C. FEI RESTE UN DES OPÉRATEURS PUBLICS DANS UN PAYSAGE INSTITUTIONNEL MARQUÉ PAR LA PRÉSENCE DE NOMBREUX OPÉRATEURS SPÉCIALISÉS
Contrairement à ses principaux partenaires, notamment européens, la France ne s'est pas dotée d'un opérateur public dominant susceptible de fédérer son offre en matière d'expertise internationale. Un tel choix n'a notamment pas été fait lors de la réforme de la coopération en 1998, qui a vu la fusion des ministères des affaires étrangères et de la coopération.
Chez les principaux partenaires et concurrents de la France, ce rôle est assuré par un département ministériel ou une agence chargés de la coopération internationale qui, dans ce cadre, assurent la promotion de l'expertise. Celle-ci bénéficie ainsi de son adossement à l'aide bilatérale au développement et des fortes synergies qui existent entre ces deux types d'actions.
Il en est résulté un paysage organisé, en France, en fonction du périmètre de compétence des pouvoirs de tutelle. C'est «l'expertise métier» qui structure l'offre française, l'opérateur FEI, qui se veut «ensemblier» et polyvalent, constituant à cet égard une exception.
La situation qui en dérive ne répond pas à un choix explicite de l'autorité politique, mais est le résultat des décisions prises séparément par des administrations qui ont souhaité se positionner dans ce secteur important pour l'influence et le rayonnement de notre pays. Créés au coup par coup, parfois pour assurer le prolongement d'une coopération administrative, les opérateurs publics français sont très divers ; ils fonctionnent sous des statuts juridiques différents et selon des modèles économiques hétérogènes.
Il existe une trentaine d'opérateurs dont une douzaine a une présence significative sur les marchés internationaux et trois ont un chiffre d'affaires nettement supérieur aux autres FEI, ADETEF et CIVIPOL.
ADETEF est l'opérateur de coopération technique internationale des ministères français de l'économie, du budget, et, plus récemment, de l'écologie et de la réforme de l'Etat.
Créée en 1981 et transformée en GIP en 2002, l'agence travaille en lien étroit avec les directions de ces ministères, elle mobilise leur expertise et celle des organismes sous tutelle.
ADETEF a opéré 120 jumelages depuis 1998 et exécute plus de cinquante contrats chaque année pour des activités menées dans une soixantaine de pays.
CIVIPOL est la société de conseil et de service du ministère de l'Intérieur français. Créée en 2001 à la demande du Gouvernement français, elle assure la promotion des compétences et des savoir-faire du ministère, notamment dans les domaines de l'administration territoriale, de la protection civile, de la sécurité et des affaires intérieures. Elle intervient aussi dans les champs des migrations et de l'état civil. Elle peut être maître d'oeuvre de projets d'équipement dans les champs de la sécurité. CIVIPOL a géré 56 jumelages depuis sa création et conduit en moyenne 80 projets chaque année.
A côté de ces trois opérateurs, on peut d'autres exemples.
Le GIP ADECIA intervient dans les secteurs de l'agriculture, l'alimentation, la pêche et la forêt. Créée en juillet 2007, l'Agence de Développement de la Coopération Internationale dans les domaines de l'Agriculture, de l'Alimentation et des Espaces Ruraux (ADECIA) regroupe les directions centrales du ministère de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche, de la ruralité et de l'aménagement du territoire (MAAPRAT), le réseau des Chambres d'agriculture françaises (APCA), l'Agence de services et de paiement (ASP) et FranceAgriMer. Elle peut également mobiliser les experts des dix-sept membres associés du groupement. Depuis sa création, ADECIA a opéré neufs jumelages (soit 1 400 jours d'expertise court terme) et gère en moyenne 100 actions par an.
