CONCLUSION ET PROPOSITIONS

Au terme d'une étude où votre rapporteur a entendu près de 100 personnes, représentant les principaux acteurs de l'aviation civile, plusieurs constantes s'imposent :

1. L'aviation civile sera confrontée dans les 30 ans qui viennent à des défis technologiques de grande ampleur sur l'ensemble des segments de sa chaîne de valeur.

Seules des réponses adéquates à ces défis lui permettront de satisfaire le ressaut de trafic qui s'annonce (doublement du nombre de passagers entre 2030 et 2050 suivant les estimations).

2. La « charnière » de 2025-2030 est particulièrement importante.

C'est vers cette période que des goulets d'étranglement du trafic pourront se manifester (capacités d'accueil des très grands aéroports, disponibilité des combustibles fossiles, gestion de la navigation aérienne, cohabitation avec les drones).

Et c'est à ce moment que seront lancés les successeurs des avions qui arrivent sur le marché (A320 Neo, A350, B787).

Avec une question sous-jacente : ce renouvellement s'effectuera-t-il, comme par le passé, sous la forme d'une continuité innovante ou exigera-t-il des ruptures technologiques fortes en matière d'architecture et de motorisation ?

Compte tenu des constantes de temps de préparation de ces innovations (entre dix et vingt ans), il faut les enclencher dès maintenant.

3. La confrontation des modèles économiques des compagnies aériennes (compagnies ou pavillon, compagnies de niche, compagnies à bas prix, intermédiation entre l'Europe et l'Asie proposée par les compagnies du Golfe) risque de renforcer la fragilité économique du transport aérien (confrontation d'investissements très lourds et d'une rentabilité très faible de l'ordre de 1 %).

4. Avec le nucléaire et l'espace, l'aviation civile est une industrie d'une grande complexité, puisque :

- elle supporte des contraintes de sûreté et de sécurité très élevées ;

- elle se situe à un très haut niveau technologique dont les progrès doivent être constamment nourris ;

- elle rassemble une multitude d'intervenants qui ne se résume pas à la trilogie classique (constructeurs, motoristes, spécialistes de l'avionique) et incorpore un tissu très diversifié de PME.

- elle est totalement intégrée à l'échelon mondial.

Pour ne donner qu'un exemple de cette ramification d'intervenants et de cette intrication dans la mondialisation, on rappellera qu'un A380 comprend environ 4 millions de composants industriels fabriqués par plus de 1 500 sociétés dans 30 pays (dont 800 aux États-Unis et 21 au Japon) .

5. C'est une des rares industries où notre pays est un acteur de rang mondial qu'il s'agisse :

- du rang de ses aéroports ;

- de l'activité de sa principale compagnie aérienne ;

- et, de son offre d'avions, domaine dans lequel elle est le seul pays avec les États-Unis à posséder un grand constructeur, un grand motoriste et un grand spécialiste d'avionique.

6. L'aviation civile est une activité industrielle capitale pour notre pays - quantitativement mais aussi en fonction d'un fort pouvoir de diffusion d'innovations dans l'ensemble du tissu industriel.

Industrie de pointe, la construction aéronautique est confrontée en permanence à un défi : les développements technologiques de l'amont ne sont producteurs de progrès de productivité que si on trouve des procédés industriels adéquats pour les appliquer.

Ces adaptations permanentes des processus de production rétroagissent sur les fournisseurs des constructeurs et au-delà. Le meilleur exemple que l'on peut donner dans ce mouvement est la fabrication en composite du caisson central de l'A350 qui a donné lieu au sauvetage d'une entreprise nantaise de robotique et permis des avancées de l'offre de logiciels de ce domaine.

7. Qu'elles prennent la forme d'une continuité d'améliorations très innovantes ou de ruptures technologiques plus tranchées, les configurations des avions qui seront lancés en 2030, se préparent dès maintenant, en recherche académique et en développement de briques technologiques lourdes.

8. Le financement de cette recherche qui doit préparer, dès maintenant, l'avenir de l'aviation européenne à une génération doit être partagé entre les pouvoirs publics et les industriels.

