Clôture
M. Victorin Lurel, Ministre des outre-mer
Mesdames et Messieurs les ambassadeurs, Mesdames et messieurs, chers amis, je voudrais souligner ma joie d'être présent au Sénat pour clôturer ce colloque. Je voudrais au préalable m'adresser à Michel Rocard, mon ami, et saluer les membres de la Délégation sénatoriale à l'outre-mer qui ont pris l'initiative d'organisation de ce colloque. Je viens d'ailleurs d'être interviewé par une chaîne de télévision qui m'a interrogé sur la vision stratégique qu'avait la France pour le Pacifique dans l'avenir et j'espère que les pistes ébauchées au cours de ce colloque contribueront à définir les nouveaux contours de la politique de la France dans cette région qui nous est chère.
Je voudrais remercier le Président du Sénat, mon ami Jean-Pierre Bel, de nous avoir reçus ici. Chaque fois qu'il en a l'occasion, le Sénat manifeste son intérêt pour les outre-mer.
Le Pacifique est certainement l'un des lieux géostratégiques où se jouera en grande partie le destin du monde au 21 ème siècle. Les États-Unis, l'hyperpuissance du siècle dernier, l'ont compris puisque le Président Obama, confirmant les objectifs affichés à l'ère Clinton, a résolument réorienté les intérêts de son pays vers la zone Pacifique. Dans cet immense espace cohabitent toutes les grandes puissances, celles qui souhaitent le rester et celles qui sont en train de le devenir. La France a cette chance, grâce aux trois collectivités territoriales que sont la Nouvelle-Calédonie, la Polynésie française, Wallis-et-Futuna et Clipperton d'être une puissance océanienne, la seule de l'Union européenne mis à part le Royaume-Uni, qui exerce sa souveraineté sur Pitcairn. Certains députés ou sénateurs connaissent particulièrement bien les outre-mer, y compris ses plus petits îlots. Il m'arrive souvent d'apprendre à leurs côtés et il faut saluer cette connaissance, alors que d'aucuns ont parfois déploré la méconnaissance, voire l'indifférence de l'Hexagone à l'égard de nos outre-mer. Cette chance fait de la France le deuxième pays au monde par la superficie de sa zone économique exclusive, en grande partie grâce aux collectivités territoriales du Pacifique. Les enjeux et les attentes sont donc énormes.
La France a conscience de ses responsabilités dans cette partie du monde, même si la situation est aujourd'hui difficile. Elle a su tirer toutes les leçons du passé et les souvenirs douloureux qui ont émaillé son Histoire, lors des processus de décolonisation du siècle dernier, ont renforcé sa volonté de respecter le libre arbitre des peuples, de reconnaître leur droit légitime à l'émancipation et de permettre l'épanouissement de toutes les cultures dans un dialogue fécond d'admission de l'altérité et de recherche de la complémentarité. Cette politique de maturité trouve tout naturellement un terrain de choix dans le Pacifique. Je crois pouvoir dire, en présence de l'Ambassadeur de la Nouvelle-Zélande, que depuis 1996 et la fin des expérimentations nucléaires en Polynésie, un dialogue plus approfondi et même une nouvelle fraternité ont vu le jour. Le processus engagé en Nouvelle-Calédonie a également permis de renouer un dialogue plus fécond, plus nourri, nous permettant de cheminer encore mieux ensemble.
Grâce à l'intelligence de Michel Rocard, à l'origine des accords de Matignon en 1988, puis au courage des gouvernements qui se sont succédé et notamment de Lionel Jospin, qui poursuivit le processus avec les accords de Nouméa en 1998, avec la participation active de la classe politique locale, qui a su faire preuve de responsabilité, la Nouvelle-Calédonie a pu trouver le chemin de la paix. Le dernier Comité des signataires a confirmé la bonne tenue des accords et le respect du calendrier qui s'y rapporte.
