VI. LE FORMAT ET L'EMPLOI DES FORCES

Le sous titre du rapport : « Peut-on encore réduire un format juste «insuffisant » en donne la tonalité.

Les menaces auxquelles nous aurons à faire face demain seront asymétriques ou bien prendront la forme d'une transformation d'un conflit dissymétrique en conflit asymétrique.

Nous ne savons naturellement pas de quoi demain sera fait et la surprise est toujours possible.

Nous dressons dans ce rapport un état des lieux de nos armées. Elles sont à la fois un outil d'une extrême qualité grâce aux hommes et aux femmes qui les composent et qui y consacrent leur vie, parfois jusqu'au sacrifice. Ils disposent de matériels et d'équipements performants mais la trajectoire de la LPM a été infléchie dès 2010 en raison de la crise économique et financière. Le format de nos armées est aujourd'hui cohérent mais fragile. Par ailleurs, à la logique de la professionnalisation, s'est ajouté le résultat de la technologisation qui augmente le coût des matériels à l'acquisition comme pour le MCO, ainsi que les coupes budgétaires qui aboutissent à la limitation des séries et à l'étalement dans le temps.

Ces trois mouvement aboutissent à un constat finalement sévère de notre commission qui se demande si nous ne connaissons pas un syndrome du paraître, un effet Potemkine qui masquerait que nos forces armées sont au bord du point de rupture.

Nous constatons que la tendance du surcoût des équipements conduit à avoir une armée « échantillonnaire » dotée de quelques capacités « polyvalentes » dans chacun des secteurs concernés mais une armée dont le RETEX des opérations en Afghanistan montre l'inadaptation partielle de nos modes d'action militaire. Nous avons une armée de poche, de haute qualité mais finalement vulnérable.

De plus, on demande tout à la défense. Or dans le cadre d'une approche globale nous ne pouvons que constater l'insuffisance de nos outils civils et l'inexistence d'un partage du fardeau au niveau interministériel.

Que faire ?

La première exigence est de définir un niveau d'ambition pour notre pays. La commission du Livre blanc va devoir en tracer le contour mais c'est bien évidemment au politique, au plus haut niveau, d'en arrêter l'expression.

Nos travaux sont partis de l'hypothèse d'un niveau d'ambition inchangé, non seulement parce que ce n'était pas de nos compétences de le déterminer mais surtout parce que nous avons la conviction qu'il est au bon niveau dans un monde qui n'est pas moins incertain et dans un contexte de désarmement européen dans un monde en réarmement accéléré.

Notre constat, c'est de dire qu'à niveau inchangé, notre format est tout juste suffisant, voire juste insuffisant.

Naturellement, si nous renonçons à certaines de nos ambitions, nous pourrons adapter nos moyens à la baisse. Mais là aussi cette décision doit être mûrement pesée en sachant notamment que :

- à l'effet d'éviction de la sanctuarisation du nucléaire auquel s'ajoute la nécessité de développer les moyens de connaissance (renseignement - espace), il faut tenir compte de la rigidité du budget en raison du nombre de programmes en cours, d'ores et déjà lancés qui s'élèvent à 45 milliards d'euros d'engagement à la fin 2011 ;

- l'analyse de ces engagements conduirait à rechercher des marges sur les programmes non encore engagés qui concernent principalement l'armée de terre, celle dont précisément on a besoin pour effectuer une indispensable empreinte au sol significative. C'est en particulier le sort du programme Scorpion ;

- au-delà des trous capacitaires clairement identifiés (ravitailleurs, transport, drones, radars de surveillance etc....) des abandons capacitaires pourraient être envisagés. Or il faut affirmer clairement que toute capacité abandonnée est définitivement perdue sauf à accepter des coûts exorbitants et des délais insupportables pour une remontée en puissance aléatoire ;

- nos décisions devront être prises avec l'impératif de rechercher la cohérence d'ensemble de nos forces armées et leur cohérence interne arme par arme.

