B. L'ENTRÉE DANS UNE PHASE D'INVESTISSEMENT - OU DE RÉINVESTISSEMENT - LOURD À TOUS LES NIVEAUX
M. Philippe Lowe, directeur général de l'énergie à la Commission européenne, a considéré devant la délégation de votre commission, lors de son déplacement à Bruxelles, que la période où la France avait des prix de l'électricité très bas grâce au nucléaire était en passe de prendre fin avec la reprise nécessaire des investissements, et que la France allait se retrouver dans une situation comparable en termes de coûts à celle des autres pays européens, avec, toutefois, l'atout que constitue une source d'énergie non émettrice de gaz à effet de serre dès lors que l'on en maîtrise la sécurité.
1. Des coûts nucléaires en hausse durable ?
De fait, le prix de l'électricité n'a pas toujours été aussi bas en France, en comparaison avec les autres pays : alors que la situation française était comparable à celle de l'Union européenne au milieu des années 1990, le prix du kWh a nettement augmenté dans les autres pays alors qu'il baissait légèrement en France, sauf au cours de ces dernières années.
Les évolutions concernant le coût de l'électricité nucléaire, au cours des années à venir, tiendront probablement à deux éléments :
- les investissements de maintenance sur le parc nucléaire existant ;
- la construction et l'entrée en service, prévue pour 2016, d'une centrale dite de troisième génération, l'EPR de Flamanville.
a) Des investissements conséquents en perspective parmi lesquels il est difficile de faire la part de la maintenance, de la sécurité ou de la prolongation de la durée de fonctionnement des centrales
Les investissements relatifs au parc nucléaire existant correspondront aux améliorations de la sécurité des centrales demandées par l'Autorité de sûreté nucléaire après les accidents de Fukushima, mais aussi à un programme de maintenance déjà mis au point par EDF avant ces accidents.
(1) La nécessaire reprise des investissements de maintenance
Une reprise des investissements de maintenance sur le parc nucléaire était de toute manière nécessaire. La Cour des comptes a pointé le niveau insuffisant de ces investissements au début des années 2000, source de baisse de performance et d'avaries qui provoquent des arrêts non programmés des centrales nucléaires. Ainsi le taux de disponibilité 92 ( * ) , qui était de 83,6 % en 2006, a ainsi chuté à 78 % en 2009 pour augmenter légèrement depuis.
Or, le taux de disponibilité est un paramètre stratégique dans une industrie aussi fortement capitalistique que l'industrie nucléaire, car la production d'électricité et, par conséquent, les revenus sont en proportion directe du nombre d'heures pendant lesquelles le réacteur est en fonctionnement. À titre de comparaison, le coefficient de disponibilité des réacteurs de technologie proche (eau pressurisée) était en 2009 et 2010 de 89 à 90 % aux États-Unis, de 80 à 86 % en Allemagne et de 77 à 82 % au Japon.
EDF a, d'ores et déjà, repris les investissements de maintenance, dont le montant est passé en euros constants de 584 millions d'euros en 2003 à 1 748 millions en 2010. Ces dépenses devraient encore augmenter de 50 % de 2010 à 2013, en raison notamment du remplacement des générateurs de vapeur des réacteurs de 900 MW. Il faut y ajouter des dépenses de maintenance qui ne sont pas considérées comme de l'investissement, mais comme des consommations externes (essentiellement par recours à la sous-traitance). Ces dépenses étaient de 1 466 millions d'euros en 2010.
(2) Le « grand carénage » et les compléments de sécurité
Avant janvier 2012, l'exploitant avait déjà indiqué qu'il comptait mener un programme d'investissement ambitieux, estimé à 50 milliards d'euros en janvier 2011. Ce programme inclut, selon le rapport de la Cour des comptes, le remplacement de gros composants (dont les générateurs de vapeur), des opérations de mise aux normes incendie, l'accroissement de la capacité des piscines d'entreposage de combustible, des améliorations dont la nécessité est apparue lors de la canicule de 2003 et des projets hors bâtiments nucléaires.
La Cour des comptes a fait observer que cette somme représente un montant annuel moyen d'investissements de maintenance de 3,3 milliards d'euros, soit un quasi-doublement du montant de 2010, déjà en forte hausse. L'estimation des investissements de maintenance est même de 4,5 milliards d'euros par an dans les cinq prochaines années, selon les éléments apportés à votre commission par la direction générale de l'énergie et du climat (DGEC).
• Ce programme de 50 milliards d'euros a encore
été complété après la publication de l'avis
de l'ASN du 3 janvier 2012 sur les
évaluations
complémentaires de sûreté
93
(
*
)
. M. Henri Proglio,
président d'EDF, a indiqué à votre commission lors de son
audition que le coût des travaux de sûreté post-Fukushima
était estimé à 10 milliards d'euros, mais que ces
travaux étaient pour moitié déjà prévus par
le plan élaboré antérieurement : le nouveau chiffrage
des travaux d'investissements à prévoir sur le parc actuel serait
donc de 55 milliards d'euros.
EDF, interrogé par votre rapporteur, a indiqué que « ce premier chiffrage reste encore soumis à de nombreuses incertitudes, notamment en termes de coûts et de planning de déploiement ».
« Plus précisément, ces 55 Md€ d'investissements peuvent se répartir en : - environ 10 Md€ au titre de Fukushima, dont 5 Md€ étaient déjà prévus dans la trajectoire initiale (...) ; - environ 20 Md€ au titre de la rénovation des gros composants (générateurs de vapeur, alternateurs, transformateurs, condenseurs, rotors de la turbine, etc.) ; - environ 15 Md€ au titre des investissements réalisés en visite décennale au-delà des rubriques précédentes (par exemple : modernisation du contrôle-commande, diverses modifications d'amélioration de la sûreté au titre des réexamens décennaux réglementaires, modifications pour amélioration des performances d'exploitation, etc.) ; - environ 10 Md€ au titre des autres projets « patrimoniaux » (par exemple la protection incendie, les dispositions propres aux situations de « grand chaud », le traitement de risques environnementaux, etc.) et au titre de l'exploitation et de la maintenance courante du parc (pièces de rechange, immobilier tertiaire, actifs mobiles, etc.). Une partie de ces investissements est bien entendu nécessaire, même en cas d'arrêt à 40 ans : par exemple, les investissements d'exploitation et de maintenance courante, la rénovation de certains gros composants, et vraisemblablement la majeure partie des dispositions post-Fukushima. » |
(Source : EDF.)
(3) Des coûts supplémentaires à prendre en compte
Si ce montant est considérable, il conduit selon la Cour des comptes à un renchérissement d'environ 5 € / MWh du coût de production de l'électricité nucléaire, faisant passer le coût courant économique de celle-ci de 49,5 € / MWh à 54 € / MWh environ.
Votre commission constate donc que les investissements prévus pour la maintenance et le renforcement de la sécurité, si le chiffrage prévu par l'opérateur se vérifie, ne modifient pas fondamentalement la rentabilité de l'électricité nucléaire par rapport aux autres moyens de production.
