CONCLUSION

184. « L'Europe de la défense » est morte. Il faut cesser d'en prononcer le nom. Car à force de perdre le sens des mots, l'on se perd soi-même. L'expression était destinée à contourner l'obstacle de la souveraineté et à se dispenser d'une clarification des relations entre l'Union européenne et l'OTAN. C'était, comme le dit Hubert Védrine, une « chimère », un « oxymore » qui a conduit la défense européenne dans l'impasse où elle se trouve.

185. Lors du Conseil européen de décembre 2013, les chefs d'Etat et de gouvernement souhaitent se montrer « pragmatiques », c'est-à-dire apporter « la preuve » par l'action. Il est impératif qu'au-delà des déclarations d'intention, ils adoptent des mesures concrètes. Pour cela ils n'ont que l'embarras du choix, tant les projets sur la table sont nombreux, dans les domaines opérationnel, capacitaire et industriel, voire institutionnel. Arrêtons la procrastination !

186. Mais tout cela ne suffira pas. Le pragmatisme ne doit pas masquer l'absence de vision ni le manque d'ambition. Il nous faut aujourd'hui relancer le projet politique européen et fixer un nouveau cap si on veut réconcilier l'Europe avec ses citoyens. Dans cette perspective, la défense doit devenir, avec la politique étrangère, un pilier de la construction européenne. L'Europe ne se résume pas à un grand marché. Elle doit pouvoir compter sur une défense autonome si elle souhaite devenir une puissance et rester dans l'histoire.

187. Dans l'attente de cette relance, seule la création d'un groupe pionnier, un « Eurogroupe de défense », ouvert à tous les pays européens qui le souhaitent et le peuvent permettrait d'aller plus vite et plus loin vers une défense commune européenne.

188. Ce groupe pionnier, formé à partir des capacités opérationnelles et expéditionnaires du Royaume-Uni, de la France et de l'Allemagne, et d'autres encore, pourrait servir de passerelle afin de franchir le fossé qui prend aujourd'hui des allures de précipice entre « l'Europe de la défense » et la « défense européenne », entre la souveraineté des nations et le projet fédéral.

EXAMEN EN COMMISSION

La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a examiné le présent rapport lors de sa séance du 3 juillet 2013, sous la présidence M. Jean-Louis Carrère, président.

Après la présentation du rapport, un débat s'est engagé.

M. Jean-Louis Carrère, président . - Je voudrais féliciter les co-présidents et les membres du groupe de travail pour la qualité de leur rapport. Avec les propositions contenues dans ce document, dont certaines vont très loin mais qui seront à la disposition de l'exécutif en vue du Conseil européen de décembre, notre commission poursuit son oeuvre utile d'éclaireur et d'« aiguillon » sur un sujet particulièrement complexe et important. Afin de permettre une plus large diffusion de ce rapport, notamment auprès de nos partenaires européens, je pense aussi qu'il serait utile de prévoir une synthèse ainsi qu'une traduction en anglais.

M. Jean-Claude Peyronnet . - Je souhaiterais, à mon tour, féliciter nos collègues pour la qualité de leur travail. Votre proposition de créer un « Eurogroupe de défense », autour de la France, du Royaume-Uni et de l'Allemagne, me paraît séduisante. Cela permettrait, en effet, de rapprocher les industries de défense, de mutualiser et partager les capacités, et de constituer une force expéditionnaire conjointe. Toutefois, la question essentielle est de nature politique : Quelle sera l'instance de décision au sein de cet « Eurogroupe » ? Faut-il commencer par rapprocher nos outils de défense ou bien se doter d'abord d'une instance politique de décision au niveau européen ? Il me semble que ce dilemme de la poule et de l'oeuf explique les difficultés actuelles de la politique de sécurité et de défense commune de l'Union européenne.

M. Jean-Pierre Chevènement . - Je partage entièrement la proposition de nos collègues d'abandonner l'expression d'« Europe de la défense ».

