3. Les mesures internes adoptées par la Cour

De son côté, la Cour a adopté un certain nombre de mesures d'ordre interne destinées à lui permettre de se concentrer sur les affaires soulevant les questions les plus importantes.

a) La procédure de « l'arrêt pilote »

A partir de l'arrêt Broniowski c. Pologne du 22 juin 2004, la Cour a mis en place une nouvelle procédure - dite de « l'arrêt pilote » - destinée à lui permettre de traiter plus efficacement les requêtes répétitives, trouvant leur origine dans une même difficulté d'application de la Convention.

Cette procédure fonctionne ainsi 18 ( * ) : lorsque la Cour est saisie d'un nombre important de requêtes découlant de la même cause, elle en sélectionne une ou plusieurs afin de les traiter par priorité.

L'« arrêt pilote » qu'elle rend dans cette affaire vise :

- à déterminer s'il y a eu violation de la convention dans le cas particulier qu'elle examine ;

- à identifier le dysfonctionnement de la législation interne qui est à l'origine de la violation ;

- à donner des indications claires au Gouvernement quant à la manière d'éliminer ce dysfonctionnement ;

- enfin, à susciter la création d'un recours interne apte à s'appliquer à toutes les affaires similaires (y compris celles qui sont déjà pendantes devant la Cour), ou au moins conduire au règlement de toutes les affaires de ce type pendantes devant la Cour.

La procédure de l'arrêt pilote vise donc à aider les autorités nationales à éliminer le problème systémique ou structurel mis en évidence par la Cour . Elle conduit toutefois à l'ajournement de toutes les autres affaires apparentées pendant un délai qui peut être important : son utilisation doit donc être subordonnée à la condition que l'État défendeur prenne rapidement des mesures effectives pour mettre en oeuvre les indications données par la Cour dans l'arrêt pilote. A cet égard, la Cour se réserve la possibilité de fixer, dans le dispositif de l'arrêt pilote, un délai déterminé pour l'adoption des mesures qu'elle préconise. En tout état de cause, elle peut à tout moment examiner une requête ajournée si l'intérêt d'une bonne administration de la justice l'exige.

Les arrêts pilotes sont systématiquement notifiés au comité des ministres, à l'Assemblée parlementaire, au secrétaire général et au Commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe.

Ils constituent, au plan procédural, une traduction du principe de subsidiarité qui fonde le mécanisme de défense des droits de l'homme, aux termes duquel il est préférable qu'une personne s'estimant victime d'une violation de la Convention européenne des droits de l'homme obtienne réparation du préjudice subi au niveau national (voir supra ).

La procédure de l'arrêt pilote a été formalisée en février 2011 par son insertion dans l'article 61 du Règlement de la Cour.

Comme l'a expliqué à la délégation de votre commission Sir Nicolas Bratza, président de la Cour, cette procédure commence à produire des résultats intéressants. Son application à une question relative au contrôle des loyers en Pologne a par exemple récemment permis de soulager la Cour d'un nombre très significatif de requêtes répétitives.

b) La mise en place d'une politique dite « de prioritisation »

En juin 2009, la Cour a modifié son règlement s'agissant de l'ordre de traitement des affaires. Jusqu'alors, les affaires étaient instruites et jugées principalement par ordre chronologique. Cette façon de procéder n'était plus supportable dès lors que, sous l'effet de l'accroissement exponentiel des requêtes, les délais de jugement de la Cour atteignaient plusieurs années, ce qui signifiait que de graves violations des droits de l'homme pouvaient persister et le nombre de victimes potentielles s'accroître avant que la Cour ne se soit prononcée.

Cette dernière a donc décidé de mettre en oeuvre une politique dite « de prioritisation » des affaires, qu'elle a formalisée dans l'article 41 de son Règlement.

Aux termes de cette disposition, la Cour doit tenir compte de l'importance et de l'urgence des questions soulevées pour décider de l'ordre de traitement des requêtes.

Ces dernières sont classées en sept catégories :

I.

Affaires urgentes (notamment risque pour la vie ou la santé du requérant, autres circonstances liées à la situation personnelle ou familiale du requérant, en particulier lorsque le bien-être des enfants est en jeu, mesures provisoires demandées au titre de l'article 39 de son Règlement)

II.

Affaires soulevant des questions susceptibles d'avoir une incidence sur l'efficacité du système de la Convention (notamment problème structurel ou situation endémique que la Cour n'a pas encore eu l'occasion d'examiner, procédure de l'arrêt pilote) ou affaires soulevant une question importante d'intérêt général (notamment une question grave susceptible d'avoir des répercussions majeures sur les systèmes juridiques internes ou européen), affaires interétatiques

III.

Affaires comportant prima facie des griefs principaux portant sur les articles 2, 3, 4 ou 5§1 de la Convention , indépendamment de leur caractère répétitif ou non, et qui ont donné lieu à des menaces directes pour l'intégrité physique et la dignité de la personne humaine

IV.

Affaires potentiellement bien fondées sur le terrain d'autres articles

V.

Requêtes soulevant des questions déjà traitées dans un arrêt pilote ou dans un arrêt de principe (« affaires répétitives »)

VI.

Requêtes identifiées comme soulevant un problème de recevabilité

VII.

Requêtes de comité manifestement irrecevables

Ce système permet de donner une priorité de traitement aux affaires considérées comme plus importantes. Par exemple, une allégation plausible de torture ou de traitements inhumains ou dégradants (article 3 de la Convention - catégorie III) sera en principe traitée avant une allégation de violation du droit à la liberté d'expression (article 10 - catégorie IV - affaires potentiellement bien fondées sur le terrain d'autres articles).

D'après le bilan statistique qu'a dressé la Cour en janvier 2012, le nombre de requêtes des trois premières catégories (« requêtes prioritaires ») traitées en 2011 a globalement augmenté de 5% par rapport à 2010. Le nombre de requêtes prioritaires rayées du rôle à la suite d'un règlement amiable ou d'une déclaration unilatérale est notamment passé de 40 en 2010 à 146 en 2011.

La majorité des requêtes « urgentes » de la catégorie I (73%) sont pendantes depuis moins de trois ans.

L'ensemble de ces mesures, combinées à une restructuration du greffe (création d'une équipe de filtrage pour identifier plus rapidement les requêtes irrecevables) et le renfort d'un certain nombre de juristes (notamment vingt juristes russes recrutés par la Cour pour lui permettre de traiter les très nombreuses requêtes émanant de cet État partie), semblent commencer à porter leurs fruits : au cours du second semestre 2011, le « stock » d'affaires en instance à la Cour a diminué (voir supra ).


* 18 19 Voir à ce sujet la note d'information du greffier de la Cour consacrée à la procédure de l'arrêt pilote, disponible sur le site Internet de la Cour :

http://www.echr.coe.int/NR/rdonlyres/FC0AFAAF-E67B-41E9-91FD-F968D1834022/0/Article_61_Procédure_arrêt_pilote.pdf .

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