Votre commission s'interroge toutefois sur le pari que semble faire EDF : ces investissements, égaux aux trois quarts du coût de construction historique des centrales (72,9 milliards d'euros selon la Cour des comptes 94 ( * ) ) se placent, en effet, dans la perspective de la prolongation des centrales nucléaires. M. Proglio a indiqué clairement aux membres de votre commission que « ces investissements comprennent une large rénovation, sorte de « grand carénage », indispensable à l'approche des trente ans de fonctionnement. Une fois cette rénovation réalisée, les centrales pourront fonctionner pendant trente nouvelles années, sans préjuger, bien sûr, des avis qui nous sont délivrés tous les dix ans par l'ASN . »
Ainsi ces travaux ne produiront-ils véritablement leur effet sur le plan économique qu'à condition que la durée d'exploitation des centrales soit effectivement prolongée au-delà de trente ans : il s'agit d'une forme de pari économique, l'Autorité de sûreté nucléaire ou l'autorité politique pouvant en décider autrement.
b) L'augmentation du coût de l'EPR : difficultés normales des « têtes de série » ou hausse structurelle des coûts de la filière nucléaire ?
Le second facteur potentiel de hausse du coût de production moyen de l'électricité nucléaire est le renforcement du parc de production par un nouveau type de réacteur : l'EPR ( European Pressurized Reactor ), dont un exemplaire est en cours de construction sur le site de Flamanville (Manche).
L'EPR : une évolution importante des réacteurs actuels Conçu en partenariat entre la France et l'Allemagne, l'EPR est un réacteur à eau pressurisée, héritier des réacteurs français de type N4 (Chooz, Civaux) et des réacteurs allemands de type KONVOI (6 tranches en exploitation). Il ne s'agit donc pas d'une rupture technologique au même titre que les futurs réacteurs à neutrons rapides de 4 e génération, mais d'une évolution importante qui intègre des améliorations de performance et de sécurité : - une puissance de 1 650 MW ; - des systèmes de sauvegarde conçus sur la base d'une quadruple redondance ; - un économiseur axial dans chaque générateur de vapeur procurant un gain important en pression vapeur et contribuant ainsi à augmenter le rendement énergétique ; - un coeur entouré d'un réflecteur de neutrons favorisant une meilleure utilisation du combustible et protégeant la cuve contre le phénomène de vieillissement dû à l'irradiation ; - une coque externe, recouvrant le bâtiment réacteur, le bâtiment combustible, et 2 des 4 bâtiments de sauvegarde, assure une protection renforcée contre la chute d'un avion commercial lourd ou militaire ; - un compartiment spécifique, situé à l'intérieur de l'enceinte de confinement, destiné à recueillir automatiquement le coeur fondu, en cas d'un accident grave ; - un système de contrôle-commande numérique, une interface homme-machine conviviale et une salle de commande entièrement informatisée. (Source : Areva)
Quatre réacteurs de type EPR sont actuellement en construction : Olkiluoto 3 (Finlande, depuis 2005), Flamanville 3 (France, depuis 2007), Taishan 1 et 2 (Chine, depuis 2009). Les deux premiers chantiers ont connu des retards importants par rapport au calendrier prévu à l'origine. Un second projet d'EPR en France concerne le site de Penly. |
(1) Un coût de l'électricité produite par le premier EPR a priori élevé
La Cour des comptes, faute d'éléments d'évaluation fiables qui permettraient de conduire une analyse précise, demeure à juste titre prudente au sujet du coût de l'électricité produite par le futur EPR de Flamanville 3.
Le coût de construction, estimé en 2008 par EDF à 4 milliards d'euros pour une durée de construction de 4 années et demie, a été révisé par l'exploitant à 5 milliards en 2010, puis à 6 milliards en juillet 2011 pour une mise en service en 2016 (soit une durée totale de neuf années environ avant première commercialisation de l'électricité produite).
Prenant en compte l'évolution de ces coûts, ainsi que l'augmentation des intérêts intercalaires qui résulterait de l'accroissement des délais, la Cour des comptes évoque donc le chiffre de 70 à 90 € / MWh pour le coût de production, ce qui placerait l'EPR de Flamanville dans une situation de coût comparable, sinon supérieur, à l'éolien terrestre. Mme Michèle Pappalardo, lors de son audition devant votre commission, a toutefois bien souligné qu'il ne s'agissait pas d'un chiffre validé par la Cour. Il se fonde sur l'hypothèse d'un taux d'utilisation de 90 % (contre 78 à 85 % environ pour le parc actuel, selon les années) et de coûts de production moins importants que ceux des centrales actuelles.
EDF a indiqué à votre rapporteur ne pas contester la fourchette avancée par la Cour des comptes, qui est cohérente avec le coût de construction et le planning de Flamanville 3, tout en précisant que ce coût ne représentait pas le coût de production d'un EPR « industrialisé ».
(2) Des interrogations sur la compétitivité à long terme de l'EPR
Dans la mesure où le coût prévu pour l'électricité produite par l'EPR de Flamanville, déjà élevé, est soumis à d'importantes incertitudes, il est nécessaire de s'interroger sur la compétitivité à long terme de la filière nucléaire , dans le cas où la technologie de l'EPR serait retenue pour remplacer à terme une part importante du parc nucléaire actuel.
Votre commission constate, par ailleurs, qu'au Royaume-Uni, les producteurs d'électricité nucléaire, en particulier EDF Energy, souhaitent entrer dans une logique de tarif d'achat garanti comparable à celui des énergies renouvelables, alors que la technologie est censée être mature et compétitive, et s'interroge sur le caractère très paradoxal de cette démarche.
Dans ce cadre, EDF, s'il est retenu, pourrait construire deux centrales de type EPR. Le prix, lorsqu'il sera fixé, sera le résultat d'une négociation commerciale et, comme l'a souligné M. Henri Proglio devant la commission d'enquête, ne correspondra donc pas directement au coût de production de l'électricité à partir d'EPR.
On peut toutefois estimer que, résultant d'un choix de l'autorité publique, il donnerait une indication sur la compétitivité de l'EPR par rapport à d'autres sources de production. M. Claude Turmes, député européen et rapporteur de plusieurs directives ou règlements relatifs au secteur de l'énergie, a considéré devant votre délégation que le prix garanti, demandé par les opérateurs dans le cadre de cet appel d'offres, pourrait être de l'ordre de 90 à 110 € / MWh, de sorte que les grandes installations photovoltaïques seraient dès lors quasiment compétitives. Ce prix garanti serait nécessaire pour les opérateurs en raison, notamment, du développement des énergies renouvelables : le retour sur investissement des centrales conventionnelles serait plus difficile parce que le réseau ferait moins souvent appel à elles. Un grand quotidien britannique a d'ailleurs indiqué que le coût de construction de deux EPR sur le site de Hinkley Point pourrait s'élever à 14 milliards de livres, ce qui renchérirait considérablement le coût de l'électricité produite 95 ( * ) .
