b) Des cloisonnements et des différences de « culture professionnelle » persistants
L'idée selon laquelle « les services fiscaux n'aiment pas que les douaniers, les policiers ou les magistrats empiètent sur leur chasse gardée » a été exprimée de la façon la plus nette par M. Charles Prats, magistrat, membre du conseil scientifique du Conseil supérieur de la formation et de la recherche stratégiques. Il a estimé qu'en conséquence les « phénomènes d'évasion fiscale ont fait l'objet d'un traitement purement fiscalo-fiscal, alors qu'ils auraient pu être appréhendés d'une autre manière, par la voie douanière ou par la voie pénale », en citant l'exemple des fraudes aux quotas de carbone. Il a également observé que les administrations ont souvent un fonctionnement relativement autonome par rapport à leur ministre de tutelle , ce qui renvoie, au-delà de la dénonciation rituelle des cloisonnements, à la difficulté de les réduire efficacement.
Au cours des auditions, la commission d'enquête a pu constater que cette appréciation générale méritait d'être précisée et nuancée. Il convient en outre de cerner la nature plus subtile qu'il n'y paraît au premier abord de la notion de « cloisonnement » qui se construit ou se combat tout autant dans les esprits, les conceptions juridiques et les pratiques professionnelles que dans les structures administratives ou judiciaires.
Trois principales constatations se dégagent des auditions.
(1) Des passerelles insuffisantes à l'intérieur de l'administration
Prenant l'exemple du contrôle de l'optimisation fiscale des grandes entreprises, M. Olivier Sivieude, directeur des vérifications nationales et internationales, a souligné devant la commission d'enquête les avancées de la lutte contre deux séries de cloisonnements : entre administrations de contrôle et à l'intérieur même de la direction générale des finances publiques (DGFIP) :
- au premier cas, il a constaté que les douanes ou l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS) qui contrôlent les entreprises, restent en dehors du périmètre de la direction générale des finances publiques. Dès 2009, la prise de conscience de la nécessité de mettre en commun avec l'administration fiscale les informations que détiennent ces administrations sur les entreprises a conduit à tisser un réseau de protocoles avec l'ACOSS et la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED), qui est l'équivalent de la DVNI pour les douanes ;
- en ce qui concerne les cloisonnements internes à la DGFIP, il a rappelé qu'un contrôle fiscal efficace des entreprises nécessite de collecter, d'une part, des informations fournies par les services de gestion, et, d'autre part, des informations « hors liasse fiscale » (c'est-à-dire en dehors des déclarations), que peut obtenir la direction nationale des enquêtes fiscales. Depuis deux ans, ces entités s'efforcent de travailler en étroite liaison.
Pour contrecarrer l'optimisation fiscale, « nous sommes meilleurs à plusieurs, face à des groupes internationaux par définition uniques, et qui possèdent des informations sur toutes leurs filiales » a-t-il résumé en estimant que les séparations internes à l'administration françaises sont aujourd'hui efficacement combattues et que l'enjeu majeur réside dans la lutte contre l'opacité des paradis fiscaux.