3. Les conditions financières d'accès aux soins sont aggravantes
L'accès des patients aux soins peut également être entravé par une barrière financière dans certaines zones qui ne sont pas à proprement parler sous médicalisées, mais où le secteur 2 est très majoritaire, voire exclusif pour certaines spécialités. Les personnes qui ne peuvent pas payer de dépassements, ou qui ne disposent pas d'assurance complémentaire santé, peuvent alors se retrouver dans un désert médical relatif, en dépit d'une abondance apparente de praticiens.
Ainsi, l'étude de l'UFC Que Choisir précitée a analysé l'impact des dépassements d'honoraires pour l'accessibilité à trois catégories de spécialistes : les pédiatres, les gynécologues et les ophtalmologistes. L'impact des dépassements d'honoraires sur l'accès aux soins apparaît relativement limité pour les pédiatres, 70 % d'entre eux exerçant au tarif de la sécurité sociale : pour cette spécialité, 17,8 millions de personnes vivent dans un désert médical si l'on ne prend en compte que le secteur 1, contre 11,9 millions si l'on considère tous les tarifs.
Pour les gynécologues et les ophtalmologistes, la conséquence des dépassements d'honoraires sur l'accès aux soins est massive : la proportion des Français vivant dans un désert médical est alors multipliée par près de quatre. Cela s'explique par le fait que moins de la moitié (46 %) de ces spécialistes exercent en secteur I. Ainsi, alors que 9 millions de personnes vivent dans un désert médical pour l'accès au gynécologue au regard du seul critère géographique, elles sont 34,2 millions dans ce cas si l'on intègre les critères géographique et financier, soit 54 % de la population totale. De même, 8,5 millions de personnes vivent dans un désert médical pour l'accès à l'ophtalmologiste sur la base du seul critère géographique, mais 28,7 millions si l'on considère aussi le critère financier, soit 45 % de la population totale.
L'UFC Que Choisir observe que, au-delà de l'ampleur des populations touchées, c'est la typologie des territoires concernés qui change, les zones les mieux dotées en médecins se trouvant englobées dans ces déserts médicaux relatifs au regard de l'accessibilité financière. Ainsi, les grandes villes ne sont pas épargnées par un accès difficile aux spécialistes sans dépassements d'honoraires.
4. Ces disparités ont des conséquences en termes d'inégalités de santé
Les inégalités territoriales de santé sont un phénomène observé depuis le début des études de santé publique au XIX ème siècle, et qui perdure dans un contexte général de progression de l'espérance de vie. On peut les mesurer au niveau du canton ou du quartier urbain à travers le taux de mortalité des populations, corrigé de leur structure par âges, qui est un indicateur synthétique de leur état de santé. Les variations de ce taux montrent que les inégalités territoriales de santé épousent les dynamismes économiques et démographiques, marquant une opposition de plus en plus claire entre centres urbains, marqués par une faible mortalité, et leurs périphéries urbaines et rurales, caractérisées par des niveaux de mortalité plus élevés. Globalement, la situation sanitaire est meilleure en ville qu'à la campagne, meilleure dans les grandes villes que dans les plus petites.
Au-delà des déterminants sociaux et culturels des inégalités de santé, qui ont une grande influence, l'on peut aussi établir un lien avec les difficultés d'accès aux soins. Ainsi que le souligne le professeur Emmanuel Vigneron, toutes les études conduites sur le sujet aboutissent à la conclusion que la consommation de soins diminue à mesure que s'accroît la distance à l'équipement ou au service 2 ( * ) .
Selon une enquête IFOP réalisée en octobre 2011 pour le cabinet de conseil en assurance santé Jalma, 58 % des Français interrogés déclarent avoir déjà renoncé à des soins en raison de la difficulté d'obtenir un rendez-vous chez un spécialiste (38 % s'agissant d'un rendez-vous chez le généraliste) ; 37 % en raison du coût de la consultation (18 % s'agissant du généraliste) ; 28 % du fait de l'éloignement géographique (15 % s'agissant du généraliste).
Paradoxalement, comme l'observe le professeur Emmanuel Vigneron, il est difficile de répondre à la question de savoir si la proximité ou l'éloignement des producteurs de soins ont un effet bénéfique ou néfaste sur l'état de santé. En effet, seul le recours aux soins est connu. Il faudrait une enquête épidémiologique en population générale qui permettrait, en incluant les personnes ne recourant pas aux soins, peut-être parce qu'elles en sont trop éloignées, d'isoler les effets propres de l'éloignement de toute une autre série de facteurs sources de confusion.
Toutefois, certaines études localisées portant sur des pathologies bien précises, confirment le lien que l'on peut intuitivement établir entre difficulté d'accès aux soins et dégradation de l'état de santé.
Dans une enquête réalisée à partir du registre du cancer du Calvados, on a observé que les patients ruraux présentant un cancer colorectal étaient moins souvent traités dans des centres anticancéreux que les patients citadins. Cette différence, en partie expliquée par la distance, est cause d'un retard de consultation, partant, d'un retard de diagnostic et, finalement, d'un pronostic aggravé en termes de chances de survie.
De même, le développement de la chirurgie de la cataracte, qui est l'opération chirurgicale la plus fréquente et qui répond à un vrai besoin de la population âgée, apparaît encore très limité aux régions méridionales et atlantiques, avec quelques points forts autour des grandes villes, notamment universitaires. Cette inégalité de répartition apparaît bien plus liée à la présence d'ophtalmologistes de ville, qui peuvent faire le diagnostic de la maladie, qu'à des variations objectives des besoins 3 ( * ) .
* 2 Emmanuel Vigneron - « Distance et santé » - PUF 2001.
* 3 Emmanuel Vigneron - « Les inégalités de santé dans les territoires français » - Elsevier Masson 2011.