2. L'embourgeoisement des héritiers du productivisme agricole - Gilles Laferté

(INRA)

La littérature en sociologie a longtemps insisté à la fois sur la paupérisation agricole et sur les départs du secteur, principalement vers les mondes ouvriers (Barbichon Delbos Prado 1974 ; Prado Barbichon 1978 ; Eizner Hervieu 1979). Dans les années 1970, la question centrale de l'impossible reproduction paysanne a focalisé les travaux ethnographiques sur les petites exploitations en polyculture (Bourdieu 2002, Champagne 2002). Ces recherches majeures sur le désajustement paysan face à la modernisation agricole ont cependant masqué la diversité des évolutions des groupes agricoles. La « fin des paysans » (Mendras 1967) a conditionné le développement d'autres fractions des mondes agricoles. L'impossible reproduction sociale des uns a souvent garanti la reproduction sociale des autres.

Inversement, la bourgeoisie agricole contemporaine a fait l'objet de peu de travaux. Ce sont les notables du XIX e siècle qui ont longtemps focalisé l'attention des chercheurs. Or la « fin des notables » (Halévy 1930 ; Phélippeau 1999) précède la « fin des paysans » laissant ces territoires ruraux comme vidés d'une production contemporaine d'élites sociales. C'est la société décapitée d'Henri Mendras (1967). Ainsi, la plupart des travaux font de la bourgeoisie agricole, une bourgeoisie établie avant le XX e siècle. Des études historiques soulignent la lente constitution sur plusieurs siècles de cette bourgeoisie agricole dont les céréaliers du bassin parisien constituent l'une des figures (Moriceau 1994). Céline Bessière a détaillé les diverses strates de l'agriculture au sein d'un même espace agricole, celui du Cognac, distinguant en haut une bourgeoisie installée, une élite au patrimoine diversifié qui peut donc faire face aux aléas du marché et garantir sa reproduction sociale (Bessière 2010). Plus largement, la viticulture incarne souvent l'excellence sociale agricole. Les viticulteurs cherchent, voire forcent, leur homologie sociale avec l'aristocratie et la bourgeoisie (Garcia 2009, Laferté 2006). Sylvain Maresca pour une région agricole riche, de grandes cultures, la Meurthe-et-Moselle, évoque la bourgeoisie agricole qui hier monopolisait les fonctions de dirigeants agricoles (Maresca 1983) et qui semble moins s'y prêter aujourd'hui (Hobeika 2012). Ainsi, la bourgeoisie agricole sous la plume des sociologues est de longue date établie, comme si le mot même de bourgeoisie évoquait irrémédiablement des positions sociales héritées, une stratification sociale quelque peu figée, propre principalement à la viticulture, au bassin parisien ou aux zones anciennes de grandes cultures (le Nord et l'Est).

Or la modernisation agricole des années 1960, la PAC, l'essoufflement du modèle corporatiste français (Muller 2010), a très certainement redistribué une partie de l'excellence sociale des mondes agricoles. Ici, à partir d'une région agricole hier pauvre, le Châtillonnais - mais le processus vaut certainement ailleurs - il s'agit moins de travailler sur des établis que sur une dynamique sociale initiée depuis la modernisation agricole, de l'après guerre à aujourd'hui. Comment des paysans compris comme une classe objet dans la littérature (Bourdieu 1977), mais aussi dans les représentations (Bessière Bruneau 2010), ces paysans à l'extrémité de la chaîne de la domination sociale, sont-ils parvenus aux franges économiques de la bourgeoisie locale ? A l'évidence, se pose la question sociologique de l'extraction populaire d'une partie des agriculteurs, les gagnants du productivisme, mouvement concomitant à la fin des paysans et à l'exode rural, mouvement qui a touché une partie des agriculteurs, et diversement sur le territoire. Nous ne nions nullement la misère agricole qui touche encore de larges parties du territoire et des agriculteurs, mais force est de constater qu'une partie des agriculteurs, particulièrement dans l'Est et le Nord de la France, notamment dans les régions céréalières, ont bénéficié d'une mobilité sociale intergénérationnelle importante.

En effet, selon une géographe, en 1928, l'avenir agricole du terrain d'enquête, le Châtillonnais, semble condamné 83 ( * ) : « Ce pays n'a pas de vocation agricole. Il en est de tout le Châtillonnais comme dans ce village de Planay, dont les habitants écrivent en 1793 «qu'il n'y a ni vigne, ni prés, ni eau, et qu'il est le plus ingrat pays de la République» » (Debesse-Arviset 1928 p. 444). Il n'y a plus que 15,4 habitants au kilomètre carré en 1921, une des plus faibles densités de France. Les terres peu profondes et peu productives précipitent ici plus tôt qu'ailleurs le désert rural. Sur le XX e siècle, localement, on observe l'effondrement de la population active agricole, passant de 56,8 % en 1906 à 21,7 % en 1968 et 7,1 % en 2008.

Or, à complet rebours du constat établi par la géographe, le Châtillonnais est devenu une zone agricole riche. Ces agriculteurs ont initié et bénéficié d'une réorientation complète de l'appareil productif vers les grandes cultures plus profitables. Ils s'inscrivent dans un processus d'accumulation d'un capital économique aujourd'hui important, ouvrant la question de leur embourgeoisement. Ce processus d'embourgeoisement contemporain est peu étudié, voire peu compréhensible en l'état de la littérature consacrée à la non reproduction paysanne ou aux bourgeoisies établies. Or ce processus est significatif dès que l'on parle des gros agriculteurs contemporains, puisque ces derniers ne sont pas tous héritiers des notables et des dynasties agricoles du XIX e siècle.

Face à l'imperfection des données statistiques sur les groupes agricoles - nous y reviendrons -, il est cependant difficile d'objectiver par les outils généraux de la sociologie cet enrichissement pourtant très visible dans plusieurs régions agricoles à travers certains « biens à statut » (grands pavillons, voiture...). Les approches statistiques nationales agrégeant petits, moyens et gros agriculteurs enregistrent difficilement ces tendances inscrites dans la diversité régionale accusée de l'agriculture, divisée selon les types de productions. En l'état, il est sans doute préférable de revenir à des approches empiriques et localisées à l'échelle de pays agricoles. L'objectif de cet article est donc de poser la question de l'embourgeoisement agricole contemporain, d'un point de vue empirique et théorique, à partir d'une enquête monographique.

La notion d'embourgeoisement a été principalement employée dans les années 1970, par une sociologie souvent anglo-saxonne, pour rendre compte de l'effritement de la classe ouvrière notamment par l'accès à un univers et un mode de vie petit-bourgeois, à la propriété, mobilité sociale marquée par un retournement du vote devenu conservateur (Goldthorpe 1963, Hurt 2007) ou dans un tout autre contexte, celui des pays socialistes, pour le développement de l'entrepreneuriat et du secteur privé (Szelényi 1988). Le mot est aujourd'hui peu utilisé dans la sociologie contemporaine et encore moins pour évoquer les agriculteurs 84 ( * ) . Son sens reste large, peu défini, proche de l'usage commun, renvoyant à la fois à un enrichissement et un changement de mode de vie. Il est mobilisé en sociologie urbaine pour décrire moins l'évolution de groupes sociaux ou de ménages, que de quartiers dans le cadre des analyses sur la gentrification. Quel sens la sociologie peut-elle donner à la notion d'embourgeoisement aujourd'hui ?

