B. UN SURSAUT POLITIQUE QUI TARDE À SE MANIFESTER
La très grave crise que traverse le Mali devrait donner lieu à un réel sursaut politique.
La « Feuille de route » pour sortir de la crise, adoptée par le Parlement malien le 29 janvier dernier, devrait logiquement servir de fil conducteur à ce sursaut.
La feuille de route adoptée par le Parlement malien le 29 janvier 2013 1- Rétablissement de l'intégrité du territoire national, - libération des zones sous contrôle des groupes armés avec d'autres forces militaires bilatérales, régionales ou internationales ; - mise en place d'un dispositif de défense et de sécurité permettant d'assurer la paix et la quiétude ; - restructuration de l'Armée, la formation du personnel militaire et la mise à niveau des équipements; - organisation des discussions avec les groupes armés qui ne mettent en cause ni la laïcité ni l'intégrité territoire ; - organisation du retour de l'Administration dans les zones occupées ; - retour volontaire des réfugiés et déplacés des régions du Nord et la prise en charge de leur insertion sociale ; - organisation de dialogues intercommunautaires ; - lutte contre l'impunité ; - mise en place d'une commission nationale de dialogue et de réconciliation. 2- Organisation d'élections libres et transparentes - transparence, la crédibilité et la participation des électeurs aux prochaines élections présidentielles et législatives sur toute l'étendue du territoire ; - neutralité des organes de la Transition qui écarte le Président de la République par intérim, le Premier Ministre et les membres du Gouvernement des élections présidentielles et législatives ; - adoption de textes relatifs au régime général des élections, à la communication audiovisuelle, au régime de la presse, à la répartition équitable du temps d'antenne et au statut des partis de l'opposition et du chef du principal parti de l'opposition ; - établissement du fichier biométrique et des cartes d'électeurs et d'un « chronogramme » indicatif. Outre la réalisation de ces deux missions, le Gouvernement mettra en oeuvre les actions appropriées pour atteindre les objectifs suivants : - l'instauration définitive de la paix dans le Nord et de la sécurité sur l'ensemble du territoire ; - la préservation de la paix sociale ; - le redémarrage de l'économie ; - la consolidation de l'État de droit et la protection des droits humains en particulier ceux des femmes et des enfants victimes de violences ; - le rétablissement de la coopération au développement, la lutte contre la corruption ; - la réhabilitation des Régions du Nord et l'amélioration des conditions de vie des populations vivant dans le Nord ; - la sauvegarde de la cohésion nationale. Le financement de la feuille de route est assuré par le Budget d'État 2013 à hauteur de 112 milliards et par les appuis extérieurs. |
En particulier, la « feuille de route » pose comme préalables à la reprise du dialogue (avec les groupes armés du Nord) :
- La renonciation à la lutte armée
- L'adhésion au principe de non impunité des crimes contre l'humanité et de guerre commis pendant la période de belligérance
- L'adhésion à la démocratie, à l'état de droit
- L'adhésion au caractère unitaire de l'état malien
- Le respect de toutes les dispositions de la constitution du Mali (y compris donc le caractère laïc de l'Etat).
Elle dispose explicitement que « La discussion pourra porter sur :
« - L'approfondissement du processus de décentralisation
« - La prise en compte des spécificités régionales dans la conception et la mise en oeuvre des politiques publiques
« - Le développement des infrastructures , notamment le désenclavement et l'exploitation des ressources naturelles. »
Sur place, vos rapporteurs ont constaté que les progrès politiques étaient, en fait, limités, et en décalage, à vrai dire, avec les avancées militaires opérées par les forces françaises. Le calendrier des élections semble très (trop) ambitieux, en particulier pour les élections législatives. La capacité des élites politiques à traiter des causes profondes de la crise parait limitée par un certain manque de vision.
En particulier, le zèle des autorités maliennes à faire avancer le processus de réconciliation paraît pour le moins modéré, ce qui est très préoccupant, comme le montre bien la lenteur de la mise en place de la commission « Dialogue et réconciliation », dont la création a été actée le 29 janvier, mais sa composition ne fait pas place à ceux avec lesquels il faudrait se réconcilier . La commission n'a toujours pas commencé à travailler, malgré l'amicale pression des autorités françaises.
