B. LES INVESTISSEMENTS DANS LE RÉSEAU FERROVIAIRE DOIVENT ÊTRE AFFECTÉS, EN PRIORITÉ, À LA MODERNISATION DES LIGNES EXISTANTES ET AU DÉSENCLAVEMENT DES TERRITOIRES
1. Des ressources financières limitées requièrent de nouvelles orientations dans les investissements
La situation existante a été fort bien résumée par M. Philippe Duron, président de l'AFITF et de la commission « Mobilité 21 », lors de son audition, le 10 avril 2013, par la commission du Développement durable du Sénat :
« La nécessité de renforcer les réseaux de communication existants a été soulignée à de nombreuses reprises. Elle prévaut sur le lancement de grands projets. Ensuite, toute une série de noeuds, menacés de congestion, doit être prise en compte de façon prioritaire. Je prendrai l'exemple de Lyon qui est dans une situation extrêmement tendue : les TGV peuvent être ralentis avant leur entrée dans la métropole, les TER peuvent avoir 10 à 20 minutes de retard aux heures de pointe, les trains de marchandise ne peuvent plus y transiter.
S'agissant des projets à grande vitesse, tous les modes de transport sont-ils nécessairement pertinents à tous les endroits ? Entre les TGV et les TER, il manque un chaînon, parce qu'on a laissé dépérir les trains Corail, qui étaient un mode intermédiaire. Rien n'a été imaginé pour les remplacer. Aujourd'hui, des propositions imparfaites sont formulées, qu'il s'agisse de la rénovation des TGV de première génération, ou du gonflement des Régiolis. Elles ne répondent pas à l'enjeu, qui est de trouver un outil robuste relativement rapide mais aussi confortable. Il faut permettre aux territoires de trouver des solutions adaptées, en fonction des distances ou de la population.
Enfin, un travail doit être réalisé au niveau de la soutenabilité financière. On travaille actuellement sur les chroniques financières de l'AFITF. La projection peut aller jusqu'à 2030, mais après, l'exercice est plus hasardeux. Les marges de manoeuvre sont très serrées, et les ressources sont déjà très largement engagées, puisque quatre lignes à grande vitesse sont lancées : la ligne Loire-Bretagne, la ligne Sud-Europe-Atlantique, la deuxième phase du TGV Est et le contournement Nîmes-Montpellier . Elles vont consommer l'essentiel des crédits de l'AFITF pour les six prochaines années, si tant est que ses moyens restent constants, à hauteur de 2,2 ou 2,3 milliards d'euros par an.
Nous aurons ensuite une relative respiration financière, sous réserve que le Lyon-Turin et le canal Seine-Nord ne viennent s'ajouter aux quatre projets de lignes à grande vitesse. Il nous faut donc réfléchir selon trois temporalités :
- premièrement, l'achèvement des projets engagés . Deux lignes se feront en financement classique : la Lyon-Bordeaux et la LGV Est deuxième phase. Les deux autres lignes se feront en PPP : la Loire-Bretagne et le contournement de Montpellier-Nîmes, qui seront donc des engagements de plus long terme ;
- dans une deuxième phase, seront réalisés d'autres projets dont les études auront été engagées dès la première phase ;
- enfin, à l'horizon 2030-2050, resteront les projets qui ne pourront pas être financés de manière prioritaire . »
Vos rapporteurs saluent l'ouverture d'esprit et le pragmatisme de M. Duron, qu'ils ont reçu le 11 avril 2013.
Ils sont conscients de la difficulté de la mission confiée à la commission « Mobilité 21 » qu'il préside, à laquelle il reviendra d'arbitrer entre les projets qui ont chacun, aux yeux de leurs promoteurs, une nécessité et une légitimité suffisantes pour être considérés comme prioritaires.
La faiblesse constitutive du SNIT a été d'établir une liste de ces projets sans en établir un calendrier de réalisation. C'est pour y remédier qu'a été constituée la commission « Mobilité 21 », mais la liste des priorités qu'elle établira, réparties par urgence chronologique, entraînera inévitablement des déceptions.
2. Le désenclavement de l'espace central français
La carte ci-après illustre la nécessité d'édifier une ligne à grande vitesse, en plus de celles qui ont été déjà évoquées, pour assurer l'égal accès des habitants du grand Centre de la France à une desserte ferroviaire rapide.
Ceci s'impose d'autant plus que la ligne Paris-Lyon est d'ores et déjà saturée, avec les conséquences négatives qui ont été décrites.
La ligne grande vitesse Paris-Lyon ne sera plus en mesure de répondre à la demande des déplacements nord-sud à l'horizon 2020-2025. Les solutions pour pallier cette saturation sont fragiles, car l'augmentation de capacité des TGV ne résoudra pas le problème : il existe effectivement une marge de progression en remplaçant toutes les rames à un niveau par des rames en duplex : les nouveaux TGV auront plus de places assises. Cette solution est déjà prévue pour absorber la croissance des prochaines années.