Le GIP France Vétérinaire International assure la coordination et la promotion de l'expertise vétérinaire française à l'international : production, santé et protection animales, hygiène alimentaire, laboratoires et formations vétérinaires. FVI regroupe 17 institutions publiques (ministères chargés de l'agriculture et des affaires étrangères, écoles vétérinaires, CIRAD, ANSES) et privées (Agronomes et vétérinaires sans frontières, Groupement de vétérinaires libéraux, association de cadres de laboratoires vétérinaires publics, syndicat du médicament vétérinaire, Institut de l'élevage). FVI conduit ou participe à une cinquantaine d'opérations par an (jumelages, évaluations, séminaires, soit 650 jours d'expertise) et assure la formation de 65 cadres supérieurs pour le milieu vétérinaire tropical.
L'ADECRI qui est l'opérateur de coopération technique réunissant l'ensemble des organismes nationaux de sécurité sociale français. Créée en 1995, l'ADECRI met à la disposition de pays partenaires l'expérience et l'expertise du système de protection sociale français afin de les assister dans le développement ou la réforme de leur propre système. Elle est membre du GIP SPSI dont la vocation est de promouvoir l'offre française de coopération internationale dans le champ sanitaire et social. L'Agence propose les compétences d'un véritable bureau d'études. Elle a réalisé à travers le monde depuis sa création près d'une centaine de projets (assistance technique, jumelages institutionnels, études et enquêtes au niveau national et international, voyages d'études, séminaires...).
Le GIP international travail, emploi, formation professionnelle développe l'assistance technique internationale dans les domaines du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle, des migrations et du co-développement. Depuis 1992, GIP International regroupe les ministères chargés du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle ainsi que des affaires étrangères et européennes. Il compte Pôle emploi, l'Association pour la Formation Professionnelle (AFPA) et l'Institut national du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle (INTEFP) dans son conseil d'administration. Le GIP Inter est l'opérateur de dizaines de programmes chaque année. En 2010, il est intervenu dans 17 pays : les Balkans, les pays d'Europe de l'Est, la Russie, le Maghreb et l'Afrique subsaharienne.
Comme l'a souligné le Cabinet Ernst and Young dans une récente évaluation de la coopération française au développement depuis 10 ans, c'est dans le domaine sanitaire et social où intervient FEI au titre des OMD que l'on trouve le plus grand degré de fragmentation des acteurs : « la coopération française dans le secteur sanitaire reste très dispersée, mise en oeuvre sur un large spectre thématique, et par une profusion d'acteurs hétérogènes. La mise en cohérence d'approches différentes, voire divergentes ou concurrentes, n'est pas assurée actuellement, et ne pourra l'être que sur la base d'une connaissance et d'un suivi beaucoup plus consistant des actions. Les acteurs sont multiples et en aval des principales institutions impliquées (MAE, Ministère de la santé, AFD, MINEFI...) » 7 ( * ) .
Il est vrai que, dans ce domaine, on retrouve en matière de coopération technique non seulement les opérateurs précités, France Expertise Internationale, le réseau d'expertise GIP ESTHER, l'ADECRI en matière de protection sociale, le GIP SPSI (santé, protection et action sociales) mais aussi :
- les hôpitaux qui, depuis la loi du 31 juillet 1991, sont autorisés à signer des conventions et à entreprendre des partenariats sur le plan international. Cette activité de coopération internationale des hôpitaux est très diverse : actions de solidarité, actions au service des missions de l'hôpital, activités de formation, d'expertise, de recherche, accueil de stagiaires étrangers... et relève le plus souvent d'initiatives isolées et propres à chaque hôpital. Un effort de rationalisation est à noter, avec l'Appel à Projets de Coopération Hospitalière Internationale (APCHI) qui a permis de recenser un grand nombre d'actions hospitalières et de financer en 2011 près de 40 projets ;
- les universités, qui, depuis les lois de 1991 et 2007, peuvent assumer des missions de coopération internationale ;
- les institutions académiques ou de recherche, INSERM, IRD, ANRS, CNRS ;
- des fondations privées, l'Institut Pasteur, la Fondation de France, les fondations des entreprises (Total, Veolia, Sanofi-Aventis), etc... ;
- les ONG (AMI, AMP, CIDR, CRF, DSF, Un Coeur pour la Paix, IECD, Santé Sud, AOI, ATD Quart Monde, La Chaîne de l'Espoir, HI, ID, INTER AIDE, MDM, MRCA, PCS, REMED, SAMU social international, SDM,...) ;
- les intervenants de la coopération décentralisée, conseils régionaux, grandes municipalités ;
- les cabinets et entreprises privées (CREDES, Conseil santé, France accréditation, IRIS Conseil,...).