Quand bien même les élections se tiendraient, n'aboutiront-elles pas au retour de responsables politiques dont l'intérêt pour les réformes et la réconciliation peut sembler limité ? Après tout, le Nord pèse peu en termes électoraux, et les rancoeurs sont telles que certains pourraient se satisfaire d'un calcul de courte vue reposant sur le statu quo. Enfin, la présence et les réseaux d'influence des anciens putschistes sont susceptibles de compliquer encore les efforts en faveur d'une refondation politique.
1. Reprendre le fil interrompu des élections démocratiques
a) Les institutions maliennes doivent retrouver la pleine légitimité démocratique que confère l'élection
La restauration de la légitimité démocratique des institutions maliennes passe naturellement par l'élection. Il faut reprendre le fil de la consultation électorale, interrompu par le coup d'État de mars 2012.
La feuille de route a prévu l'organisation des élections avant le 31 juillet . Chacun a bien conscience que ce calendrier est très (trop ?) serré pour permettre des élections présentant toutes les garanties sur le plan technique, mais chacun convient aussi de l'urgence de tourner la page de la crise institutionnelle et de sortir d'une situation de blocage.
Lors de leur récent déplacement à Bamako, vos rapporteurs ont pu mesurer une certaine détermination des autorités maliennes à mener le processus électoral à terme dans les délais envisagés. La prise de conscience est forte de la fragilité de la transition et de la nécessité de refonder la légitimité des institutions.
Lors des entretiens tant avec le Président Traoré qu'avec le Premier ministre ou le Colonel Moussa Sinko Coulibaly, ministre chargé de la préparation des élections, ces derniers ont affirmé que le respect de l'objectif de juillet figurant dans la « Feuille de route » du 29 janvier 2013 mobilisait pleinement les autorités et les administrations.
b) Un dérapage du calendrier électoral n'est toutefois pas à exclure
Un projet de « Chronogramme des élections » ambitieux a été proposé le 28 février par le ministre de l'administration territoriale, le Colonel Coulibaly. La préparation des élections implique des changements législatifs et de lourdes opérations de préparation électorale, qui rendent douteux le respect d'un calendrier particulièrement ambitieux.
PROJET DE CHRONOGRAMME DES ÉLECTIONS PRÉSIDENTIELLE ET LÉGISLATIVES (EN DATE DU 28 FÉVRIER 2013) : Élection présidentielle : 1 er tour 7 juillet, 2 ème tour 21 juillet Élections législatives : 1 er tour 21 juillet, 2 ème tour 11 août |
Compte tenu de nombreuses difficultés autant techniques que politiques, il est en effet vraisemblable que ce calendrier dérape, en particulier pour les élections législatives.
Le décret en Conseil des ministres annonçant la date des deux tours doit être pris 60 jours au moins avant la date des élections (art. 85 de la loi électorale), soit avant le 8 mai au plus tard pour des élections débutant le 7 juillet.
Outre la question, réelle, en particulier pour les législatives, de la saison des pluies , dont le pic se situe en août et coupe alors toutes les voies de communication, pour l'organisation des élections, les autorités devront en effet surmonter cinq obstacles techniques importants :
1) L'établissement d'un fichier électoral consensuel et sécurisé. Vos rapporteurs ont pu s'entretenir de cette question avec le ministre en charge des élections, le Colonel Coulibaly. Le Gouvernement entend se baser sur le fichier de recensement administratif à vocation d'état civil (RAVEC) pour éditer les cartes électorales (NINA). Ce mécanisme, s'il présente un degré de fiabilité supérieur aux précédentes opérations électorales, au cours desquelles on pouvait prouver son identité par témoignage, implique toutefois un important investissement technique et financier : plusieurs millions de cartes électorales doivent être éditées dans un délai très court.
Le ministre en charge des élections a expliqué à vos rapporteurs que le fichier RAVEC tel qu'il est aujourd'hui, nécessite tout d'abord des aménagements (en particulier pour les 500.000 Maliens en Côte d'Ivoire). Ensuite, 7 millions d'électeurs seraient attendus aux urnes, dont 350 000 personnes qui ne sont pas dans le fichier RAVEC car elles n'avaient pas 18 ans lors de la constitution du fichier. L'enjeu technique est de taille.
2) La sécurisation préalable et adéquate des lieux de vote , en particulier dans le Nord-Mali où l'administration territoriale n'est pas parfaitement restaurée (retour des préfets, des maires...). 25 000 bureaux de vote doivent être installés (dont 2 000 à l'étranger).
