II. DISJOINDRE LA DÉTENTION DE CERTAINS MANDATS ET FONCTIONS PUBLIQUES LOCALES DE L'EXERCICE DE RESPONSABILITÉS POLITIQUES NATIONALES MAJEURES
A. L'ÉTAT DU DROIT ET LES PROPOSITIONS DE LA COMMISSION DE RÉNOVATION ET DE DÉONTOLOGIE DE LA VIE PUBLIQUE
La Commission de rénovation et de déontologie de la vie publique plaide dans son rapport remis au Président de la République le 9 novembre dernier pour un « exercice des responsabilités exemplaire » et recommande, à ce titre, d'opérer une « rupture avec la pratique du cumul des mandats ».
Elle relève à juste titre que « les responsabilités exercées par les élus locaux ne peuvent plus être regardées comme l'accessoire utile de fonctions nationales » et qu'il est « nécessaire que leur importance soit pleinement reconnue » .
Elle ajoute - ce que saluent vos rapporteurs - que « changer la donne sur ce point constitue, à double titre, une ardente obligation : il s'agit tout à la fois de contribuer à un meilleur fonctionnement de nos institutions et de conforter la confiance des citoyens dans leurs élus. La Commission en est convaincue : la réforme du cumul des mandats est aujourd'hui la pierre de touche de toute politique de rénovation de la vie publique ».
1. La question du cumul de fonctions ministérielles avec un mandat local
L'article 23 de la Constitution dispose que « les fonctions de membre du Gouvernement sont incompatibles avec l'exercice de tout mandat parlementaire, de toute fonction de représentation professionnelle à caractère national et de tout emploi public ou de toute activité professionnelle. Une loi organique fixe les conditions dans lesquelles il est pourvu au remplacement des titulaires de tels mandats, fonctions ou emplois (...) ».
Il n'est donc pas fait mention des mandats locaux, et l'incompatibilité posée par l'article 23 est d'interprétation stricte : ce qui n'est pas interdit est autorisé. C'est ainsi que - la Constitution étant muette sur ce point - le cumul d'une fonction ministérielle avec tout mandat local ou toute fonction exécutive locale est aujourd'hui autorisé .
Toutefois, la pratique de nombreux gouvernements successifs, de gauche comme de droite, que ce soient les gouvernements de Lionel Jospin en 1997, puis Jean-Pierre Raffarin en 2002, Dominique de Villepin en 2005, et François Fillon en 2007, a instauré dans les faits une interdiction de cumul : les ministres devaient renoncer à leurs fonctions exécutives locales.
La proposition n°14 du rapport de la Commission de rénovation et de déontologie de la vie publique « Pour un renouveau démocratique » vise à confirmer juridiquement cette pratique, mais en allant toutefois plus loin en interdisant le cumul de fonctions ministérielles avec l'exercice de tout mandat local.
La Commission présidée par l'ancien Premier ministre note avec raison « qu'un ministre qui cumule sa fonction avec des responsabilités locales court ainsi le risque de n'exercer complètement ni l'une ni les autres. Et s'il assume pleinement ses fonctions ministérielles, on peut craindre qu'il ne soit contraint de s'en remettre à l'excès à ses collaborateurs pour exercer ses responsabilités locales ».
Il s'agit également d'une volonté présidentielle affichée . C'est le Président de la République lui-même qui avait en effet souhaité que « la Commission formule des propositions permettant d'éviter le cumul de fonctions ministérielles ou d'un mandat parlementaire avec l'exercice de responsabilités locales 3 ( * ) »
Votre délégation avait elle-même préconisé, dans le cadre du rapport 4 ( * ) de MM. François-Noël Buffet et George Labazée, une proposition similaire , sans pour autant aller aussi loin .
Votre délégation s'était en effet prononcée pour une incompatibilité entre la fonction de membre du Gouvernement et l'exercice d'un mandat exécutif local. La Commission présidée par l'ancien Premier ministre Lionel Jospin choisit donc d'aller plus loin en prévoyant que l'interdiction s'appliquerait à tout mandat local.
Vos rapporteurs considèrent que cette proposition est sans doute excessive au regard des objectifs recherchés .
Au demeurant, la Commission Jospin ne présente pas une proposition identiquement rigoureuse en ce qui concerne le cumul d'un mandat parlementaire et d'un mandat local, qu'elle admet dans le cas d'un mandat simple. Or la problématique n'est pas, en la matière, essentiellement différente de celle du cumul du mandat ministériel avec un mandat local, au point que le rapport de la Commission justifie par des raisons d'opportunité « culturelle » la plus grande souplesse qu'elle préconise à l'égard des parlementaires.
Vos rapporteurs estiment que les raisons valant à l'égard des parlementaires valent aussi à l'égard des ministres : le ministre « hors-sol » n'est pas une tradition politique française.
2. La question du cumul d'un mandat parlementaire avec un mandat local
Selon le droit actuel, le mandat parlementaire est pleinement compatible avec l'exercice d'un mandat local. L'article L.O. 141 du Code électoral encadre toutefois cette faculté en disposant que « le mandat de parlementaire est incompatible avec l'exercice de plus d'un mandat local parmi les suivants : conseiller régional ; conseiller à l'assemblée de Corse ; conseiller général ; conseiller de Paris ; conseiller municipal d'une commune d'au moins 3 500 habitants ».
