B. PLACER AU PREMIER PLAN LA QUALITÉ DES SOINS
Une démarche protéiforme complexe...
Depuis la réforme hospitalière de 1996 65 ( * ) , les établissements de santé doivent être certifiés pour continuer d'accueillir des patients ; cette évaluation externe indépendante est aujourd'hui réalisée par la HAS, dans le cadre d'une procédure véritablement contraignante qu'elle a orientée vers le suivi des pratiques professionnelles pour renforcer la médicalisation de la démarche.
Dans ce cadre, l'agence a rendu obligatoire le recueil d'indicateurs de qualité sur la tenue du dossier patient, le délai d'envoi du courrier de fin d'hospitalisation, le dépistage des troubles nutritionnels, la traçabilité de l'évaluation de la douleur, la tenue du dossier anesthésique et les prescriptions médicamenteuses dans l'infarctus du myocarde.
En outre, le ministère de la santé et la HAS ont ouvert un site internet , « Platines » (plateforme d'informations sur les établissements de santé), qui entend fournir une information « grand public » sur l'activité et la qualité des établissements. Divers indicateurs y sont présentés qui recoupent ceux demandés par la HAS pour la certification : lutte contre les infections nosocomiales 66 ( * ) , hygiène des mains, surveillance des patients opérés, bon usage des antibiotiques, staphylocoque doré, partage d'informations au cours d'une hospitalisation ou dans le cadre d'une anesthésie, communication avec le médecin traitant, mesure de la douleur, suivi du poids...
On le voit, la notion de qualité des soins est protéiforme ; elle recoupe la sécurité des patients, la gestion des risques liés à la prise médicamenteuse, à l'utilisation de dispositifs médicaux, implantables ou non, à l'environnement (eau, air, alimentation, déchets...), le suivi de procédures de surveillance, par exemple pour les produits sanguins,... Qui plus est, certaines mesures prêtent à sourire : un responsable hospitalier a par exemple expliqué à la mission que le critère d'hygiène des mains était principalement apprécié selon le niveau des achats en savon de l'hôpital...
Dans les enquêtes internationales, les principales mesures de la qualité sont le taux de mortalité - à l'hôpital ou dans un délai post-hospitalisation -, la durée du séjour , la survenance de réadmissions non programmées, de réinterventions ou de complications postopératoires, les infections nosocomiales ou encore les événements indésirables .
Sur ce dernier point, la Drees et l'Irdes ont mené en 2011 une étude centrée sur neuf d'entre eux et définis comme des « événement[s] défavorable[s] pour le patient, consécutif[s] aux stratégies et actes de diagnostics et de traitements, et qui ne relève[nt] pas d'une évolution naturelle de la maladie » 67 ( * ) . Entre 275 000 et 395 000 événements indésirables, dont 95 000 à 180 000 seraient évitables, surviendraient chaque année. Le surcoût pour l'assurance maladie est estimé à 700 millions d'euros. Quatre événements indésirables concentrent à eux seuls les neuf dixièmes de ce surcoût : les désordres physiologiques et métaboliques postopératoires ; les septicémies postopératoires ; les escarres ; les embolies pulmonaires postopératoires.
En outre, les résultats d'une intervention ou d'un traitement sont influencés à des degrés divers, mais non marginaux, par les caractéristiques des patients : âge, sexe, gravité de la maladie et de l'état de santé général, comorbidités éventuelles, statut socio-économique, capacité à suivre les prescriptions postopératoires ou post-hospitalisation...
Enfin, le type d'établissement doit être, le cas échéant, pris en compte, selon sa situation sur le territoire ou ses contraintes propres.
... quasiment impossible à modéliser pour intégrer un système de financement
La panoplie d'indicateurs pertinents pour qualifier la qualité des soins dans un établissement est telle qu'il semble particulièrement ambitieux de parvenir à les modéliser pour les introduire sous forme d'incitations dans un système de tarification.
L'Angleterre a certes commencé à le faire, en prévoyant une majoration des ressources des établissements, limitée à 1,5 % en 2010-2011, en cas d'atteinte de résultats sur certains objectifs négociés. Aucune évaluation de cette politique n'est aujourd'hui disponible, mais Pierre-Louis Bras, inspecteur général des affaires sociales, montre clairement, dans un article paru récemment 68 ( * ) , que ce lien entre qualité et financement est l'aboutissement d'un travail complet et pluridisciplinaire sur l'évaluation de la qualité : indicateurs spécifiques à certaines prises en charge, sondages auprès des patients et du personnel soignant, publication annuelle de comptes qualité ( quality accounts ), supervision par une institution indépendante.
