III. RÉPONDRE AUX PRINCIPAUX ENJEUX DE LA COOPÉRATION DÉCENTRALISÉE
Le contexte actuel de crise économique et de stagnation des ressources des collectivités territoriales n'est pas sans incidence sur la coopération décentralisée. Certes, de manière générale, la plupart des projets ont été maintenus, l'aide publique au développement allouée par les collectivités territoriales est stable et de nouveaux projets ont même été lancés. Toutefois, plusieurs personnes auditionnées ont souligné que certaines collectivités marquaient le pas, notamment lorsqu'il s'agissait d'une coopération existant depuis de très nombreuses années.
En outre, en raison des difficultés sociales et économiques sur les territoires, les collectivités françaises sont sollicitées par leurs administrés, qui peuvent avoir du mal à comprendre les justifications d'une action internationale dans ces conditions.
Le financement, la justification des actions internationales ainsi que l'optimisation de celles-ci par l'évaluation et la coordination sont aujourd'hui les enjeux principaux de la coopération décentralisée.
A. TROUVER DE NOUVELLES SOURCES DE FINANCEMENT
Il ressort des contributions des réseaux régionaux multi-acteurs que la recherche de financement est perçue comme l'une des principales difficultés auxquelles sont confrontées les collectivités territoriales.
1. Renforcer l'utilisation des fonds européens
L'Union européenne, au titre de sa politique d'aide au développement, propose plusieurs programmes, auxquels les collectivités territoriales peuvent recourir. Ces possibilités sont variées et récentes. En effet, un vrai virage a été opéré lors de la programmation 2007-2013. La mise en place du programme « acteurs non étatiques et autorités locales pour le développement » en témoigne.
Ces programmes peuvent être :
• nationaux : la Commission européenne a signé avec des pays en développement des programmes nationaux d'aide au développement. Plusieurs d'entre eux disposent de volets portant sur la réforme de la gouvernance publique, ou l'appui à la décentralisation et les autorités locales de ces pays peuvent demander directement un financement. A titre d'exemple, le document de stratégie-pays pour le Burkina Faso au titre du 10 e FED, qui présente la stratégie d'intervention de la Commission européenne pour la période 2007-2013, prévoit un volet « appui à la bonne gouvernance » avec un renforcement des autorités locales ainsi qu'un partenariat avec les acteurs non étatiques. Si les autorités locales européennes ne sont pas éligibles, elles peuvent toutefois soutenir une demande de subvention présentée par la collectivité partenaire au Burkina Faso ;
• régionaux : ces programmes concernent une zone géographique et une thématique spécifique, comme le programme URB-AL III relatif au développement local et territorial dans les pays d'Amérique latine. Dans le cadre des ces appels à propositions de 2008, quatre collectivités territoriales françaises ont obtenues un cofinancement de leur projet. Le programme « facilité pour l'eau et facilité pour l'énergie en faveur des pays ACP (Afrique, Caraïbes, Pacifique) » est également susceptible d'intéresser les collectivités territoriales françaises ;
• thématiques : le programme le plus important pour les collectivités territoriales françaises est le programme « Acteurs non étatiques et autorités locales pour le développement » (ANE/AL), qui visent à soutenir les actions d'aide au développement des ONG et des autorités locales européennes ainsi que celles des pays partenaires. Environ 15% de l'enveloppe annuelle est réservée aux projets des autorités locales et régionales .