Votre commission n'est pas en mesure de conclure de manière définitive sur une question où les incertitudes seront encore longtemps nombreuses. Elle peut toutefois formuler quelques observations.
• En premier lieu, l'augmentation des coûts et
des délais de construction de l'EPR de Flamanville résulte d'une
prévision quelque peu optimiste à
l'origine
: les nouveautés techniques de l'EPR et
l'intervalle assez long pendant lequel aucun chantier nucléaire n'avait
été lancé en France, auraient pu faire comprendre
dès le début qu'un tel chantier, de plus, contraint par un site
géographique difficile entre falaise et mer, pourrait difficilement se
réaliser en quatre années et demie.
• En second lieu, si la décision de construire
un parc important d'EPR en France était prise,
une baisse des
coûts paraît pouvoir être attendue
. C'est ce point
qui est examiné dans le paragraphe suivant.
(3) La prise en compte des effets d'apprentissage
Selon les opérateurs, on peut effectivement escompter des gains de productivité substantiels pour d'éventuels autres EPR :
- le chantier actuel devrait aider à reconstituer le savoir-faire industriel nucléaire, après plusieurs années passées sans chantier de ce type en France ;
- l'une des causes majeures de retard du chantier a résidé dans les structures de génie civil spécifiques à l'EPR dont l'objectif est d'empêcher tout rejet radioactif à l'extérieur ou dans le sol en cas de fusion du coeur. L'ASN a ainsi dû arrêter à deux reprises le chantier en raison de problèmes de bétonnage 96 ( * ) . Le retour d'expérience devrait permettre de faciliter la construction de ces structures à l'avenir ;
- certains coûts pourraient être économisés en construisant les EPR par paires sur un même site, comme cela a été fait de manière systématique pour le parc actuel de 58 réacteurs.
M. Luc Oursel, président d'Areva, a décrit les effets du retour d'expérience entre le premier chantier d'EPR, celui d'Olkiluoto en Finlande, et les derniers chantiers entamés à Taishan, en Chine : le nombre d'heures d'ingénierie dépensées sur la chaudière nucléaire aurait diminué de près de 60 %, tandis que la durée de fabrication des gros composants en Bourgogne était réduite de 40 % pour les générateurs de vapeur et de 25 % pour les cuves de réacteurs.
M. Oursel a justifié devant la commission d'enquête son estimation d'un coût de production de 50 à 60 € / MWh par plusieurs éléments : un taux de disponibilité de 92 % (des opérations de maintenance pourraient en effet être menées sans arrêter le réacteur), une puissance supérieure permettant un meilleur amortissement des coûts fixes d'exploitation, une consommation de combustible inférieure aux générations précédentes et une durée d'exploitation prévue dès l'origine pour 60 ans, contre 40 ans pour les derniers réacteurs construits.
Les retards du premier chantier d'EPR en Finlande Dans le cadre de ses travaux, votre rapporteur a été amené à s'intéresser au chantier d'Olkiluoto 3 en Finlande, qui a été le premier projet d'EPR lancé dans le monde. Il a constaté que trois éléments en avaient retardé les travaux : - l'adaptation au processus finlandais d'approbation des solutions prévues par le maître d'oeuvre ; - des relations difficiles entre le consortium AREVA-Siemens et les sous-traitants ; - les difficultés liées aux travaux de génie civil, notamment pour la production de béton. Areva a ainsi annoncé une nouvelle dotation aux provisions de 220 millions d'euros en 2011 (après 367 millions d'euros en 2010), liée aux risques du chantier d'Olkiluoto 97 ( * ) . De plus, des contentieux opposent AREVA au consortium TVO, consortium finlandais qui a commandé l'EPR, ce qui pourrait entraîner des coûts supplémentaires à l'avenir. Or, votre rapporteur note que certaines des difficultés rencontrées en Finlande se sont reproduites sur le chantier de Flamanville. L'évolution du chantier de Taishan 1 démontre certes que, avec une maîtrise et une expérience du génie civil nucléaire telles que celles dont font preuve les entreprises chinoises, le respect des délais est possible. Votre rapporteur souligne toutefois que les retards subis dans l'approbation des documents techniques et, plus généralement, les relations avec l'autorité de sûreté nucléaire finlandaise, s'ils représentent un coût financier en termes de provisions, sont aussi le signe de l'attention très grande que porte la Finlande à la qualité des travaux et au respect des règles de sécurité. Il ne faut pas s'attendre, en France, à des économies sur le coût de la sûreté, l'ASN ayant, fort heureusement, déjà montré sur le chantier de Flamanville son haut niveau d'exigence en la matière. |
À l'inverse, votre commission observe que la réévaluation des conditions de sécurité après l'accident de Fukushima, survenu alors que le chantier de l'EPR de Flamanville était déjà bien avancé, aura des conséquences sur le coût de construction de toute centrale nucléaire, et donc sur l'EPR de Flamanville et ses successeurs éventuels.
• Votre commission constate que
la courbe
d'évolution des coûts entre la « tête de
série » et les réacteurs suivants est
complexe
.
Si l'on considère l'ensemble du parc existant , on constate que le coût du mégawatt installé a considérablement progressé au cours du temps. Inférieur à 1 000 000 € / MW installé pour les premiers réacteurs, il a atteint 1 400 000 € / MW pour les quatre derniers (Chooz et Civaux).
On peut, toutefois, considérer séparément chacun des paliers technologiques, puisqu'il s'agit d'étudier la différence de coût entre le premier EPR et les réacteurs suivants de même technologie. On constate alors que, si quasiment chaque palier a été plus coûteux que le précédent, on a bien constaté une baisse des coûts au sein de chacun d'entre eux , à l'exception du premier :
Palier |
Coût des deux premiers réacteurs mis en service
|
Coût moyen des réacteurs suivants
|
CP0 (6 réacteurs) |
836 |
893 (+ 7 %) |
CPY (28 réacteurs) |
1 191 |
1 078 (- 9 %) |
P4 (8 réacteurs) |
1 531 |
1 190 (- 20 %) |
P'4 (12 réacteurs) |
1 358 |
1 191 (- 22 %) |
N4 (4 réacteurs) |
1 635 |
1 251 (- 24 %) |
Calculs Sénat, à partir des données fournies par la Cour des comptes, p. 22 et 23.
Le paramètre de base pourrait donc bien être le coût de construction complet du premier EPR .
Enfin, il convient de noter que le coût de construction de l'EPR de Flamanville n'a pas été intégré par la Cour des comptes dans le coût de production actuel de l'électricité nucléaire, car le coût courant économique, chiffré à 49,5 € / MWh, est construit à partir des coûts du parc de production actuel .