Concernant l'idée de constituer un « groupe pionner », un « Eurogroupe de défense », il me semble que cette expression risque de susciter des réserves chez nos partenaires britanniques, surtout si elle s'accompagne d'une dimension fédérale, qui reste inacceptable à leurs yeux. Il faut donc faire preuve de prudence. Vis-à-vis des Britanniques, il est préférable de parler de « souveraineté associée » plutôt que de « souveraineté partagée ».

Il me semble aussi qu'il faut prendre en compte la position de l'Allemagne, qui est aujourd'hui la première puissance économique en Europe - l'Europe c'est l'Allemagne aux yeux des Américains, des Chinois ou des Russes - et qui dispose d'une base industrielle importante, notamment dans le domaine de la défense. Or, quelle est l'attitude de l'Allemagne ? L'Allemagne n'est pas intéressée par la défense autrement que sur le plan industriel et uniquement pour ses exportations d'armement, principalement hors d'Europe. Elle souhaite en faire le moins possible en matière de défense. La Russie ne constitue pas une menace pour l'Allemagne, qui s'approvisionne très largement en gaz russe et ce pays se désintéresse de ce qui se passe au Sahel ou sur la rive Sud de la Méditerranée, comme nous l'avons vu en Libye ou au Mali, malgré les menaces majeures à proximité immédiate des frontières de l'Europe. Et lorsque l'Allemagne participe à une opération de l'Union européenne, comme c'est le cas pour l'opération de formation EUTM Mali, c'est avec un grand nombre de caveats. Il faut donc parler avec les Allemands, essayer de les associer, mais cela me semble difficile tant ce pays semble avoir renoncé à toute idée de défense.

Même la contribution de pays européens, comme l'Italie, tournés traditionnellement vers la Méditerranée et disposant d'une industrie de la défense, à l'opération SERVAL au Mali et à l'opération EUTM Mali, s'est avérée décevante.

M. Jean-Louis Carrère, président . - Je partage votre sentiment sur la panne actuelle de la politique de sécurité et de défense commune et votre idée d'abandonner l'expression d'« Europe de la défense ». Je suis également d'accord avec vous sur la nécessité d'aller plus loin en matière de partage et de mutualisation à l'échelle européenne et sur la nécessité pour l'Europe de disposer d'une défense crédible et autonome. Il est évident que pour avancer en matière de défense à l'échelle européenne, il est indispensable de partir du couple franco-britannique, puisque les deux pays représentent à eux seuls près de la moitié de l'effort de défense en Europe et qu'eux seuls disposent des capacités et de la volonté de se projeter hors de leur territoire. Nous disposons d'ailleurs des accords franco-britanniques en matière de défense, avec notamment la force expéditionnaire conjointe, et il est très important de mettre en oeuvre ces accords puisque le Royaume-Uni reste notre partenaire privilégié en Europe en matière de défense. Afin d'aller vers une défense européenne, il serait souhaitable d'élargir progressivement le traité de Lancaster House à l'Allemagne et à d'autres partenaires européens qui souhaiteraient s'y associer, comme l'Italie, la Pologne, l'Espagne ou d'autres encore afin de constituer un « groupe pionner », ce que vous avez appelé « Eurogroupe de la défense ». Cela pourrait constituer l'un des objectifs du Conseil européen de décembre. Mais, si le Conseil européen de décembre ne parvient pas à un accord, alors il faudra nous concentrer sur la mise en oeuvre des accords franco-britanniques de défense.

Par ailleurs, il me semble que nous devrions promouvoir dans l'optique du Conseil européen de décembre l'idée d'élaborer une nouvelle stratégie européenne de sécurité, une sorte de « Livre blanc européen », qui serait une analyse partagée des risques et des menaces entre les vingt-huit Etats membres. Avant de mettre en place des outils, il convient d'abord de définir ensemble un objectif commun.