Le programme thématique européen « les acteurs non étatiques et les autorités locales dans le développement » Le programme « les acteurs non étatiques et les autorités locales dans le développement »a été lancé par la Commission européenne en 2007. Il succède aux anciennes lignes budgétaires « cofinancement des ONG » et « coopération décentralisée ». Les fonds alloués pour la période 2007-2013 sont de 1,6 milliard d'euros. Ce programme vise à cofinancer par des appels à projets des actions propres des autorités locales et des organisations non gouvernementales. Il se divise en trois objectifs : Objectif 1 : Intervention dans les pays tiers pour faciliter la participation des acteurs non étatiques et des autorités locales dans la réduction de la pauvreté. Cet objectif contient deux axes. Le premier regroupe des enveloppes pays pour cofinancer des projets menés dans ces pays, dont la liste limitative est fixée par la Commission européenne. Le deuxième axe est constitué d'interventions dites multi pays. Dans ce cas, le projet doit concerner plusieurs pays, il n'y a pas de liste limitative, mais le seuil minimal de cofinancement est beaucoup plus élevé ; Objectif 2 : Sensibilisation et éducation au développement dans l'Union européenne et les pays adhérents ; Objectif 3 : Coordination des réseaux d'acteurs non étatiques et des réseaux d'autorités locales dans l'Union européenne et les pays adhérents. Les objectifs 2 et 3 sont accessibles seulement aux acteurs européens, tandis que l'objectif 1 est accessible à tous les acteurs européens et des pays tiers. |
Une étude conjointe de Cités Unies France et de l'Agence française de développement de mai 2010 sur la coopération internationale des collectivités territoriales et l'Union européenne souligne la « participation minime des collectivités territoriales françaises aux programme d'aide extérieure de l'Union européenne » . Près des trois quarts des collectivités territoriales ayant accepté de participer à l'enquête de Cités Unies France ont indiqué n'avoir jamais répondu à un appel à propositions entre 2007 et 2010. Ce pourcentage est encore plus important pour les collectivités de petite ou moyenne taille : les collectivités ayant une population inférieure à 200 000 habitants représentent moins d'un tiers de celles ayant déposé un dossier.
Plusieurs raisons expliquent cette faible participation :
L'inadéquation des critères d'éligibilité avec la réalité des collectivités territoriales. Les montants minimums de cofinancement sont souvent très élevés. Ainsi, pour les programmes dits multipays, concernant plusieurs pays partenaires, l'apport minimal de la collectivité doit souvent être supérieure à 125 000 euros 35 ( * ) et le budget minimal du projet ne peut être inférieur à 500 000 euros.
• un délai de candidatures trop court : même s'ils ont été allongés à 90 jours, cela reste très court pour le temps politique. En effet, les délais d'appels à proposition sont calqués sur ce qui existait auparavant pour les organisations non gouvernementales. En outre, le délai pour demander des informations est encore plus réduit : ainsi, pour certains appels à projets, plus aucune question ne peut être posée 21 jours avant la date limite de remise du dossier ;
• l'inéligibilité de certains pays partenaires . Dans le cadre des enveloppes pays pour les autorités locales, 41 pays ont été identifiés comme prioritaires. Or, on constate que des pays comme le Burkina Faso ou la Mali ne peuvent pas bénéficier de cofinancement dans le cadre du programme ANE/AL ;
• la forte complexité des dossiers : la demande de cofinancement nécessite de respecter une procédure complexe en plusieurs étapes : soumission d'une note succincte puis soumission d'un formulaire de demande complète pour les candidats présélectionnés, inscription préalable obligatoire dans le système PADOR. Toutefois, PADOR, qui permet d'enregistrer ses données administratives, a été conçu au départ pour les organisations non gouvernementales et les entreprises. Même si de nombreuses modifications ont été apportées depuis 2008, la spécificité des collectivités territoriales n'est pas toujours prise en compte. Parmi les informations obligatoires à fournir se trouvent le « chiffre d'affaires, bénéfice net/perte, total du bilan, capitaux propres, dettes à plus d'un an, dettes à moins d'un an -- au moins pour les trois dernières années ».
En outre, selon les statistiques de la Commission européenne pour 2008, le taux d'acceptation des demandes de cofinancement européen des collectivités française (19%) est beaucoup plus faible que celui des autorités locales et régionales d'autres pays comme le Portugal (60%) ou l'Italie (47%).
Le fait que la réponse aux appels à projets nécessite aujourd'hui une connaissance de plus en plus pointue en est une des raisons majeures. L'externalisation de cette compétence et le recours à des cabinets de conseil coûtent cher . Aussi, il est nécessaire de développer ces compétences au sein même des collectivités territoriales. Un travail important de veille est réalisé par l'ensemble des associations d'élus et de celles qui agissent dans le domaine de la coopération décentralisée, permettant de diffuser au plus grand nombre d'acteurs les informations relatives à l'ouverture des appels à proposition. En outre, plusieurs sont sollicités pour l'aide au montage de projet ou pour la recherche de cofinancement. Toutefois, il reste nécessaire de renforcer l'accompagnement technique dans la réponse à ces appels à projets.
