C. L'ÉCONOMIE MARITIME EST DÉSORMAIS UN ENJEU DE CONCURRENCE INDUSTRIELLE MAJEUR
L'économie maritime connaît une croissance soutenue. Deux grands domaines devraient se développer intensément au cours des prochaines années, et sont à ce titre considérés comme stratégiques :
- les marchés du pétrole et du gaz offshore qui représente environ 700 milliards d'euros par an de revenus d'exploitation en 2010 ;
- le domaine des services associés aux activités d'exploitation des ressources marines, au transport maritime et aux ports dont les revenus d'exploitation sont supérieur à 400 milliards d'euros par an en 2010.
A l'horizon 2020 et 2030 : le domaine des énergies marines et des énergies en mer, ainsi que celui regroupant les activités d'extraction des minerais non énergétiques représentent des marchés en émergence à fort potentiel de développement
1. Des marchés structurés dont la contribution est déjà majeure font apparaître des relais de croissance.
Les domaines de la construction navale et de la défense poursuivront les tendances de développement actuelles, et la croissance de ces domaines sera essentiellement portée par les marchés asiatiques et sud-américains.
Sur les marchés civils, on observe depuis plusieurs années un renversement des positions dominantes entre les pays historiques, qui ont cherché à conserver la construction de navires à forte valeur ajoutée mais à faible volume comme les navires à passagers, et les pays émergents comme la Chine et la Corée du Sud, qui sont montés en puissance sur la scène internationale via la construction des navires de marchandises. Plus récemment, ces pays proposent dans leur catalogue des navires plus complexes, à l'image des Unité flottante de production, de stockage et de déchargement, les FPSO (Unité flottante de production, de stockage et de déchargement).
A ce stade, l'exploitation des ressources fossiles et les services en mer conserveront dans les vingt prochaines années leur position dominante au sein de l'économie maritime.
En revanche l'exploitation des réserves pétrolières et gazières dans les eaux profondes et dans la zone Arctique constitue des leviers de croissance stratégiques pour ces marchés.
Ils contribueront au développement du marché des FPSO, qui permettent l'exploitation de ressources dans des zones de plus en plus éloignées et de plus en plus profondes. De même, l'arrivée des équipements flottants destinés à l'extraction et à la liquéfaction du gaz naturel, les FLNG permettent -au moins à court et moyen termes- d'envisager la même dynamique de développement intense pour l'exploitation du gaz, en facilitant son conditionnement sur place pour son transport, voire jusqu'à sa livraison dans des zones dépourvues de terminaux méthaniers.
Équipement flottant destiné à l'extraction et à la liquéfaction du gaz naturel
Source : Shell
L'intensification de l'extraction pétrolière et gazière offshore impactera favorablement le domaine des services en mer, notamment par l'accroissement des besoins de services à l'exploitation. De même, l'accès aux ressources en Arctique, l'ouverture des nouvelles routes maritimes et la densification des échanges mondiaux feront appel de manière plus prononcée aux services de brise-glace, de navires de transport et autres services connexes (remorquage...).
A plus long terme, le développement des énergies marines et des énergies en mer permet de relever significativement le besoin de services déjà structurés au sein de l'économie maritime (et notamment la pose de câbles sous-marins), ainsi que d'anticiper la création de nouveaux services spécialisés en support des installations et du maintien en condition opérationnelle des fermes de production d'électricité évoluant en mer.
2. Des marchés en émergence à fort potentiel de croissance.
Le domaine des minerais et de l'eau de mer, qui regroupe les activités d'extraction des ressources non énergétiques ainsi que la valorisation de l'eau de mer, constitue un domaine en émergence promis à des développements massifs à court, moyen et long termes.
L'exploitation des minerais non énergétiques dans les grands fonds constitue l'un des marchés les plus porteurs au sein du domaine à moyen et long termes, comme l'illustrent notamment les dernières découvertes de ressources en terres rares au fond du Pacifique (estimées à 90 milliards de tonnes pour des réserves terrestres évaluées aujourd'hui à quelques 110 millions de tonnes). La capacité des industriels à développer des technologies d'extraction viables sur le plan économique, peu énergivores et respectueuses de l'environnement, déterminera en grande partie les perspectives de croissance de ces marchés.
Par ailleurs, le domaine en émergence des énergies marines et des énergies en mer, qui ne constitue à ce jour qu'une contribution relative mineure à l'économie maritime, est considéré par un nombre croissant d'investisseurs et d'industriels de l'énergie comme l'un des leviers de premier plan pour répondre aux enjeux énergie/climat de long terme et à la nécessaire décarbonation du parc électrique mondial.
Les premières sources de développement du domaine sont portées par les déploiements massifs des parcs éoliens offshores posés au nord de l'Europe et celui attendu aux Etats-Unis et en Chine dans les dix prochaines années. Ce seul segment représente des investissements mondiaux supérieurs à la centaine de milliard d'euros à horizon 2020.
Dès 2015, l'éolien flottant et l'hydrolien constitueront des marchés technologiquement matures à fort potentiel de développement.
A plus long terme, l'arrivée progressive des autres technologies, aujourd'hui en phase de développement soutenue, comme l'houlomoteur, l'Energie Thermique des Mers , contribuera à la montée en puissance du domaine au sein de l'économie maritime, laissant présager des investissements cumulés de plusieurs centaines de milliards d'euros sur l'ensemble des filières.