La complexité nécessaire pour une prise en compte pertinente de la qualité s'accommode mal de l'automaticité d'une tarification à l'activité, encore plus en l'absence d'outils pour la mesurer...
Lors de son audition par la Mecss, Frédéric Van Roekeghem, directeur général de la Cnam, a plutôt insisté sur le fait que la réputation des établissements de santé peut être un moteur d'évolution des pratiques tout aussi efficace, sinon plus, que les incitations tarifaires . Il a notamment pris l'exemple de l'hôpital presbytérien de New-York qui s'est engagé à rendre public le détail de ses résultats cliniques, décision qui a eu un impact certain sur la prise de conscience par les personnels soignants de l'importance des indicateurs de qualité.
L'Angleterre a développé un site internet, « NHS choices » , qui donne accès à un classement annuel des hôpitaux, à une liste d'indicateurs de qualité pour chaque établissement ainsi qu'au taux de satisfaction des patients et à l'appréciation du personnel soignant sur la qualité des soins fournis, ces deux indicateurs étant mesurés chaque année.
Plusieurs responsables hospitaliers, par exemple au CHU de Rennes, ont également estimé, lors de leur entretien avec la mission, que la pertinence des soins et l'évaluation des pratiques professionnelles étaient plus importantes que les procédures de qualité.
Le site « Platines » se rapproche des expériences étrangères et la piste de la large publicité d'indicateurs doit être approfondie en France. Ceux-ci doivent cependant être scientifiquement fondés et partagés par les acteurs pour éviter les écueils médiatiques, dont les « palmarès » publiés régulièrement dans la presse et à la méthodologie contestable sont l'illustration.
En outre, la supervision de la qualité doit être assurée par une autorité qui soit indépendante tant de la tutelle des établissements que des financeurs. Les ARS ne peuvent pas jouer un rôle déterminant en la matière car elles seraient en conflit d'intérêts potentiel entre leurs différentes missions.
Qui plus est, un système d'incitations fondé sur les progrès réalisés par les établissements de santé, à l'instar de ce qui a été mis en oeuvre en Angleterre, se heurterait au défaut qui a été souvent entendu par la Mecss au sujet de la mise en place de la T2A : alléchant pour les équipes, il serait susceptible d'entraîner, dans le cadre d'une enveloppe fermée, une baisse des ressources tarifaires des établissements dès lors que, sans pour autant diminuer la qualité des soins qu'ils fournissent, ils ne seraient pas en mesure de l'améliorer régulièrement d'une année sur l'autre ou, surtout, de l'améliorer « plus » que les autres.
Plutôt que d'introduire des bonus dans le système de financement, modalité complexe à mettre en oeuvre, il serait en revanche plus aisé de sanctionner financièrement la non-qualité . Aux Etats-Unis, le Medicare a fait le choix de ne plus rembourser les hospitalisations liées à la survenance d'événements indésirables évitables comme les infections nosocomiales à la suite d'une hospitalisation. Pour autant, ces sanctions doivent rester équilibrées : suffisantes pour être comprises ; modérées pour ne pas entraîner l'établissement dans un cercle vicieux, des ressources étant souvent nécessaires pour investir, au départ, dans la qualité.
Il pourrait également être envisagé de consacrer, au sein des aides à la contractualisation et sur appels à projets, des financements pour encourager les efforts d'amélioration de la qualité menés par les établissements de santé. Cela correspondrait à l'esprit d'origine des aides à la contractualisation qui est d'accompagner de façon temporaire et non reconductible les démarches entreprises par les établissements sur des sujets précis.
Propositions Déployer une véritable stratégie de la qualité : - confier une responsabilité explicite de supervision et de mise en oeuvre à une institution indépendante, dotée de l'autorité suffisante ; - améliorer les indicateurs de qualité et de sécurité, en les complétant par des sondages auprès des patients et des personnels soignants ; - organiser leur publicité sur des bases scientifiques établies. Ne pas rembourser certains séjours lorsque surviennent des événements indésirables. Dédier dans les dotations non tarifaires une enveloppe concernant la qualité des soins, attribuée sur appels à projets. |
* 65 Ordonnance n° 96-346 du 24 avril 1996 portant réforme hospitalière.
* 66 En outre, chaque établissement doit établir annuellement un bilan standardisé des activités de lutte contre les infections nosocomiales et un comité ad hoc (Clin) doit être créé.
* 67 Drees, Irdes, Etudes et résultats n° 784 : « Surcoût des événements indésirables associés aux soins à l'hôpital », novembre 2011.
* 68 Ibid. « Hôpitaux : vers un même niveau d'exigence pour la performance qualité que pour la performance économique ? » dans le n° 35 (été 2012) des Tribunes de la santé.