Toutefois, les frais sont déjà largement engagés et la mise en service commerciale devrait avoir lieu, sauf nouveau délai, en 2016. La Commission de régulation de l'énergie, considérant dans sa délibération du 5 mai 2011 la question de l'inclusion des travaux de renforcement de la sécurité 98 ( * ) , estimait d'ailleurs que ces investissements devraient être répercutés dans le prix de l'électricité au fur et à mesure de leurs engagements.
Il pourrait donc être utile d'examiner à quel moment les coûts liés à l'EPR de Flamanville devraient être pris en compte dans le prix de l'électricité. Il s'agirait d'un choix à portée principalement pédagogique : l'impact sur le prix serait, en effet, limité puisque la production de l'EPR de Flamanville ne représentera qu'environ 3 % de la production nucléaire nationale.
c) Synthèse sur l'évolution des coûts
Votre rapporteur a souhaité, selon le principe de prudence, regrouper dans le tableau ci-dessous l'ensemble des coûts qui pourraient s'ajouter au coût de production électronucléaire calculé par la Cour des comptes, en retenant les hypothèses hautes, mais plausibles, qui pourraient se réaliser.
Votre rapporteur rappelle que ces coûts s'ajouteraient au coût de l'électricité nucléaire estimé par la Cour des comptes à 54 € / MWh environ, compte tenu du programme de maintenance annoncé par EDF.
Dans le cas du renouvellement du parc nucléaire, ces coûts s'ajouteraient au coût de l'électricité produit par EPR. En poursuivant un raisonnement fondé sur la réalisation des hypothèses hautes, ce coût de départ pourrait être de 90 € / MWh pour le premier EPR, soit 75 € / MWh pour les EPR suivants si l'on retient un effet d'apprentissage de 15 à 20 % comme pour les paliers précédents du parc nucléaire français (voir supra ).
Les coûts à ajouter peuvent être regroupés en trois catégories :
Surcoût annuel en millions d'euros |
Surcoût en € / MWh |
|
Les coûts incertains : |
||
Démantèlement (hypothèse d'un doublement du devis 99 ( * ) ) |
+ 1 500 M€ |
+ 2,46 € / MWh |
Gestion des combustibles usés et des déchets (hypothèse du dernier devis présenté par l'ANDRA) 100 ( * ) |
+ 200 M€ |
+ 0,49 € / MWh |
Les coûts inconnus : |
||
Stockage des matières radioactives « valorisables » (hypothèse d'un coût de quelques milliards d'euros réparti sur 10 ans) 101 ( * ) |
de l'ordre de quelques dizaines de millions d'euros |
impact sans doute faible |
Externalités (environnement, santé humaine, géopolitique...) |
non chiffrable |
non chiffrable |
Les coûts dont l'inclusion dans le prix de l'électricité dépendent de choix de politique publique ou des opérateurs : |
||
Recherche publique 102 ( * ) |
+ 2 900 M€ |
+ 7,11 € / MWh |
Sécurité, sûreté, transparence (coûts publics) 103 ( * ) |
+ 230 M€ |
+ 0,56 € / MWh |
Assurance du coût d'un accident majeur 104 ( * ) |
+ 4 010 M€ |
+ 9,83 € / MWh |
Taux d'actualisation : hypothèse d'un passage de 5 % à 4 % 105 ( * ) |
+ 162 M€ |
+ 0,40 € / MWh |
Calculs Sénat
2. Énergies renouvelables : un développement rapide payé au prix fort
Comme cela a été exposé précédemment, la part de l'électricité produite à partir de sources d'énergie renouvelable a crû depuis le début des années 2000 et est appelée à croître encore sensiblement d'ici à 2020 (27 % au lieu de 15 % en 2010).
Le présent rapport ne saurait se dispenser de l'examen des conséquences financières de cette évolution.
Faute de temps et de moyens, votre commission n'a pu mener, pour chaque filière, un travail comparable à celui de la Cour des comptes sur la production nucléaire. Du reste, même si une telle démarche avait pu être engagée, la vitesse des mutations de certaines de ces filières aurait probablement rendu une telle étude caduque à brève échéance.
Dès lors, votre rapporteur s'est attaché, au cours de ses travaux, à croiser les sources et à dresser un état des lieux simple et pédagogique sur un sujet passionnel, que le débat public n'aborde souvent, hélas, que de manière superficielle voire caricaturale - alors même que les données chiffrées de base font relativement consensus.
Un distinguo doit évidemment être fait selon les différentes filières, celles-ci présentant des degrés de maturité différents.
a) Des régimes tarifaires éminemment instables
La base de l'analyse des coûts de ces énergies est, bien entendu, leur régime tarifaire.
Découlant des principes définis par l'article 10 de la loi n° 2000-08 du 10 février 2000 (codifié aux articles L. 314-1 à L. 314-13 du code de l'énergie), ces tarifs , fixés par arrêtés ministériels spécifiques par filières après avis du Conseil supérieur de l'énergie et de la CRE, doivent « assurer une rentabilité normale aux investissements » de production d'électricité d'origine renouvelable. Interrogé sur ce point par votre rapporteur, M. Philippe de Ladoucette, président de la CRE, a précisé que, lorsqu'il est saisi pour avis, le régulateur compare le taux rentabilité interne du capital investi après impôts (TRI projet) avec le coût moyen pondéré du capital, qui est estimé à 5,1 % sur la base du coût du capital moyen d'un échantillon d'entreprises du secteur des énergies renouvelables.
Les arrêtés tarifaires initiaux ont été pris en 2001, 2002 et 2003. De nouvelles conditions d'achat de l'électricité produite à partir d'énergies renouvelables ont été validées au cours des années 2006, 2007, 2009 et 2010 pour certaines filières.
Le tableau ci-après retrace les conditions actuellement applicables à chaque filière ainsi que, le cas échéant, les principales évolutions de ces dernières années.