M. René Beaumont . - Je partage l'opinion de notre collègue M. Jean-Pierre Chevènement au sujet de l'Allemagne. Le pacifisme, voire même l'anti-militarisme, hérités du souvenir de la deuxième guerre mondiale, sont si profondément ancrés au sein de l'opinion publique allemande qu'il paraît très difficile d'avancer sur les questions de défense avec nos amis allemands, même s'il me paraît indispensable de les associer, avec d'autres pays, comme l'Espagne ou la Pologne. J'ajoute que le « fédéralisme » au niveau européen est non seulement un « repoussoir » pour les Britanniques, mais qu'il l'est devenu aussi aujourd'hui pour les Allemands. C'est peut-être en agissant d'abord sur le volet industriel que nous parviendrons à convaincre nos partenaires allemands de faire davantage en matière de défense à l'échelle européenne.

M. Pierre Bernard-Reymond . - Vous ne serez certainement pas surpris qu'en tant qu'Européen convaincu, j'approuve entièrement la tonalité générale de votre rapport et l'ambition d'aller vers une défense européenne. Je partage également votre sentiment selon lequel la méthode des « petits pas » montre aujourd'hui ses limites.

Depuis l'échec de la Communauté européenne de défense en 1950, la défense européenne était considérée comme l'objectif ultime, le couronnement de la construction européenne, qui devait se faire par étapes, en commençant d'abord par l'économie pour contourner l'obstacle de la souveraineté des Etats. Or, il faut parfois envisager de « grandes enjambées » afin de faire avancer la construction européenne et cela me semble être le cas en ce qui concerne la défense. On peut d'ailleurs se demander si votre constat ne pourrait pas s'appliquer à bien d'autres domaines - je pense notamment au renforcement de l'intégration économique - qui me semblent aujourd'hui souffrir d'un manque d'Europe.

Nous sommes arrivés en réalité à un moment charnière de la construction européenne. Soit nous renouons avec l'esprit des « pères fondateurs » et relançons la construction européenne - en matière de défense et dans d'autres secteurs - soit nous assisterons à un repli de l'Europe, à la déliquescence de l'idée européenne, comme l'illustrent la montée des populismes et du nationalisme.

Ce « sursaut » nécessite une forte volonté politique qui soit portée par de véritables hommes d'Etat. Or, je doute que les chefs d'Etat et de gouvernement qui siègent aujourd'hui au Conseil européen soient véritablement à la hauteur des enjeux car ils s'apparentent davantage à des gestionnaires préoccupés avant tout par leur réélection.

Cela doit d'ailleurs nous inviter à nous interroger sur l'évolution actuelle de la politique et de la démocratie. Les hommes politiques sont désormais soumis à ce que j'appellerai le « carré tragique », formé par les sondages, le marketing, la tactique électorale et la communication. Ils ne sont plus porteurs d'un grand projet susceptible d'entraîner les peuples mais uniquement guidés par le souci de ne pas mécontenter leurs opinions publiques et d'être réélus lors des prochaines élections.

J'ai d'ailleurs déposé une proposition de loi constitutionnelle visant à limiter la durée du mandat du Président de la République. Celui-ci serait désormais élu pour un mandat de six ans non renouvelable immédiatement ce qui permettrait de le libérer de toute préoccupation électoraliste au profit d'une politique à long terme exclusivement conforme à ce qu'il considère être l'intérêt supérieur de la Nation et l'image qu'il souhaite inscrire dans l'Histoire.

Les responsables politiques semblent paralysés face à la montée des nationalismes, des populismes et des séparatismes car ils craignent de s'opposer à ces tendances et de mécontenter les opinions publiques, alors que c'est au contraire notre faiblesse, notre inaction, notre pusillanimité qui constituent le meilleur terreau du populisme, du nationalisme et du séparatisme.

Après ces considérations d'ordre général, j'en viens à la question que je souhaiterais vous poser.