Pour deux raisons.

D'une part, parce que la concurrence actuellement américaine (bientôt chinoise mais aussi allemande) dispose de très importants financements publics.

Et, d'autre part, parce que si les industriels doivent légitimement assurer une part des risques (ce qu'ils font pour un volume de recherche de l'ordre de 13 à 17 % du chiffre d'affaires), ils ne peuvent pas assurer la totalité d'un risque industriel dont les retours sur investissement dépassent la dizaine d'années.

*

* *

Des constats qui précèdent se déclinent les propositions de votre rapporteur.

De nature et d'importance différentes, celles-ci sont principalement fondées sur le souci de conserver à notre pays un de ses rares avantages industriels dans un contexte de renforcement de la concurrence mondiale.

I. MAINTENIR DANS LE LONG TERME DES SOUTIENS PUBLICS À LA RECHERCHE AÉRONAUTIQUE

Le rang de l'industrie aéronautique française n'est pas dû au hasard. Il est le fruit de politiques publiques menées de façon constante depuis un demi-siècle, au travers de succès mais aussi d'échecs.

Ces soutiens publics nationaux et européens ont principalement porté sur toute la chaîne de recherches et été accordés à tous les types d'acteurs. Ce n'est ni une spécificité français, ni européenne. Les grands pays de l'aéronautique - et, en particulier, les États-Unis (DARPA, NASA) - allouent à l'industrie aéronautique par divers canaux des moyens considérables.

Or, du fait des apports du Grand Emprunt, dont l'aéronautique a bénéficié, mais pas plus que beaucoup d'autres secteurs, les soutiens publics nationaux à la recherche aéronautique s'altèrent.

Cette évolution, si elle se confirmait, à terme, serait de nature à tarir les flux de la recherche aéronautique française et compromettre l'avenir de cette industrie car c'est dans les années à venir que se prépareront les ruptures technologiques nécessaires aux avions qui seront lancés en 2025-2030.

Dans ce domaine industriel d'excellence, le raisonnement à courte vue qui consiste à diminuer le soutien à un secteur qui réussit pour le transférer, à enveloppe financière égale, sur des terrains industriels où nous avons largement perdu pied, semble peu pertinent. C'est pourquoi votre rapporteur estime qu'une réactivation des soutiens publics à la recherche aéronautique est indispensable ; ceci sur chacun des éléments de la chaîne de recherche.

1. Remettre à niveau dans la durée les crédits alloués à l'Office national d'études et de recherches aérospatiales (ONERA)

L'ONERA est une pièce importante du dispositif français - en ce que, dans son activité aéronautique civile 39 ( * ) , il se situe à la charnière des recherches académiques et du développement technologique de base. L'Office a, par ailleurs, été labellisé « Institut Carnot ». Il couvre donc l'amont de l'intervention des industriels mais contracte avec eux sur les interfaces de recherche de l'aval.

Avec des moyens très importants en capacité de calcul et en soufflerie (l'installation de Modane est la première du monde), l'Office est donc en situation d'amorcer des études sur des thématiques appelées à être importantes ou décisives à moyen ou long terme et que les industriels n'ont pas vocation à préfinancer.

L'altération de plus de la moitié des crédits de recherche qui lui sont alloués par la DGAC est donc très préoccupante.

Elle l'est d'autant plus que nos partenaires allemands ont considérablement augmenté les crédits du « LUFO » qui est l'équivalent allemand de l'ONERA.

Ceci alors même que nos voisins n'ont qu'un grand industriel (Airbus) à soutenir, alors que la France en a trois (Airbus, Thalès, Safran).

De plus, les crédits français sont soumis à la variabilité des dotations de l'annualité budgétaire alors que les dotations allemandes sont cadrées sur cinq ans, ce qui leur confère une lisibilité de recherche précieuse.

Le ressaut des crédits annuels nécessaires à cette remise à niveau est de l'ordre de 80 millions 40 ( * ) d'euros par an, ce qui ne paraît pas excessif au regard des enjeux que cette réallocation sous-tend.

