est de les diffuser à grande échelle.

Quelle est la vision de l'ANAP sur les investissements immobiliers ? J'ai noté avec intérêt vos interventions qui font ressortir la complexité des réflexions auxquelles nous sommes confrontés. Deux mécanismes contradictoires sont à l'oeuvre : d'un côté, un raisonnement qui postule que la durée de séjour va baisser, et que nous aurons donc moins besoin d'une capacité d'investissement du fait d'un moindre recours aux capacités techniques et d'hébergement. Cette position est fausse. De l'autre, un raisonnement inverse, qui postule qu'en raison du vieillissement de la population, les besoins de santé vont croître et qu'il nous faudra donc davantage de lits. Cette position est également erronée. Quelle est la vérité entre ces deux thèses ? On peut faire ressortir quelques points.

Tout d'abord, le vieillissement de la population est indéniable. De plus, 70 % des personnes âgées habitent dans les villes, ce qui pose des problématiques d'accessibilité. De fait, éloigner les centres de soin des centres villes ne semble pas pertinent.

Ensuite, la part des dépenses d'assurance maladie consacrée aux pathologies chroniques ne cesse d'augmenter : elle est de plus de 50 % aujourd'hui, et sera de 70 % dans dix ans. En conséquence, la pression économique agira sur les enveloppes disponibles pour les autres acteurs du système. Il y aura un effet de vase communicant, avec une pression très forte à venir sur les établissements de santé.

Enfin, je voudrais souligner qu'aujourd'hui, on est capable de faire une carte du génome de chacun d'entre nous, mais qu'il n'y a pas encore de lien entre cette carte du génome et les thérapies géniques. Toutefois, dans dix ans, on commencera à faire ce lien, et les modes de prise en charge seront très différents d'aujourd'hui. Il est donc très difficile de faire des prévisions de long terme.

Au regard de ces constats, quelles peuvent être les pistes d'évolution ?

Je pense qu'il faut traiter les problèmes dans l'ordre. La ministre, avec la stratégie nationale de santé, a souligné la nécessité d'accompagner les personnes dans un territoire. Je rappelle que 15 millions de personnes sont concernées par des pathologies chroniques, pour un enjeu financier de 80 milliards d'euros. Il faudra donc se concentrer sur l'organisation des soins. Or, en France, nous avons deux financeurs : l'Etat, via l'assurance maladie, et les conseils généraux. C'est une spécificité par rapport à d'autres pays. Le premier enjeu est de « chaîner » les parcours (en lien avec la problématique des systèmes d'information) ; le second enjeu consiste à essayer de prendre en compte dans les financements le chaînage des parcours des personnes au sein d'un territoire. Un groupe de réflexion sur ce sujet a été lancé par la ministre. Tout cela n'est pas simple : il s'agit de modifier le modèle économique en s'efforçant de financer à due concurrence les phases du parcours de soins de façon plus cohérente.

Enfin, je souhaiterais souligner deux points qui ont seulement été mentionnés au cours de l'audition. Premièrement, s'agissant des partenariats public-privé, il faut impérativement mieux mettre en perspective les coûts d'exploitation de maintenance dans les investissements, car cela a un impact considérable (90 euros TTC le mètre carré par an estimés pour un CHU). Il y a actuellement une sous-valorisation des cycles d'exploitation de maintenance, par rapport à des investissements très coûteux.

Deuxièmement, dans le contact avec mes homologues étrangers, j'ai pu constater que, dans beaucoup de pays, les établissements de santé se préoccupent des normes environnementales, et notamment des conséquences d'une taxe carbone sur leur exploitation. Nos établissements seront confrontés à cette charge à partir de 2017, à travers leurs dépenses de consommation d'énergie et l'absence de maîtrise, par leurs investissements immobiliers, de rejets et consommations particulières. La Cour des comptes a cité le chiffre de 60 millions de mètres carrés de surface. Si l'on part d'une hypothèse de coût de 500 euros par mètre carré, on mesure l'ampleur des investissements à réaliser dans l'isolation des bâtiments des établissements hospitaliers pour éviter le paiement de la taxe carbone.

M. Francis Delattre . - Après la qualité des différentes interventions, j'ose à peine poser une question purement budgétaire. Je comprends bien la complexité des différentes problématiques. Néanmoins, hier dans cette même salle, le ministre du budget nous a présenté le projet de budget pour 2014. Il a annoncé que 6 milliards d'euros d'économies seraient réalisées en 2014 sur les dépenses sociales, dont 2,4 milliards d'euros sur les dépenses d'assurance maladie. Il est indiqué qu'une partie de ces économies devrait provenir de gains de productivité dans le secteur hospitalier. Pensez-vous que, dans les années à venir, des gains de productivité permettront de réaliser des économies ? A vrai dire, en vous écoutant, j'ai peine à le croire.