Compte tenu de la faible appétence et des maigres crédits consacrés à la défense par de nombreux pays européens, ne serait-il pas légitime de prévoir une sorte de « cotisation » pour ces pays qui ne participent pas à la défense européenne car il n'est pas normal que l'effort de défense ne repose que sur quelques pays alors qu'il bénéficie à l'Europe dans son ensemble. Une autre idée serait d'exclure tout ou partie des dépenses de défense de la règle des 3 % du PIB pour le calcul du déficit budgétaire. Pourquoi ne pas envisager par exemple qu'au-delà d'un effort minimal de 1,5 % du PIB en matière de défense, les autres dépenses militaires ne soient pas comptabilisées ?

M. Bertrand Auban . - Le spatial militaire représente désormais un enjeu majeur, notamment en ce qui concerne les communications, l'observation ou le renseignement, et l'on sait que les Etats-Unis ont mis des moyens considérables dans ce domaine. Aucun pays européen ne peut à lui seul réaliser les investissements nécessaires et une coopération à l'échelle européenne est indispensable si l'Europe veut pouvoir disposer d'une capacité autonome dans ces domaines. Il s'agit d'une question essentielle car on ne peut pas agir de manière autonome si l'on ne dispose pas en propre des moyens nécessaires d'observation ou de communication. Il ne faut pas négliger non plus les enjeux économiques et industriels dans ce secteur à forte valeur ajoutée, qui présente un caractère dual. L'espace militaire constitue donc un domaine naturel de coopération à l'échelle européenne. Je pense en particulier aux futurs satellites d'observation.

Dans ce domaine, l'Allemagne devrait représenter pour notre pays un partenaire de premier plan. Or, l'attitude de l'Allemagne a été jusqu'à présent très décevante dans ce domaine, tant ce pays a privilégié ses intérêts industriels nationaux, comme l'illustrent par exemple son attitude concernant le système européen de navigation par satellite Galiléo ou son refus de s'engager sur la future fusée européenne devant succéder à Ariane 5.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam . - Je voudrais à mon tour féliciter les co-présidents et les membres du groupe de travail pour leur excellent travail et leurs propositions novatrices. Je pense qu'il est important que ces propositions fassent l'objet d'une discussion avec nos partenaires européens, notamment britanniques et allemands. On pourrait également envisager d'évoquer ces sujets au sein de l'assemblée parlementaire de l'OTAN, qui constitue un lieu intéressant d'échange et de discussions entre les parlementaires des pays membres de l'Alliance atlantique sur les questions de défense.

M. Jeanny Lorgeoux . - Je pense qu'il ne faut pas hésiter à trouver un titre fort et percutant à ce rapport. De ce point de vue, le titre proposé : « Pour en finir avec l'Europe de la défense : Vers une défense européenne » me paraît correspondre à ces critères, même s'il peut sembler provocateur.

M. Daniel Reiner, co-président du groupe de travail .- Je vais d'abord répondre à Jean-Claude Peyronnet sur l'« Eurogroupe ». C'est une question essentielle. Nous avons livré, si vous me permettez l'expression, l'idée « brute de décoffrage ». L'idée c'est qu'il faut un groupe de pays pionniers, comme cela a été le cas pour Schengen et pour l'euro, qui décident ensemble, sur une base volontaire d'aller plus loin. Qui en fera partie - on ne peut pas le dire, puisque c'est aux Etats de le dire. Mais il nous semble incontournable que le noyau de départ soit franco-britannique. Et de ce point de vue, le traité de Lancaster House constitue déjà ce noyau. Comment cela fonctionne ? Là encore cela doit être librement négocié entre les Etats qui en feront partie. Naturellement, il ne doit pas y avoir de veto dans l'« Eurogroupe », car sa raison d'être est, précisément, de constituer une instance de décision. Ceux qui ne veulent pas y aller n'iront pas.

