II. UNE NÉCESSAIRE ÉVOLUTION DES RÈGLES

A. LES SOURCES D'INSPIRATION ET LEURS LIMITES

1. La pertinence des objectifs poursuivis par la réglementation américaine

Votre rapporteur considère que l'exemple américain est particulièrement significatif car le pays s'est posé clairement la question de l'intégration entre la diffusion et la production.

Comme le rappelle le CSA, dans les années 1970, « deux règles établies par la Federal Communications Commission ont contribué à structurer le secteur de la production de fiction » 39 ( * ) :

- d'une part, les financial interest and syndication rules (« Fin-syn rules ») constituaient un ensemble de dispositions visant à séparer les fonctions de producteur et de diffuseur afin de protéger les droits des producteurs (production et exploitation). Les réseaux de télévision hertzienne (les networks ) ne pouvaient donc pas syndiquer les programmes produits en interne et ne pouvaient pas bénéficier des remontées de recettes post-antenne pour les programmes produits en externe . Les décrets Tasca rappellent clairement cette règlementation, notamment avec l'interdiction des parts de coproducteurs ;

- le prime time access rule (« PTA rule ») visant à ouvrir les heures de forte audience aux producteurs indépendants. Selon le document précité du CSA, les stations locales affiliées aux networks des 50 plus gros marchés américains devaient réserver la première heure de leur début de soirée à des productions indépendantes. Cette règle n'a jamais existé dans la réglementation française, mais est probablement appliquée du fait de la double existence d'un fort taux de production indépendante des oeuvres (deux tiers) et de l'obligation de diffusion des oeuvres françaises en prime time (règle des 120 heures).

Comme le rappelle là encore la lettre du CSA précitée, « entre 1995 et 1996, ces deux règles ont été supprimées ». Les raisons étaient les suivantes :

- les networks ne représentaient plus alors que les deux tiers de l'audience , en raison de la concurrence du câble ;

- les producteurs bénéficiaient de nouveaux débouchés commerciaux (marché du câble et exportation) qui ne suffisaient pas à couvrir la hausse des coûts de production ;

- le régulateur de l'audiovisuel aux États-Unis a considéré que l'optimisation de l'audience et des recettes des chaînes devait primer sur la protection du secteur de la production indépendante .

Aux yeux de votre rapporteur, le contexte français est aujourd'hui similaire :

- ce n'est pas le câble et le satellite qui concurrencent les chaînes hertziennes, mais plutôt l'ADSL et surtout, les acteurs « over the top » étrangers, qui passeront par les réseaux Internet pour diffuser des programmes directement aux téléspectateurs français. Ce phénomène a été enclenché par le téléchargement massif, légal ou illégal, de séries télévisées par les téléspectateurs français, qui pourrait entraîner une éviction, encore mal évaluée, de l'audience télévisuelle de ces programmes ;

- la concurrence internationale renforcée en matière audiovisuelle et la révolution numérique risquent de rendre de plus en plus difficile la capacité des acteurs français à exporter les programmes et disposer de marges importantes.

Le CSA note que l'assouplissement de la réglementation, destiné à dynamiser l'offre de programmes, est allé de pair avec un renforcement de la protection du droit d'auteur qui favorisait in fine le producteur. Si votre rapporteur considère que des questions relatives au statut des auteurs doivent également être analysées (voir à cet égard le rapport Chevalier), il a estimé qu'elles ne relevaient pas du champ direct du groupe de travail. En revanche une réflexion approfondie sur la circulation de l'oeuvre a été menée.

Quelles sont les conclusions du CSA, aux termes de son analyse de la production des séries américaines fréquemment diffusées sur les chaînes françaises ?

« Un cadre juridique favorable, la force du média télévisuel, la concentration du marché et le fonctionnement de la chaîne de valeur ont permis, outre-Atlantique, le développement d'une industrie puissante pour créer ce type de programmes abondamment exportés ».

Votre rapporteur considère que ces objectifs peuvent constituer une ligne de pensée.

2. Les enseignements du modèle britannique

Votre rapporteur ne fera ici que rappeler les éléments que la commission de la culture, de l'éducation et de la communication avait rapportés en 2012, dans son rapport précité sur le modèle britannique de télévision publique.

La BBC tire environ 25 % de son chiffre d'affaires des activités (de sa filiale BBC Worldwide, qui constitue le bras commercial de la BBC).

Cette activité, proche de celle de France Télévisions Distribution (FTD), filiale du groupe audiovisuel français, est autofinancée par nature et retourne ses profits à la maison-mère (270 millions d'euros reversés en 2011).

À titre de comparaison, selon les derniers chiffres disponibles (rapport financier 2010 de France Télévisions), la filiale France Télévisions Distribution a réalisé en 2010 un chiffre d'affaires de 47,4 millions d'euros, avec un résultat d'exploitation légèrement négatif.

Comme le souligne M. René Bonnel, dans son ouvrage sur l'économie de l'audiovisuel 40 ( * ) , « France Télévisions a encore du chemin à parcourir dans ce domaine (2 % environ d'activités hors antenne) ».