2. Assurer le financement des projets du Conseil pour la recherche aéronautique (CORAC)

La mise en perspective de l'innovation aéronautique a été relancée en 2008 par la création du CORAC. Le comité regroupe l'ensemble des intervenants de l'aviation civile.

Le CORAC a joué un rôle important dans la mise en oeuvre des fonds du Grand Emprunt en mettant en place 6 démonstrateurs dont un des avantages est d'associer le tissu des PME de l'industrie aéronautique (plus de 350 PME ont partagé ces activités de recherche).

Au-delà, le comité a validé une feuille de route scientifique et technologique qui s'est traduite par trois programmes structurants (déjà évoqués au cours de cette étude) qui chacun correspond à des secteurs d'excellence de l'industrie aéronautique et dont l'impact sur la compétitivité de l'ensemble de la filière devrait être maximal.

Ces trois programmes sont les suivants :

L'usine aéronautique du futur pour préparer les innovations sur les méthodes et procédés d'avenir de la filière avec la nécessité d'une révolution technologique concernant :

- les matériaux et procédés ;

- le pilotage technique de la chaine logistique ;

- la mise en oeuvre de nouvelles technologies robotiques.

Les systèmes Embarqués et Fonctionnalités Avancés . Il s'agit ici de développer de façon concertée les nouvelles technologies et fonctionnalités indispensables pour faciliter l'exploitation des aéronefs, les rendre encore plus sûrs (dans un espace aérien très chargé et en tenant compte de toutes les conditions météorologiques), et accroitre leur compétitivité. Concrètement ce programme inclut les éléments suivants :

- la gestion du vol : préparation des systèmes de nouvelle génération pour les aéronefs futurs, en adéquation avec les nouveaux concepts issus des programmes européens et américains de gestion du trafic aérien, « SESAR » et « NextGen » ;

- les fonctionnalités à forte valeur ajoutée : optimisation multicritères des trajectoires afin d'améliorer l'efficacité globale « porte à porte », en minimisant l'impact sur l'environnement et en accroissant la sécurité ;

- le cockpit avancé : conception de plateformes « centrées sur le pilote », permettant d'optimiser la charge de travail de l'équipage, de lui permettre de maîtriser la complexité et de lui offrir des gains de performance, de sécurité et de flexibilité opérationnelle.

Les nouvelles configurations d'aéronefs. Les avions de transport modernes s'appuient sur des formules aéropropulsives éprouvées. De nouvelles configurations sont nécessaires pour atteindre nos objectifs à long terme : elles demandent à aller au-delà du domaine de conception connu. Cette thématique inclut :

- de nouveaux critères de conception et de dimensionnement ;

- des méthodes et capacités de calcul pour une conception multidisciplinaire plus étendue.

- Les essais nécessaires à la validation de ces nouvelles configurations (maquettes en soufflerie, simulateur de propulsion, ...)

Il n'est pas utile d'insister sur le fait que ces programmes ont à la fois le but de donner des objectifs à la recherche aéronautique sur des thématiques essentielles et de préparer la continuité innovante pour les ruptures technologiques de l'aviation de 2030.

Malheureusement, aucun financement n'a été dégagé sur ce point. Les crédits publics correspondants sont de 400 millions d'euros sur 6 ans (400 millions d'euros devront être supportés par l'industrie), soit environ 60-70 millions d'euros par an.

Dans ce domaine, comme dans celui de l'altération des dotations de l'ONERA, on est frappé par la disproportion entre la relative modicité des enveloppes nécessaires et les résultats industriels, financiers et sociaux que l'on peut raisonnablement escompter de leur libération.

*

* *

Or, des potentialités de financement existent.

Si le retour des avances remboursables délivrées dans le cadre du Grand Emprunt n'est pas attendu avant une quinzaine d'années (et au demeurant, sera réaffecté à la masse), il existe un reliquat non employé et qu'il n'est pas actuellement envisagé d'utiliser pour l'aéronautique.