M. Jean-Pierre Chevènement . - Les Britanniques n'iront pas s'il y a les Allemands !

M. Daniel Reiner, co-président du groupe de travail. - Ce n'est pas si sûr que cela. Les Britanniques sont d'accord pour dire qu'il faut les Allemands et même les Polonais et nous y avons rajouté les Italiens. L'Italie est le premier partenaire industriel de défense de la France, il faut le garder à l'esprit. On fait plus de coopérations industrielles avec eux qu'avec les Allemands ou les Britanniques. Mais si les Britanniques ne sont pas fermés à l'idée d'intégrer les Allemands et d'autres, ils nous demandent de faire preuve de « patience stratégique ». Les Italiens sont dans une situation économique difficile.

Seulement nous disons, et c'est ça l'idée nouvelle, il faut faire fructifier ce que nous avons fait ensemble avec les Britanniques. Ce traité est regardé par les autres et parfois les agace. Cela les agace d'autant plus que ce traité marche et va jusqu'au nucléaire. Même si on n'est pas dans le partage de souveraineté, on touche à des domaines où chacun est très jaloux de sa souveraineté.

M. Jean-Louis Carrère, président. - Finalement c'est très gaulliste votre proposition !

M. Daniel Reiner, co-président du groupe de travail. - Nous avons du reste mis en exergue du rapport une citation de Charles de Gaulle. Et il y a une autre maxime de Charles de Gaulle qui nous a beaucoup inspiré et qui est inscrite sur le mur de la salle de la commission de la défense de l'Assemblée nationale et qui dit que le premier devoir de l'Etat est la défense et qu'il ne peut y manquer sans se détruire lui-même. Cela répond à la question de Pierre Bernard-Reymond : est-ce que la défense est le bon sujet pour relancer le projet européen ?

M. Pierre Bernard-Reymond.- Je suis agréablement surpris que vous le disiez et que vous en soyez déjà là !

M. Daniel Reiner, co-président du groupe de travail. - Le contexte actuel est en effet très favorable, la nécessité d'une défense européenne s'impose.

M. Robert del Picchia . - L'avantage de l'« Eurogroupe » c'est que, contrairement aux coopérations structurées de Lisbonne qui nous impliquent définitivement et reposent sur la règle de l'unanimité des Etats participants, c'est informel, ce n'est pas une « structure », un « machin ».

M. Jean-Pierre Chevènement . - Il ne faut pas détruire le traité franco-britannique, il faut au contraire construire là-dessus.

M. Daniel Reiner, co-président du groupe de travail. - Effectivement, c'est notre vision.

M. Xavier Pintat, co-président du groupe de travail. - Je voudrais répondre à Jean-Pierre Chevènement, et lui dire que l'Allemagne a changé. Cela est le résultat des institutions que les vainqueurs ont mis en place au sortir de la guerre, donc on ne peut guère le reprocher aux Allemands, mais cela a marché et l'Allemagne d'aujourd'hui est un pays profondément pacifiste. Mais ce n'est pas pour cela qu'il ne participera pas à un effort de défense, dans cet état d'esprit. Les Allemands sont prêts à dépenser de l'argent pour la défense, mais dans un esprit pacifiste. J'étais quand même étonné, quand nous sommes allés au Bundestag, de voir que même les Verts souhaitaient relancer l'Europe de la défense, mais dans cet état d'esprit. L'ambassadeur de France nous a du reste incités à relancer le débat avec nos collègues allemands.

Néanmoins, comme je l'ai dit tout à l'heure, j'ai exprimé le souhait qu'on puisse rapprocher les règles d'engagement des soldats européens en opérations extérieures, car toutes ces limitations, ces caveats, sont insupportables et bloquants, et il faudrait peut-être envisager d'aller vers un statut juridique des soldats européens en missions extérieures.

Dans l'industrie de défense, on ne peut pas dire que l'avenir de l'industrie de la défense c'est l'Allemagne, ce n'est pas vrai. La base industrielle de défense allemande est deux fois moins importante que la base industrielle de défense française.