Filières |
Arrêtés régissant l'achat de l'électricité |
Durée des
|
Exemples de tarifs pour les installations mises en service à la date de parution des arrêtés |
20 ans |
|
||
|
|||
25
juin 2001
|
20 ans |
5,49 à 6,1 c€/kWh (36 à 40 cF/kWh) selon la puissance + prime comprise entre 0 et 1,52 c€/kWh (10 cF/kWh) en hiver selon régularité de la production |
|
15 ans |
|
||
|
|||
10
juillet 2006
|
15 ans
|
|
|
|
|||
13
mars 2002
|
15 ans |
7,62 c€/kWh (50 cF/kWh) + prime à l'efficacité énergétique comprise entre 0 et 0,3 c€/kWh (2 cF/kWh) |
|
|
|||
|
|||
10
juillet 2006
|
15 ans (terrestre)
|
|
|
|
|||
8
juin 2001
|
15 ans |
8,38 c€/kWh (55 cF/kWh) pendant 5 ans, puis 3,05 à 8,38 c€/kWh (20 à 55 cF/kWh) pendant 10 ans selon les sites |
|
20 ans |
Tarifs applicables aux projets dont la demande de raccordement a été envoyée avant le 1 er juillet 2011 : |
||
|
|||
|
|||
|
|||
Tarifs applicables aux projets dont la demande de raccordement est envoyée entre le 1 er juillet et le 30 septembre 2011 : |
|||
|
|||
|
|||
|
|||
31
août 2010
|
20 ans |
|
|
|
|||
|
|||
et
arrêté
modificatif du 15 janvier 2010
|
20 ans |
|
|
|
|||
|
|||
10
juillet 2006
|
20 ans |
|
|
|
|||
12 ans |
6,1 à 9,15 c€/kWh (40 et 60 cF/kWh) environ en fonction du prix du gaz, de la durée de fonctionnement et de la puissance |
||
15 ans |
4,5 à 5 c€/kWh (29,5 à 32,8 cF/kWh) + prime à l'efficacité énergétique comprise entre 0 et 0,3 c€/kWh (2 cF/kWh) |
||
Combustion de matières non fossiles végétales et animales (biomasse) |
20 ans |
4,34 c€/kWh auquel s'ajoute une prime comprise entre 7,71 et 12,53 c€/kWh attribuée selon des critères de puissance, de ressources utilisées et d'efficacité énergétique. Le niveau de la prime est calculé en fonction de cette dernière |
|
28
décembre 2009
|
20 ans |
4,5 c€/kWh auquel s'ajoute une prime comprise entre 8 et 13 c€/kWh attribuée selon des critères de puissance, de ressources utilisées et d'efficacité énergétique. Le niveau de la prime est calculé en fonction de cette dernière |
|
20 ans |
4,34 c€/kWh auquel s'ajoute une prime comprise entre 7,71 et 12,53 c€/kWh attribuée selon des critères de puissance, de ressources utilisées et d'efficacité énergétique. Le niveau de la prime est calculé en fonction de cette dernière |
||
28
décembre 2009
|
20 ans |
4,5 c€/kWh auquel s'ajoute une prime comprise entre 8 et 13 c€/kWh attribuée selon des critères de puissance, de ressources utilisées et d'efficacité énergétique. Le niveau de la prime est calculé en fonction de cette dernière |
|
16
avril 2002
|
15 ans |
4,9 c€/kWh (32,1 cF/kWh) + prime à l'efficacité énergétique comprise entre 0 et de 1,2 c€/kWh (7,8 cF/kWh) |
|
20 ans |
4,34 c€/kWh auquel s'ajoute une prime comprise entre 7,71 et 12,53 c€/kWh attribuée selon des critères de puissance, de ressources utilisées et d'efficacité énergétique. Le niveau de la prime est calculé en fonction de cette dernière |
||
28
décembre 2009
|
20 ans |
4,5 c€/kWh auquel s'ajoute une prime comprise entre 8 et 13 c€/kWh attribuée selon des critères de puissance, de ressources utilisées et d'efficacité énergétique. Le niveau de la prime est calculé en fonction de cette dernière |
|
13
mars 2002
|
15 ans |
4,5 à 5 c€/kWh (29,5 à 32,8 cF/kWh) énergétique comprise entre 0 et 0,3 c€/kWh |
|
Biogaz issu des installations de stockage de déchets ménagers |
15 ans |
Tarif compris entre 8,121et 9,745 c€/kWh selon la puissance auquel s'ajoute une prime à l'efficacité énergétique comprise entre 0 et 4 c€/kWh |
|
10
juillet 2006
|
15 ans |
entre 7,5 et 9 c€/kWh selon la puissance, + prime à l'efficacité énergétique comprise entre 0 et 3 c€/kWh |
|
3
octobre 2001
|
15 ans |
4,5 à 5,72 c€/kWh (29,5 à 37,5 cF/kWh) selon la puissance + prime à l'efficacité énergétique comprise entre 0 et 0,3 c€/kWh (2 cF/kWh) |
|
Biogaz issu d'autres sources (déchets organiques agricoles...) |
15 ans |
Tarif compris entre 11,19 et 13,37 c€/kWh selon la puissance auquel s'ajoutent une prime à l'efficacité énergétique comprise entre 0 et 4 c€/kWh et une prime pour le traitement d'effluent d'élevage comprise entre 0 et 2,6 c€/kWh |
|
10
juillet 2006
|
15 ans |
entre 7,5 et 9 c€/kWh selon la puissance, + prime à l'efficacité énergétique comprise entre 0 et 3 c€/kWh , + prime à la méthanisation de 2 c€/kWh . |
|
13
mars 2002
|
15 ans |
4,6 c€/kWh (30,2 cF/kWh) + prime à l'efficacité énergétique comprise entre 0 et 1,2 c€/kWh (7,8 cF/kWh) |
|
15 ans |
7,87 à 9,60 c€/kWh (51,6 à 63 cF/kWh) issu du tarif « bleu » aux clients domestiques |
Source : ministère de l'écologie, du développement durable et de l'énergie
Ce tableau fait apparaître un fort contraste entre des filières dont les degrés de maturité sont très différents , de même que leurs conditions d'équilibre économique. Ainsi, un site de production d'électricité par biomasse n'aura véritablement de sens que s'il produit également de la chaleur (cogénération), ce qui n'est pas le cas d'un champ d'éoliennes.
En particulier, l'éolien terrestre apparaît d'ores et déjà comme une filière mature, compétitive par rapport à la plupart des filières non renouvelables et dont les coûts n'excèdent pas ceux des réacteurs nucléaires EPR actuellement en construction en Europe.
b) Le cas de la filière photovoltaïque ou les désastreux effets de tarifs mal calibrés
De nombreuses personnes auditionnées par votre commission ont souligné , parfois avec force, les dommages de plusieurs ordres occasionnés par le caractère trop « généreux » des anciens tarifs de rachat d'électricité d'origine photovoltaïque . On relève que tel a notamment été le cas de représentants de la filière elle-même (comme M. Jean-Louis Bal, président du Syndicat des énergies renouvelables) ainsi que de représentants associatifs (comme M. Benoît Faraco, chargé des questions de l'énergie pour la Fondation Nicolas Hulot pour la nature et l'homme ou encore le CLER, comité de liaison des énergies renouvelables).
De fait, la fixation en juillet 2006, de tarifs de rachat très élevés (cf. supra , ces tarifs atteignaient 550 euros/MWh en incluant une « prime d'intégration au bâti ») et, davantage encore, leur non-révision pendant des années (et même leur augmentation début 2010) ont entraîné un très important « effet d'aubaine » sur la filière. Celui-ci a été renforcé par :
- d'une part, la possibilité, jusqu'en 2010, de cumuler ce mécanisme avec d'autres dispositifs fiscaux d'incitation à l'investissement 106 ( * ) .
- d'autre part, la baisse des coûts d'investissement (non prise en compte dans les tarifs).
