V. LA MARITIMISATION
Notre conviction forte, c'est qu'une partie de l'avenir de notre pays en termes d'accès aux ressources dépendra de notre capacité à protéger et à contrôler nos zones économiques exclusives. Nous disposons du deuxième domaine maritime mondial, avec 11 millions de km 2 , grâce à nos territoires d'outre mer. Ce domaine regorge de ressources naturelles, il est encore peu exploré, peu exploité, ni valorisé, et parfois mal délimité. Mais nous savons d'ores et déjà qu'à partir de 2019, la Guyane devrait produire du pétrole peut être à hauteur de 200.000 barils par jour. Les premières explorations à Wallis et Futuna semblent indiquer la présence de terres rares, ces métaux stratégiques essentiels aux nouvelles technologies. Il en va de même pour les énergies marines renouvelables qui sont une filière industrielle d'avenir pour laquelle nous avons des champions nationaux.
Pour sécuriser l'espace maritime français et les voies d'approvisionnement de la métropole, pour défendre les intérêts français dans le monde et peser sur le cours des événements, la France dispose d'une marine de haute mer, à large spectre, dont les performances sont reconnues. Mais, avec un format en nette diminution depuis 2000, des renouvellements repoussés d'année en année, la marine fait aujourd'hui le grand écart et risque demain de connaître des impasses capacitaires majeures. C'est également l'analyse de notre groupe de travail sur le format. Cela est particulièrement inquiétant pour les moyens outre mer. Notre mission en Australie et Nouvelle Calédonie vient encore de le souligner.
Le prochain Livre blanc doit être l'occasion de définir les moyens nécessaires pour tirer bénéfice de la présence française sur l'ensemble des océans. Pour cela il faut donner leur juste place aux enjeux maritimes car c'est une des données majeures de l'évolution du contexte stratégique depuis dix ans. Cela doit nous conduire à faire de la stratégie maritime un des piliers de la stratégie de défense et de sécurité.
Au-delà de nos intérêts immédiats, ce qui est en jeu, c'est la préservation d'un principe fondamental : celui de la liberté de circulation en mer. Nous assistons à des stratégies d'exclusion et de déni d'accès qui sont extrêmement dangereuses. Ces stratégies s'appuient sur le développement de flottes par les émergents. Compte tenu de notre dépendance d'approvisionnement par la mer, il y a un risque à plus ou moins long terme de déclassement de la France et de l'Europe.
Avec un PIB comparable aux Etats-Unis, l'Europe aligne un porte-avions quand les Américains en possèdent onze. Plusieurs des capacités navales discriminantes, celles qui donnent l'avantage en cas de confrontation, sont, en Europe, détenues par la France et par elle seule : projection d'une aviation de chasse puissante à partir de la mer, grands bâtiments amphibies capables de mettre en oeuvre des groupes aéromobiles significatifs. D'autres ne sont partagées qu'avec un ou deux autres pays européens : sous-marins nucléaires, aviation de patrouille maritime, capacité de projection à longue distance d'une force de guerre des mines.
Les réduire ou les faire disparaître reviendra à priver l'Europe de ses capacités. La crise financière que traverse l'Europe peut être une opportunité pour avancer vers une mutualisation partielle des dépenses navales, une rationalisation des forces, voire une utilisation commune des bâtiments. Le traité franco-britannique de Londres pouvait constituer un nouveau départ vers un ensemble plus vaste. Les Britanniques et les Français possèdent, en effet, 60 % des navires de haute mer européens. La réalité de la mise en oeuvre du traité de Lancaster illustre les difficultés de l'exercice. On ne doit pas pour autant y renoncer.
Enfin nous devrons particulièrement insister sur la préservation de nos intérêts industriels et technologiques. Notre base industrielle s'affaiblit face à la concurrence, notamment asiatique, sur des segments de plus en plus innovants. C'est pourquoi cette stratégie militaire doit être accompagnée d'une stratégie industrielle de valorisation du secteur maritime. Je pense en particulier aux énergies marines renouvelables. Le groupe de travail a d'ailleurs proposé la création d'un commissariat aux énergies marines renouvelables qui puisse fédérer les acteurs publics et privés de ce secteur afin d'accélérer la mise en place de ces nouvelles technologies.