L'émergence des marchés des énergies marines contribuera à la diversification des services en mer, à l'extension des activités portuaires (terminaux d'assemblage), et, à plus long terme, à l'autonomie énergétique des sites industriels offshore.
3. Un accroissement de la présence en mer des nations dans un objectif économique
Les politiques maritimes de l'ensemble des pays ayant accès à la mer favorisent les intérêts économiques de ces derniers, notamment à travers la sécurité des approvisionnements énergétiques et le commerce international.
L'intérêt stratégique de l'économie maritime est, de plus, accentué pour les pays qui ont une ZEE importante, notamment au sujet de la problématique de l'accès aux ressources qui peut donner lieu à des conflits sur la délimitation des territoires entre les Etats.
Toutefois, l'étendue de la ZEE d'un pays n'est pas un facteur d'ambition politique mais seulement un moyen qui peut être mis au service de cette dernière. Ainsi la ZEE rend compte davantage de l'étendue des ressources maritimes d'un pays et du potentiel de rayonnement de sa Marine nationale, mais n'a pas d'incidence critique sur les autres domaines de marchés de l'économie maritime.
A cet égard les ambitions politiques des pays au sein de l'économie maritime sont d'abord et en premier lieu au service :
- de l'appropriation d'une zone maritime et de ses ressources,
- d'un développement économique et technologique (maritimisation des économies),
- d'une spécialisation et d'une distinction du pays sur la scène internationale,
- ou encore du maintien ou de l'affirmation d'une position hégémonique à un niveau régional ou mondial.
Mais les dynamiques de développement des pays de l'économie maritime dépendent aussi :
- de la volonté politique qu'ils engagent au travers de soutiens établis aux différents marchés de l'économie maritime, et donc indirectement de la richesse et du développement global de ces pays et de leurs capacités de financement,
- de la spécialisation et de la concurrence internationale à l'oeuvre sur tels ou tels marchés de l'économie maritime,
- et enfin des spécificités propres de chacun des pays, comme l'importance de leur ZEE, la dépendance énergétique vis-à-vis des énergies fossiles, ou encore le potentiel d'exploitation des ressources marines -présence de ressources halieutiques, bathymétrie des côtes, forces des vents et des courants (entre autres) pour l'identification des meilleurs segments des énergies marines et en mer...
L'analyse croisée des ambitions politiques avec l'ensemble des marchés de l'économie maritime permet une première voie d'identification de thématiques clés qui cadreront les évolutions des domaines de marchés dans un horizon de dix ou vingt ans, et mettront ainsi en évidence les enjeux critiques de l'économie maritime de moyen et longs termes.
Positionnement politique des pays de référence et en émergence au sein de l'économie maritime au regard de leur PIB et de leur ZEE
Source : Indicta
L'effort de rattrapage chinois, où l'économie maritime représente déjà 10 % du PIB du pays est à cet égard significatif.
Durant le 12 ème plan quinquennal, le développement de l'« économie marine » 6 ( * ) des trois Provinces-pilotes de l'industrie devrait atteindre un investissement d'environ 23.5 milliards €. D'ici 2015, la taille des « économies marines » de ces trois Provinces devrait atteindre : 176Mds € pour la Province de Guangdong 7 ( * ), 153Mds € pour le Shandong et 85Mds € pour le Zhejiang.
La plus haute autorité administrative de l'Etat Chinois, le Conseil d'Etat (présidé par le Premier Ministre) a ainsi autorisé en 2011 la création de trois « Ocean Economic Development Zones » modelées sur les très efficaces « Economic Development Zones » qui ont permis l'industrialisation rapide des clusters chinois depuis 20 ans : ces zones se focaliseront sur les services logistiques combinant une plateforme de négoce, des réseaux de transports maritimes et terrestres et un système de support au plan financier et informatique.
L'« économie marine » compte pour presque 10 % du PNB chinois 8 ( * ) en 2010 selon le State Oceanic Admnistration (SOA) et emploie plus de 35 millions de personnes.
La très puissante National Development and Reform Commission (l'agence de gestion macroéconomique, répondant directement au Conseil des affaires de l'Etat dirigé par le Premier Ministre, et qui a un large mandat sur le contrôle administratif et la planification de l'économie chinoise) et la State Oceanic Administration ont ainsi mis en place ensemble un bureau spécial pour la promotion d'une campagne nationale afin de développer l'économie marine nationale.
* 6 La définition d'« économie marine » inclut non seulement les domaines afférents à l'exploitation des océans mais aussi l'ingénierie maritime, les ports, la logistique océanique, les services maritimes, l'industrie de la marine et les infrastructures associés. D'où l'importance des chiffres associés.
* 7 Soit 25 % du PNB du Guangdong contre 19,8 % en 2010. La puissante province du Guangdong a dépassé en 2007 le PNB de Taiwan, devrait atteindre en 2015, 200 % du PNB de Taïwan et 60 % du PNB de la Corée du Sud ; l'objectif est de dépasser le PNB de la Corée du Sud en 2020 et d'atteindre le PNB par tête de la Corée du Sud en 2035
* 8 Source State Oceanic Administration (SOA)