Ce dernier point est d'une importance particulière s'agissant d'une filière dans laquelle les coûts d'investissement sont très largement prépondérants, comme les données fournies à votre rapporteur par Enerplan, l'association professionnelle de l'énergie solaire, reprises dans les deux tableaux suivants, l'illustrent bien. Ils montrent que pour une production annuelle de 1,2 kWh/Wc (c'est-à-dire que les panneaux produisent chaque année 1,2 kilowatt-heure pour chaque watt-crête 107 ( * ) installé, soit un rendement un peu inférieur à 14 %), le total des charges d'exploitation annuelles de ces installations est compris entre 2 et 3 % des coûts d'investissement.
En €/Wc installé |
Centrales au sol
|
Centrales intégrées simplifiées (ex. 1MWc) |
Centrales sur toitures (ex. 250kWc) |
Centrales sur toitures particuliers (ex 9kWc) |
Modules photovoltaïques |
0,60 |
0,70 |
1,00 |
1,45 |
Structure |
0,15 |
0,30 |
0,30 |
0,30 |
Lot électrique |
0,40 |
0,50 |
0,50 |
0,50 |
Raccordement |
0,15 |
0,15 |
0,25 |
0,25 |
Main d'oeuvre |
0,30 |
0,35 |
0,50 |
0,50 |
Coût d'investissement |
1,60 |
2,00 |
2,55 |
3,00 |
Source : Enerplan
En €/kWh produit |
Centrales au sol
|
Centrales intégrées simplifiées (ex. 1MWc) |
Centrales sur toitures (ex. 250kWc) |
Centrales sur toitures particuliers (ex 9kWc) |
Charges de maintenance |
0,02 |
0,04 |
0,03 |
0,02 |
Autres charges |
0,01 |
0,02 |
0,04 |
0,04 |
Charges d'exploitation |
0,04 |
0,06 |
0,07 |
0,06 |
Source : Enerplan
À l'inverse d'autres filières, la France a donc connu, pendant quelques années, une véritable « bulle » du photovoltaïque , objectivement favorisée par les pouvoirs publics.
Un tel développement a entraîné des conséquences de plusieurs ordres :
- du point de vue de la production d'électricité, l'essor du photovoltaïque est incontestable. Ainsi, selon Mme Michèle Bellon, présidente du directoire d'ERDF, « nous sommes d'ores et déjà bien au-delà de la programmation pluriannuelle des investissements ». Plus précisément, alors que la PPI était de 5 700 mégawatts de photovoltaïque en 2020, la dirigeante du distributeur prévoit que « nous sommes plutôt aujourd'hui sur une trajectoire de 8 000 mégawatts , [sans exclure] un engouement ou des mesures qui permettraient d'atteindre les 12 000 mégawatts ».
- du point de vue des tarifs , il est clair que cette augmentation aura des conséquences dans les années à venir , au fur et à mesure que la production correspondant aux contrats déjà signés montera en puissance. Interrogée par votre rapporteur, la CRE estime que « le coût déjà parti de la filière photovoltaïque en France continentale est de l'ordre de 1,8 milliard d'euros par an » (soit un coût d'achat de cette énergie de 2,1 milliards d'euros, dont il convient de déduire un coût évité de 300 millions d'euros au prix de marché), à rapporter à une production prévisionnelle de 4,6 TWh, soit 0,8 % de la production totale en 2011 ;
- du point de vue industriel enfin, l'essor soudain de la filière fin 2009 n'a pu être assumé par l'appareil productif national naissant , ce qui a favorisé l'arrivée de nouveaux producteurs sur le marché français, en particulier des Chinois 108 ( * ) . La mise en place du moratoire a fortement déstabilisé ce secteur et plus particulièrement celui du marché des particuliers, constitué de très nombreuses petites entreprises et installateurs et représentant un très grand nombre d'emplois. On notera également la suspension par l'entreprise First Solar du projet de construction d'une usine de production à Blanquefort qui aurait permis la création de quelque 400 emplois.
Une brève histoire des dispositifs de
rachat
Au vu de ce qui précède, votre rapporteur s'est penché sur le « cas d'école » que peut constituer l'histoire des dispositifs de rachat de production d'électricité photovoltaïque, où la volonté de trop bien faire, voire un « volontarisme » politique de court terme, a finalement conduit à la déstabilisation de toute une filière. Les notes internes que votre rapporteur a pu examiner dans les bureaux de la Direction générale de l'énergie et du climat le 11 juin 2012, montrent que cette histoire s'est déroulée en plusieurs phases. L'arrêté de juillet 2006 présentait une certaine logique afin de lancer une filière peu mature et répondant aux objectifs ambitieux que l'État venait de s'assigner au travers de la loi POPE de 2005. Puis, assez vite, l'administration a envoyé des signaux de plus en plus insistants au ministre ou à son cabinet. En 2007 et en 2008, ces signaux visaient avant tout à prévenir la dénaturation du dispositif par l'utilisation habile de niches par certains opérateurs. Début 2009 cependant, le message s'est fait plus général et plus clair, une note de la DGEC en date du 10 avril soulignant que « l'emballement récent pour le photovoltaïque rend urgente la révision des tarifs ». Cette orientation n'est cependant pas immédiatement reprise par le niveau politique. Ainsi, le compte-rendu d'une réunion interministérielle du 7 mai 2009 montre que le représentant du ministère du développement durable avait plaidé pour une augmentation ou une modulation temporaire du tarif d'achat de l'électricité produite à partir du solaire. Ensuite, une fois actée la nécessité de s'orienter vers une baisse du tarif de rachat, le processus de décision, de caractère relativement public, s'est révélé assez long. La préparation de l'arrêté tarifaire a débuté en septembre 2009, la transmission du projet à la CRE est intervenue en novembre. Enfin, plus d'un mois s'est écoulé entre la délibération du régulateur (3 décembre 2009), particulièrement claire quant à la nécessité de réduire la voilure et la signature de l'arrêté qui a procédé à une baisse uniforme des tarifs de 13 %, le 12 janvier 2010. En conséquence, de nombreux professionnels, prévenus de la baisse à venir, ont concrétisé leur projet fin 2009, tout particulièrement en décembre, ce que montre le graphique suivant, tiré du rapport de l'inspection générale des finances dit « Charpin » et retraçant, en puissance, les demandes de contrats reçues par EDF obligation d'achat au titre du photovoltaïque entre 2006 et 2009.
