II. UN GESTIONNAIRE D'INFRASTRUCTURE UNIQUE : UNE RÉFORME NÉCESSAIRE MAIS PAS SUFFISANTE

A. UNE RÉFORME ENGAGÉE, MAIS ENCORE LOIN D'ÊTRE ABOUTIE

1. Les prémices d'un rapprochement entre RFF et SNCF-Infra

Depuis avril 2011, les deux entreprises ont établi un « plateau commun », divisé en plusieurs groupes de travail fonctionnant dans une ambiance décrite comme « apaisée » sur dix sujets définis conjointement et pour lesquels ils s'efforcent de faire émerger des solutions consensuelles.

La Cour des comptes relève à juste titre que, « tout en soulignant la qualité des travaux en cours, on ne peut que regretter qu'il ait fallu attendre près de quatorze ans après la réforme du système ferroviaire pour que s'instaure ce début de réflexion sur des questions aussi essentielles pour une bonne gestion de la maintenance ».

Lors de l'audition pour suite à donner à l'enquête de la Cour des comptes, Daniel Bursaux a d'ailleurs estimé que ces synergies étaient encore loin d'être complètes : « lorsqu'on a construit le service annuel pour 2012, on s'est aperçu que les gens qui préparaient les travaux au sein de SNCF Infra n'étaient pas toujours totalement en relation avec les gens qui tracent les sillons. Il y a eu de vraies surprises, certains sillons prévus pouvant ne pas être complètement réalisables. Il est donc nécessaire de rapprocher l'ensemble des personnes travaillant sur les deux problématiques sur le plan fonctionnel et sur celui des systèmes d'information. C'est une des raisons principales qui plaide pour l'unification du gestionnaire. La question de la relation de celui-ci avec l'entreprise ferroviaire est un sujet assez différent ».

2. Une réforme à inscrire dans un cadre européen en mutation

Au regard du diagnostic dressé plus haut, l'urgence de la réforme ferroviaire devient évidente. Daniel Bursaux, lors de l'audition précitée, a indiqué que le « gestionnaire unifié [...] fait largement consensus parmi tous les acteurs du système ferroviaire ».

C'est pourquoi, ainsi que le préconise la Cour des comptes - et à la suite des réflexions déjà engagées par les Assises du ferroviaire fin 2011 - le Gouvernement a décidé de mettre en oeuvre un « gestionnaire d'infrastructure unique » (GIU), regroupant les moyens de SNCF-Infra, de RFF et de la direction des circulations ferroviaires (DCF) .

A l'image du modèle mis en place en Allemagne par la Deutsche Bahn , le GIU deviendrait une filiale autonome de la SNCF 5 ( * ) . Cette architecture devra toutefois être compatible avec les règles européennes . La Commission européenne conteste le fait que l'organisation allemande soit conforme aux textes européens en matière de séparation des gestionnaires et des utilisateurs d'infrastructures. La Cour de justice de l'Union européenne ne lui a cependant pas donné raison sur ce point 6 ( * ) .

C'est pourquoi, la Commission européenne, à l'occasion de la discussion du 4 e « paquet ferroviaire », entend faire valoir un modèle de séparation stricte. La France et l'Allemagne sont opposées à ces propositions. La réforme française, si elle ne doit pas ignorer les règles européennes, ne semble donc pas, pour l'instant, menacée par une nouvelle réglementation encore largement hypothétique.

Quoi qu'il en soit, le GIU doit disposer d'une pleine autonomie vis-à-vis de la SNCF. Il reviendra à l'Autorité de régulation des activités ferroviaires (ARAF) de contrôler le cloisonnement entre l'entité gestionnaire et l'entité utilisatrice.

3. Des enjeux sociaux majeurs

La fusion des trois entités RFF, SNCF-Infra et DCF concernera plus de 50 000 personnes . En termes de gestion des ressources humaines, les défis sont de plusieurs natures.

Ils sont d'abord juridiques puisque les statuts différent entre les trois entreprises : SNCF-Infra et la DCF relèvent du statut des cheminots tandis que RFF est un établissement public industriel et commercial dont les personnels relèvent majoritairement d'un statut de droit privé.

Ils sont ensuite « culturels » : RFF comprend beaucoup de cadres, des ingénieurs pour la plupart, tandis que les catégories socio-professionnelles représentées chez SNCF-Infra sont plus diverses.