On peut tout d'abord comprendre l'embourgeoisement d'un point de vue marxiste. Le bourgeois reste le possesseur des moyens de production, du capital, qui cherche donc à exploiter la force de travail du prolétariat. Le bourgeois s'oppose au salarié : c'est un patron. Mais alors comment l'agriculteur patron de lui-même pourrait-il s'embourgeoiser ? Au prix de sa propre exploitation et de celle de sa famille ? D'un point de vue marxiste, il faudrait qu'il se fasse employeur et qu'il mette à distance le travail manuel pour que la possession du capital d'exploitation et du foncier en fasse réellement un bourgeois. C'est le chemin pris par l'avant-garde des plus gros exploitants du Châtillonnais. Ces derniers sont désormais du côté de la gestion du capital dans le processus productif, organisant sa mise en valeur par l'embauche de salariés. A cet égard, une partie des agriculteurs châtillonnais est de moins en moins « inclassable » (Grignon 1975 b) devenus, chefs de petites entreprises à fortes immobilisations capitalistiques.

Mais la notion d'embourgeoisement porte une signification plus large qu'une position dans le processus de production. On montrera d'abord que la population agricole châtillonnaise du premier XX e siècle appartient initialement aux franges supérieures des classes populaires rurales. Puis, au delà de la différenciation patron/ouvrier, à la lecture des sociologues de la bourgeoisie (Pinçon Pinçon-Charlot 2007), on comprendra l'embourgeoisement comme un processus d'accumulation et d'intégration des capitaux économique, social et culturel. Les agriculteurs châtillonnais se sont d'abord extraits des classes populaires locales par l'accumulation du capital économique, ce qui rapidement a eu des incidences sociales. Aujourd'hui, les agriculteurs s'allient moins qu'hier avec les ouvriers locaux et les emplois d'exécution sont de moins en moins l'horizon de ceux qui quittent cette agriculture. L'embourgeoisement est d'autant plus significatif que la population locale reste populaire impliquant une mobilité relative plus forte particulièrement visible dans la notabilisation des agriculteurs. L'accès aux positions sociales locales symboliques participe de l'embourgeoisement compris comme la construction d'un groupe clé de l'encadrement des populations. Mais l'embourgeoisement suppose également un contenu normatif impliquant l'adhésion aux normes et modes de vie des classes supérieures à mesure de la mobilité sociale. Comment l'accumulation capitalistique et la notabilisation agricole ont-elles modifié les modes de vie de ces agriculteurs au XXe siècle ? Ainsi, parler d'embourgeoisement re-pose la question de la fragilité de l'autonomie des classes populaires, des cultures populaires - les paysans ont par excellence incarnés les cultures populaires dans la littérature et particulièrement dans le mouvement folklorique - cultures populaires prises entre théories de la légitimité culturelle et théories du relativisme (Grignon Passeron 1989).

a) Les origines de la population agricole actuelle : exploitants propriétaires établis au XIXe siècle et migration de petits exploitants

La composition de la population agricole châtillonnaise contemporaine est le produit de deux flux. Le premier est constitué d'une frange montante de la population agricole du XIX e siècle, les exploitants propriétaires. Classiquement dominé par les notables, le Châtillonnais est fortement marqué par la grande propriété. Celle-ci est également engagée dans l'industrie métallurgique locale et loue ses terres à des fermiers. En face de ces notables, on trouve une masse paysanne constituée dans sa frange supérieure des fermiers, suivis des exploitants sur de petites exploitations en autarcie (Mayaud 1999) et enfin des journaliers pluriactifs et ouvriers agricoles (Dewerpe 1985, Terrier 1996).

Au milieu de ces deux pôles des mondes agricoles, au cours du XIX e siècle, émerge une catégorie intermédiaire d'exploitants propriétaires. L'ouverture du marché du fer suite aux contrats de libre échange, la concurrence de la coke, provoquent une crise industrielle dans la seconde moitié du XIX e siècle et condamnent la plupart des hauts-fourneaux châtillonnais. De l'autre côté, la baisse du cours du blé rend peu rentable ces grandes exploitations. Les notables vendent cette terre en surabondance. De la fin du XIX e à la seconde moitié du XX e siècle, le Châtillonnais se désindustrialise et la terre passe des mains des grands propriétaires à celles d'une classe paysanne autarcique moins dépendante des marchés qui se transforme pour sa frange haute en exploitants propriétaires sur de moyennes puis de grandes exploitations (Barthélémy Boinon 1973). Ce sont là des fermiers qui s'établissent, des commerçants qui achètent de la terre et se font agriculteurs, de petits propriétaires qui accroissent leur surface. Ces exploitants deviennent propriétaires d'exploitations conséquentes dans l'entre-deux-guerres, employant plusieurs ouvriers agricoles issus en majorité de l'immigration polonaise. Cette population d'exploitants agricoles forme l'élite agricole qui s'implique dans la construction républicaine de l'agriculture, au sein des coopératives ou du Crédit Agricole. Vu le fonctionnement du marché foncier contrôlé par les notaires qui cherchent des familles solvables pour garantir les ventes, ces familles établies d'agriculteurs ont une place de choix sur le marché foncier du premier XX e siècle. Ces grandes familles agricoles, à rebours de l'exode rural, se démultiplient dans l'agriculture, réussissant à placer leurs enfants à la tête des exploitations libres de la région.

Aux lendemains de la Première Guerre mondiale, la terre en friche et les prix particulièrement bas attirent une autre population, des migrants originaires de régions agricoles riches, le Luxembourg, la Belgique, l'Alsace et la Lorraine, et de zones agricoles limitrophes (Saône-et-Loire, Haute-Marne notamment). Petits exploitants condamnés à rejoindre les rangs de l'industrie, ils n'ont d'autres choix que la migration vers une zone agricole pauvre pour se maintenir dans l'agriculture. Ainsi, en 1932, en Alsace, Antoine Meyer a vendu 80 000 francs son exploitation de 7 ha et son cheptel. Pour 40 000 francs, il a pu racheter une ferme de 40 ha et son capital d'exploitation (petit matériel et cheptel) dans le Châtillonnais 85 ( * ) . L'écart des prix est tel que la migration permet à ces petits exploitants propriétaires de multiplier par 10 voire 20 leur surface. A côté des flux majoritaires de migrations d'ouvriers agricoles (Hubscher 2005 ; Noiriel 1994) ou de micro-mobilités et migrations liées aux fermages (Segalen 1985 ; Pingaud 2006), comparativement, on observe ici une migration importante de petits propriétaires condamnés à la non-reproduction paysanne et qui tirent bénéfice de l'écart des prix. Sous l'impulsion de ces migrants, une première mécanisation s'opère. Surtout, l'élevage ovin est abandonné au profit de l'élevage bovin dont la production laitière est transformée dans les nouvelles fromageries issues d'une migration suisse (Delfosse 1994). La migration agricole précipite la réorientation technique de l'agriculture châtillonnaise.

De la fin du XIXème siècle à l'entre-deux-guerres, la position sociale relative de ces gros agriculteurs reste intermédiaire, à forte distance des notables et des professions libérales au capital culturel et social élevé, mais en haut des masses paysannes locales. Cette position est beaucoup moins favorable si on la repositionne dans l'espace national. Vue la pauvreté de la région agricole, la valeur de leur patrimoine productif équivaut à une toute petite exploitation dans les régions agricoles riches. Propriétaires de leur outil de production, ils se distinguent certes des ouvriers de l'industrie ou des ouvriers agricoles qui peuplent les campagnes, mais contrairement à la bourgeoisie agricole des zones riches, ces agriculteurs détiennent un patrimoine de faible valeur.