Sans même parler d'une nouvelle tranche de Grand Emprunt, il paraît à votre rapporteur indispensable d'affecter une partie de ce reliquat à un secteur d'excellence qui, rappelons-le à nouveau, génère un million d'emplois en France (dont 330 000 emplois directs).

3. Mener une action de recherche spécifique à la turbopropulsion

Les turbopropulseurs représentent un secteur non négligeable de la construction aéronautique. Le marché à un horizon de 20 ans est évalué à plus de 3 000 avions.

En l'état, leur emploi correspond à des lignes transversales pour des trajets de l'ordre de 500 à 600 kilomètres et présentent, dans ce cadre, deux types d'avantages par rapport à la turboréaction :

- les consommations sont sensiblement moindres (de l'ordre de 20 %) ;

- et, la maintenance de la motorisation est beaucoup plus rapide et beaucoup moins coûteuse.

Dans un avenir où l'on doit probablement escompter une augmentation de long terme du prix du kérosène, il convient de prêter attention aux progrès technologiques de cette filière. Et, particulièrement mais pas exclusivement, dans trois domaines :

- le rendement de la motorisation - des gains de l'ordre de 10 % sont dès maintenant envisagés dans le nouveau projet de turbopropulseur mené par SAFRAN ;

- la diminution du bruit produit par l'hélice - le moteur n'étant pas caréné,

- et, l'amélioration de l'assiette de vol. Sans que cela entraîne de risques particuliers, les vols en turbopropulsion sont moins stables qu'en turboréaction, ce qui diminue un éventuel emploi de la turborpropulsion sur des trajets plus longs que ceux pour lesquels elle est actuellement utilisée.

Votre rapporteur estime que des programmes spécifiques de recherche doivent être lancés sur ce point.

4. La création d'une Alliance de recherche dans le domaine de l'aéronautique

La recherche aéronautique est, à la fois, de très haut niveau, très diversifiée suivant les thématiques et dépendante de technologies transversales de pointe.

La question se pose donc de savoir si, au côté du CORAC qui définit la feuille de route technologique de cette industrie, il ne serait pas utile de créer une structure permettant de mieux fédérer la mise en oeuvre de cette feuille de route, ainsi que les autres innovations développées par les acteurs de cette recherche.

La création d'une Alliance de recherche aéronautique pourrait répondre à cet objectif.

Elle permettrait notamment :

- d'activer les coopérations entre les intervenants actuels (ONERA, industriels, IRT de Nantes et de Toulouse, INRIA) mais aussi avec des acteurs potentiels présents dans le monde universitaire sur des technologies transversales (matériaux, techniques numériques) ;

- et d'essayer d'associer plus étroitement les PME de l'aéronautique à cet effort de recherche.

II. ANTICIPER LE DÉVELOPPEMENT DU MARCHÉ DES DRONES

À l'horizon de ce rapport (2040), il est très difficile de quantifier le poids futur des marchés des drones civils dans la construction aérienne.

Mais les premières évaluations dont on dispose sur les dix prochaines années aux États-Unis (30 000 drones civils en 2025) laissent à penser que le déploiement de ces technologies sera rapide et important.

En l'état :

- la France a édicté une réglementation prudente en 2012 - cela a été le premier pays à le faire au monde ;

- notre pays n'a pas bénéficié de l'effet d'entrainement des drones militaires (qui a profité à Israël et aux Etats-Unis) d'acteurs industriels non négligeables (dont beaucoup de PME) et d'un pôle de compétitivité dont une partie de l'activité est dédiée aux drones ;

- l'Union européenne est compétente pour réglementer la circulation des drones de plus de 150 kg. Une directive est en préparation sur ce point.

Mais il faut aller plus loin.

Sur cet enjeu industriel émergent, votre rapporteur préconise :

1. La constitution d'une mission intergouvernementale - structure administrative légère et par vocation provisoire - dédiée au développement de cette industrie.