3) La facilitation de la participation au scrutin des réfugiés et des personnes déplacées internes, notamment à travers des mesures pour permettre leur retour ou, à défaut, leur vote sur leurs lieux actuels de résidence. Les autorités maliennes, si elles reconnaissent que la question du vote des réfugiés représente un défi pour les prochaines élections, n'avaient rien initié, à ce stade, pour traiter cette question. Même si le Nord-Mali ne représente que 10 % de la population , sa participation optimale au processus électoral est pourtant un important enjeu démocratique .
4) La question du financement des élections suscite des interrogations. Le budget estimé est de 128 millions de dollars. Le gouvernement malien a prévu d'en décaisser 50 millions. Concrètement, le Mali n'a pas les moyens financiers aujourd'hui d'organiser les élections législatives . Aucun budget additionnel n'a été prévu à ce stade. À titre d'exemple, les appels d'offres pour la production de cartes électorales ont été lancés sans recevoir les lignes budgétaires correspondantes. Les partenaires financiers du Mali doivent trouver 75 millions de dollars. Le PNUD a annoncé 2 millions de dollars, l'Union européenne 15 millions d'euros (soit près de 20 millions de dollars).
5) enfin, il faut prévoir la mise en place d'un mécanisme de crédibilisation du processus électoral et du résultat (observateurs...), afin d'éviter des contestations susceptibles de remettre en cause la sortie de crise.
A l'heure où ce rapport est mis sous presse, les autorités bamakoises s'estiment toujours en état de tenir les délais. Il est permis d'en douter.
Opérations de préparation électorale : la situation début avril Le ministère de l'administration territoriale déclare que le fichier des électeurs potentiels (comportant 6 904 000 noms) extrait de la base d'état-civil à données biométriques "RAVEC" a été transféré le 20 mars à la délégation générale aux élections. Cet organisme rattaché à la Présidence, a passé un appel d'offres pour l'acquisition d'un logiciel de traitement de données biométriques et l'acquisition de deux serveurs ainsi que de matériels informatiques (300 portables). L'actualisation des listes électorales devrait être effectuée (en mai) par les commissions électorales paritaires (représentants de l'État et des partis politiques) placées auprès des 703 communes (prise en compte des décès, des changements d'adresses). Sauf obstacle, la liste définitive du fichier électoral devrait être arrêtée et publiée début juin (notamment sur Internet). La réinstallation des sous-préfets qui dirigent les commissions reste toutefois un préalable dans le Nord . L'appel d'offres pour l'impression des cartes d'identification nationale NINA s'est clos le 2 avril. Un report de date de quelques semaines est déjà annoncé, pour la prise en compte de spécifications techniques omises dans le marché (sécurisation des cartes pour éviter leur duplication). Dix entreprises auraient déjà soumissionné, dont deux européennes. L'appel d'offres prévoit une signature du marché public au plus tard le 30 avril et la fabrication des cartes NINA en mai. La distribution des cartes NINA s'effectuera tout au long du mois de juin. À cette fin, 1 500 équipes seront dédiées à la distribution des cartes qui seront remises individuellement aux électeurs sur leur lieu de résidence. La carte d'identification nationale "NINA" " constituera un progrès indéniable empêchant les fraudes ". Outre de comporter un numéro d'identification national (NINA) spécifique à chaque électeur, la photographie de l'électeur apposée sur la carte et sur la liste électorale permettra son identification. Les ambassadeurs du Mali ont saisi les autorités des pays voisins concernés pour obtenir un accord de principe sur les opérations de recensement et de vote des réfugiés . Les autorités maliennes travaillent en concertation avec le HCR sur ce dossier. Des équipes mobiles se rendront dans les camps pour effectuer le recensement et plus tard prendre en compte les votes. La problématique des déplacés devrait, selon les autorités maliennes, trouver sa solution soit par le retour d'ici juillet dans la commune de résidence soit par le rattachement à un bureau de vote de leur lieu d'accueil provisoire pour les autres réfugiés. |
La présence d'un expert français auprès des autorités bamakoises serait de nature à accélérer des processus très lents. Des missions d'aide au processus électoral ont certes été diligentées par l'Union européenne et les experts de l'ONU, mais ne faudrait-il pas mieux appuyer un processus si essentiel pour l'avenir du Mali ?
Mais les principales difficultés ne sont pas techniques. Elles sont d'ordre politique .