Au gré des alliances homogames et de la sédentarisation agricole de l'après guerre à nos jours, ces deux populations ne font plus qu'une. Aujourd'hui dans le Châtillonnais, la grande majorité des agriculteurs est issue de cette double ascendance.

b) Comment caractériser sociologiquement ces agriculteurs des Trente Glorieuses ?

Si au début des Trente Glorieuses, on s'intéresse aux sociabilités, aux alliances et au capital culturel, alors on positionne les agriculteurs châtillonnais du côté des classes populaires. Une fille d'une des plus grosses familles agricoles raconte aujourd'hui n'avoir jamais eu le sentiment, malgré le patrimoine présent dans sa famille, de grandir dans une famille bourgeoise. En effet, ces familles d'agriculteurs sont éloignées des notables, ceux qui au XIX e siècle habitaient les châteaux et possédaient la terre. Ils appartiennent désormais, via les diplômes, à une bourgeoisie urbaine régionale ou nationale. Les familles ont parfois gardé le château comme résidence secondaire. Pour les agriculteurs même importants, les repas collectifs partagés avec les ouvriers agricoles, la ferme, la terre de la cour, le mode de vie, l'isolement villageois, la cueillette des légumes pour faire des bocaux, l'absence de vacances, le souci des économies, le partage de loisirs populaires comme le football pour les garçons... soulignent l'éloignement au mode de vie « bourgeois ».

Dans les années 1960, la scolarité des enfants d'agriculteurs châtillonnais est équivalente à celle des enfants d'ouvriers, plus courte que celle des enfants d'employés (33,9 % des enfants d'agriculteurs sans diplôme contre 24,9 % des enfants d'ouvrier, et 3,6 % des enfants d'employés ; Cuisenier 1966 : 203). Cette absence de diplôme est autant une mesure de la distance des agriculteurs à la culture légitime qu'une stratégie consciente de reproduction sociale évitant l'école (Grignon 1975 a). Mais au-delà de cette stratégie, le maintien d'un patois, la maîtrise approximative de la langue - perceptible sur les bandes enregistrées archivées, comme dans les enregistrements d'aujourd'hui avec les plus âgés - témoignent de cet écart culturel. L'ethnologue Marie-Louise Tenèze soulignait en 1967 : « c'est une sorte d'indigence narrative que j'ai ici constatée au double plan, serais-je tentée de dire, des matériaux et de la faculté d'expression. » 86 ( * ) . Du point de vue des ethnologues du Musée des Arts et Traditions Populaires engagés dans la RCP Châtillonnais, la culture rurale du Châtillonnais est tellement disqualifiée qu'elle n'est même pas digne de la classification folklorique, d'une autonomie propre lui donnant le statut de « culture populaire ». Ils abandonnent rapidement ce terrain dont les pratiques indigènes, à leurs yeux, sont dénuées de tout intérêt pour les savants.

De même, pendant longtemps, l'ouverture sociale produite par la « société salariale » est bloquée pour les agriculteurs, indépendants contraints à une présence sur leur outil de production. Les vacances restent impossibles tant qu'ils ont un élevage, situation rencontrée par la quasi totalité des agriculteurs Châtillonnais dans les années 1960 et 1970 (Champagne 1975). Pour les agriculteurs, le temps des loisirs est très limité quand tous les week-ends, il faut être présent pour la traite qui commence tôt le matin et retient tard le soir. L'abandon du lait, qui sera massif des années 1980 à nos jours, reste une condition pour accéder à du temps libre et à la société des loisirs.

A part à l'école, face à la figure de l'instituteur, ou dans quelques rares interactions (le vétérinaire, le pharmacien, le docteur, le notaire pour les agriculteurs, les cadres de l'usine pour les ouvriers), c'est principalement à la ville, que les enfants des classes populaires rurales et des agriculteurs se voient confrontés à la culture lettrée dominante, et au possible mépris social qu'inspire leur position. En 1968, on compte 20,8 % de bac ou plus dans la population active de plus de 16 ans à Paris, 17,7 % à Dijon pour 7,4 % dans le Châtillonnais. La « domination symbolique de l'urbain sur le rural » s'opère par le retour des apparentés qui ont suivi leur destinée de salarié urbanisé (Bourdieu 2002 : 226). Tant que les agriculteurs et les classes populaires rurales restent dans un entre-soi rural, la dépossession culturelle prend des formes adoucies. Dominés économiquement par des agriculteurs, à la fois détenteurs de patrimoine et employeurs, les classes populaires ouvrières ne le sont pas culturellement.

c) L'enrichissement économique des agriculteurs

La modernisation agricole des années 1950 et 1960 révolutionne l'agriculture châtillonnaise. Ces grandes surfaces sont particulièrement bien adaptées à la mécanisation. Grâce à la fertilisation, cette terre de plateau hier juste bonne pour les moutons est devenue propre à une culture de vente rentable, les céréales. De plus, la mécanisation libère l'assolement de l'avoine, production hier réservée à la nourriture des chevaux. Tous les agriculteurs châtillonnais développent leur atelier céréaliculture, beaucoup abandonnent progressivement le lait. Comme partout, les « exploitations professionnelles » 87 ( * ) s'engagent dans une économie agricole pleinement marchande. Dans cette concurrence marchande, seules les structures qui se positionnent au dessus d'un seuil économique suffisant pour rentabiliser la spirale des investissements continus de la modernisation agricole peuvent se maintenir (Maigrot Poux 1991). Cette modernisation écartèle les mondes agricoles, permettant aux exploitations dites « viables » de grossir, condamnant les autres à l'abandon. La modernisation agricole précipite l'accumulation capitalistique et accélère la séparation des agriculteurs établis des classes populaires.

L'augmentation de la productivité s'est prolongée, grâce au développement des fongicides dans les années 1970, puis à la mise en culture du colza au début des années 1980 qui permet une rotation céréales oléagineux profitable. Dans les deux dernières décennies, la réforme de la PAC en 1992, basée non plus sur un soutien des prix mais sur des subventions directes calculées sur la surface exploitée, a été favorable pour ces grandes structures céréalières (Butault Delame Lerouvillois 1997 ; Chassard Chevalier 2007). L'extrême volatilité des cours depuis 2006 rend cette machine économique dépendante à court terme des marchés agricoles et financiers mondiaux. Mais l'augmentation tendancielle des cours (triplement des prix de 2001 à 2010) profite à ces agriculteurs.

Pour bénéficier au mieux de ces innovations, les agriculteurs ont engagé une course au foncier. La taille moyenne de l'ensemble des exploitations passe de 64 ha en 1970 à 161 ha en 2010 (55 ha pour l'ensemble de la France). Si on ne retient que les exploitations professionnelles, la moyenne passe à 183 ha. Au recensement de 1999, 92 % (89 % en 1990) des agriculteurs du Châtillonnais sont déjà recensés par l'INSEE dans la catégorie « gros exploitants » pour seulement 58 % en 1999 à l'échelle nationale. La valeur des terres châtillonnaises dépasse aujourd'hui 3 000 euros l'hectare immobilisant donc en moyenne entre 500 000 et 600 000 euros par exploitation, uniquement pour le foncier. Face à de telles sommes, un agriculteur ne peut plus acheter la terre qu'il exploite au cours de sa vie active. Il loue la plupart de ses terres à ses parents, frères, oncles et voisins, devenant en quelque sorte le fermier de sa famille. Le jeune agriculteur doit en plus acquérir le capital d'exploitation (machines agricoles), que l'on peut estimer à 250 000 euros en moyenne sur les fermes châtillonnaises au moment de l'installation.