Ils sont enfin géographiques : la répartition territoriale des agents est également un facteur de différenciation entre les deux entités, les directions régionales de RFF apparaissant moins « étoffées » que les structures décentralisées de SNCF-Infra.

L'ampleur de la tâche à accomplir ne doit pas être sous-estimée. Lors de l'audition précitée, Pierre Izard, directeur général de SNCF-Infra s'est interrogé : « tout ceci peut-il réellement aboutir alors que les acteurs ont pris l'habitude de se disputer ? Je peux témoigner que les travaux que l'on mène ensemble sur des sujets précis donnent à ces projets un certain souffle. Ce qui compte, c'est la capacité d'emporter 50 000 personnes vers un projet nouveau motivant pour des équipes nombreuses. C'est là une affaire de management ».

Enfin, ainsi que le souligne la Cour des comptes, la création d'un GIU doit être l'occasion de répondre à une question stratégique sur l'évolution de son modèle économique.

En effet, SNCF-Infra tend à recourir, de plus en plus souvent, à la sous-traitance. Pour autant, elle souhaite conserver la maîtrise globale des chantiers qu'elle conduit.

Deux possibilités lui sont offertes. Soit elle fait appel plus largement à la sous-traitance, contribuant à créer autour d'elle un « écosystème » de sous-traitants, soit elle poursuit une politique d'internalisation de son activité . La Cour des comptes relève que « l'évolution de la pyramide des âges à la SNCF, dont 30 % des effectifs ont plus de 50 ans [...] ouvre une opportunité importante ».

B. UNE PRIORITÉ : LA MAÎTRISE DE LA DETTE

1. Un financement croissant par la dette

Fin 2011, la dette financière de RFF atteignait plus de 33,4 milliards d'euros . Pour la partie consacrée au renouvellement du réseau, les ressources de RFF sont insuffisantes depuis 2007. Sur ce poste, le déficit est d'environ 800 millions d'euros en 2011.

Par ailleurs, l'Etat s'est désengagé puisqu'il a supprimé sa dotation « rénovation » au profit d'une dotation d'équilibre globale. Les concours de l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF) et des régions (CPER) n'ont pas permis de compenser cette perte de ressource. De surcroît, les cessions d'actifs et les péages ont été moins rentables que prévu pour RFF.

D'ailleurs, selon la Cour des comptes, « les perspectives futures de financement par les recettes de péages restent limitées, l'arbitrage récent du Gouvernement ayant fortement encadré leur progression pour les années qui viennent. [...] Au final, les ressources dégagées par l'activité opérationnelle ne sont pas suffisantes pour financer la rénovation du réseau ».

D'après la Cour des comptes, le secteur est dans « l'impasse financière » . D'après ses calculs, en l'état actuel, RFF serait amené à constater, sur l'effort de rénovation, un déficit structurel annuel d'au moins 1,4 milliard d'euros d'ici 2013 .

2. Des économies attendues par la constitution du GIU

Lors de l'audition pour suite à donner précitée, Pierre Izard a rappelé que, « lors des Assises du ferroviaire, nous avons été à maintes reprises questionnés sur l'avantage économique du regroupement du gestionnaire d'infrastructure ; nous avions tenté d'en donner un ordre de grandeur en évaluant les gains entre 400 et 600 millions d'euros de dépenses annuelles pour le fonctionnement de l'infrastructure à l'horizon 2020 . [...] Ces gains sont gagés sur des effets de productivité, de simplification, de réduction d'interfaces et de diminution de coût de structures entre nos entités . Ce n'est là qu'une partie du chemin.

« Certains ont estimé le déficit et l'endettement annuel du système ferroviaire entre 1,2 et 1,5 milliard d'euros. La somme que j'évoque pourrait donc en couvrir un tiers. C'est là un pas significatif qui constitue la contribution que la gestion d'infrastructure pourra apporter à une meilleure équation du système ferroviaire tout entier ».

Daniel Bursaux a également confirmé cette analyse : « SNCF Infra s'est aujourd'hui engagée sur des gains de productivité de 0,8 % à structure égale et considère que, si demain il existe un gestionnaire d'infrastructure unifié, ce gain de productivité pourrait être porté à 1,5 % . Il y a donc de vrais sujets en termes de structure sur lesquels on doit pouvoir faire baisser les coûts et détendre le problème financier ».