La restauration des services de l'État dans le Nord est une des conditions sine qua non à l'organisation des élections. Les gouverneurs et l'ensemble des préfets, et pas seulement à Gao et à Tombouctou, doivent être rentrés. Les bâtiments de l'administration dans le Nord, fortement dégradés, doivent être réhabilités. Les services publics doivent redémarrer.
À Tombouctou, plus de la moitié de la population ne serait pas revenue, dont nombre de « peaux blanches », Touaregs et Arabes, par crainte de représailles. Les habitants ne disposent que de 2 à 3 heures d'électricité par jour. Nombre d'écoles sont toujours fermées, beaucoup d'enfants, déscolarisés par leurs familles du temps des terroristes pour éviter viols collectifs et enrôlement dans les forces armées (!), d'après les témoignages des organisations humanitaires recueillis à Bamako, n'ont pas repris aujourd'hui le chemin de l'école.
La question du couplage ou du découplage des scrutins présidentiels et législatifs doit aussi être tranchée.
Enfin et surtout, la classe politique malienne est très éclatée entre de nombreux partis et groupements et pour l'instant on ressent peu de mobilisation autour de l'enjeu des élections. Un vrai fossé existe en outre entre ceux qui espèrent restaurer l'ordre ancien et ceux qui aspirent à un changement plus radical autour de l'introduction d'un nouveau mode de gouvernance (lutte contre la corruption).
Certains redoutent même que des élections précipitées et mal préparées ne conduisent à un regain de violence.
La question est de savoir si les forces politiques maliennes sauront saisir l'occasion des élections pour un sursaut politique à la hauteur de la crise historique que vit le Mali, la plus grave depuis l'indépendance.
2. Restaurer l'État : ni junte ni milices
a) La junte, un acteur qui n'est marginalisé qu'en apparence
La junte n'a plus aujourd'hui de rôle officiel dans la transition politique et ses acteurs ne sont d'ailleurs pas des interlocuteurs du processus politique. Cela est d'autant plus vrai que l'intervention militaire a pu remettre en selle des autorités de transition un temps fragilisées. La situation est pourtant plus complexe qu'il n'y paraît. Certains à Bamako, sous couvert d'anonymat, ont parlé de « coup d'État rampant ».
Les entretiens menés au Mali par vos rapporteurs ont montré que, paradoxalement, le coup d'État de mars 2012, décrit comme presque « accidentel », s'il a mis un coup d'arrêt au processus électoral, a pourtant pu être relativement bien accueilli, non seulement par l'armée, rejetant les années de lente déliquescence sous le régime d'ATT, mais aussi par la société malienne, profondément en colère contre les élites politiques associées aux dérives des dernières années. Beaucoup espéraient que le putsch créerait en quelque sorte les conditions d'un renouvellement de la classe politique.
Certains analystes décrivent le putsch (d'un « simple » capitaine) comme l'expression d'un mouvement plus vaste de « cadets » sociaux contre des élites corrompues, plus que comme la tentative de prise de contrôle de l'État par l'appareil militaire qu'il paraît être à première vue. On constate à Bamako de la sympathie pour ce qui est décrit comme un mouvement d'humeur, une « jacquerie », aurait permis de tourner la page d'une ère politique dont plus personne ne voulait !
Aujourd'hui, l'intervention de la CEDEAO tout comme l'évolution de la situation militaire ont consolidé la position des acteurs de la transition, autour du président intérimaire Traoré et du Premier ministre Cissoko.
Pour autant, l'influence de la junte pourrait demeurer prégnante.
De même, les autres milices, non seulement au Nord mais aussi dans la boucle du fleuve, doivent être désarmées.
b) Certains signaux ne lassent pas d'inquiéter
Plusieurs signaux laissent en effet planer le doute sur le poids réel des anciens acteurs du coup d'État. Bien qu'officiellement écartés, et décrédibilisés aujourd'hui sur le plan militaire (lors d'une visite sur le front, le leader de la junte a reçu un accueil plus que mitigé des soldats maliens), leur influence pourrait n'être pas tarie.
Beaucoup de personnalités entendues dans le cadre de la préparation de ce rapport ont insisté sur l'influence du capitaine putschiste, toujours réelle à leur yeux, et de ses alliés, qui détiennent des portefeuilles ministériels -dont celui en charge de la préparation des élections- et disposent en conséquence de ressources budgétaires, deux éléments laissant à penser qu'ils pourraient ne pas abandonner la partie aisément.