Le rôle de cette mission serait d'amorcer la création d'une filière :

- de donner une plus grande lisibilité réglementaire dont les industriels ont besoin, ceci pour trancher le débat entre l'évolution des drones dans un espace ségrégué ou non avec l'aviation civile, et pour développer des normes de certification et de formation des pilotes ;

- d'activer une politique de commandes publiques pour des usages régaliens (par exemple, surveillance des forêts et des routes des lignes ferroviaires ou des installations nucléaires) ;

- d'insister sur les points forts de l'offre française (drones-hélicoptères civils et militaires, systèmes de sûreté et de sécurité des communications),

- de faire le lien entre les développements militaires et leur activité civile,

- et de fédérer les recherches sur les briques technologiques (optronique, théoriques, radar, systèmes de transmissions) qui sont nécessaires aux PME productrices de drones mais que peu d'entre elles maîtrisent.

2. Le suivi, à l'échelon européen, de l'activation des recherches dans ce domaine et de la mise en place d'une directive pour les drones de plus de 150 kg.

III. SUIVRE LES PROGRÈS DES FILIÈRES DE BIOKÉROSÈNE

Les filières de production du biokérosène sont à des stades de développement variés (démonstrateurs et pré-installations industrielles pour la filière huile, recherche développement pour la filière algue, dite de 3 ème génération).

Chacune d'entre elles a des bilans et des perspectives en matière d'émission nettes de CO 2 , de concurrence avec les usages agricoles, et de cycle de production très différents.

De plus, celle de ces filières qui est la plus proche du déploiement industriel repose sur un modèle économique aléatoire :

- ses prix de revient demeurent prohibitifs par rapport à ceux des hydrocarbures traditionnels - pour le moins, de deux à trois fois plus élevés ;

- les investissements initiaux sont très lourds et le retour sur investissement est de l'ordre d'une dizaine d'années ;

- mais, surtout, la montée en puissance significative de cette filière dépend du prix des carburants qu'il est très difficile d'évaluer à l'horizon d'une décennie ou plus, en ce qu'il dépend :

- de la demande,

- et, d'une offre qui s'est récemment spectaculairement étoffée avec l'extraction des hydrocarbures non conventionnels et qui pourrait, aussi, être activée par la mise en place de système de captation et de stockage de CO 2 reposant sur l'usage d'une matière première abondante, le charbon.

Dans ces conditions, votre rapporteur préconise de suivre et de développer la filière de biokérosène à l'échelon européen :

- en activant les recherches dans ce domaine, et en particulier sur les filières de 3 ème génération (algues), dans le cadre du 8 ème Programme cadre de recherche et développement européen (PCRD) ;

- en soutenant progressivement un premier déploiement industriel des filières de deuxième génération , ce qui ne peut être fait qu'en les subventionnant comme le font les départements de l'énergie et de la défense aux États-Unis.

Mais il est clair qu'à terme, cette subvention directe sur des fonds européens pourra poser le problème d'une taxation très légère du kérosène fossile sur le territoire de l'Union européenne.

IV. SURVEILLER L'ÉTABLISSEMENT DE NORMES POUR LA RÉNOVATION DE LA NAVIGATION AÉRIENNE

Actuellement, deux propositions de rénovation de la navigation aérienne coexistent à l'échelon mondial : « SESAR » pour l'Europe et « NextGen » pour les États-Unis.

Un mémorandum a été signé entre l'Europe et les États-Unis pour coordonner ces deux programmes.

À l'échelon de l'OACI, la conférence de novembre 2012 a adopté un Plan global de navigation aérienne sur lequel tous les systèmes régionaux - dont « SESAR » et « NextGen » - devront s'aligner.

Mais si le suivi de ce plus petit dénominateur commun ne pose pas de problème à nos industriels qui sont souvent engagés sur les deux programmes, il existe une différence entre les deux programmes : « NextGen » vise à rénover les infrastructures américaines de navigation aérienne dans une optique de court-moyen terme alors que « SESAR » - lié au ciel unique européen - a des objectifs de plus long terme.