M. André Vallini, co-président du groupe de travail.- Sur le fédéralisme, l'idée c'est de dire que c'est peut-être sur l'aspect des choses où on attend le moins l'Europe qu'il faudrait la relancer. Cela semble paradoxal, mais jusqu'à présent, l'Europe c'est l'économie et les finances. Et en cette matière, pour beaucoup de gens, elle n'a pas forcément bien marché ni convaincu de son utilité. Si on explique aux citoyens qu'il y a de nouvelles menaces, que pour les parer cela coûte de plus en plus cher et que pour cela notre intérêt commun est de nous regrouper, afin d'éviter les redondances et les duplications, cela peut intéresser l'opinion publique.

J'ai bien entendu l'idée de Pierre Bernard-Reymond selon laquelle les pays européens qui ne participent pas à la défense cotisent à une sorte de budget commun, car ils en bénéficient. Il y a une autre idée, à laquelle je suis très attaché, c'est que l'on puisse déduire du comptage des déficits publics les dépenses de défense, ou du moins les investissements de défense.

M. Jean-Louis Carrère, président - Nous l'avons dit partout, avec Jean-Pierre Chevènement, y compris au sommet de l'Etat.

M. Jacques Gautier, co-président du groupe de travail. - Sur la proposition d'un Livre blanc européen ; un Livre blanc, c'est d'abord une vision partagée du monde, des risques, des menaces, mais aussi de nos forces et de nos faiblesses, de nos vulnérabilités. Et là on se rend compte que les vingt-huit ont des visions stratégiques totalement différentes. Ce qui n'est pas illégitime, mais il faut en faire la synthèse. Ensuite, il y a les ambitions de défense. Le Royaume-Uni et la France ont une vision globale du monde et conservent des ambitions. L'Allemagne pense surtout à faire de l'industrie de la défense, davantage que de la défense. Les « petits pays » ont considéré une bonne fois pour toute que c'étaient les Américains qui assuraient notre protection et que c'était très bien comme ça. Et donc, ça ne sera pas facile de s'entendre sur des ambitions communes. Ensuite, il y a la partie réponses, tant au niveau de l'outil de défense, qu'au niveau budgétaire. Et là c'est clair, il n'y a que le Royaume-Uni et nous qui ayons l'intention de nous projeter si nécessaire au-delà de nos frontières et qui nous en donnons les moyens, ou du moins nous efforçons de nous en donner les moyens. Et puis surtout, il faut qu'à la fin, il y ait quelqu'un qui tranche dans l'analyse stratégique, qui décide et qui endosse la responsabilité. Nous avons travaillé au sein de la commission du Livre blanc. Mais ce n'est pas nous qui l'avons signé, c'est le Président de la République. Or il n'y a pas de président européen, quelqu'un qui puisse dire : « compte tenu des menaces, compte tenu de mes ambitions et de mes moyens, voilà ce que je vais faire ». Si on fait un authentique Livre blanc à vingt-huit cela ne sert à rien.

M. Daniel Reiner, co-président du groupe de travail. - C'est un chiffon rouge pour les Britanniques.

M. Jacques Gautier, co-président du groupe de travail. - Si on le fait au contraire dans le cadre de l'« Eurogroupe », avec un partage des responsabilités sur une base régionale, cela peut marcher. Il ne faut pas écarter, dans cet «Eurogroupe» les « petits pays ». Il est évident que certains ont des capacités et une volonté pour apporter quelque chose, soit sur une base géographique, soit sur une base de spécialité militaire, je pense aux Estoniens et à la cyber défense. Voilà pourquoi nous sommes d'accord pour un authentique « Livre blanc » dans le cadre de l'« Eurogroupe », mais pas à vingt-huit.