La première alerte a été celle du 11 décembre 2012, date à laquelle le premier ministre intérimaire Cheick Modibo Diarra a été contraint (par l'ex junte), de démissionner. La France, tout comme la CEDEAO, l'UA, l'ONU et l'UE, ont condamné les circonstances de la « démission » de M. Diarra, circonstances qui en disent long sur les capacités d'intervention des militaires dans les affaires politiques.
Ensuite, vos rapporteurs ont entendu de façon répétée, sans être naturellement en mesure de pouvoir le vérifier, qu'une tentative de renversement des autorités de transition était planifiée le week-end qui a suivi le début de l'intervention française. Certains hasardent même une hypothèse de coordination entre l'offensive terroriste au Nord le 10 janvier et cette volonté supposée de renversement du Président Traoré. Il faut prendre ces analyses, non vérifiées, avec précaution, mais le fait même qu'elles puissent circuler à Bamako en dit déjà long sur le climat politique.
Deux autres événements plus récents alimentent le soupçon : d'abord, l'installation le 13 février du capitaine Sanogo à la tête du Comité de la réforme militaire, mise en oeuvre très (trop ?) médiatisée d'une décision certes antérieure mais ayant pu être interprétée comme une « prime au coup d'État ». Les émoluments (supposés ou avérés, cela n'a pas été possible de le vérifier) publiés dans la presse pour cette fonction (3,9 millions de Francs CFA 19 ( * ) soit 6 000 euros par mois, somme très supérieure aux salaires maliens) contribuent à alimenter un certain malaise.
Ensuite, on ne peut que s'inquiéter de l'arrestation, par les autorités maliennes, début mars, du directeur de publication du « Républicain », le journaliste Boukary Daou, à la suite de la publication d'une lettre ouverte au Président Traoré dans laquelle des militaires se disaient révoltés par les avantages accordés à l'ancien chef de la junte et appelaient les militaires engagés dans le Nord à la désobéissance. Cette arrestation a d'ailleurs été condamnée par la représentation de l'Union européenne à Bamako, puis par le porte-parole du Quai d'Orsay. Le journaliste, été remis en liberté provisoire le 2 avril, dans l'attente de son procès, aurait été détenu 20 ( * ) par la sécurité d'État, dépendant directement de la présidence, ce qui ne correspondrait pas aux procédures normales mises en oeuvre dans le cadre d'une enquête judiciaire.
Dans une récente interview 21 ( * ) le capitaine putschiste se targue d'avoir « sauvé le pays ». D'ailleurs, continue-t-il, « coup d'État n'est pas le bon mot. Je préfère parler d'une opération médicale nécessaire. L'ancien président, Amadou Toumani Touré, ne voulait pas reconnaître que le pays était malade et qu'il avait besoin de soins. Mais un patient qui refuse de se soigner est condamné ! C'est ce qui s'est passé au Mali. Le régime était malade [...]. Je l'ai juste aidé à mourir un peu plus vite ».
L'accord sur la transition politique, qui prévoyait l'inéligibilité des autorités gouvernementales, n'a rien prévu de tel pour les anciens putschistes. Plusieurs observateurs ont décrit à vos rapporteurs le Gouvernement actuel comme agissant en partie sous l'influence (voire sous la peur ?) de la junte. Il faut à cet égard rappeler que le Président par intérim a lui-même subi une agression physique violente en mai 2012.
Pourtant, lors de leur entretien avec le chef de l'État, ce dernier a tenu à vos rapporteurs des propos rassurants sur l'influence des putschistes, estimant que leur influence s'était réduite, que « beaucoup d'eau avait coulé sous les ponts » et qu'on « n'entendrait bientôt plus parler » de la junte.
Il est pourtant aujourd'hui permis d'en douter.
3. Approfondir la décentralisation
a) Quel approfondissement de la décentralisation ?
Alors que des revendications indépendantistes étaient portées par des groupes armés au Nord en 2012, la question de l'organisation territoriale du Mali et de l'approfondissement de la décentralisation paraît à nouveau, comme lors des précédentes rébellions, comme un moyen de mieux concilier le respect de l'intégrité du Mali et l'aspiration de certaines populations à plus de liberté locale.
Il faut noter, pour s'en féliciter, que le MNLA a désormais renoncé à demander l'indépendance du Nord du Mali.
L'approfondissement de la décentralisation figure d'ailleurs dans la « Feuille de route » adoptée par le Parlement malien le 29 janvier 2013.