De là, il paraît nécessaire à votre rapporteur que les pouvoirs publics accordent une attention particulière à trois sujets :

- une normalisation fondée sur une démarche de court terme et des standards limitatifs par opposition à des standards plus ouverts avantagerait les États-Unis ;

- les enjeux industriels sont très importants lorsqu'il s'agit de spécifications techniques ou opérationnelles développées par des organismes de normalisation comme le RTCA aux États-Unis ou Eurocae en Europe. Or, Eurocae étant dotée de beaucoup moins de moyens que l'organisme américain, il est donc nécessaire de renforcer cette structure ;

- les besoins de l'Asie - et, en premier lieu de la Chine - portent sur une rénovation totale des infrastructures et sur des solutions de long terme. En principe, cette demande trouverait plus de répondant dans le projet européen que dans le projet américain. Mais la stratégie européenne devrait prendre en compte ce marché et développer assez rapidement des solutions de long terme, faute de quoi le marché asiatique pourrait se tourner vers l'offre américaine.

Votre rapporteur a conscience que ces propositions sont très techniques, mais il souhaite insister sur l'importance du suivi des programmes internationaux de normalisation - suivi qui cadre parfaitement avec les efforts de rénovation de notre diplomatie économique actuellement entrepris.

V. ACCORDER UNE ATTENTION PARTICULIÈRE À LA FORMATION DES HOMMES

Dans une activité industrielle qui est, en permanence, soumise à la poussée des innovations, l'attention apportée à la formation est essentielle.

Sans prétendre à être exhaustif, votre rapporteur estime que trois domaines de formation sont importants pour l'avenir de l'aviation civile.

1. Les besoins en formations spécifiques au secteur de la construction aéronautique

Dans l'immédiat, on ne peut que constater le paradoxe très français d'un secteur qui a de forts besoins en main d'oeuvre très qualifiée et qui a du mal à en recruter.

Cela renvoie assez clairement à deux problèmes plus généraux : l'adéquation des formations à la demande industrielle et l'emploi des fonds dédiés à la formation professionnelle.

Cela vaut, par exemple, pour Airbus qui participe à des efforts de formation en milieu scolaire, mais cela vaut encore plus pour le réseau de PME associées à cette industrie.

Une politique plus volontariste est nécessaire sur ce point en insistant sur l'enseignement en alternance.

À terme, la modification des procédés industriels va générer de nouveaux métiers ou faire profondément évoluer ce qui existe.

La question se pose dès maintenant de savoir s'il est nécessaire d'organiser à tous les échelons (lycées professionnels, BTS, IUT, universités et écoles d'ingénieurs) des formations répondant à ces évolutions.

À titre d'illustration, les Allemands ont entrepris un effort important de ce type autour de leur pôle de Hambourg.

2. Anticiper le choc de l'introduction de la numérisation dans les systèmes de navigation aérienne

À un horizon de dix à quinze ans, les technologies employées dans le contrôle de la navigation aérienne vont transformer l'exercice de cette activité.

Ces modifications seront d'autant plus importantes dans l'espace aérien européen car elles coïncident avec la mise en place progressive des accords sur le ciel unique.

Pour les pilotes, comme pour les contrôleurs aériens, il ne s'agira pas à proprement parler d'un changement de métier mais d`une mutation profonde.

Dans ces deux cas, un effort très conséquent de formation doit être entrepris auprès de ces deux populations.

Cet effort devra accorder un soin particulier aux interfaces homme-machine, notamment en situation de crise.

3. Tirer les conséquences de la numérisation de l'économie

Ce mouvement général ne concerne pas directement l'aviation civile mais comme secteur de pointe, elle est un des premiers à en subir l'appel.

De façon croissante, l'aéronautique aura besoin de spécialistes des logiciels embarqués.

Or, le rapport présenté sur ce sujet en 2010 a montré :

- que seuls 20 % des étudiants avaient reçu une formation dans ce domaine ;

- et qu'aucune formation dédiée à ce sujet n'était en place.

Votre rapporteur estime qu'il est nécessaire de redresser rapidement cette situation.

VI. FÉDÉRER UNE RECHERCHE SUR LES AÉROPORTS DE L'AVENIR

Les passagers ont le sentiment que les taxes d'aéroport ont fortement augmenté depuis 20 ans sans que les services offerts aient notablement progressé.

