M. Jean-Marc Regnault, Chercheur associé à l'Université de la Polynésie française
Avec l'évolution institutionnelle prévisible de la Nouvelle-Calédonie (qu'elle choisisse ou non de rester attachée à la République), avec celle de la Polynésie française où la devise et les grands principes républicains sont respectés de façon aléatoire ou ambiguë, et sans parler de Wallis et Futuna, les collectivités françaises sont-elles encore ou seront-elles des images de la France ?
Si la Nouvelle-Calédonie a été longtemps une contre-image de la France avant d'être prise en exemple de résolution intelligente des conflits, que penser de l'image donnée par la très instable Polynésie 6 ( * ) avec ce que des universitaires ont appelé « les dérives de l'autonomie » 7 ( * ) ou avec le « pacte de corruption » dénoncé par les représentants de la Justice ?
D'une façon plus générale, il faudrait retenir la question posée par Sarah Mohamed Gaillard dans sa thèse : « encore combien de temps [les collectivités françaises d'Océanie] peuvent-elles permettre à la France d'exercer son influence dans cette région ? » 8 ( * ) .
L'insertion régionale des collectivités françaises - qui devrait théoriquement prolonger la volonté française de rayonner en Océanie - a pris beaucoup de retard, mais elle soulève aussi de multiples questions.
Par exemple, cette recommandation est-elle vue par la France comme un moyen de se désengager ?
Le slogan d'intégration régionale souvent répété par le Gouvernement central 9 ( * ) et l'Union européenne reste au stade de voeu pieux malgré les institutions régionales (Communauté du Pacifique et Forum 10 ( * ) ). Les projets de marché commun océanien n'aboutissent pas. De plus, les économies de chaque pays ou territoire du Pacifique Sud présentent d'énormes disparités en matière de salaires et de droit du travail. Comme le note l'économiste Klaus-Gerd Giesen : « Le commerce intra-Océanie reste structurellement faible. Une intégration commerciale régionale complète, à l'instar de l'intégration européenne, n'apporte en réalité pas grand-chose. En effet, les principaux marchés d'exportation se situent en dehors de la zone et varient considérablement d'un État à l'autre... » 11 ( * ) .
Autre point. La politique de la France dans le Pacifique est-elle une politique cohérente et à long terme ? Si on prend l'exemple de l'attitude française à l'égard de Fidji (rappelons le soutien aux coups d'État à connotation ethnique du colonel Rabuka en 1987) on se rend compte que trop souvent le court terme l'a emporté sur la réflexion.
Autre versant du questionnement :
Les dirigeants des collectivités françaises océaniennes se situent-ils dans la perspective de faire rayonner la France dans le Pacifique ?
L'insertion régionale signifie en effet transformer les collectivités françaises en territoires de plus en plus profondément océaniens qui auront leur propre logique d'évolution, forcément un jour ou l'autre en contradiction avec la logique de la diplomatie étatique. Il sera sans doute difficile de tenir l'article 74 de la Constitution qui donne la priorité aux intérêts propres de la République sur les COM quand ces dernières souhaiteront l'application de l'article 73 de la Charte de l'ONU qui pose le principe de la primauté des intérêts des habitants des territoires dépendants.
Le 9 mars 1988, Russel Marshall, ministre des Affaires étrangères de Nouvelle-Zélande, disait à Bernard Pons : « Nous ne sommes plus anglo-saxons, mais un mélange d'Européens et de Polynésiens. Nous vivons dans une société biculturelle. Nous nous sentons de plus en plus Océaniens. Nous vivons dans une région différente de l'Europe... ».
Déjà, ils sont nombreux dans les collectivités françaises ceux qui disent « Nous nous sentons de plus en plus océaniens ».
Et pas seulement chez ceux que l'on qualifie à plus ou moins juste titre d'indépendantistes ou de souverainistes. Un jour plus ou moins proche, ce sentiment sera unanimement partagé. C'est à cela que les différents acteurs des relations internationales dans le Pacifique devraient se préparer.
* 6 Sémir Al Wardi, Jean-Marc Regnault, Tahiti en crise durable. Un lourd héritage , Les éditions de Tahiti, 2011 (diffusion L'Harmattan).
* 7 Sémir Al Wardi, Tahiti Nui ou les dérives de l'autonomie, L'Harmattan, 2008.
* 8 Sarah Mohamed-Gaillard, L'archipel de la puissance ? La politique de la France dans le Pacifique Sud de 1946 à 1998, Éditions P.I.E. Peter Lang, Bruxelles, Berlin, New York, 2010, p. 407.
* 9 À Nouméa, fin août 2011, le président de la République reprit ce thème : « Je suis convaincu qu'il faudra réfléchir au rapprochement des uns et des autres. [...] Ce que nous avons fait en Europe, n'y aurait-il pas moyen de le poursuivre ici, dans le Pacifique, entre vous ? ».
* 10 Nathalie Mgrudovic, La France et le Pacifique Sud. Les enjeux de la puissance, L'Harmattan, 2008, 440 p.
* 11 Klaus-Gerd Giesen, « Les États insulaires d'Océanie dans l'économie politique internationale », in Jean-Yves Faberon, Viviane Fayaud et Jean-Marc Regnault, Destin des collectivités politiques d'Océanie , Presses Universitaires d'Aix-Marseille, 2011, vol. 2, p. 526.