Les autorités gouvernementales expriment un accord de principe à l'approfondissement de la décentralisation dans le cadre d'un état unitaire. Le Premier ministre Cissoko 22 ( * ) l'a publiquement affirmé, tout en rejetant toute idée de fédéralisme : « Nous sommes prêts à discuter de tout et avec tous, pas seulement avec les communautés du Nord. Mais il est hors de question de parler de fédéralisme. Mais nous sommes ouverts à tout dialogue avec toutes les communautés dès lors qu'il s'agit de parler de développement local et d'approfondir la décentralisation. Nous sommes aussi prêts à examiner une forme de redécoupage du territoire : créer plus de régions, de communes, de cercles, d'arrondissements, dans le Nord. ».
Cette opinion n'est pas partagée par tous les Maliens. Certains députés maliens rencontrés ont mis en avant le fait que les Touaregs avaient des représentants au Parlement (le cas du numéro deux d'Ansar Dine est souvent cité) et que l'autonomie d'administration était déjà large pour l'ensemble des régions maliennes.
Cette divergence d'appréciation sur le poids des communautés du nord dans les institutions locales et nationales montre que même le diagnostic ne fait pas l'objet d'un consensus .
Quelle forme pourrait prendre une nouvelle organisation territoriale du Mali ?
L'entretien que vos rapporteurs ont eu à Bamako avec le Président du Haut Conseil des collectivités territoriales à ce sujet a jeté un éclairage intéressant sur la question de la décentralisation. À son sens, des réformes législatives ambitieuses ont d'ores et déjà consacré, en théorie, une décentralisation poussée. Pour autant, cette décentralisation ne serait que de « de façade » car elle n'existerait que dans les textes et n'aurait jamais pu être réellement mise en oeuvre, faute de moyens.
Les collectivités locales ne disposeraient ainsi que de 0,5 % du budget national et, faute de transfert de ressources accompagnant de théoriques transferts de compétences, seraient hors d'état de jouer le rôle théoriquement dévolu par les textes. La décentralisation malienne est ainsi présentée comme une « coquille vide », reposant sur d'excellents textes mais n'ayant pas de réalité concrète, faute de moyens. A l'appui de cette démonstration, les exemples abondent comme les difficultés pour les collectivités à percevoir le produit de la taxe pour le développement local et régional , l'absence de subventions de fonctionnement aux collectivités territoriales de la part de l'Agence nationale des collectivités locales ou encore la faiblesse des investissements d'infrastructure de l'État, en particulier au Nord du pays.
b) Trois sujets au moins pourraient figurer à l'agenda
Sans pouvoir préjuger de solutions qu'il appartient aux Maliens eux-mêmes de trouver, il semble que trois questions pourraient figurer à l'ordre du jour des négociations sur la décentralisation :
- L'organisation territoriale et en particulier le découpage des circonscriptions au Nord, pourrait faire l'objet de débats, sans pour autant ressusciter la réforme (contestée) envisagée du temps d'ATT. La création envisagée de certaines régions (Taoudéni et Ménaka ont pu être citées), favoriserait en effet certaines chefferies ou communautés (touarègues ou arabes) au détriment d'autres (touarègues, arabes et surtout autres populations sédentaires), au mépris du respect du principe de représentation démographique. A l'inverse, un redécoupage , sur une base plus équitable, semblerait de nature à répondre à certaines aspirations de liberté locale accrue ;
- Le partage des ressources, qu'elles soient budgétaires (produit de la taxe pour le développement local et régional notamment), qu'elles concernent les investissements en infrastructures (distribution d'eau, éducation, électricité, routes) ou les ressources minières futures (les discussions devraient se pencher sur le partage des éventuelles retombées des gisements pétroliers et gaziers qui pourraient être découverts au Nord-Ouest du pays notamment. À cet égard il est frappant de constater qu'une carte des gisements potentiels du sous-sol malien circule à Bamako et attise toutes les convoitises) ;
- La réforme institutionnelle autour d'un accroissement des libertés locales : le projet de révision constitutionnelle, en cours depuis plusieurs années, prévoyait la transformation du Haut Conseil des collectivités territoriales en un Sénat de plein exercice. Cette réforme, interrompue par le coup d'état, pourrait être remise sur le métier et permettrait sans doute de mieux structurer l'expression politique des légitimités locales.
c) Faut-il un traitement politique spécifique pour la région de Kidal ?