Source : Inspection générale des finances Une grande quantité de contrats a ainsi pu bénéficier, pour une durée de vingt ans, des derniers feux du tarif particulièrement attractif en vigueur jusqu'en janvier 2010. Par la suite, le nouveau tarif, bien qu'initialement critiqué par les professionnels, n'a pu empêcher un nouveau gonflement des demandes en cours d'année 2010. C'est pourquoi, à la suite du rapport Charpin précité et pour éviter la formation d'une nouvelle bulle comparable à celle de décembre 2009, le Gouvernement de l'époque a prononcé, par un décret en date du 9 décembre 2010, un moratoire sur l'obligation d'achat d'électricité photovoltaïque. Enfin, par un arrêté du 4 mars 2011, un nouveau cadre de régulation a été mis en place, visant à mieux contrôler les prix et les quantités des projets. Dans le détail : - les installations de moins de 100 kW continuent de bénéficier d'un tarif d'achat régulé, mais ces tarifs ont été revus à la baisse et sont adaptés, chaque trimestre, en fonction du volume des demandes du trimestre précédent. À titre d'illustration, le tarif d'achat pour une installation de moins de 3 kWc intégrée au bâti et située sur un bâtiment à usage principal d'habitation est passé de 550 euros/MWh avant le 12 janvier 2010 à 370,6 euros/MWh depuis le 1 er avril 2012 ; - pour les installations de puissance comprise entre 100 kW et 250 kW, les projets sont sélectionnés selon une procédure d'appel d'offres simplifiée ; - pour les installations de puissance supérieure à 250 kW, on applique une procédure d'appel d'offres classique. L'enquête de la Cour des comptes annexée au présent rapport rend compte des résultats des premiers appels d'offres ainsi passés. L'histoire du photovoltaïque français, qui n'est au fond pas pire que la situation qu'ont connue beaucoup de nos voisins (notamment l'Allemagne et l'Espagne) montre bien la nécessité de piloter de manière fine les dispositifs d'aide aux énergies renouvelables, notamment ceux qui fonctionnent à « guichet ouvert », comme les obligations d'achat à tarif préférentiel. Si ceux-ci sont indispensables pour faire émerger ces filières, une « générosité » mal contrôlée aboutit, in fine , à des à-coups sévères, dommageables à la fois aux professionnels et aux consommateurs |
c) Le cas de l'éolien offshore : une opération a priori mieux maîtrisée
Ce panorama synthétique doit être complété par le résultat du récent appel d'offres relatif à l'éolien offshore .
Cet appel d'offres, lancé le 5 juillet 2011, portait sur une capacité maximale de 3 000 MW, répartie sur cinq lots de la façon suivante :
- Le Tréport (de 600 MW à 750 MW) ;
- Fécamp (de 480 MW à 500 MW) ;
- Courseulles-sur-Mer (de 420 MW à 500 MW) ;
- Saint-Brieuc (de 480 MW à 500 MW) ;
- Saint-Nazaire (de 420 MW à 750 MW).
En fin de processus, la CRE avait rendu un avis aux termes duquel quatre lots devaient être attribués à Éolien Maritime France, société dont les actionnaires principaux sont EDF Énergies nouvelles et le danois Dong Energy Power , le dernier devant être déclaré infructueux.
Au final, le Gouvernement de l'époque n'a bien attribué que quatre lots (le lot du Tréport n'ayant pas été attribué) : trois à Éolien Maritime France et le dernier (Saint-Brieuc) à Ailes Marines SAS, consortium détenu principalement par Areva et l'espagnol Iberdrola - l'exécutif justifiant son choix par des motifs industriels et économiques.
Les lots attribués représentent une puissance totale de 1 928 MW (assez loin des 3 000 MW envisagés, ce qui rend périlleux l'objectif de 6 000 MW installés d'ici à 2020).
Selon la CRE, le prix moyen de l'électricité résultant de ces appels d'offres sera de 226,5 euros/MWh en 2020 .
Ce prix est très au-dessus des conditions pratiquées dans d'autres pays d'Europe . Ainsi, au Danemark, pays pionnier en matière d'éolien offshore, l'électricité produite par le parc éolien d'Anholt, qui doit voir le jour cette année, devrait être vendue par Dong à 140 €/MWh pour les 20 premiers TWh (soit environ douze années de production) avant d'être cédée au prix de marché, sans subvention. Si cet écart doit être relativisé du fait de la différence des sites, il pose néanmoins question.
d) L'éolien terrestre, une filière déjà compétitive
Ces exemples de technologies renouvelables encore coûteuses ne doivent pas occulter le fait que certaines filières proposent d'ores et déjà des prix sensiblement plus bas, en particulier la filière éolienne terrestre .
Comme rappelé précédemment, le tarif de rachat de l'électricité ainsi produite s'élève, aux termes de l'arrêté du 17 novembre 2008 toujours en vigueur :
- à 82 euros / MWh pour les dix premières années d'exploitation ;
- et à un tarif compris entre 28 euros / MWh et 82 euros / MWh pour les cinq années suivantes , en fonction de la « durée annuelle de fonctionnement de référence » 109 ( * ) des éoliennes. La formule précise est résumée dans le tableau ci-après.
Conditions d'achat en vigueur pour la filière éolienne terrestre
Durée annuelle de fonctionnement de référence |
Tarif pour les dix premières années (€/MWh) |
Tarif pour les cinq années suivantes (€/MWh) |
2 400 heures et moins |
82 |
82 |
Entre 2 400 et 2 800 heures |
82 |
Interpolation linéaire |
2 800 heures |
82 |
68 |
Entre 2 800 et 3 600 heures |
82 |
Interpolation linéaire |
3 600 heures et plus |
82 |
28 |
Source : arrêté du 17 novembre 2008 fixant les conditions d'achat de l'électricité produite par les installations utilisant l'énergie mécanique du vent
Ce tableau montre bien que :
- dès à présent et même en début d'exploitation, l'électricité d'origine éolienne n'apparaît pas plus coûteuse que celle qui sera produite par le réacteur nucléaire de type EPR en construction sur le site de Flamanville ( cf. supra ) ;
- au bout de dix ans, pour les installations dont le rendement est le meilleur et la production la plus élevée, le tarif devrait baisser. Il n'est pas exclu que, dans certains cas, celui-ci puisse atteindre le niveau du prix de marché - évidemment difficile à prévoir à moyen et à long termes ;
- au bout de quinze ans , l'équipement étant amorti, le producteur a vocation à s'insérer dans le marché . Le faible coût de l'exploitation devrait d'ailleurs l'y rendre compétitif.
De plus, à l'inverse de la filière nucléaire, dont l'augmentation régulière des coûts a été soulignée précédemment, des gains sont encore espérés à l'avenir , même si le potentiel est moindre sur une filière déjà mature comme l'éolien terrestre par rapport à d'autres technologies.
M. Jean-Louis Bal, président du syndicat des énergies renouvelables, n'a d'ailleurs pas caché à votre commission que le coût final de l'électricité d'origine éolienne dépend fortement de la durée de vie de ces installations - laquelle reste à confirmer à grande échelle. Ainsi, selon lui, le coût du mégawatt-heure éolien pourrait descendre à 70 euros si cette durée de vie était finalement de vingt ans .