Il est compliqué de raisonner sur les revenus des agriculteurs, qui restent très difficilement objectivables face à l'ensemble des niches fiscales permettant de minimiser les revenus déclarés aux impôts, revenus fiscaux base des données statistiques de l'INSEE. Les autres sources disponibles, les revenus agricoles du RICA (Réseau d'Information Comptable Agricole), les revenus fiscaux agricoles de la MSA (Mutuelle Sociale Agricole), ne prennent pas en compte les revenus autres qu'agricoles. Or les agriculteurs enquêtés ont souvent des activités annexes, liées aux activités agricoles (travail à façon, vente de paille...) ou entrepreneuriales (autres entreprises, de transports ou des chambres d'hôtes...), voire ils sont bi-actifs, à la chambre d'agriculture, à la coopérative et disposent souvent de revenus immobiliers et financiers complémentaires. En 1988, selon l'INSEE, déjà 40 % des revenus des agriculteurs ne provenaient plus de l'agriculture. Par ailleurs, ce revenu est très dépendant du cycle de la vie active. Les lourds endettements à l'installation grèvent une partie des revenus qui deviennent plus confortables en fin de carrière. Aujourd'hui, la productivité plafonne et les gains supplémentaires s'obtiennent principalement par la minimisation des charges, dont la défiscalisation orchestrée par les comptables et conseillers bancaires, masquant une partie des revenus réels. Malgré ces difficultés, pour disposer d'un ordre de grandeur, pour la partie uniquement des revenus agricoles déclarés à la Mutuelle Sociale Agricole (revenus eux même minimisés pour payer moins de charges), les agriculteurs châtillonnais gagnent 2,5 fois plus que la moyenne nationale des agriculteurs. Sachant que les revenus moyens des agriculteurs sont proches de la moyenne des ménages français, on peut estimer que les agriculteurs châtillonnais, en moyenne, disposent d'un revenu comparable à ceux des cadres. Ou encore, en 2010, 68 % des agriculteurs clients du Crédit Agricole des agences du Châtillonnais sont classés « haut de Gamme », pour 47 % des artisans commerçants et responsables de PME et seulement 14 % de l'ensemble de la clientèle du secteur. Bien sûr, au sein de la zone d'enquête, une disparité existe, selon la taille des exploitations et l'âge des agriculteurs. Mais au-delà de ces disparités, la misère des masses paysannes décrite dans l'entre-deux-guerres pour le Châtillonnais (Debesse-Arviset 1928) semble s'être transformée en une richesse des agriculteurs qui ont pu se maintenir.

d) La diversification patrimoniale

Comme pour les revenus, les données sur le patrimoine restent partielles et non disponibles à l'échelle locale. Au niveau national, la médiane du niveau de patrimoine des agriculteurs est 4 fois supérieure à l'ensemble des ménages français, de peu inférieure aux professions libérales, et légèrement supérieure aux commerçants (médiane pour les agriculteurs autour de 200 000 euros en 2003-2004 (Bessière, de Paoli, Gouraud, Roger 2011)).

Le socle de ce patrimoine est bien entendu le patrimoine professionnel. Monopolisant progressivement la terre dont la valeur a augmenté trois fois plus vite que les autres en France, les agriculteurs châtillonnais ont connu un enrichissement patrimonial sans équivalent jusqu'aux années 1980. Leur bien professionnel est de grande valeur comblant une partie de l'écart qui les sépare des bourgeoisies agricoles céréalières établies.

La diversification des pratiques patrimoniales constitue une trajectoire classique dans les processus d'embourgeoisement. Pour les agriculteurs, ce processus s'est accéléré face aux coûts devenus prohibitifs du foncier : « Faute d'acheter la terre, on achète un appart'. » 88 ( * ) La carrière immobilière des agriculteurs commence généralement par l'autoconstruction. Plus que la bricole, comme le dit un agriculteur qui a autoconstruit trois pavillons de la famille, « on maçonne » 89 ( * ) . Depuis l'après guerre, les organismes publics agricoles ont incité les agriculteurs à auto-construire leurs bâtiments professionnels. L'architecte et l'entreprise de bâtiment ont longtemps été peu présents dans la construction rurale (Chiva Dubost 1990). Encore aujourd'hui, la loi sur l'architecture de 1977 place les bâtiments agricoles dans l'exception du régime général. En 1982, 6 agriculteurs sur 7 déclarent avoir participé à la construction de leur bâtiment dont un tiers pour plus de 75 % (Cividino 2012 : 112-119, 250-251, 306). Beaucoup d'agriculteurs disposent d'un atelier digne d'un entrepreneur du bâtiment. Ils détiennent un matériel lourd polyvalent : manitou télescopiques pour la manutention (qui occasionnellement remplace les grues et échafaudages), tracteurs pour les lourdes charges et les démolitions, remorques et bennes pour les gravats, voire camion ou pick-up, 4x4 et fourgonnette pour le transport... Certains acquièrent une bétonneuse, un tractopelle, une minipelle, un compresseur de chantier..., ensemble de matériel acheté pour la plupart en commun avec des agriculteurs voisins. Pour les parties les plus techniques, les charpentes, les portails, le travail du fer ou du bois, ils se font aider par les artisans du coin, souvent des amis d'enfance. Cette économie du bâtiment est fondée sur l'interconnaissance, avec un cycle de services rendus, de remises et d'arrangements.

Cette auto-construction des bâtiments et des maisons principales s'est plus récemment prolongée sur le patrimoine immobilier. Récupérant le bâti abandonné des anciennes fermes, ils le rénovent et le louent en gîte, ou le vendent à des résidents secondaires ou à la famille. L'auto-construction prend des airs d'activité quasi professionnelle. Comme pour d'autres franges des classes populaires stabilisées à fort capital technique (Girard 2013 ; Gollac 2011 : 257-265, Renahy 2013), par l'auto-construction, les agriculteurs se constituent un patrimoine. Pour ces catégories à fort capital technique, l'accès au marché immobilier local par l'auto-construction constitue une des voies non salariales d'extraction du populaire.

Dans la suite de la carrière immobilière, chez ces agriculteurs argentés, les biens les plus prisés sont les placements dans l'agglomération dijonnaise. Mais sur ce marché, ils se comportent de manière radicalement différente. Le bien n'a plus le même usage. La préparation des vieux jours (proximité des services hospitaliers), ou les études des enfants, sont souvent les raisons invoquées pour justifier l'acquisition d'un premier appartement dijonnais. Cela vaut pour les études générales à l'Université comme pour les études techniques au lycée agricole de Quétigny puis vers les BTS agricoles dijonnais. A l'image des classes supérieures, ce patrimoine immobilier mis à disposition de la lignée sert le projet de constitution d'un capital scolaire inscrit dans le projet de mobilité sociale ascendante (Gollac 2011 : 331-336). En attendant la dépendance, ou à la fin des études, l'appartement est mis en location.