M. Jean Debeaupuis . - S'agissant des économies annoncées dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2014, la ministre a annoncé que l'objectif d'économies pour les établissements publics de santé serait de l'ordre de 440 millions d'euros. C'est à peu près le même niveau d'effort que les deux années précédentes. D'après nos échanges avec la Cour des comptes, ces efforts semblent porter leurs fruits et contribuer à un retour à l'équilibre des établissements. Nous n'avons pas le choix et une vision à long terme s'impose. Nous devrions en effet assister à des évolutions profondes de notre système d'offre de soins dans les années à venir. Les ARS, dans le cadre des SRIS, doivent aider les établissements à faire face à ces évolutions.

M. Philippe Marini, président . - Ces objectifs d'économies, Monsieur Domy, allez-vous les atteindre ?

M. Philippe Domy . - Nous allons tout faire pour ; et ce dans une stratégie de court, moyen et long terme. Par exemple, dans l'établissement que je dirige, nous avons un déficit structurel de 20 millions d'euros et nous sommes engagés, à court terme, dans un contrat de performance pour neutraliser les causes de ce déficit. Ceci passera notamment par une baisse des effectifs de personnel de l'ordre de 400 emplois en vingt mois. C'est un impératif à respecter si l'on souhaite dégager des marges de manoeuvre.

A moyen terme, il y a les démarches de projet d'établissement, en cohérence avec les projets régionaux de santé. Sur le long terme, interviennent les logiques de schéma d'investissement pluriannuel, comme dans les SRIS.

M. Philippe Marini, président . - Merci beaucoup. En effet, il est nécessaire d'être en capacité de se projeter, et dans le même temps, il est essentiel, sur le plan du climat social, d'être capable d'apporter des réponses dans le présent.

Je passe maintenant la parole au président Durrleman pour un mot de conclusion.

M. Antoine Durrleman . - Nous nous trouvons actuellement à une période où les lignes sont en train de bouger. Nous avons constaté que ce mouvement est nécessaire mais qu'il nécessite ordre et méthode pour aboutir à l'hôpital du futur. Les CHU doivent être en situation d'anticiper les progrès et la médecine de demain, ce qui n'a pas été le cas avec les plans « Hôpital 2007 » et « Hôpital 2012 ». Nous l'avons notamment observé à travers l'exemple de l'ambulatoire : le virage de l'ambulatoire, aujourd'hui érigé au rang d'objectif de politique publique, n'a pas été pris en compte à temps dans les investissements immobiliers. Dans le rapport sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale de septembre 2013, nous constatons qu'actuellement, l'assurance maladie paie deux fois : d'une part en finançant le maintien d'un parc de chirurgie conventionnelle, qui ne s'est pas réduit depuis dix ans, et d'autre part en surpayant les interventions réalisées en ambulatoire. Bien sûr, des financements incitatifs peuvent avoir un sens, mais maintenir le double paiement d'activités qui pourraient se substituer l'une à l'autre ne nous paraît pas normal.

Il en va de même de l'investissement hospitalier. Aujourd'hui, il est principalement financé par l'emprunt des établissements. Cette dette est supportée par des abondements de l'assurance maladie. Mais comment sont-ils financés ? Ils sont financés, en réalité, par la dette sociale. Les déficits de l'assurance maladie sont récurrents depuis plus de vingt ans. Cette dette n'est pas consolidée ; elle est pour une bonne part encore portée, à très court terme, par l'agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS).

Il ne s'agit pas d'arrêter d'investir, mais d'investir sobrement et en tenant compte de la médecine de demain. C'est pour cela que nous appelons à porter notre regard vers l'étranger : l'hôpital de demain s'invente, non seulement dans les CHU français, mais aussi dans les pays d'Europe et d'Amérique du Nord.

Nous insistons aussi sur un autre point : privilégier l'investissement immobilier, surtout dans une logique de surdimensionnement, comporte un risque d'éviction par rapport à d'autres besoins hospitaliers, en particulier les besoins en équipements médicaux, en imagerie ou en systèmes d'information. Ce qui a été par le passé le parent pauvre de l'investissement hospitalier doit être aujourd'hui au coeur des CHU. Ces derniers doivent incarner le fer de lance de la médecine, conformément à la vision du professeur Robert Debré.

Pour cela, l'effort de tous est nécessaire. Dans notre rapport, nous montrons bien qu'il y a partout des exemples de bonnes pratiques : aux niveaux des administrations centrales, des ARS et des établissements. Mais la mutualisation de ces bonnes pratiques nous paraît encore insuffisante. Nous appelons donc à un pilotage raffermi. Si l'on souhaite que tous les progrès constatés convergent, ceci est nécessaire.