Lorsque le Président de la République a reçu les partenaires à l'Élysée, il leur a fait un cadeau, comme le veut la coutume en Nouvelle-Calédonie. Il a offert aux partenaires calédoniens des objets en porcelaine de Sèvres, « parce que c'est beau et parce que c'est fragile », a-t-il dit. Comme la porcelaine de Sèvres, les accords de Nouméa sont beaux et fragiles. Vous aurez à prendre en charge et à préserver cette beauté et cette fragilité, comme toute la famille calédonienne ici réunie. Un tel processus de décolonisation institutionnalisée est unique dans l'Histoire de la République. La France n'a pas peur du suffrage universel : quel que soit le verdict qui en sortira, la France saura s'en accommoder. Depuis cette date, chaque fois que cela s'est avéré nécessaire, il me semble que la France a su faire les choix pertinents. Elle continuera de contribuer au développement et à l'épanouissement de ses collectivités d'outre-mer.
Le gouvernement de Jean-Marc Ayrault et le ministère des outre-mer, conscients des difficultés financières de la Polynésie française, ont décidé de consentir un effort sans précédent afin d'aider les Polynésiens à les surmonter. Je me rends après-demain en Polynésie afin de rencontrer la population et les responsables politiques locaux afin de leur apporter la pleine solidarité de la Nation et du gouvernement. Développer les collectivités françaises du Pacifique constitue un enjeu à la mesure de l'immensité et des richesses de leur environnement. La solidité des institutions, l'image de la France et la profondeur des liens qui unissent notre pays aux principales puissances régionales (Australie, Nouvelle-Zélande) constituent à nos yeux des gages de paix, de démocratie et de développement durable dans cette région qui va orchestrer la marche du monde en ce 21 ème siècle. La France entend y prendre toute sa place, en coopération étroite avec ses alliés, pour le plus grand profit des Calédoniens, des Polynésiens et des Wallisiens.
Pour cela, il nous faut approfondir nos coopérations dans tous les domaines. C'est déjà le cas, notamment sur le plan militaire, avec l'accord FRANZ, qui nous permet, avec nos amis australiens et néo-zélandais, de veiller à la sécurité des mers. C'est aussi vrai sur le plan économique où les échanges entre voisins s'accroissent. La France est ancrée dans le Pacifique et se doit, à travers ses collectivités, d'interagir en permanence avec l'étranger proche. Elle encourage l'établissement de relations directes entre les entités françaises et ces pays amis. La Nouvelle-Calédonie dispose déjà de deux représentants à l'ambassade de France en Nouvelle-Zélande dont la mission est de défendre les intérêts calédoniens dans ce pays et de faciliter les échanges, tant économiques que culturels, entre Nouméa et Wellington.
Ce mouvement devrait s'amplifier avec l'Australie, la Papouasie Nouvelle-Guinée, Vanuatu, Fidji voire le Japon, qui est demandeur de relations plus directes avec la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française. Cela peut paraître anodin mais une telle ouverture, qui concerne également les départements français d'Amérique et qui vise à permettre de meilleures relations avec le voisinage immédiat, est très nouvelle dans notre législation. Les régions de Guyane, de Martinique et de Guadeloupe ont déjà des représentations au consulat général à Miami, au Costa Rica, au Panama, au Venezuela et dans toutes les Caraïbes. Il y a là une forme intéressante d'apprentissage à l'international, notamment pour de jeunes universitaires. C'est une très belle démarche qu'Alain Juppé avait initiée et que Laurent Fabius soutient fortement.
