(ii) L'absence de dissuasion de la sanction

Le caractère dissuasif d'une sanction intervient dans la transgression de la norme. Or force est de constater qu' il n'opère pas sur certaines catégories de contribuables . M. Jean-François de Vulpillières, président de la Commission des infractions fiscales, a ainsi relevé 501 ( * ) : « pour une partie de la population, être condamné pénalement, subir tout le processus d'un procès correctionnel est très éprouvant et jette un discrédit social considérable. Mais, pour une partie des gens soumis à la Commission des infractions fiscales, on n'est pas tout à fait sûr du caractère très dissuasif d'un procès correctionnel . »

Ce constat a été corroboré par Mme Caillibotte 502 ( * ) devant votre commission en déclarant que « les pénalités qui sont prononcées par les juridictions françaises [...] sont considérées comme peu importantes, voire ridicules en matière de fraude fiscale , et, de façon plus générale, en matière économique et financière. Cela fait dire à certains commentateurs que le risque vaut parfois la peine d'être encouru parce que le trouble à l'ordre public engendré par ce type de délinquance, la fameuse délinquance en col blanc, n'est peut-être pas aussi sensible que celui créé par des infractions plus violentes, plus visibles et qui peuvent entraîner des réactions de sévérité de la part des juridictions . ».

Outre l'effet de la sanction sur le contribuable, il convient également d'en examiner la portée sur le professionnel qui a conçu les montages d'évasion frauduleuse ou abusive. M. Eric de Montgolfier 503 ( * ) a ainsi noté : « [ ...] que peu d'avocats faisaient l'objet de poursuites pour fraude fiscale . Pourtant, Dieu sait si j'ai communiqué des lettres de clients à l'administration fiscale au motif que ceux-ci devaient régler les honoraires en espèces, avec parfois quelques preuves à l'appui.

Je m'en étais alors entretenu avec un haut responsable de l'administration fiscale, lui faisant remarquer que certains avaient droit aux « faveurs » de son service, tandis que d'autres étaient totalement ignorés. Sa réponse a été intéressante : « Monsieur le procureur, on les pressure déjà tellement ; vous ne voulez pas, en plus, qu'on les poursuive ! » Vous voyez, quand l'administration fiscale en est à ce point, cela pose un réel problème . »

(b) Le « marché du conseil »

La complexité de la législation fiscale et les brèches qui en résultent ont conduit au développement d'un marché du conseil en matière de fiscalité particulièrement bien structuré.

Au-delà de l'optimisation légitime, les auditions ont révélé l'existence d'une offre de l'évasion fiscale frauduleuse ou abusive 504 ( * ) . Ainsi, M. Renaud Van Ruymbeke a insisté lors de son audition 505 ( * ) sur le fait qu'« Il n'est pas compliqué d'aller voir une fiduciaire à Genève - de surcroît, on y parle français - ou au Luxembourg. Ces sociétés se situent entre la finance et le conseil juridique. Vous allez pouvoir lui confier vos avoirs et elle va vous fournir l'ingénierie, à savoir des sociétés et des comptes . N'importe quelle société fiduciaire dispose dans ses tiroirs de sociétés clefs en main dont les statuts ont été déposés au Panama, aux Bahamas...

Vous serez le bénéficiaire ou l'ayant droit économique de la société offshore que vous aura créée la fiduciaire, et celle-ci ouvrira ensuite des comptes dans des banques au nom de ladite société, d'une fondation au Liechtenstein ou d'un trust - on a en quelque sorte l'embarras du choix. Dès lors, l'opacité est assurée . »

De surcroît, M. Antoine Peillon , journaliste à La Croix, auteur de « Ces 600 milliards qui manquent à la France », a fait référence à la pratique des « carnets du lait » 506 ( * ) dans le monde bancaire.

Il s'agit de documents sur lesquels les commerciaux notent de façon manuscrite le nom du nouveau client, sa localisation géographique ainsi que le montant des avoirs récoltés 507 ( * ) généralement dans les territoires offshore .

Ce procédé « de démarchage » tend à conduire les personnes ainsi sollicitées à la transgression des limites établies.

D'une manière plus générale, M. Jean Merckaert, administrateur de l'association Sherpa a tenu à souligner les causes du développement de ce marché. Il a ainsi précisé que : « il faut comprendre qu'aux Îles Vierges britanniques, aux Bermudes, à Jersey, peut-être même au Luxembourg, ce n'est pas la population qui fait la loi, car la souveraineté a été marchandée depuis longtemps. Ces territoires ont vendu leur législation au plus offrant, c'est-à-dire, bien souvent, aux grandes banques internationales et aux big four : Deloitte, KPMG, Ernst & Young et PricewaterhouseCoopers .

Ces acteurs [...] jouent un rôle de courtiers de l'évasion fiscale.

Récemment, par exemple, Barclays a refait la législation du Ghana lorsque ce pays a souhaité devenir un paradis fiscal . De même, le cabinet Baker & McKenzie, spécialisé dans l'optimisation fiscale, a conseillé la Jamaïque, qui voulait réformer sa législation afin de se transformer en paradis fisca l. ».


* 501 Cf. audition du 2 mai 2012.

* 502 Cf . audition du 2 mai 2012.

* 503 Cf . audition du 22 mai 2012.

* 504 Cf . audition du 22 mai 2012 de M. Eric de Montgolfier : « Je vous ai signalé que des personnes faisaient profession de placer les fonds et je vous ai indiqué dans quelles conditions il fallait s'y intéresser. Ceux qui s'adressent à ces personnes disposent déjà de quelques moyens. Les individus qui souhaitent sinon violer la loi, du moins la contourner ont des facilités de ce point de vue . ».

* 505 Cf . audition du 22 mai 2012.

* 506 Cf . audition du 17 avril 2012.

* 507 Cf . audition du 17 avril 2012 : « Jusqu'à une certaine époque, ces fonds étaient strictement destinés à l'évasion fiscale, c'est à dire à l' offshore non déclaré. Le commercial fait la somme de ces carnets chaque mois auprès de l'assistante du bureau régional, du desk régional, de son établissement bancaire, qui le rentre dans un fichier Excel et établit un premier bilan. Celui-ci est transmis au central de la direction parisienne de la filiale de la banque en question, bien sûr sous forme cryptée, et en même temps au niveau central en Suisse, puisqu'en l'occurrence il s'agissait de ce pays, à Genève, Bâle ou Zurich selon les différentes zones gérées par ces desks centraux. Le recensement global est fait et sert à établir, bien entendu de façon clandestine, une comptabilité qui permettra, en retour, de verser des bonus, des primes, aux commerciaux de manière qu'ils aient un « retour». Ces carnets sont ensuite détruits . »

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