Ces profits sont dus, pour les trois quarts, aux droits détenus sur les programmes audiovisuels (40 % pour la distribution, 30 % pour la vente de supports vidéos et produits dérivés et 5 % pour la vente de formats), un quart étant lié à la gestion du portefeuille de chaînes satellitaires de BBC ;

M. René Bonnel évoque plusieurs raisons au succès de la vente des programmes diffusés par la BBC : la qualité des produits et la plus grande facilité de commercialisation des contenus en langue anglaise sont des causes évidentes. Mais l'un des aspects fondamentaux est la puissance de l'appareil productif du groupe, qui est principalement liée à la réglementation applicable.

Ainsi, la BBC produit pour plus de 60/70 % en interne , avec des retours financiers sur les programmes vendus, et disposent de parts de coproduction sur les 30/40 % des émissions qu'elle finance conjointement avec les producteurs indépendants.

La justification de cette organisation pour la BBC est la suivante. Elle constitue, comme il a été rappelé en introduction :

- « une source de revenus à travers les dividendes versés par la filiale de commercialisation et de distribution ;

- un moyen de protection des valeurs éditoriales de la BBC, et en termes de stratégie commerciale, de la marque BBC ;

- une source d'innovation et d'ambition grâce à la taille de cet outil interne. Ainsi la force de la production interne permet à la BBC de produire des séries longues et ambitieuses (Rome, les Tudors) sans menacer son équilibre global ;

- et permet la constitution d'un catalogue de droits sur les programmes et la création d'atouts de valeur sur le long terme. M. Nick Betts, devant la commission, a particulièrement insisté sur cet aspect qui lui paraît prépondérant à l'ère de la télévision connectée, où la capacité à vendre ses produits sera essentielle dans la compétition internationale, et aussi importante que celle de réunir un public nombreux au moment de la diffusion premium » .

Cet exemple peut-il, pour autant, servir à la France dont le modèle est totalement différent ?

M. Serge Regourd, dans son ouvrage sur France Télévisions 41 ( * ) , fait à cet égard une analyse intéressante.

Il remarque d'abord que, dans un contexte global mieux financé qu'en France, les producteurs indépendants tirent en fait davantage de revenus de la BBC (environ 570 millions d'euros en 2007) que les producteurs français des chaînes publiques (360 millions d'euros en 2007).

Il note ensuite que « cette question de la production en interne des chaînes publiques paraît évidemment relever en France d'un tabou car elle pourrait avoir des conséquences sur la kyrielle de sociétés de production privées, certaines en état de sous-capitalisation (...) . Pourtant, si on s'interroge sur le nouveau modèle culturel et financier de France Télévisions, il semble que des solutions originales pourraient être trouvées, en s'inspirant, en effet en ce domaine, du modèle de la BBC : restituer à la télévision publique une indispensable responsabilité globale, lui assurant des revenus de producteur, tout en préservant le rôle des sociétés de production indépendantes, selon une logique de quotas appropriés et conformément aux règles générales de la commande publique entre collectivités publiques et entreprises privées ».

On ne saurait mieux résumer l'état d'esprit du groupe de travail.

Dans l'état de l'appareil productif de France Télévisions, hors l'information où elle a conservé ses équipes internes, ce modèle de la BBC n'est pas directement adaptable. C'est donc notamment à travers le principe de partage des ressources que cet exemple doit constituer une source d'inspiration.

3. Arte : le bon élève

Arte fait souvent figure de bon élève, notamment aux yeux des producteurs, dans le domaine de la fiction et de documentaire.

En effet, Arte France a des obligations renforcées en matière de soutien à la création, prévues dans son contrat d'objectifs et de moyens. En 2012 et 2013, l'investissement est ainsi fixé à 77 millions d'euros, uniquement dans la production patrimoniale, avec plus de 50 % de documentaire.

En outre, Arte a la réputation à la fois d'intervenir très peu sur le processus créatif, en laissant le producteur exercer sa mission, notamment de coordination artistique.

Enfin, Arte remet en général les oeuvres sur le marché un mois après la première diffusion, ne fait ainsi pas un usage immodéré de son exclusivité, et est très innovante en matière de diffusion numérique.

Et pourtant, Arte est à la fois « copropriétaire et locataire des programmes qu'elle finance » . Non soumise aux décrets « production », elle détient en effet des parts de coproducteurs sur les programmes qu'elle finance.

Pour votre rapporteur, ce n'est évidemment pas contradictoire. Le fait de disposer de cette possibilité lui permet de prendre des droits VàD (en non-exclusif) et d'avoir un chiffre d'affaires commercial en tant que distributeur des programmes à l'international (4 millions d'euros) mais l'incite aussi à nouer des relations de confiance avec son partenaire commercial qu'est le producteur indépendant, puisqu'Arte ne possède pas d'appareil de production propre.


* 39 La Lettre du CSA, n° 264, octobre 2012.

* 40 La vingt-cinquième image, Une économie de l'audiovisuel , M. René Bonnel, Gallimard, 2006.

* 41 Vers la fin de la télévision publique, M. Serge Regourd, Éditions de l'attribut, 2008.

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