Cette hétérogénéité, parfois décrite comme une richesse par la variété des capacités mises en oeuvre et des partenaires de coopération, est surtout pointée comme un des principaux points faibles en termes de pilotage et de cohérence.
Dans son rapport de 2008 sur l'organisation et le financement des activités de coopération internationale des hôpitaux, Patrick Mordelet insiste par exemple sur l'hétérogénéité des actions internationales des hôpitaux, présentant 12 exemples d'activités dont « le seul point commun réside dans leur positionnement ou localisation international ». « Il n'y a rien de commun entre l'initiative individuelle de quelques médecins hospitaliers portant sur le don de matériel médical à un hôpital d'un pays en développement, un grand programme de recherche médicale financé à concurrence de plusieurs millions d'euros par le septième programme cadre européen, l'accueil pour quelques semaines dans un hôpital français de médecins marocains ou vietnamiens en stage, et un appel d'offres international sur la réalisation du plan cancer et la construction d'un Institut National du Cancer pour un pays du Moyen-Orient » 8 ( * ) .
Le CES, dans son avis de 2006 sur la coopération dans le domaine sanitaire, soulignait déjà le caractère préoccupant de la situation : « Notre coopération en matière de santé est sans objectif précis, sans cohérence, souvent en concurrence franco-française ou entre coopérations française et internationale. La multiplicité des intervenants français, qui ont tous une spécificité ou, à l'inverse, leur absence dans des secteurs où les besoins sont pourtant réels, est à l'origine de carences ou de dérives ». 9 ( * )
Selon Stéphane Mantion (2011), ces différents acteurs ont chacun une vision de la coopération et des modes d'intervention privilégiée, favorisant la coexistence de cultures différentes. Ils ne communiquent pas et n'échangent pas entre eux, aboutissant à une méconnaissance des acteurs et de leur activité, à un manque de concertation et à une concurrence croissante dans le secteur. Cette absence de relations et de partage d'informations, associée à une autonomie certaine, mène à une offre déstructurée, désorganisée et anarchique, avec peu de visibilité, ne permettant pas de retour d'information et de suivi des différentes actions entreprises et freinant ainsi un système de coopération efficace.
Malgré une forte demande en la matière, et malgré les recommandations de ces nombreux rapports, la France ne dispose donc pas d'un opérateur d'assistance technique en santé qui serait compétent pour la coopération hospitalière, la santé publique, l'épidémiologie...
La gouvernance de ces différentes structures est elle-même particulièrement éclatée. Pour résumer :
- le pilotage du GIP Inter dans le champ travail relève du ministère du travail ;
- le pilotage de l'ADECRI et du GIP SPSI relève des partenaires sociaux ;
- le pilotage du GIP Esther relève conjointement du ministère de la santé et du ministère des affaires étrangères ;
- pour le reste de la coopération sanitaire et hospitalière, aucune structure de coopération ou de pilotage n'existe véritablement aujourd'hui au sein du ministère de la santé.
FEI apparaît donc comme un acteur important mais dans un environnement particulièrement fragmenté avec de nombreux acteurs qui peuvent, selon les appels d'offres, être des concurrents ou des partenaires.
* 7 Bilan évaluatif de la politique française de coopération au développement entre 1998 et 2010 Ernst & Young
* 8 Patrick Mordelet - « l'organisation et le financement des activités de coopération internationale des hôpitaux dans le cadre de la tarification à l'activité », 2008
* 9 Avis de Marc Gentilini au CES « la coopération sanitaire française dans les pays en développement », 2006