Pour sa part, Alain Quinet, directeur général délégué de RFF, a estimé que « nous gagnerions beaucoup en efficacité si les différents métiers de l'infrastructure exercés à SNCF Infra, RFF et à la direction des circulations ferroviaires, étaient regroupés dans une même entité.

« Si un jour les fonctions essentielles doivent être regroupées, cela constituerait pour nous, en termes industriels et contractuels, un progrès potentiel. Celui-ci se matérialisera à deux conditions. Il faut d'abord que le système reste transparent vis-à-vis de toutes les parties prenantes, l'Etat comme les régions, en matière de coûts et d'état du réseau.

« Il faut ensuite une tutelle et une régulation forte. On a besoin d'une tutelle forte et d'une participation des régions pour clarifier la consistance du réseau et les trafics que l'on souhaite y voir circuler. Il est tout aussi important de mentionner le rôle du régulateur. [...] Si nous sommes unifiés un jour, nous n'aurons plus d'excuses pour ne pas être performants et productifs . Un des rôles du régulateur, comme dans les autres secteurs régulés, est de pousser le gestionnaire d'infrastructure à plus d'efficacité année après année ».

3. Assurer la crédibilité financière du GIU

Votre rapporteur spécial insiste sur la priorité que constitue la bonne gestion de la dette ferroviaire . RFF - et demain le GIU - est et doit demeurer un emprunteur de confiance dans un contexte où, face à de nouveaux investissements, la dette ferroviaire actuellement d'environ 40 milliards d'euros (dette cumulée de RFF et de la SNCF) pourrait s'accroître entre 1 et 1,4 milliard d'euros par an dans les cinq prochaines années.

L'ensemble formé par le GIU et la SNCF doit présenter un profil financier crédible vis-à-vis des investisseurs internationaux.

A cet égard, ainsi que le souligne Pierre Izard, directeur de SNCF-Infra, les gains de productivité contribueront de manière importante mais ne suffiront pas à assurer la pérennité financière de l'ensemble.

C. UNE TUTELLE TROP LONGTEMPS ABSENTE

1. La nécessité d'opérer des choix

La sévérité du constat dressé par la Cour des comptes ne doit pas masquer l'absence de la tutelle depuis plusieurs années. En effet, ainsi que le souligne son enquête, l'Etat a souvent renvoyé dos à dos les deux acteurs, refusant d'arbitrer l'un contre l'autre et les invitant à trouver par eux-mêmes des solutions à leurs différends.

Lors de l'audition pour suite à donner, Christian Descheemaeker, président de la 7 e chambre de la Cour des comptes, a insisté sur le fait que le secteur ferroviaire se trouve confronté « à des choix difficiles mais inéluctables. Comment affecter au mieux une ressource de plus en plus rare ? L'allocation de cette ressource devra d'abord porter sur les investissements. Il faudra choisir mieux que cela n'a été fait entre la préservation du réseau existant et le développement de nouvelles lignes. C'est un sujet largement débattu l'année dernière lors des Assises du ferroviaire.

« Il faudra également se poser la question de la taille et de la consistance du réseau. L'effort financier important qui a été réalisé n'a pas permis de le rajeunir. Il faudrait donc soit un effort financier encore plus important, soit en réduire la taille » .

Interrogé par votre rapporteur spécial, Alain Quinet, directeur général délégué de RFF, soulignait que, « certains choix politiques ne sont pas de notre ressort - consistance du réseau ou types de trafics. La France a des ambitions fortes en termes d'aménagement du territoire et de mixité des trafics puisque nous avons un réseau au service de la grande vitesse, des trafics régionaux et du fret ».

2. En matière d'investissement : développement ou renouvellement ?

Daniel Bursaux, lors de la même audition, a rappelé « la problématique de l'affectation des contributions publiques entre la régénération du réseau et les travaux de création de lignes nouvelles. C'est un sujet sur lequel le Gouvernement a décidé de se pencher, puisqu'il a annoncé une réévaluation des projets du Schéma national d'infrastructures de transports (SNIT) ».

De fait, la commission « Mobilité 21 », animée par Philippe Duron, président de l'AFITF, s'est vue confier la tâche d'analyser les projets d'infrastructures, inscrits dans le SNIT pour un montant total de 245 milliards d'euros.