Plusieurs solutions, complémentaires, peuvent être envisagées :
La formation pourrait être renforcée : plusieurs associations d'élus ou dédiées à la coopération décentralisée proposent des formations sur les sources de financement européen pour les unes, le montage et l'animation d'un projet pour les autres. Tel est également le cas de certaines antennes régionales du centre national de la Fonction publique territoriale 36 ( * ) . Cependant, des formations spécifiques concernant l'accès aux financements européens en matière d'aide au développement sont encore rares. Ces formations permettraient ainsi aux collectivités de mieux anticiper l'ouverture de fonds dans le cadre des programmes précités, facilitant ainsi le respect des délais. En outre, les collectivités seraient plus aptes à jouer avec la complémentarité entre les différents programmes européens afin de trouver des financements, même si leurs pays partenaires ne sont pas éligibles au titre du programme Acteurs non étatiques et autorités locales (Fonds européen de développement, Instrument européen pour la démocratie et les droits de l'homme, Environnement et gestion durable des ressources naturelles dont l'énergie, Sécurité alimentaire, Développement social et humain, Jeunesse en action,...).
Proposition n°1 : Mettre en place dans les associations d'élus locaux ou celles dédiées à la coopération décentralisée des formations concernant spécifiquement l'accès aux financements européens en matière d'aide au développement. |
En outre, il pourrait être envisagé de développer un réseau d'experts dédié à la réponse aux appels à proposition et proposant un appui technique aux collectivités qui le souhaitent. Cette proposition s'inspire de l'exemple, mentionné dans cette étude conjointe de 2010, de l'agence de coopération des collectivités territoriales italienne qui dispose d'un réseau d'experts mis à disposition par les autorités locales . Il s'agirait pour ces derniers de se rendre dans les collectivités qui les sollicitent afin d'aider les personnels chargés de la réponse à l'appel à proposition et de les former sur place.
Cet appui ponctuel serait fortement utile, en particulier aux petites et moyennes collectivités. En effet, cette complexité croissante nécessite une professionnalisation accrue des personnels en charge des affaires internationales ainsi qu'une charge supplémentaire de travail important. Les communes les plus modestes ont des difficultés à trouver ces ressources humaines.
Proposition n°2 : Développer un réseau d'experts dédié à la réponse aux appels à proposition chargés de proposer un appui technique aux collectivités qui répondent aux appels à proposition. |
De manière générale , il s'agit d'encourager les collectivités territoriales françaises à solliciter des financements européens en matière d'aide au développement. Elles sont beaucoup plus réticentes à le faire que les collectivités d'autres pays européens, comme l'Espagne ou l'Italie. Elles donnent quelquefois l'impression de ne pas oser déposer un dossier de candidature. Or, actuellement, l'ensemble de l'argent programmé par la Commission européenne en matière d'aide au développement n'est pas dépensé. Des cofinancements ne sont pas utilisés du fait d'un nombre de demandes répondant aux critères insuffisantes.
Les propositions de la Commission
européenne
S'appuyant sur une consultation publique qui a eu lieu du 26 novembre 2010 au 31 janvier 2011, la proposition de la Commission européenne apporte des modifications substantielles par rapport à la précédente programmation : - augmentation du budget total de l'aide au développement de 80 à 96 milliards et augmentation de 16,8 milliards d'euros à 23 milliards d'euros du budget de l'instrument de coopération ; - augmentation du budget du programme « organisations de la société civile et autorités locales » (au sein de l'instrument de coopération) passant de 1,6 milliard d'euros à 2 milliards d'euros ; - mise en place au sein de l'instrument de coopération d'un programme Panafricain d'un milliard d'euros. - instauration d'une « approche différenciée » : il s'agit pour l'Union européenne de se concentrer sur les régions et pays qui ont le plus de besoins. Dès lors, 19 pays 37 ( * ) , dont la Chine et l'Inde, ne seront plus éligibles à l'aide extérieure européenne. Leurs relations avec l'Union européenne s'inscriront dans le cadre d'un nouvel instrument de partenariat devant permettre à l'Union européenne de poursuivre des objectifs allant au-delà de l'aide au développement. |
2. S'efforcer d'utiliser davantage l'ensemble des possibilités ouvertes par la loi Oudin-Santini
Comme le soulignent l'Agence française de développement et le programme Solidarité Eau, seul le tiers du potentiel de la loi Oudin-Santini a été exploité . Ainsi, une application totale et généralisée de cette loi permettrait de mobiliser 67 millions d'euros par an, contre près de 20 millions d'euros aujourd'hui. Le potentiel de mobilisation est particulièrement élevé auprès des collectivités et de leurs groupements . En effet, leur mobilisation actuelle est de 7,2 millions d'euros sur 50 millions d'euros, soit moins de 15%, alors que les agences de l'eau atteignent plus de 71% (12,2 millions d'euros mobilisés en 2010 sur un potentiel de 17 millions d'euros).