Le petit appartement dijonnais est prisé parce que le marché locatif y est actif dans la capitale régionale avec sa population étudiante. L'immobilier neuf a fait l'objet de politiques publiques pour développer le parc locatif français. Les lois Périssol (1996), Besson (1999), de Robien (2003) puis Scellier (2008), entrent en résonance avec les besoins de défiscalisation des agriculteurs argentés. Suite à ces lois, depuis une quinzaine d'années, les conseillers bancaires et agents immobiliers orientent l'épargne agricole vers les marchés immobiliers locaux, principalement dijonnais. Comme le confirme un conseiller bancaire, les agriculteurs argentés ont accumulé des capitaux depuis une vingtaine d'année, date de la réforme de la PAC favorable aux céréaliers, et ont investi le marché immobilier dijonnais : « le patrimoine des agri, c'est absolument effrayant. 10 % de Dijon leur appartient, 20 % de Châtillon... Par exemple, il a des immeubles complets à Châtillon et Dijon, beaucoup ont 10, 15 voire 20 appartements » 90 ( * ) . Même si je n'ai pas pu vérifier de manière statistique ces informations, plusieurs cas individuels témoignent effectivement d'un développement récent et important de l'immobilier chez les agriculteurs. A l'inverse du marché immobilier local, les agriculteurs achètent des appartements sur plan dans des programmes en construction, via des agents qui les démarchent, avec un plaisir d'accéder à du neuf.

Au début de la carrière immobilière, les agriculteurs s'en remettent entièrement aux mains de promoteurs. Une partie de la clientèle agricole argentée se retrouve dans une infériorité sociale dans les interactions marchandes autour du patrimoine, dans le langage, dans la compréhension des choses abstraites et financières, en un mot, livrant dans l'interaction son inadaptation à une scène bancaire et immobilière. D'où la tentation de déléguer leurs investissements notamment aux conseillers de l'agence locale du Crédit Agricole qui les orientent vers ce marché immobilier dijonnais via le réseau d'agences immobilières de la banque verte. A l'opposé du marché immobilier Châtillonnais, dans les achats à Dijon, la plupart des agriculteurs sont comme en retrait, des travaux à la gestion des biens. Ils se soumettent à un ordre marchand établi qui fait profit de leur distance sociale à une scène économique méconnue.

A la grande différence des cadres ou de la bourgeoisie agricole établie 91 ( * ) , aucun de ces agriculteurs argentés ne dispose de résidences secondaires. Le patrimoine est encore conçu comme un élément d'enrichissement (la défiscalisation et les loyers) ou de promotion sociale (les études des enfants) et assez peu comme un élément de jouissance personnelle et familiale. La distance au modèle des vacances, du loisir oisif reste significative. De plus, c'est aux beaux jours que les agriculteurs sont les plus occupés dans les champs, par la moisson. Leurs contraintes professionnelles les placent de fait à côté du rythme salarial des vacances estivales. Mais plus fondamentalement, le patrimoine se pense toujours comme un investissement, pas encore comme un bien de distinction sociale pour développer une vision hédoniste de la vie. En ce sens, les agriculteurs ont un rapport « petit-bourgeois » au patrimoine, le patrimoine se doit encore d'être productif, pour garantir dans le plus long terme l'extraction sociale de la lignée.

On retrouve cet esprit d'investissement jusque dans les usages de la maison principale. Ainsi, dans une famille d'agriculteurs à l'exploitation de taille moyenne, un GAEC constitué d'un père et du fils sur 190 ha, le couple parental vit dans la cave en rez-de-chaussée de leur pavillon des années 1970. Le pavillon d'habitation à l'étage reste inaccessible, par peur de l'abîmer 92 ( * ) . Ils ont, d'une certaine manière, installé une seconde maison dans la cave, avec leur cuisine, leur chambre, la salle d'eau. Le haut ne sert que pour les occasions. Ce cas n'est pas isolé. Plus couramment, le salon reste protégé. Il s'agit d'une pièce de réception que l'on ne peut pénétrer avec des meubles d'apparat. La maison, même celle que l'on habite, est vécue comme un placement, un patrimoine à ne pas détériorer. En ce sens, on peut parler d'un « patrimoine de promus », un patrimoine personnel que les agriculteurs se refusent à consommer.

Le patrimoine financier de ces agriculteurs nouvellement en diversification patrimoniale est peu développé, loin des pratiques de la bourgeoisie viticole établie (Bessière 2011 : 111-116). La plupart se contente des produits bancaires standards (assurance-vie, parts sociales du Crédit Agricole...) et très peu se risquent à l'aventure boursière et aux clubs d'investissement, surtout depuis les crises financières et l'effondrement de la valeur des actions Crédit Agricole dont beaucoup détiennent des parts sociales. Les conseillers en patrimoine de la banque verte peinent à vendre leurs produits financiers à cette élite agricole nouvelle, qui y consent quand elle a épuisé les autres recours de la défiscalisation. Mais à l'évidence, à mesure d'une dépendance croissante des céréaliers aux cours mondiaux, on observe des comportements spéculatifs. Sur le MATIF, le marché à terme des céréales, l'entrée est alors encadrée par les conseillers agricoles qui offrent des stages de formation. Une partie des récoltes est stockée pour les vendre dans les périodes haussières. Les capacités de stockage des céréaliers se sont amplement développées dans les deux dernières décennies. Les comportements spéculatifs se développent sur les récoltes, via un apprentissage encadré, et encore très peu sur les produits financiers bancaires. Face à l'incertitude sur les cours, c'est prioritairement le patrimoine immobilier et les doubles activités qui jouent le rôle de stabilisateur de l'activité agricole.

e) Domination sociale des agriculteurs dans une campagne populaire

Désormais largement minoritaires dans les campagnes, ces gros agriculteurs disposent d'un pouvoir économique important dans un espace caractérisé par une forte surreprésentation ouvrière et une sous-représentation des cadres et professions intermédiaires. Pour l'ensemble du Châtillonnais, les revenus déclarés par ménage étaient de 17.990 euros en 2008 93 ( * ) , soit largement en dessous des moyennes départementales et nationales, à 23.507 et 23.242 euros et de moitié des revenus des ménages parisiens. Pour situer le Châtillonnais dans la hiérarchie des territoires, son revenu moyen est inférieur à celui de la Seine-Saint-Denis (19749 euros). Appartenant à une structure sociale locale populaire, « Les «agriculteurs», pour la population locale, ce sont exclusivement les chefs d'exploitation, les pères qui les ont précédés et les aident encore, les fils désignés comme successeurs. Groupés informellement en clans familiaux, de voisinage ou d'âge, ils sont vus par les autres comme une collectivité ayant mêmes intérêts, et détenant depuis quinze ans [à partir des années 1960] prestige social - «beaucoup ont leur terres» - et économique - ils sont les plus riches ». » (Pingaud 1978 : 86). La visibilité de la richesse des agriculteurs date des années 1960 et n'a cessé de se confirmer depuis.

PCS du Châtillonnais aux différents recensements de 1968 à 2008
des actifs de 15 ans ou plus

1968

1975

1982

1990

1999

France 1999

2008

Agriculteurs exploitants

21,6

15,9

16,1

12,3

10,4

2,46

7,7

Artisans, Commerçants et Chefs d'entreprise

10,6

9,8

9,5

8,7

7,8

6,36

7,1

Cadres et professionnelles intellectuelles supérieures

2,4

3,0

3,2

4,1

4,3

12,13

5,3

Professions intermédiaires

8,0

9,2

10,3

11,9

14,2

22,08

17,0

Employés

12,9

17,5

19,5

23,1

26,4

29,92

28,3

Ouvriers

44,5

44,6

41,4

39,9

36,9

27,05

34,6

Ensemble des actifs de 15 ans ou plus (%) du Châtillonnais

100

100

100

100

100

100

100

Ensemble des actifs de 15 ans ou plus (effectif) du Châtillonnais

10 640

10 190

10 444

9 884

9 450

9 280

Source : INSEE-RP 1968, 175, 1982, 1990, 1999 et 2008 ¼ exploitation complémentaire. Les données de 1968 à 1999 proviennent des données harmonisées mises en ligne par l'INSEE. D'où les mêmes PCS de 1968 à 2008.