Notre rapport n'aurait pas été complet s'il n'avait ouvert un certain nombre de pistes que la commission du Livre blanc étudiera pour tenter de trouver des marges de manoeuvre. Certaines de ces pistes peuvent avoir un effet à moyen terme mais l'extrême rigidité de la dépense rend la recherche de solutions difficile. Cela ne doit pas empêcher la mise en place des mécanismes qui permettront à plus long terme de réelles économies, en particulier l'Europe de la défense, bilatérale ou multilatérale.

En conclusion, nous affirmons notre volonté de tout faire pour préserver un effort somme toute modeste (1,6 % du PIB mais en réalité sans doute un peu moins) pendant la période de crise et la nécessité de faire un effort supplémentaire une fois la crise passée. Notre sécurité, notre indépendance, notre place dans le concert des nations sont à ce prix.

Quelles que soient les décisions qui seront prises en 2013, elles devront être totalement transparentes et faire l'objet d'un débat ouvert devant le Parlement bien sûr, mais aussi devant l'opinion publique et l'ensemble de nos concitoyens.

M. Jean Besson - Je crois qu'il y a unanimité sur le rapport de notre président qui constitue une exacte synthèse de nos travaux. La question est à présent de savoir comment nous diffusons nos réflexions afin qu'elles touchent le public le plus large.

M. Jean-Louis Carrère, président - Nos rapporteurs ont déjà fait un gros travail de communication au travers des conférences de presse qu'ils ont tenues. Du reste, les reprises de la presse témoignent de l'intérêt qu'a suscité notre travail. Il serait légitime que les co-présidents de nos groupes de travail puissent être entendus par la Commission qui se met en place.

M. Jacques Gautier - Notre groupe est évidemment solidaire de l'ensemble du travail indispensable réalisé par la commission. Nous approuvons pleinement l'impulsion donnée. Pour défendre la défense, et en particulier l'industrie, il faudra insister sur la notion de retour au niveau économique. Je vous rappelle que quand l'Etat met 1 euro dans l'industrie de défense, il en récupère 70 ou 80 centimes.

M. Jean-Louis Carrère, président - En tout état de cause, vous aurez compris que nous ne sommes absolument pas dans une logique de renonciation et d'anticipation de réductions des moyens. Il y a un vrai débat à mener pour savoir si le budget de la défense est un budget comme les autres et si réellement il doit participer à l'effort au même titre que les autres.

M. Alain Gournac - Je partage tout à fait la position exprimée par notre président. Du reste, le contraire irait à l'encontre du travail fait par la commission, mais surtout cela ruinerait le positionnement de la France auquel nous sommes attachés.

M. Jean-Pierre Chevènement - Votre position est juste. Les travaux de notre commission montrent qu'avec 1,5 % du PIB consacrés à la défense nous avons un niveau « juste insuffisant ». Les caractéristiques de la France, sa présence mondiale au travers de notre outre-mer, notre siège de membre permanent du Conseil de sécurité, tout cela justifie ce seuil minimum. De plus cette position est intelligente et il faut la tenir contre les vents contraires. Finalement l'intelligence politique rejoint les analyses et les positions de fond.

M. Pierre Bernard-Reymond - N'étant pas un expert des questions de défense, je me contenterai de souligner le très grand intérêt de la coopération européenne qui est de nature, à terme, à nous permettre de dégager des marges de manoeuvre. Nous devrions travailler à démonter les synergies entre nations européennes.

M. Jean-Louis Carrère, président - Votre remarque pertinente rejoint la proposition que je viens de faire au Bureau de notre commission afin que nous travaillons à la rentrée sur ces questions difficiles. Difficiles, car pour avoir une vision commune de la défense, il faut au préalable avoir une vision commune de l'avenir de l'Europe et partager les mêmes analyses stratégiques.

M. Christian Cambon - Il faut en effet relancer nos contacts notamment avec les Allemands que nous avions rencontrés, avec le Président Carrère, à Berlin le 18 janvier dernier.

M. Jean-Louis Carrère, président - J'ai en effet écrit à mon homologue de la commission de la défense du Bundestag pour proposer un suivi régulier entre nos commissions. Une prochaine réunion, différée par les élections législatives, aura lieu à Paris le 18 décembre prochain conjointement avec nos collègues de l'Assemblée nationale.

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