Les potentialités du système européen d'espacement des trains (ERTMS) restent à démontrer : ce système, qui offre en théorie un débit supérieur au débit actuel, reste à finaliser. Compter uniquement sur ce système serait prendre un risque important au développement de la grande vitesse.
Mais le projet de ligne grande vitesse Lyon-Turin constitue une priorité pour la France et l'Italie, et pourrait être financé sur des fonds européens. En effet, une grande partie des voyageurs venant de toute l'Europe et passant par Paris, souhaitant poursuivre leur trajet vers Lyon, puis vers Turin, en empruntant la future ligne grande vitesse Paris-Lyon-Turin, ceci augmentera la saturation de la ligne de façon encore plus importante.
Pour remédier aux goulets d'étranglement ferroviaires situés en Île-de-France et à Lyon, l'itinéraire Paris-Orléans-Clermont-Ferrand s'impose, et doit être réalisé parallèlement à la ligne grande vitesse Lyon-Turin, ce qui permettra d'ailleurs une meilleure rentabilité de cet axe.
3. Améliorer les lignes existantes par une rénovation des gares et une modernisation des trains d'équilibre des territoires
Le caractère dimensionnant des capacités des gares et de certains noeuds ferroviaires a été plusieurs fois évoqué devant vos rapporteurs. Il avait déjà été souligné par l'étude, citée plus haut, rédigée en 2005 par l'École polytechnique de Lausanne, mais aucune conclusion concrète ne semble en avoir été tirée par les gouvernements successifs .
Quarante liaisons 12 ( * ) considérées comme « trains d'équilibre du territoire » ont fait l'objet d'une convention entre l'État et la SNCF, conclue le 13 décembre 2010.
La DATAR présente ainsi cette convention :
« Afin de pérenniser des liaisons ferroviaires déficitaires mais nécessaires pour irriguer l'ensemble du territoire national, l'État a signé avec la SNCF, le 13 décembre 2010, la « convention d'exploitation pour les trains d'équilibre du territoire ». Son comité de suivi, installé le 30 mai 2011, réunit les représentants des collectivités territoriales et des usagers, la SNCF, RFF et les services de l'État compétents, dont la Datar.
Entrée en vigueur au 1 er janvier 2011 pour une durée de trois ans, la convention prévoit d' équilibrer l'exploitation de quarante lignes existantes, de maintenir leurs dessertes et d'améliorer la qualité du service apporté .
Au quotidien, il s'agit de desservir 367 villes grâce à 340 trains grandes lignes de jour et de nuit (Corail Intercités, Téoz et Lunéa). En transportant 100 000 voyageurs par jour, soit le tiers des TGV, les trains d'équilibre des territoires constituent le deuxième réseau ferré national .
L'État, en devenant nouvelle autorité organisatrice de ces transports ferroviaires d'équilibre du territoire, définit directement les objectifs d'aménagement du territoire et les obligations de service public qu'il appartient à la SNCF de remplir sur ces lignes.
En contrepartie de ses obligations, et pour mettre fin au déficit actuellement constaté sur ces lignes, la SNCF reçoit une compensation annuelle de 210 M€, en 2011, et 325 M€ en 2012 et en 2013. Cette compensation est financée par la taxe d'aménagement du territoire sur les sociétés d'autoroutes et par une contribution sur le chiffre d'affaires des services grande vitesse et des résultats des grandes entreprises ferroviaires.
L'État investit, par ailleurs, 300 M€ dès 2011 dans la modernisation du matériel roulant existant ; un programme ambitieux sera nécessaire pour le renouvellement de ce matériel roulant à partir de 2015 .
Le comité de suivi de la convention a pour mission de s'assurer de la bonne exécution de ces engagements. Il fera également des propositions d'amélioration sur la qualité du service rendu aux usagers sur les lignes. »
4. Restaurer la compétitivité du fret ferroviaire
Un sondage publié dans « Les Échos » du 26 mars 2013 illustrait ces éléments :
Depuis son ouverture à la concurrence en 2006, le fret ferroviaire n'a cessé de régresser : de 55 milliards de tonnes-kilomètres en 2000, il a chuté à 30 milliards en 2011, alors qu'il augmentait de 40 % en Allemagne. La France risque de devenir un maillon faible au sein d'une Europe qui développe activement ce mode de transport.
Parmi les nombreuses causes de cette régression figurent le recul industriel et l'évolution du réseau vers la priorité donnée aux services voyageurs, ainsi que le dynamisme et la compétitivité du fret routier.
Les remèdes sont complexes à mettre en oeuvre : abandon des seuls envois réguliers et massifs pour la recherche de marchés plus dispersés et difficiles d'accès, ouverture du rail à des opérateurs ferroviaires et logistiques locaux, intéressés au report modal.
Dans ce domaine, la SNCF doit revenir à sa mission fondamentale de développement du fret ferroviaire, en améliorant la rentabilité de ce mode de transport, en développant des plates-formes multimodales, et en se désengageant du fret routier, qui l'a détournée de cette activité de base que lui a confiée l'État.
* 12 Voir annexe 7.