Il faut bien sûr aménager le droit. Nous avions autorisé ces pratiques dans le cadre de la loi d'orientation pour les outre-mer de décembre 2000. Il convient de préciser la façon dont nous pouvons agir, dans le respect du droit commun et de la souveraineté nationale, au niveau sub-étatique. L'ancien Président du Brésil, Fernando Cardoso, avait rédigé un excellent rapport pour l'ONU en soulignant que l'essentiel se trouvait là aussi. Quelques initiatives ont été prises, depuis lors, par les collectivités, avec notamment des forums mis en place par Jean-Yves Le Drian lorsqu'il présidait la commission des régions périphériques maritimes. Ces outils permettent de nouer des relations et d'initier des actions intéressantes, dans le respect des principes de la coopération décentralisée et de la souveraineté nationale. C'est l'intérêt de la France et de ses alliés d'approfondir cette coopération.
Nous remercions nos amis australiens et la Nouvelle-Zélande de leur soutien actif, notamment dans le processus en cours d'intégration de la Nouvelle-Calédonie et de la Polynésie française en tant que membres de plein exercice du Forum des îles du Pacifique. C'est par cette politique de confiance mutuelle que nous vivifierons la démocratie dans cette région du monde, comme en témoigne notre action concertée au sujet du cas fidjien.
Cette coopération régionale se développe aussi au sein de la Communauté du Pacifique, dont la France est membre fondateur avec les États-Unis, l'Australie et la Nouvelle-Zélande. La France contribue au budget de la Communauté du Pacifique à hauteur de 2,4 millions d'euros par an, dont 1,3 million au titre de sa contribution obligatoire et plus d'un million de contribution volontaire, auxquels s'ajoutent 370 000 euros du fonds Pacifique. Le siège de la Communauté du Pacifique (organisation internationale) se trouve sur le sol français, à Nouméa, ce qui renforce la place de notre pays, de nos 600 000 citoyens et de la francophonie dans la région.
Notre pays ne sait pas encore suffisamment utiliser le formidable instrument que constitue la langue française. Chaque fois que je voyage, notamment en Amérique Latine et en Caraïbe, je constate une formidable demande de français. J'ai rencontré de parfaits locuteurs du français, à Cuba, qui pleuraient pour déplorer le manque de moyens. Nous pouvons à un niveau sub-étatique, avec les collectivités, impulser une très belle politique et la langue française n'est pas connotée de façon colonialiste, ce qu'on ne sait pas suffisamment à Paris. En Afrique, la langue française est très demandée. Il faut mieux le faire comprendre et exploiter, au bon sens du terme, ce formidable instrument diplomatique.
La France s'est dotée d'un outil de coopération à travers le fonds Pacifique, qui s'avère extrêmement utile dans l'aide aux projets innovants qui concernent au premier chef ces territoires du Pacifique. La biodiversité, les nouvelles énergies et le réchauffement climatique constituent des terrains de recherche prodigieux. Une grande partie de la soixantaine de projets cofinancés actuellement par le fonds Pacifique entre plusieurs États de la région et la Nouvelle-Calédonie, la Polynésie et Wallis et Futuna, a trait à la conservation de la biodiversité marine. C'est notamment le cas du projet CRISP de protection des coraux. Avec le savoir-faire français présent dans les instituts de recherche internationalement reconnus comme l'IRD, l'Institut Pasteur, le CNRS, l'Institut Louis Malardé, nous sommes en capacité de mener, en coopération avec les chercheurs et scientifiques de l'Australie, de la Nouvelle-Zélande et des pays environnants, les programmes qui s'imposeront demain pour la prévention des catastrophes, la préservation du milieu marin et la synthèse des bio-molécules. De tous ces champs d'investigation surgiront une nouvelle économie, des échanges plus équilibrés, une autre manière de voir le monde. Nos pays s'uniront, je l'espère, face aux risques systémiques que sont, pêle-mêle, le pillage des océans, la pollution, le bio-piratage ou encore l'élévation du niveau de la mer.