Dans cette structure sociale localisée à forte composante populaire, l'ascension sociale des agriculteurs se mesure encore plus tôt sur l'échiquier politique avec la monopolisation agricole des postes électifs. Aux élections de 1947, sur les 24 maires et adjoints du canton d'Aignay-le-Duc au sud du Châtillonnais, 21 sont cultivateurs. Aux élections municipales de 1971, 45 % des élus pour les 6 cantons Châtillonnais sont encore agriculteurs pour seulement 12 % d'ouvriers, et 13 % d'artisans commerçants et chef d'entreprises (Marmont 2007). On pourrait parler d'une « République des agriculteurs » dans les villages à partir de la Libération. La très forte surreprésentation des agriculteurs (proportion dans les élus 2,5 fois plus importante que dans la population), la légère surreprésentation des indépendants, des cadres et des professions intellectuelles, contrastent avec la sous représentation des cadres moyens et des employés, et la très forte sous représentation des ouvriers presque trois fois moins nombreux dans les conseils municipaux que dans la population.

Cette surreprésentation agricole dans les villages a été bien analysée. Le village républicain s'impose. Les agriculteurs cumulent les avantages du corporatisme au sein des organisations agricoles pour autant de carrières de dirigeants agricoles (Maresca 1983), et de l'autochtonie par la parenté (Karnoouh 1973). Ils montrent un intérêt majeur pour les enjeux économiques villageois, notamment le remembrement (Candau Rémy 2009, p. 87-90 ; Mendras 1956 : 18 ). Cette démocratisation politique au village s'arrête à l'inverse aux ouvriers très largement sous représentés. En 1965, un maire agriculteur déclarait « Chaque fois, c'est tout un problème pour constituer une liste pour les élections municipales, il n'y a plus personne ici, sinon des vieux ; les éléments valables, ceux qui ont des diplômes, partent travailler à la ville » (Cuisenier 1966 : 30). Dans les villages, les agriculteurs sont d'une certaine manière les derniers « éléments valables », certes peu diplômé mais les derniers actifs à la position sociale suffisante pour tenir le rôle.

En France, un tiers des maires était agriculteurs en 1983. Le déclin numérique des agriculteurs a fait chuter la proportion à 15,6 % en 2008 94 ( * ) . Ce déclin est particulièrement sensible dans les pôles d'emploi ruraux et leurs couronnes, là où justement les agriculteurs entrent en concurrence avec la nouvelle petite bourgeoisie rurale diplômée (Bruneau, Renahy, 2012). En 2001, dans le Châtillonnais, les agriculteurs de ces communes ne représentent plus que 10 % des élus mais encore 36 % dans les autres communes rurales, soit une surreprésentation encore très forte, plus du triple de leur part dans la population active.

f) Les pavillons d'une nouvelle bourgeoisie économique

Mais l'embourgeoisement ne saurait se limiter à une accumulation de capitaux économiques et à une notabilisation. L'embourgeoisement implique une direction normative à l'ascension sociale, vers l'univers de sens bourgeois. L'école joue nécessairement un rôle moteur. Le capital culturel certifié des enfants de ces gros exploitants est monté radicalement dépassant désormais nettement les classes populaires. Ceux qui se destinent à l'agriculture ont des diplômes techniques qualifiés (école supérieure d'agronomie, BTS et bac, seuls 15 % des moins de 40 ans ont un diplôme niveau BEP ou inférieur en 2010) et la sortie de l'agriculture se fait plus par le haut et les études supérieures. Contrairement aux petits exploitants, très peu se destinent au déclassement ouvrier 95 ( * ) . En difficulté scolaire, ils reprendront ou s'installeront indépendants dans la région.

De fait, certains des agriculteurs accèdent à des pratiques qui hier leur étaient inconnues. Un agriculteur Châtillonnais a créé un golf. La chasse à l'étranger ou la pratique du ski se développe. Ces pratiques se démocratisent autant que les agriculteurs s'embourgeoisent. La construction des piscines sur les exploitations signale que le corps lourd inadapté aux loisirs (Champagne 1975) appartient désormais au passé. Une partie des agriculteurs aussi s'essaye aujourd'hui à des pratiques imposant une hexis corporelle distinguée. Pour conduire cette analyse normative de l'embourgeoisement, on peut tenter de sociologiser l'un des biens sans doute les plus révélateurs de l'évolution des goûts et les plus démonstratifs du statut social, les maisons.

Le passage pour les agriculteurs de la ferme au pavillon est un peu l'équivalent depuis les années 1960 et 1970 de la mobilité des classes populaires des grands ensembles vers les zones pavillonnaires. Dans les deux cas, cela a été vécu comme une évolution sociale positive, passant du populaire ou du paysan à l'univers privé, protégé, de la petite bourgeoisie (Magri 2008). Le pavillon matérialise une promotion sociale par l'accès symbolique au mode de vie urbain des classes moyennes, il est une étape décisive de la dépaysannisation des agriculteurs. Cette première génération de pavillon neufs, ou de fermes empavillonnées, a déjà été analysée : création de chambres individuelles et de couloirs, de fenêtres pour l'accès à la lumière, de salles de bain, toilettes, et d'entrées secondaires pour la mise à distance de la saleté des fermes (Guillou 1990, Zonabend 1980 : 61-67).

Mais les pavillons récents observés dans le Châtillonnais chez ces gros agriculteurs relèvent eux d'une seconde génération et sont plus directement ostentatoires. Dans leur majorité, les agriculteurs rencontrés rejoignent dans leurs choix pavillonnaires les artisans et chefs d'entreprise, partageant les dispositions des professions à capital économique (Bourdieu 2000 : 47). Eloignés de la zone pavillonnaire en série, ils construisent par excellence des maisons de maçons, en parpaing, avec des grosses poutres en bois, du fer forgé, des matériaux « traditionnels ». Cette exigence est visible jusque dans les huisseries, les fenêtres en bois, principalement en chêne. Un agriculteur me disait ne pas avoir confiance dans le PVC, et n'aime pas les fenêtres en aluminium, trop modernes 96 ( * ) . Les volets en bois vernis dominent. Le bois renvoie canoniquement à la chaleur du foyer, à la domesticité contre la froideur des matériaux modernes, béton ou métal, associés à l'industriel. Les fenêtres mansardées, classiques, plus onéreuses, sont souvent préférées aux velux. Les intérieurs laissent là encore la part belle aux matériaux nobles ou classiques, la cuisine en chêne massif et les poignées en fer forgé, le carrelage marron ou de grande taille imitant la pierre ou, plus distinctif, en pierre de Bourgogne. Le mobilier est également dans le même esprit. Même neuf il est rustique, dégageant une impression de solidité. Le goût des matériaux modernes des premiers pavillons est dépassé par un rapport renouvelé au massif, au brut, comme signe de qualité.

A l'inverse des franges culturelles de la bourgeoisie, les cadres au mur ne mettent pas en scène la légitimité du capital culturel des propriétaires. Les objets les plus fréquents sont l'épi de blé encadré, le trophée de chasse, particulièrement au-dessus de la cheminée, la poule empaillée, le collier de vache ramené d'un concours, le canevas d'une scène paysanne, un aquarium, un puzzle, quelques objets artisanaux ramenés d'un voyage. La bonne place de la télé, souvent de taille imposante, souligne également une relative proximité des pratiques culturelles avec celles des classes populaires (Schwartz 1990 : 395-396). Le tout dégage une esthétique conventionnelle, classique, un style néo-rustique. Ces maisons incarnent un « placement de père de famille » (Bourdieu Bouhedja Christin Givry 1990 : 6), matérialisent l'idée d'une thésaurisation économique durable.