Un parlementaire peut donc exercer une fonction exécutive locale parmi les fonctions de président de conseil régional, de président de conseil exécutif de Corse, de président de conseil général, de maire et de maire d'arrondissement.
L'autre proposition de limitation de cumul des mandats formulée par la Commission présidée par Lionel Jospin concerne précisément les parlementaires . Il s'agit de la proposition n° 15 du rapport de la Commission de rénovation et de déontologie de la vie publique « Pour un renouveau démocratique » qui vise à rendre incompatible le mandat de parlementaire avec tout mandat électif autre qu'un mandat simple , autrement dit avec une fonction exécutive locale .
Il est d'ailleurs recommandé par la Commission que cette proposition s'applique à compter des prochaines élections locales.
Celle-ci justifie ses propositions par trois arguments :
- d'abord, parce que les parlementaires « représentent au Parlement la Nation toute entière ». Le cumul des mandats peut donc conduire à la défense d'intérêts locaux pouvant entrer en conflit avec l'intérêt national ;
- ensuite, parce que la fin d'un tel cumul permettrait de valoriser l'importance des fonctions électives locales ;
- enfin, parce qu'il autoriserait également un renouvellement du personnel politique.
Là encore, il s'agissait d'un engagement du Président de la République figurant dans les promesses de campagne 5 ( * ) du candidat François Hollande.
Le Président de la République l'a rappelé le 16 janvier dernier, annonçant avoir « demandé au Premier ministre Jean-Marc Ayrault de préparer un projet de loi interdisant le cumul de mandats, qui entrera en vigueur pendant le quinquennat », indiquant à cette occasion que « le texte concernera l'ensemble des parlementaires, quelle que soit la taille de la collectivité locale concernée ».
En France, comme le relève la commission présidée par l'ancien Premier ministre Lionel Jospin dans son rapport, 476 députés sur 577, soit 82 %, et 267 sénateurs sur 348, soit 77 % sont en situation de cumul .
Parmi eux, 340 députés, soit 59 %, et 202 sénateurs, soit 58 % exercent des fonctions exécutives dans les collectivités territoriales.
La Commission note ainsi, non sans une certaine pertinence, « qu'à une époque où la décentralisation n'avait pas encore transformé l'équilibre des pouvoirs entre niveau national et niveau local, un mandat de parlementaire paraissait indispensable à de nombreux élus locaux pour faire avancer efficacement leurs projets. Trente ans après les lois de décentralisation de 1982 et de 1983, la justification a beaucoup perdu de sa pertinence mais les pratiques de cumul demeurent ».
Selon le rapport de la Commission, cette incompatibilité comporterait trois aspects :
1) L'ensemble des fonctions exécutives locales serait concerné (maire, maire d'arrondissement, président de conseil général, président de conseil régional, adjoint au maire, vice-président, conseiller municipal délégué).
La principale différence avec le droit actuel serait, d'une part, la prise en compte des établissements publics de coopération entre collectivités (communauté de communes, communauté d'agglomération, communauté urbaine, métropole, syndicat de communes, syndicat mixte) et, d'autre part, la prise en compte de toutes les autres fonctions exécutives (vice-président, adjoint au maire, ou même de délégation).
2) Les fonctions dites « dérivées » seraient également concernées . Il s'agit de tous les organismes dans lesquels siègent des membres des assemblées délibérantes des collectivités ès qualités (membres des conseils d'administration ou de surveillance d'établissements publics locaux, sociétés d'économie mixte locale, par exemple).
La Commission relève à juste titre que « ces fonctions exercées au sein d'établissements dont les pouvoirs et les moyens sont parfois supérieurs à ceux des collectivités territoriales elles-mêmes ou qui occupent une place significative dans la vie locale, sont importantes et, elles aussi, difficilement conciliables avec un mandat parlementaire ».
Vos rapporteurs ont pleinement conscience que ces organismes nécessitent un investissement important de la part de l'élu local dans ses fonctions de direction, d'administration ou de contrôle. D'ailleurs, ils préconisaient, dans leur rapport précité sur le cumul des mandats, de « s'attaquer à la question du cumul des fonctions exercées au titre des mandats détenus, que ce soit au niveau local ou national » .
3) Troisième aspect de cette incompatibilité : l'indemnité de mandat. Il est proposé que tout cumul d'indemnités de mandat parlementaire et de mandat local simple soit interdit. Ainsi, un parlementaire qui détiendrait également un mandat local sans fonction exécutive ne toucherait pas d'indemnité à ce titre.
Cette position va plus loin que le régime d'écrêtement qui existe déjà pour les parlementaires mais également pour les élus locaux.
Vos rapporteurs refusent toute démagogie en la matière mais estiment que cette proposition, si elle était adoptée, aurait le mérite de mettre un terme aux controverses sur le cumul des indemnités, et prouverait que la majorité des élus font de leur mandat local un engagement citoyen avant tout.
* 3 Lettre de mission du 16 juillet 2012 du Président de la République François Hollande, à Lionel Jospin.
* 4 « Le cumul des mandats : moins cumuler pour plus d'efficacité », rapport d'information de MM. François-Noël Buffet et Georges Labazée, fait au nom de la délégation aux collectivités territoriales n° 365 (2011-2012).
* 5 Engagement 48-2 « Mise en place d'une loi de non-cumul des mandats ».