Si l'on excepte les initiatives qui ont été prises dans ce domaine par le « pôle aviation » de Hambourg, il existe très peu de recherches dans ce domaine.

Il semble, par ailleurs, que contrairement aux constructeurs, les responsables d'aéroport ne confrontent qu'assez peu leurs projets.

Pourtant, les aéroports qui sont des points de passages obligés du trafic aérien sont une des pièces essentielles du dispositif de l'aviation civile.

On imagine mal que les avions et la navigation aérienne se modernisent fortement à un horizon d'une génération, sans que les plateformes aériennes suivent.

C'est pourquoi votre rapporteur propose de confier aux Aéroports de Paris - en liaison avec les industriels et les opérateurs publics concernés - une mission exploratoire dans ce domaine. Cette mission devra aussi envisager la possibilité de créer un pôle de recherches coopératives - européen ou extra-européen.

Quatre domaines pourraient être plus spécifiquement envisagés :

a) L'unification des fonctions opérationnelles de l'aéroport

Comme votre rapporteur l'a noté, ce n'est que récemment et sans l'impulsion de la DGAC, qu'a été élaborée, à Roissy, une liste unique de vols remplaçant les listes antérieures qui étaient gérées par chacun des intervenants (contrôle aérien, tour de contrôle, compagnies, contrôle de sécurité, police des frontières, etc.).

Une unification plus poussée des systèmes d'information de ces intervenants permettrait de mieux cerner les pointes de trafic de passagers et de bagages et donc de limiter les temps d'attente.

Cette fusion des systèmes devrait également s'appliquer aux multiples acteurs qui interviennent sur les zones de parking des avions (maintenance, ravitaillement, nettoyage, etc.).

b) L'intégration de l'information aux instruments de communication des passagers

Les téléphones dits « intelligents » ont généré des offres applicatives multiples. Mais peu sur les vols.

Une application pourrait être proposée par les compagnies, permettant aux passagers de recevoir en situation l'intégralité des informations sur leur vol (retards éventuels, localisation exacte du comptoir d'enregistrement permettant d'éviter les pérégrinations de plusieurs centaines de mètres entre les halls).

c) La fluidité des opérations de sécurité et d'acheminement des passagers et des bagages

Si en matière de santé, des progrès incontestables sont en vue pour la détection des dangers potentiels, grâce à l'affinement des logiciels servant les systèmes de vidéosurveillance, beaucoup reste à faire pour améliorer la fluidité des opérations de sécurité.

Le contrôle et les flux de bagages pourraient s'effectuer en continu grâce à des systèmes de puces RFID.

Le contrôle des passagers et sa fluidité dépendent pour partie des moyens qui lui sont affectés et pourraient s'effectuer également en continu grâce à des systèmes reposant sur les ondes émis par le corps humain. Ces systèmes, plus rapides que les portiques traditionnels, sans les inconvénients d'irradiation des scanners, ne sont toutefois pas encore en état de maturation industrielle.

d) L'intermodalité

Les trains à grande vitesse ou à très grande vitesse constituent une offre concurrentielle quelquefois décisive pour l'aviation civile.

Mais ils peuvent également être un atout pour celle-ci.

À une condition, celle de lever les solutions de continuité qui continuent à exister entre ces deux modes de transport.

En première analyse, on peut en identifier trois :

- les trop grands délais d'attente qui existent entre les connections aériennes et ferroviaires : 3 heures en moyenne à Roissy, soit environ la durée d'un vol entre Paris et Athènes ;

- la quasi-absence d'une offre unifiée de vente de billets pour des transports mixtes « rail-avion » ;

- les délais de circulation de passagers et des bagages entre les deux modes de transport : à part Francfort, les grands aéroports mondiaux ont été conçus pour des liaisons directes reposant sur l'usage de l'automobile ou de transport en commun les reliant au centre-ville. Mais pas en fonction d'une offre intermodale de transport.


* 39 L'ONERA mène également des recherches militaires et des recherches sur l'espace.

* 40 Dans un monde idéal, 100 millions d'euros (évaluation du CORAC) seraient préférables.

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