Kidal est aujourd'hui un abcès de fixation. Fief traditionnel du MNLA, il est, aux yeux des Maliens du Sud, le symbole des atteintes à leur souveraineté. Comment crever cet abcès d'une façon qui préserve la souveraineté du Mali tout en répondant aux aspirations légitimes des populations ? Comment parvenir à un désarmement des groupes armés et en particulier du MNLA ? Faut-il un traitement politique (négociation..), voire institutionnel, spécifique ? La question est posée. C'est au dialogue entre Maliens d'apporter la réponse mais la France doit mettre cette question en tête de l'agenda et ne pas se laisser enfermer dans l'image que certains véhiculent complaisamment à son égard. Kidal fait évidemment partie intégrante de l'Etat malien.
En tout état de cause, ce sujet peut être un germe de pourrissement de la question de la réconciliation : il importe de le traiter de façon appropriée faute de quoi il pourrait hypothéquer toute solution de la crise malienne.
Certaines des revendications portées par les différentes chefferies touarègues pourraient être reprises à leur compte par nombre de communautés du Nord, y compris les sédentaires. Il s'agit en particulier du développement, des infrastructures, des services publics, ou encore des ressources dévolues aux structures d'administration territoriale. L'élaboration d'une « plate-forme » commune de la part de ces communautés pourrait faciliter le règlement de la question de Kidal.
Il apparaît en tous cas qu'au-delà de l'uniformité apparente de l' « Azawad » regroupant les trois régions du Nord, Gao, Tombouctou et Kidal, c'est bien Kidal qui est l'épicentre de la question touarègue. Il est décisif de trouver les bases d'une réconciliation véritable pour dissocier les populations des terroristes .
4. Se réconcilier
a) Une commission « Dialogue et réconciliation » largement virtuelle pour l'instant
Le décret adopté par le Conseil des ministres maliens du 6 mars consacre la création, pour une durée de deux ans, de la « Commission de réconciliation » prévue par la « Feuille de route » du 29 janvier 2013, sous le vocable de « Commission Dialogue et réconciliation ».
Aux termes du décret, la « Commission Dialogue et Réconciliation » a pour mission de rechercher, par le dialogue, la réconciliation entre toutes les communautés maliennes. A ce titre, elle est chargée 23 ( * ) , en particulier :
Constituée « de façon inclusive de toutes les composantes de la nation et de tous les acteurs de la crise », la Commission Dialogue et Réconciliation est placée auprès du Président de la République. |
Cette commission, qui devrait être la pierre d'angle de la relance du dialogue national, se constitue pourtant lentement, car un mois et demi après l'adoption de la feuille de route, seul le principe de son existence avait été arrêté. Il a fallu attendre début avril pour qu'elle ait un président et deux vice-présidents. Et une visite du ministre des affaires étrangères français pour que ses membres soient nommés...... A l'heure où ce rapport est mis sous presse, elle n'a toujours pas commencé à travailler.
Lors de leurs entretiens avec les plus hautes autorités et les principaux acteurs de la vie politique malienne, fin février, vos rapporteurs ont pu constater que personne ne partageait la même vision de sa composition, de sa nature ou de son rôle.
S'agissait-il de mettre en présence les adversaires d'hier pour initier une véritable démarche de vérité et de réconciliation nationale et dessiner un projet politique commun, ou simplement de mettre en place un organe préparatoire à un tel dialogue ? S'agissait-il de créer les conditions d'une véritable médiation avec tous les groupes qui auraient renoncé à la lutte armée et accepté l'intégrité territoriale du Mali ?
Lors de l'entretien avec le Président Traoré, celui-ci a décrit la commission comme devant « initier le dialogue », ce qui est une vision assez minimale de son rôle.
Les projets de décret étaient d'ailleurs beaucoup plus précis que le décret final, qui semble n'être en fait que le plus petit dénominateur commun entre les différentes administrations concernées. Au total, le texte adopté est un texte imprécis, aux contours flous, sujet à toutes les interprétations.
Force est de constater qu'on est très loin, de la « Commission vérité et réconciliation » sud-africaine !
Ses missions sont vagues : selon le décret du 6 mars, elle ne fait « q u'identifier et faire des propositions d'actions destinées à renforcer la cohésion sociale et l'unité nationale », « enregistrer les cas de violation des droits de l'Homme » ou encore « mettre en exergue les vertus du dialogue et de la paix ».