Ces pavillons sont de taille conséquente. La plupart des maisons construites font plus de 200 m 2 , approchant parfois les 400 m 2 pour les plus contemporaines. En cela, elles se distinguent nettement des pavillons des classes populaires locales, pavillons populaires aux formes très simples et aux matériaux peu nobles. Souvent les pavillons des agriculteurs exhibent fièrement l'ajout d'une tour, d'une aile, d'extensions, d'appentis, voire de colonnes ou de poutres formant une coursive extérieure ou une terrasse abritée, de porches et de murets en pierre, empruntant à la grammaire de l'architecture aristocratique, enrichissant la simplicité toute démocratique du langage pavillonnaire. Les pavillons des dernières décennies sont en cela beaucoup plus sophistiqués et imposants que les tout premiers pavillons des années 1960.

Un soin important est apporté aux pièces d'eau, de taille imposante et généralement suréquipées (douche et baignoire thalasso, voire jacuzzi) et d'un mobilier moderniste. Effet sans doute de l'offre contemporaine du mobilier sanitaire, le rustique est ici complètement abandonné au profit du design.

Une pièce se distingue, le salon-salle à manger, taillée pour les grandes réceptions. Or les repas sont quotidiennement pris dans la cuisine. Du coup, ces salons sont très peu utilisés. L'un deux concède par exemple, ne manger qu'une ou deux fois l'an dans le grand salon mais il tenait à construire une grande maison pour pouvoir accueillir chez lui trente personnes et faire de grandes tablées. En pratique, il n'en a pas eu l'occasion, mais il ne supporte pas vraiment les soirées buffet debout chez les gens, où l'on mange sur un coin de canapé. Même s'ils servent peu, ces grands salons renvoient idéalement à un art classique du recevoir, de la fête, du repas familial, de la grande tablée, puisant autant dans le modèle du salon bourgeois que dans la fête populaire paysanne ramenée au salon. Un des agriculteurs locaux qui en a lui un usage courant, ouvre son salon principalement pour les repas de l'association de chasse et pour les repas liés à son rôle leader dans la paroisse.

Le regard sur ces pavillons est réversible selon la position sociale. La cousine d'un de ces agriculteurs argentés, devenue ingénieur de recherche, de gauche, moque gentiment la démesure des goûts de son cousin « parvenu » : « ça a fait rigoler tout le monde dans la famille, il s'est fait construire un euh, vraiment un p'tit château tout en pierres » 97 ( * ) . De même, quand je sors de la séance de photos de la maison avec le photographe, photographe qui a une carrière artistique avec plusieurs expositions photos, il me dit que la maison est « m'as-tu vu ». Vu du capital culturel légitime, celui des universitaires et des photographes, ces pavillons impressionnent mais frisent le ridicule. De manière renversée, l'agriculteur en question nous dit que sa maison a fait beaucoup de « jaloux ». Pour l'expliquer, il précise qu'à Châtillon, de toute façon, ce sont des « faux bourgeois ». Il entend par là que les bourgeois de Châtillon sont sans le sous, la fortune les a fuit. La légitimité du capital culturel de la bourgeoisie de la petite ville peut se moquer de sa réussite, il n'en a que faire, lui qui aujourd'hui les surclasse économiquement et qui s'est construit un pavillon à sa nouvelle mesure.

Ces pavillons expriment bien les contradictions complexes de la position sociale de ces agriculteurs argentés, avec d'un côté, une forme d'extrapolation en grand de goûts populaires, conservateurs et familialistes, et de l'autre, des appropriations d'attributs de distinction de la bourgeoisie perçues comme socialement maladroites par les dotés en capitaux culturels légitimes. L'effet de distinction fonctionne alors prioritairement auprès des moins dotés. Mais pour la petite et moyenne bourgeoisie culturelle, la forme pavillonnaire, et plus encore enrichi de pastiches aristocratiques, reste une maison « stigmatisée », toujours coupable d'un manque (Magri 2008). Il s'agit là d'une lutte sur la légitimité des attributs de la distinction sociale entre les fractions économique et culturelle de la petite et moyenne bourgeoisie.

g) Vers des formes à plus forte légitimité culturelle de l'habitat rural

Le choix hier dévalorisé de la maison ancienne est aujourd'hui au contraire de plus en plus revendiqué comme un élément distinctif par les agriculteurs au plus fort capital culturel certifié (principalement les diplômes) ou non (les voyages, les pratiques associatives, théâtrales...). Comme dans les zones périurbaines, où le pavillonnaire ouvrier ancien rénové, agrandi, aux prix de travaux importants, attire les couches supérieures excluant les ouvriers vers le pavillonnaire moderne en série (Steinmetz 2010), la rénovation du bâti hier populaire dans les campagnes est un attribut de distinction. Les références architecturales ne viennent pas directement du bâti urbain, comme le pavillon, mais d'usages urbains de la « campagne ». La « maison de campagne » implique un rapport esthétique, patrimonialisé, aux espaces ruraux, à rebours d'une campagne aux usages productifs agricoles. La rénovation est initialement portée par les résidents secondaires, anglais, hollandais, parisiens, dijonnais, cherchant d'anciens corps de fermes à retaper. Le coût de ces rénovations est souvent conséquent, désossant entièrement le bâti ancien. Ce modèle est aujourd'hui rattrapé par les jeunes agriculteurs et les fractions les plus dotés en capital culturel qui y mettent toutes leurs compétences techniques.

Après une période de rénovations rustiques, où primait le goût de l'authentique, du bois vernis et de la pierre, les rénovations se rapprochent du style de la « gentrification rurale ». Les « gentrifieurs » se composent à la fois de résidents secondaires et de professions intellectuelles et artistiques qui s'établissent nouvellement et durablement à la campagne (Phillips, 1993). Cette gentrification rurale a son économie propre, avec des artisans particulièrement qualifiés, à distance d'une économie de la bricole, adoptant un rapport créatif à la décoration, renouvelant le style des rénovations (Perrenoud 2008).

Etant donné la faiblesse du marché touristique comparativement à d'autres régions rurales françaises, on retrouve de manière décalée, réappropriée par les agriculteurs auto-constructeurs, l'univers décoratif de cette gentrification rurale dans le Châtillonnais. Comme pour le rapport à la politique où le rôle décisif du capital culturel est importé en partie par la fratrie et les alliances (Bruneau 2006), le style de ces rénovations passe pour beaucoup par les femmes des agriculteurs, souvent celles aux professions salariées les plus qualifiées, en dehors de l'agriculture. Comme beaucoup, elles s'inspirent des magazines de décoration, agents de diffusion du goût légitime du temps. La différence la plus saillante entre la rénovation ancienne et moderne, c'est bien la couleur sur le bois (volet, poutre, meuble), une hérésie dans la rénovation ancienne où le bois est respecté comme matière vivante, naturellement belle. On sort d'un univers purement campagnard qu'évoque le rustique pour s'ouvrir vers la forme plus générique de la maison de vacances, la maison lumineuse, colorée. Les volets bleus rappellent la Bretagne ou le sud de l'Europe, le vert olive l'Ardèche, les Cévennes ou la Provence, le gris, l'ocre et le bordeaux s'inscrivent dans le renouveau des couleurs terreuses, aux pigments naturels. Dans les nouvelles rénovations des agriculteurs, apparaissent de larges baies vitrées et des terrasses en teck. Les nappes sont provençales, les couleurs chaudes, vert anis, jaune ou bleu. Idéalement, la pierre de Bourgogne au sol est dans un état brut et non lissée, polie. Les jardins ne sont pas pavillonnaires, évitant les haies minutieusement taillées, entretenant plus volontiers des formes asymétriques, une « anarchie organisée ». Les cuisines, sans être modernes, ni réalisées par des cuisinistes, sont simples mais très bien équipées (piano cuisinière en inox), singeant une esthétique plus « professionnelle » (inox et bois) que pavillonnaire (plastique et marbre), pour satisfaire un plaisir connexe, lié à des dispositions hédonistes et bourgeoises, la gastronomie. L'avant-garde culturelle agricole contemporaine n'est plus pavillonnaire, elle montre sa légitimité culturelle dans un rapport renouvelé à la pierre, tirant le modèle de sa résidence des expériences des résidents secondaires plus dotés culturellement.