M. Daniel Reiner, co-président du groupe de travail. - Nous évoquons dans le rapport le fait que le Livre blanc français évoquait, au conditionnel, la possibilité de faire un jour un Livre blanc européen, mais que cela n'était pas encore possible et c'est pourquoi, au contraire nous préconisons l'actualisation de la doctrine Solana, définie en 2003 et déjà actualisée en 2008 et qui n'a jamais engagé personne, il faut bien le dire. Sur la question des relations avec l'OTAN, je précise que cet « Eurogroupe » est totalement dans l'OTAN, car les pays en font naturellement partie. Il a même vocation à régénérer l'Alliance atlantique, à faire en sorte que les Européens se montrent enfin à la hauteur de leurs responsabilités en matière de défense. Sur l'Allemagne, il ne faut pas figer la position de l'Allemagne sur la perception que l'on peut en avoir aujourd'hui. Je crois que les Allemands eux-mêmes n'en ont pas encore pris conscience, mais l'Allemagne dans dix ans sera différente de l'Allemagne d'aujourd'hui. Nous avons rencontré des jeunes députés, l'un d'entre eux le Dr. Andreas Schockenhoff CDU/CSU qui n'est peut-être pas majoritaire dans son parti, mais qui a produit un certain nombre de documents qui sont très intéressants et qui vont tout à fait dans cette voie. Il y a même au sein du SPD, des députés qui s'expriment en faveur d'une future armée européenne

M. Jacques Gautier, co-président du groupe de travail. - Y compris en proposant une modification de la Constitution allemande !

M. Daniel Reiner, co-président du groupe de travail. - Alors certes ce sont des visionnaires, mais d'une part cette réflexion qui rejoint la volonté de puissance de l'Allemagne, qui se concrétise dans sa demande d'avoir un siège de membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies, ne peut pas faire litière de la nécessité de disposer d'un outil de défense. On ne peut pas avoir de diplomatie qui compte, sans avoir de grand couteau, ça n'existe pas. Les Allemands ne peuvent pas tenir ce discours permanent d'aspiration d'un statut de puissance en se dispensant de payer le prix des attributs essentiels de la puissance, qu'est la défense. Et par ailleurs sur le plan économique l'Allemagne de demain ne ressemblera pas à l'Allemagne d'aujourd'hui. Ils auront perdu des millions de citoyens. Ils seront peut-être dans une situation socialement plus difficile qu'aujourd'hui. On retrouve aujourd'hui des personnes âgées, en retraite, qui ont dû reprendre ce que l'on appelle des « mini-jobs ». L'Allemagne vit sur une économie qui prospère dans un monde économique où elle trouve sa place aujourd'hui. Mais rien ne dit que ce sera encore le cas dans dix ans. Sa démographie la pénalisera de toutes les façons.

M. Jean-Pierre Chevènement- L'Allemagne a une grande stratégie sur le plan économique. Elle exporte 1 097 milliards d'euros, quand la France n'exporte qu'un peu plus de 400 milliards. Le rapport de nos industries est de 2,5 à 1. J'ai été à Pékin, après le passage de la Chancelière Mme Angela Merkel, les journaux chinois titraient : « la Chine tend la main à la zone euro ». Après la production du trois centième Airbus fabriqué en Chine, ils titraient : « un exemple de la coopération germano-chinoise ». Cela donne une idée de la façon dont les choses sont perçues à l'extérieur. Le commerce extérieur allemand est excédentaire sur les Etats-Unis et sur la Chine. La Chine est devenue leur premier partenaire. Le monde ne ressemble plus à celui que nous avons connu. En Russie, les Allemands ont 4 000 implantations alors que nous en avons à peine 400. L'Allemagne considère qu'il n'y a plus du tout de menace avec la Russie, que c'est au contraire son far east. Les menaces au sud, l'islamisme radical, elle considère que ce n'est pas vraiment son affaire et que de toutes les façons les Etats-Unis ou la France ou le Royaume-Uni s'en chargent, chacun dans sa zone. Ils mettent le paquet sur l'économie et le moment venu, s'ils auront besoin d'une armée, ils ont encore une industrie qui leur permettra de l'armer. Et puis ils ont 300 000 immigrants européens par an, donc ne nous racontons pas trop d'histoire sur la démographie allemande. C'est devenu une grande puissance pacifiste.

A l'issue de ce débat, la commission adopte à l'unanimité le rapport d'information et autorise sa publication, en français et en anglais.

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