De l'avis général, elle manque d'une personnalité de poids à sa tête disposant de la légitimité nécessaire. D'ailleurs lorsque des noms ont commencé à circulé à Bamako en février-mars pour prendre la présidence de la commission, il est très vite apparu que certaines personnalités politiques d'envergure, sollicitées, refuseraient de conduire une commission n'apparaissant pas comme légitime.
Son président et deux vice-présidents ont été nommés tout début avril. Mais pour l'heure, la commission doit encore faire ses preuves. Le pire scénario serait que la commission soit une « cellule de reclassement politique » où chacun propose sa liste d'affidés sans vraiment prendre le sujet avec suffisamment de hauteur de vue, au mépris de l'importance des enjeux.
Laissons-lui le bénéfice du doute. Au moins ces trois premières nominations représentent-elles une forme d'équilibre entre les communautés et entre le Nord et le Sud :
- Mohamed Salia Sokona, le Président, ancien Ministre de la défense et ancien ambassadeur du Mali en France, est Sarakolé du sud (de la région de Kayes),
- Touré Oumou Traoré, Vice-présidente, est à la fois une femme et issue de la communauté sédentaire Songhaï du Nord,
- Méty Ag Mohamed Rhissa, Vice-président, est d'origine nomade touareg, d'Aguelhoc.
Parler de réconciliation alors que les plaies sont encore à vif, est forcément douloureux pour de nombreux Maliens, mais c'est pourtant absolument nécessaire pour enclencher un réel changement politique.
Il est intéressant de noter que certains hommes politiques maliens ont fait des propositions alternatives. Ainsi Ibrahim Boubacar Keïta (« IBK », ancien Premier ministre, ancien président de l'Assemblée nationale et candidat aux élections de 2012 interrompues par le coup d'état) a-t-il suggéré la tenue « d'Assises du Nord 24 ( * ) » pour faire le bilan de la mise en oeuvre du Pacte national signé en 1992 et trouver des solutions définitives pour le Nord du pays.
b) Une lutte contre l'impunité est indispensable pour établir la confiance
Les graves manquements aux droits de l'homme ont bien naturellement créé de forts ressentiments. En outre, les exactions supposées ou les craintes de massacres ultérieurs empêchent les réfugiés et déplacés de regagner leurs villages et le pays d'avancer dans la voie de la réconciliation.
Chaque camp a ses martyrs, chaque camp a ses victimes.
Le massacre d'Aguelhoc au cours duquel, le 24 janvier 2012, près de 70 soldats maliens ont été exécutés, sert de contrepoint -et de prétexte ?- aux exactions commises en représailles contre les « peaux blanches ».
Aux yeux de la plupart des Maliens du Sud, il serait imputable au MNLA. Dans son communiqué du 11 février 2013, ce mouvement « nie toute responsabilité dans les événements malheureux d'Aguelhoc et accepte la nomination d'une commission d'enquête internationale destinée à établir les faits ».
Le massacre d'Aguelhoc est aujourd'hui un fort symbole et une machine à nourrir le ressentiment. Il faut absolument le traiter avec détermination et impartialité.
Lors de leurs entretiens avec les plus hauts responsables maliens, vos rapporteurs ont insisté très clairement sur l'absolue nécessité de punir les actes commis de part et d'autre. Il circule à Bamako l'exemple d'un soldat malien simplement « muté » à l'étranger à la suite de comportement répréhensible. Or c'est l'impunité et le laxisme qui gangrènent le dialogue intercommunautaire. La justice doit faire son oeuvre : établir les faits, et les sanctionner.
Tant le Premier ministre Cissoko que le Président Traoré ont affirmé à vos rapporteurs leur volonté d'aller dans ce sens. En particulier le Premier ministre s'est fermement engagé, au cours de l'entretien, sur la question. Le gouvernement malien sera, en la matière, jugé sur ses actes.
* 19 Source : site Jeune Afrique
* 20 Source : interview de son avocat sur le site Jeune Afrique
* 21 A l'hebdomadaire allemand der Spiegel, à lire (en français) sur : http://www.maliweb.net/news/interview/2013/04/03/article,137089.html
* 22 Source : interview au journal Le Monde, février 2013
* 23 D'après les termes du communiqué de la Présidence publié le 6 mars
* 24 Interview donnée à « Jeune Afrique » le 25 mars 2013