Répartition des dépenses de développement et de maintenance

en millions d'euros

2006

2007

2008

2009

2010

2011

Total

Evolution 2011/2006

Investissements de développement

1 183

1 355

1 570

1 572

1 387

2 182

9 249

84 %

Maintenance

2 839

2 945

3 236

3 596

3 651

4 102

20 369

44 %

dont investissements de rénovation

1 034

1 056

1 299

1 639

1 705

2 069

8 802

100 %

dont entretien

1 805

1 889

1 937

1 957

1 946

2 033

11 567

13 %

Total

4 022

4 300

4 806

5 168

5 038

6 284

29 618

56 %

Part des dépenses de développement

29 %

32 %

33 %

30 %

28 %

35 %

31 %

Part des dépenses de maintenance

71 %

68 %

67 %

70 %

72 %

65 %

69 %

Source : données RFF, retraitées par la Cour des comptes

La part de l'investissement de développement représente 31 % de l'ensemble des dépenses de RFF sur la période 2006-2011. Elle reste toujours supérieure à celle consacrée au renouvellement .

Les Assises du ferroviaire ont estimé que, sous réserve des opérations déjà décidées, il était important d'orienter prioritairement les dépenses d'investissement vers le renouvellement du réseau existant plutôt que vers le développement de nouvelles lignes .

3. La question des « petites lignes » et le dimensionnement du réseau

Compte tenu de l'importance des voies de service (15 000 kilomètres) et des voies de faible trafic (près de 11 000 kilomètres), une réflexion doit également s'engager sur l'opportunité de maintenir ces lignes qui pèsent sur les coûts pour un gain socio-économique faible .

La Cour des comptes estime qu'il faut mettre un terme à la tendance au surinvestissement régional. Par ailleurs, comme le suggéraient les Assises du ferroviaire, elle juge que les concours de RFF en la matière devraient être limités au montant versé en 2011, à savoir 234 millions d'euros.

La Cour des comptes constate cependant l'absence de réflexion et d'évaluation d'ensemble sur ce sujet. Christian Descheemaeker, président de la 7 e chambre de la Cour des comptes, lors de l'audition précitée, a indiqué qu'elle « ne saurait conclure en disant que l'on peut rayer d'un trait de plume un certain nombre de lignes ferroviaires. Tel n'est pas l'esprit du rapport, ni son contenu, mais il nous semble possible d'imaginer une action concertée avec les collectivités concernées portant sur la taille du réseau. En effet, le transport local ne nécessite pas forcément de recourir au train. Certaines dessertes sont en effet assurées par des autocars. Ceci conduirait à réduire l'ampleur du problème ».

La tutelle demeure néanmoins très frileuse et n'envisage qu'une « approche pragmatique au cas par cas et uniquement sur portions de réseau ».

Ce point de vue a été confirmé par Daniel Bursaux lors de l'audition pour suite à donner à l'enquête de la Cour des comptes : « s'agissant de la fermeture de nombreuses lignes du réseau secondaire, une politique nationale qui consisterait à affirmer qu'il faut fermer quelques milliers de kilomètres de ligne n'a selon moi aucune chance d'aboutir et n'est pas souhaitable. Je pense cependant qu'il faut traiter au cas par cas, avec les régions, les lignes qui paraissent les plus fragiles et les moins fréquentées, et examiner s'il existe des possibilités de substitution routière. Un accord entre les entreprises publiques, les régions et l'Etat doit permettre de régler un certain nombre de problèmes et de diminuer la taille du réseau. Imaginer une politique générale en ce sens n'est pas, pour l'instant, une piste que l'on peut envisager ».

*

Au total, s'il faut se féliciter que la constitution d'un GIU soit de nature à résoudre une partie des problèmes structurels identifiés - industriels ou financiers - elle ne saurait se suffire à elle-même.

En effet, les économies attendues de la réforme ne paraissent pas suffisantes pour assurer l'équilibre financier à moyen terme de l'entité ferroviaire française. L'Etat, en tant que tutelle du pôle public ferroviaire, devra par conséquent prendre ses responsabilités et opérer des choix sur la structure même du réseau ferré.


* 5 A l'instar, par exemple, de Réseau de transport d'électricité (RTE), filiale d'EDF.

* 6 Arrêt C556/10, Commission européenne/Allemagne.

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