Je souhaiterais réagir aux propos de Philippe Domy concernant les urgences. Ce qu'il a dit est très juste, je l'ai moi-même vécu. Une réflexion est nécessaire sur l'organisation de notre système de soins : il n'est pas normal que la permanence des soins fonctionne aussi mal aujourd'hui. Comme cela est démontré dans le dernier rapport sur la sécurité sociale, on y met beaucoup d'argent pour peu d'efficacité. De même, nous avons étudié l'an dernier, dans le rapport public annuel, la question de la prise en charge des personnes âgées et leur proportion importante aux urgences. De nombreuses expériences ont été lancées pour améliorer la prise en charge en médecine de ville de ces personnes, mais très peu ont été évaluées et aucune n'est en situation d'être généralisée.

Nous considérons que les CHU sont l'essence même de l'hospitalisation publique. Ils ont déjà beaucoup bougé mais chaque CHU ne pourra se réinventer que dans un cadre clarifié. Sinon, le risque serait que chaque communauté médicale et hospitalière se réinvente « dans son coin » si j'ose m'exprimer ainsi.

De ce point de vue, je souhaiterais saluer le rôle de la conférence des directeurs généraux de CHU. Il s'agit d'une enceinte de partage et de maturation des réflexions très importante, même si son rôle est encore insuffisant.

M. Philippe Marini , président . - Monsieur le président, je suppose, qu'à l'occasion de futures enquêtes, la Cour prendra soin de consulter les présidents des conseils de surveillance des hôpitaux. Je pense que vous avez bien noté la remarque de notre collègue Jean Germain.

En tout état de cause, le travail de la Cour des comptes est d'une grande valeur ; il s'agit d'une mise en perspective très utile des enjeux de l'immobilier hospitalier.

Au terme de ce débat, la commission a autorisé la publication de l'enquête de la Cour des comptes ainsi que du compte-rendu de la présente audition sous la forme d'un rapport d'information.

ANNEXE - COMMUNICATION DE LA COUR DES COMPTES À LA COMMISSION DES FINANCES DU SÉNAT

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* 1 Cf . Rapport d'information n° 270 (2011-2012) sur le patrimoine immobilier privé des établissements de santé fait par Jean-Pierre Caffet au nom de la commission des finances du Sénat.

* 2 Auxquels sont généralement rattachés les deux centres hospitaliers régionaux d'Orléans et de Metz-Thionville.

* 3 IGAS et IGF, « Evaluation du financement et du pilotage de l'investissement hospitalier », mars 2013 .

* 4 IGAS et IGF, « Evaluation du financement et du pilotage de l'investissement hospitalier », mars 2013.

* 5 Cour des comptes, rapport sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale, septembre 2013.

* 6 La circulaire du 6 juillet 2012 relative aux évolutions d'ordre budgétaire et comptable à compter de l'exercice 2012 pour les établissements de santé antérieurement financés par dotation globale demande notamment aux établissements d'enregistrer au compte d'exploitation et non au bilan les aides exceptionnelles accordées en cas de difficultés de trésorerie.

* 7 Le caractère soutenable de l'endettement est calculé par la mission à partir du taux de marge brute non aidée de l'établissement, du taux d'intérêt de l'emprunt et de sa durée.

* 8 Article 81 de la loi n° 2011-1906 du 21 décembre 2011.

* 9 Travaux élaborés sous la présidence d'Edouard Couty, « Le pacte de confiance pour l'hôpital », mars 2013 .

* 10 Mission interministérielle de qualité des constructions publics (MIQCP), « Ouvrages publics et coût global », janvier 2006 .

* 11 Loi n° 2009-879 du 21 juillet 2009 portant réforme de l'hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires.

* 12 Cf. arrêté du 23 décembre 2013 fixant la liste des établissements publics de santé soumis à la certification des comptes pour les comptes de l'exercice 2014.

* 13 Cf. décret n° 2013-1239 du 23 décembre 2013 définissant les établissements publics de santé soumis à la certification des comptes.

* 14 DREES, Panorama des établissements de santé, édition 2012.

* 15 IGAS et IGF, « Evaluation du financement et du pilotage de l'investissement hospitalier », mars 2013. Recommandation n° 16.

* 16 IGAS et IGF, « Evaluation du financement et du pilotage de l'investissement hospitalier », mars 2013.

* 17 IGAS et IGF, « Evaluation du financement et du pilotage de l'investissement hospitalier », mars 2013. Recommandations n° 22 et n° 23.

* 18 Décret n° 2011-1872 du 14 décembre 2011 relatif aux limites et réserves du recours à l'emprunt par les établissements publics de santé.

* 19 Edouard Couty, « Le pacte de confiance pour l'hôpital », mars 2013 .

* 20 IGAS et IGF, « Evaluation du financement et du pilotage de l'investissement hospitalier », mars 2013.

* 21 Déséquilibre financier du résultat prévisionnel, niveaux d'investissement ou d'endettement à long terme non compatible avec la situation financière de l'établissement, évolution défavorable d'un projet envisagé sous forme de partenariat ou de bail emphytéotique.

* 22 IGAS et IGF, « Evaluation du financement et du pilotage de l'investissement hospitalier », mars 2013

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