POUR UNE FISCALITÉ AU SERVICE DE LA POLITIQUE FONCIÈRE
Pour mettre en oeuvre les politiques foncières définies dans les documents d'urbanisme et les schémas précédemment décrits, les autorités publiques doivent mobiliser plusieurs outils : des moyens humains à travers les services d'expertise, des moyens financiers indispensables notamment pour l'exercice du droit de préemption et, surtout, des instruments fiscaux, incitatifs ou pénalisants, qui orientent les comportements des acteurs.
La panoplie de ces outils financiers, à la disposition de l'État et des collectivités territoriales, s'est diversifiée au fil du temps. Leur efficacité trouve cependant ses limites, d'une part, dans l'interventionnisme quelque peu incohérent de l'État en matière de politique fiscale applicable au foncier et, d'autre part, dans les difficultés budgétaires des collectivités locales.
I. UNE FISCALITÉ D'ÉTAT ENCOMBRANTE ET INSTABLE
A. LE FONCIER EST IMPOSÉ PAR L'ÉTAT AU TITRE DE LA TAXATION DES PLUS-VALUES IMMOBILIÈRES
Si le foncier est une des principales assiettes de la fiscalité locale, il est aussi une source de recettes fiscales pour l'État, essentiellement par le biais de la taxation des plus-values de cessions immobilières.
En application des articles 150 U et suivants du code général des impôts (CGI), les plus-values réalisées par les personnes physiques ou sociétés ou groupements qui relèvent des articles 8 à 8 ter du CGI, lors de la cession à titre onéreux notamment de biens immobiliers bâtis ou non bâtis ou de droits relatifs à ces biens, de droits sociaux de sociétés ou groupements qui relèvent des articles 8 à 8 ter dont l'actif est principalement constitué d'immeubles ou de droits portant sur ces biens, sont passibles de l'impôt sur le revenu.
Selon les éléments fournis par l'administration fiscale lors de la réforme du régime de taxation des plus-values immobilières (PVI) par la deuxième loi de finances rectificative pour 2011 48 ( * ) , pour une base de plus-values taxables avant abattement évalué à 17 779 millions d'euros et une base après abattement estimée à 5 940 millions d'euros, le produit de la taxation à l'impôt sur le revenu (IR) des PVI pour l'année 2011, représentait 1 222 millions d'euros .
Ces mêmes plus-values sont également l'assiette de prélèvements sociaux, dont le taux s'élève à 15,5 %.
Or ces impositions portent sur la même assiette que certaines taxations optionnelles pour les collectivités territoriales ( voir infra ), dont la marge de manoeuvre est donc conditionnée par les initiatives de l'État en la matière.
La liberté d'action de l'État est pareillement contrainte dans la mesure où il doit tenir compte de l'ensemble de la fiscalité du foncier dans la détermination de sa politique de taxation des PVI.
En effet, comme il l'a rappelé dans sa décision n° 2012-662 DC du 29 décembre 2012 sur l'article 15 de la loi de finances pour 2013, le Conseil constitutionnel apprécie l'ensemble des impositions au regard des principes de l'équité fiscale et de la capacité contributive.
Décision n° 2012-662 DC du 29 décembre 2012 du Conseil constitutionnel « 100. Considérant qu'il ressort des travaux préparatoires que le législateur a entendu modifier le régime d'imposition des plus-values immobilières réalisées lors de la cession de terrains à bâtir afin d'augmenter les recettes fiscales et de lutter contre la rétention des ressources foncières par les propriétaires ; qu'à ces fins, il a soumis au barème de l'impôt sur le revenu, et non plus à un prélèvement au taux forfaitaire de 19 %, les plus-values réalisées lors de la cession de terrains à bâtir pour les cessions intervenues à compter du 1 er janvier 2015 ; qu'il a supprimé tout abattement pour durée de détention à compter du 1 er janvier 2013, à l'exception des cessions pour lesquelles une promesse de vente a acquis date certaine avant cette date et l'acte de vente est signé avant le 1 er janvier 2015 ; 101. Considérant que, toutefois, les plus-values immobilières sur les terrains à bâtir seront soumises au barème de l'impôt sur le revenu tel que modifié par l'article 3 de la loi déférée, à la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus , prévue par l'article 223 sexies du code général des impôts, aux prélèvements sociaux prévus par l'article 16 de l'ordonnance n° 96-50 du 24 janvier 1996, par l'article L. 14-10-4 du code de l'action sociale et des familles, par l'article 1600-0 F bis du code général des impôts et par les articles L. 136-7 et L. 245-15 du code de la sécurité sociale, à la taxe obligatoire versée à l'Agence de services et de paiements en vertu de l'article 1605 nonies du code général des impôts ainsi que, le cas échéant, à l'une des taxes facultatives alternatives que peuvent instituer les communes en vertu de l'article 1529 du même code ou l'autorité organisatrice de transport urbain, en application de l'article 1609 nonies F du même code ; que ces dispositions peuvent conduire , après déduction d'une fraction de la contribution sociale généralisée, à un taux marginal maximal d'imposition de 82 % qui aurait pour effet de faire peser sur une catégorie de contribuables une charge excessive au regard de cette capacité contributive ; que, dans ces conditions, les dispositions de l'article 15 de la loi déférée portent atteinte à l'égalité devant les charges publiques ; » |
Le pilotage de la politique fiscale des PVI est d'autant plus délicat que l'État, toujours soucieux de rendement fiscal, parfois plus que de gestion raisonnée des disponibilités et des besoins fonciers, estime mal les effets des réformes des PVI, spécialement en temps de crise.
Tel a été le cas de la dernière réforme réalisée par la précédente majorité comme l'observe le rapport d'information 49 ( * ) établi par la commission des finances de l'Assemblée nationale : « le rendement attendu de la réforme du régime d'imposition des plus-values immobilières de la deuxième loi de finances rectificative pour 2011 est revu à la baisse par rapport aux estimations du Gouvernement avancées lors de son examen, puisqu'il ne serait que de 790 millions d'euros en 2012 et de 920 millions d'euros en 2013 contre 1,3 milliard d'euros prévus initialement en année pleine.
Cet écart s'explique principalement par la baisse des transactions, en volume et en prix, enregistrée en 2012, et par l'anticipation des effets de la mesure qui a incité de nombreux contribuables à céder leur bien avant l'entrée en vigueur de la mesure au 1 er février 2012. Les recettes recouvrées au titre de l'imposition des plus-values immobilières à la fin de l'année 2011 et surtout au début de l'année 2012 représentaient ainsi le double des recettes recouvrées l'année précédente sur la même période ».
Proposition n° 10 Compte tenu de l'imbrication des dispositifs fiscaux, organiser une concertation préalable entre l'État et les collectivités territoriales, avant la présentation de nouvelles réformes touchant la taxation du foncier. Elargir le périmètre des études d'impact fournies lors de la présentation de ces réformes au Parlement aux conséquences globales sur l'ensemble des collectivités publiques. |
* 48 Article premier de la loi n° 2011-1117 du 19 septembre 2011 de finances rectificative pour 2011.
* 49 Rapport d'information n° 1328 de M. Christian Eckert, rapporteur général, sur l'application des mesures fiscales contenues dans les lois de finances, déposé le 25 juillet 2013.