h) Conclusion

Les agriculteurs du Châtillonnais ont connu une ascension sociale intergénérationnelle évidente. Comment les catégoriser aujourd'hui ? Dans les premiers temps de leur ascension, on pourrait parler, comme pour les footballeurs professionnels qui certes eux subissent en un temps court des chocs économiques et sociaux majeurs (Rasera 2012), de « classes populaires argentées » à propos des agriculteurs en promotion sociale, parce que justement, ils ne témoignent pas encore d'une socialisation aux pratiques culturelles légitimes. Ces agriculteurs appartiendraient toujours aux classes populaires tant que leur ascension sociale garderait une direction guidée par les valeurs et modes de vie initiaux, cet ethos populaire transmis et visible dans leurs pratiques contemporaines (maisons de maçons, suractivité, vie familiale partagée, peu de loisirs et caractère populaire des loisirs...). Même s'il s'agit d'un oxymore puisque les classes populaires ne sauraient être durablement argentées, la formule est parlante pour décrire ces classes populaires en ascension sociale, qui le temps d'une génération, côtoient encore peu les autres fractions des catégories supérieures. L'expression souligne d'emblée le manque, l'écart aux pratiques culturelles légitimes et surtout place une relative autonomie culturelle des classes populaires qui même dans l'enrichissement, garderaient des pratiques populaires (Schwartz 2011). La formule permet également de prendre en compte combien ces catégories sociales restent de toute façon perçues comme populaires par des fractions plus légitimes de l'ordre social. En ce sens, toute une partie des agriculteurs argentés du Châtillonnais reste non « bourgeoise », s'arrêtant d'une certaine manière, et pour le moment, à l'accumulation du capital économique.

Mais à mesure du temps, voire du passage des générations, pour les agriculteurs étudiés, il semble heuristique de parler d'embourgeoisement. En effet, longtemps les paysans ont par excellence incarné, avec les ouvriers, les groupes porteurs de la culture populaire (Grignon Passeron 1989). Or la dépaysannisation semble achevée et s'ouvre sur une nouvelle période. Les agriculteurs châtillonnais ont aujourd'hui un niveau de revenu et de patrimoine élevé par rapport aux autres groupes sociaux locaux. Ils tiennent un rôle politique local et adoptent progressivement des loisirs et un mode de vie propres aux classes supérieures, notamment les commerçants et professions libérales. Parler d'embourgeoisement permet de tenir ensemble à la fois l'enrichissement économique et les modifications des modes de vie des agriculteurs après la dépaysannisation. La notion d'embourgeoisement repose ici la question des rapports du savant au populaire, pris entre théorie du relativisme culturel ou inversement de la légitimité culturelle (Grignon Passeron 1989). Le processus d'embourgeoisement permet de comprendre comment les deux théories finalement s'articulent dans l'analyse de la mobilité sociale des classes populaires. Même les cultures populaires les plus autonomes, au sens les plus soustraites au regard et à la contrainte des dominants, dans leur ascension sociale, se rangeraient progressivement à l'ordre social des dominants, à mesure de leur exposition à la légitimité culturelle. Le relativisme culturel, ou l'autonomie des cultures populaires, notamment à travers les logiques d'institutions comme l'école et la massification scolaire, élément aujourd'hui indispensable de la consolidation culturelle et technique de la bourgeoisie économique des agriculteurs, à travers les mobilités importantes entre les villes centres et les exploitations, s'effriteraient à mesure de l'ascension sociale observant comme ici, un nivellement en cours des pratiques des agriculteurs argentés sur celles des catégories supérieures détentrices de la légitimité culturelle. En ce sens, dans la mobilité sociale ascendante, les agriculteurs étudiés ne développent pas une culture de résistance en filiation avec les cultures populaires d'origine, une culture populaire cultivée en opposition à la domination, comme une partie de l'élite intellectuelle, artistique, une contestation symbolique de la réalité sociale. A l'inverse, progressivement, ils s'embourgeoisent dans une ligne orthodoxe.

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* 83 Cet article s'inscrit dans une recherche collective, celle du groupe Encadrement et Sociabilités dans les Mondes Ruraux. Je tiens particulièrement à remercier Abdoul Adiallo pour l'ensemble du travail sur les données statistiques.

* 84 488 occurrences sur Cairn le 20 août 2012, d'abord en sociologie (200) puis en science politique (142), histoire (93) et géographie (68). Pour donner des ordres de grandeurs, le mot « bourgeoisie » est doté de 8465 occurrences (20 fois plus), celui de « classes populaires » 3573, « déclassement » 2195, « prolétarisation » 541... L'expression « embourgeoisement agricole » n'est pas recensée.

* 85 Données collectées en entretien avec Antoine Meyer, 13 juin 2011, fonds Laferté Gilles, archives MSH Dijon.

* 86 Marie-Louise Tenèze du 4 au 11 mai 1967 : première mission sur le conte traditionnel et sur le blason populaire. RCP 58-10 : Comptes rendus ou rapports de mission. 1965-1968 Fonds RCP Châtillonnais, MUCEM.

* 87 La notion d'"exploitation agricole professionnelle" est une création administrative et statistique de la période supposant une activité suffisante pour assurer à l'agriculteur une activité principale et un niveau de revenu lui permettant de faire vivre sa famille. Selon la période, cette exploitation doit donc dépasser une dimension économique minimale toujours plus importante.

* 88 Entretien avec un agriculteur, Gérard Moutier, 23/11/2010, fonds Laferté, archives MSH Dijon.

* 89 Entretien avec Benoît Bodin, le 25/11/2008, fonds Laferté, archives de la MSH Dijon.

* 90 Nicolas Schmitt, le 28/02/2011, Cahier de terrain, fonds Laferté, archives de la MSH Dijon.

* 91 Par exemple, dans la région de Cognac, la bourgeoisie viticole dispose de résidences secondaires à Royan, voire d'un chalet dans les Pyrénées (Bessière 2010).

* 92 Id.

* 93 Source : Insee, Revenus fiscaux localisés des ménages, données accessibles en ligne.

* 94 Chiffres de la Direction Générale des Collectivités menée pour les élections en 2008.

* 95 Voir la contribution de C. Giraud et J. Rémy à ce présent numéro.

* 96 Dominique Martin, Cahier de terrain, 24/02/2011, fonds Laferté, archives de la MSH Dijon.

* 97 Entretien avec Marie Barrée, 1/11/2010, fonds Laferté, archives MSH Dijon.

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