Proposition n°3 : Inciter les collectivités territoriales et leurs groupements à utiliser 1% des ressources affectées aux budgets des services de l'eau, de l'assainissement, de l'électricité et du gaz pour financer des actions de coopération décentralisée. |
Par ailleurs, devant les montants récoltés par cet outil financier, un fonds national mutualisant un pourcentage des ressources mobilisées par les services publics d'eau et d'assainissement ainsi que par les agences de l'eau pourrait être mis en place. Ce fonds présenterait un double avantage :
D'une part, il permettrait aux collectivités du Sud de recourir à ce fonds afin de financer des projets dans ce domaine, quand elles n'arrivent pas à trouver de collectivités françaises partenaires . Comme l'a souligné l'un des intervenants, les villes du sud connaissent une urbanisation galopante et les réseaux de distribution d'eau potable et d'assainissement ont du mal à suivre ce rythme de développement. Or, elles ont des difficultés à trouver des collectivités françaises qui acceptent de financer ces prolongements de réseaux. On comprend pourquoi : ces projets ont moins de visibilité politique pour la collectivité française, et surtout, ils nécessitent la création de nouveaux partenariats, ce qui prend du temps. Ce fonds serait ainsi une réponse.
En outre, il permettrait aux collectivités les plus modestes de participer à des projets financiers plus importants.
Proposition n°4 : Mettre en place un fonds national mutualisant un pourcentage des ressources mobilisées par les services publics d'eau et d'assainissement ainsi que par les agences de l'eau. |
3. Trouver de nouvelles sources de financement
Le dispositif de la loi Oudin Santini pourrait être élargi à d'autres domaines de la coopération décentralisée. En effet, ce mécanisme permet de mobiliser des sommes importantes pour une contribution annuelle moyenne par habitant modique . L'étude du programme Eau-solidarité « bilan et caractérisation de la coopération décentralisée dans le secteur Eau et Assainissement » relève ainsi que la contribution annuelle par habitant du Bassin Seine Normandie, qui est la contribution par habitant la plus importante recensée dans l'étude, est de 0,46 euro en moyenne sur les années 2007-2009. Sur la même période, elle est annuellement de 0,25 euro pour la France métropolitaine (soit annuellement 15 millions d'euros sur trois ans entre 2008 et 2010).
Le traitement des ordures ménagères, domaine dans lequel les communes et intercommunalités disposent d'une expertise et qui représente un enjeu important dans les collectivités du Sud, pourrait faire l'objet d'un mécanisme similaire.
Proposition n° 5 : Élargir la portée de la loi Oudin Santini au traitement des déchets ménagers. |
En outre, le mécanisme de la loi Oudin-Santini pourrait être étendu à d'autres domaines. A titre d'exemple, la ville de Grenoble a mis en place un prélèvement sur les recettes issues du stationnement afin de financer un projet de développement des transports à Ouagadougou, au Burkina Faso.
Proposition n° 6 : Mettre en place une réflexion sur les domaines pouvant faire l'objet d'un mécanisme similaire à celui de la loi Oudin-Santini. |
* 34 « Fourniture et transport de denrées alimentaires, contributions en espèces pour l'achat de denrées alimentaires et apport de produits intermédiaires (engrais, semences, etc.) dans le cadre d'un programme d'aide alimentaire », définition du ministère des Affaires étrangères et européennes dans le cadre de la télédéclaration de l'APD.
* 35 Le montant d'APD de 22 départements sur les 36 en ayant déclaré une en 2011 est inférieur à 200 000 euros. Source : Etude sur la déclaration de l'Aide Publique au Développement par les collectivités territoriales françaises, Agence Coop Dec Conseil, décembre 2011.
* 36 Quatre formations en lien avec la coopération décentralisée sont proposées par certaines de ces antennes : « monter un projet », « animation d'un projet », « la coopération décentralisée et les règles publiques : séminaire de confrontations d'expériences » et « la pratique de l'espagnol dans le cadre de la coopération transfrontalière et décentralisée ». En outre, des formations sur les fonds européens existent également.