Les universités de Polynésie et de Nouvelle-Calédonie doivent pouvoir bénéficier de cet environnement d'une grande richesse pour offrir des formations d'avenir, développer des partenariats avec des entreprises innovantes, travailler à la multiplication d'unités mixtes de recherche et accroître la coopération avec les universités des pays du Pacifique. Vous avez constaté cet après-midi que les collectivités ultramarines du Pacifique détenaient un potentiel de richesses qui nourrissait l'innovation et vous avez posé une question à l'intention des entreprises et des décideurs afin de savoir comment valoriser le potentiel de la région. Je vous ai rejoints au moment où la question des terres rares était abordée. J'ai cru comprendre qu'une forme d'appel avait été lancé pour l'exploration et si possible l'exploitation de ces ressources. Il s'agit d'une question tout à fait stratégique et nous ne serons pas inertes.
La biodiversité, tant la faune que la flore, la mer et les minerais, en particulier le nickel de la Nouvelle-Calédonie, constituent un potentiel qui nourrit l'innovation que l'on retrouve sous la forme d'entreprises performantes et respectueuses de l'environnement. Nous sommes d'ailleurs attentifs aux accords de partenariat passés par la Nouvelle-Calédonie avec la Corée et avec la Chine. Je pense notamment aux nouveaux procédés d'extraction du nickel et des minerais. Valoriser ce potentiel implique de faire en sorte que tous les acteurs publics et privés, nationaux, régionaux et étrangers s'associent au travers de programmes de coopération qui privilégient la recherche, respectent la nature, développent l'économie et favorisent l'emploi et la formation des jeunes.
Je me félicite que Wallis-et-Futuna accueillent en septembre 2013 les mini-jeux du Pacifique, auxquels participeront 22 pays de la région. En 2014, la Polynésie française accueillera la coupe du monde de beach-soccer de la FIFA, événement international qui dépassera largement les rives du Pacifique. Le Brésil, le Portugal et 14 autres pays s'y affronteront.
J'ai beaucoup insisté sur la place éminente de la coopération pour promouvoir la démocratie et développer les échanges dans le Pacifique. Je ne voudrais pas occulter le rôle de l'Union européenne dans l'aide au développement au titre du 10 ème FED (2008-2013). Les engagements de l'Union européenne atteignent près de 400 millions d'euros pour les États insulaires et le développement du Pacifique Sud, hors des PTOM français, pour une population totale de 10 millions d'habitants. Pour coordonner son action sur place, la Commission européenne va ouvrir une représentation à Nouméa, en lieu et place du bureau des services extérieurs de l'Union européenne, appelé à se transporter à Suva, dans les îles Fidji.
Le centre de gravité du monde se déplace vers le Pacifique. Notre diplomatie et notre vision du monde doivent s'y adapter et même anticiper. C'est la raison pour laquelle nous sommes extrêmement attentifs aux dynamiques qui sont à l'oeuvre dans cette région du monde. La France est fière et heureuse de compter en son sein ces mondes polynésiens et mélanésiens qui entrent en résonance avec leurs voisins aborigènes et maoris. Ils permettent, à travers l'affirmation de leur culture, de leur identité, de leurs coutumes, de rendre la France plus présente, plus diverse et plus riche.
Ce colloque a souligné avec force les atouts de cette zone hautement stratégique et les défis que nous devons relever, en étroite symbiose avec l'Union européenne, les Australiens, les Néo-Zélandais et tous les pays du Pacifique. Je souhaite que soit instaurée une conférence de coopération inter-régionale du Pacifique qui fasse le point chaque année sur l'avancée et le suivi des dossiers en cours, à l'instar de ce qui existe dans les Antilles-Guyane et dans l'Océan Indien.
Je voudrais enfin avoir une pensée pour nos compatriotes de Wallis-et-Futuna, durement éprouvés par le cyclone Eva, qui a aussi causé d'immenses souffrances à Fidji. Face à cette catastrophe, les pays du Pacifique, dont la France, ont donné tout leur sens au mot solidarité.
Je remercie enfin tous les organisateurs de cette manifestation ainsi que toutes celles et tous ceux qui ont participé à la réussite de ses travaux.