Le tarif de rachat de l'électricité éolienne est-il juridiquement une aide d'État ? Une affaire actuellement examinée par le Conseil d'État pourrait bouleverser le système tarifaire d'aide aux énergies renouvelables. En effet, plusieurs parties opposées au développement de l'électricité éolienne, notamment l'association Vent de colère , ont déposé un recours afin que soit annulé l'arrêté du 17 novembre 2008 du ministre d'État, ministre de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de l'aménagement du territoire et de la ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi d'alors fixant les conditions d'achat de l'électricité produite par les installations utilisant l'énergie mécanique du vent, ainsi que l'arrêté du 23 décembre 2008 le complétant. Lors de l'audience du 12 mars 2012, le rapporteur public a conclu à l'annulation du système d'achat de l'électricité éolienne en raison de l'absence de notification à la Commission européenne au titre des aides d'État, en contravention avec l'article 107 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (ex-article 87 du traité CE). Pour sa part, l'État a soutenu que l'arrêté tarifaire avait bien été communiqué à la Commission au même titre que les autres outils de soutien aux énergies renouvelables, notamment dans le cadre du Plan d'action national remis à l'été 2010. Le 15 mai 2012, le Conseil d'État a sursis à statuer et saisi la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) afin qu'elle détermine si «compte tenu du changement de nature du financement de la compensation intégrale des surcoûts imposés à EDF et aux distributeurs non nationalisés (...), à raison de l'obligation d'achat de l'électricité produite par les installations utilisant l'énergie mécanique du vent à un prix supérieur au prix de marché de cette électricité, ce mécanisme doit[...] désormais être regardé comme une intervention de l'État ou au moyen de ressources d'État » . Votre rapporteur ne peut que souligner le fort enjeu entourant la réponse qui sera faite par la CJUE et le caractère préjudiciable de l'attente de la réponse de la Cour de Luxembourg. Sans cadre clair et sécurisé, il est difficile d'espérer un fort développement de la filière éolienne au vu des investissements qu'elle exige, alors même qu'elle apparaît comme prometteuse pour l'avenir, y compris sur le plan tarifaire. |
e) Au total, un renchérissement du prix de l'électricité dans le proche avenir...
Du point de vue du consommateur, il est clair que la politique de développement de la production d'électricité au moyen de source d'énergie renouvelable se traduira, dans un proche avenir, par une augmentation du prix unitaire de l'électricité, au travers d'une hausse de la CSPE .
En effet :
- d'une part, tous les tarifs d'achat demeurent, pour l'heure, supérieurs au prix de l'électricité sur le marché de gros, utilisé comme référence pour le calcul des charges de service public de l'électricité ;
- d'autre part, la loi de finances pour 2011 a prévu un mécanisme de rattrapage de la CSPE afin d'éviter que demeure l'écart constaté depuis cinq ans entre le niveau des charges et celui de la compensation. Votre rapporteur estime, d'ailleurs, qu'il n'est pas sain de faire peser sur un opérateur (EDF) des charges qui, aux termes de la loi, doivent être « intégralement » compensées.
En termes concrets, le chiffrage demeure un exercice difficile, ne serait-ce que parce que le niveau futur des prix de gros ne saurait être déterminé avec certitude.
Selon le tableau dressé par la Cour des comptes dans son enquête sur la CSPE réalisée à la demande de votre commission 110 ( * ) , à partir des éléments que lui avaient fournis la CRE et la DGEC, l'évolution des charges et du déficit d'EDF pourrait être la suivante d'ici à 2020.
Estimation des charges et recettes de la CSPE
€ courant |
2009 |
2010 |
2011 |
2012 |
2013 |
2014 |
2015 |
2016 |
2017 |
2018 |
2019 |
2020 |
CRE |
||||||||||||
Charges de l'année |
2 686* |
2 654 |
3 465 |
4 261 |
5 111 |
5 415 |
5 967 |
6 631 |
7 632 |
8 735 |
9 892 |
10 857 |
Contribution |
4,5 |
4,5 |
8,1 |
9,7 |
13,5 |
16,5 |
19,5 |
19,5 |
19,5 |
20,4 |
23,4 |
26,4 |
Recettes de l'année |
1 656 |
1 936 |
3 074 |
3 707 |
5 130 |
6 358 |
7 614 |
7 707 |
7 787 |
8 226 |
9 532 |
10 857 |
Déficit de l'année |
1 031 |
719 |
391 |
547 |
-19 |
-943 |
-1 647 |
-1 076 |
-155 |
509 |
360 |
0 |
DGEC |
||||||||||||
Charges de l'année |
2 661 |
2 654 |
3 741 |
4 237 |
4 740 |
4 903 |
5 262 |
5 656 |
6 249 |
7 121 |
8 398 |
9 935 |
Contribution |
4,5 |
4,5 |
8,1 |
9,7 |
13,5 |
16,5 |
18,6 |
15,3 |
16 |
18,2 |
21,2 |
24,2 |
Source : ministère chargé de l'énergie, commission de régulation de l'énergie
* y compris les reliquats
- tous les chiffres sont en M€ sauf les lignes « contribution » qui sont en €/MWh
- les chiffres en italiques sont des estimations, les autres sont des réalisations
- charges de l'année : il s'agit des charges liées à la production d'électricité de l'année considérée
- le montant de la contribution est indiqué au 1 er janvier de chaque année, sauf en 2011 et 2012 où il s'agit du montant moyen, compte tenu de l'augmentation de la contribution à 9 € au 1 er juillet 2011 et à 10,5 € au 1 er juillet 2012.
D'ici huit ans, les charges pourraient donc passer de 4,3 milliards d'euros (dont 2,2 milliards d'euros liés aux énergies renouvelables) à près de 10, voire 11 milliards d'euros (dont 7,5 milliards d'euros pour les renouvelables). Cela conduirait à une CSPE dont le montant serait compris entre 24 et 26 euros/MWh avant 2020 .
Quant au déficit supporté par EDF, dont il faut rappeler qu'il n'a pas été causé par le développement des énergies renouvelables mais principalement par la solidarité envers les zones non interconnectées et par le soutien à la cogénération, la Cour relève qu'après avoir atteint son maximum en 2012, autour de 4 milliards d'euros et être resté stable à ce niveau jusqu'en 2014, il pourrait être résorbé sur les deux années 2015 et 2016.
f) Le prix à payer pour amorcer la transition énergétique
À ce stade, votre rapporteur tient néanmoins à souligner que ce facteur d'augmentation prévisible des coûts de l'électricité (qui n'est d'ailleurs pas le seul) ne se fait pas à fonds perdus - même s'il a été aggravé par la politique tarifaire erratique concernant la filière photovoltaïque.
En effet, il était indispensable d'amorcer la transition du mix électrique vers les énergies renouvelables par des incitations tarifaires susceptibles de donner un cadre d'investissement clair aux acteurs.
Or, les tarifs ont vocation à diminuer, cette tendance étant déjà largement amorcée pour l'éolien terrestre et étant en cours pour le photovoltaïque. À terme, une fois purgés les contrats de la première génération, ces filières ont vocation à trouver leur équilibre économique au prix de marché, en atteignant la « parité réseau ».
Les tendances haussières frappant les énergies de stock (par ailleurs épuisables) que sont les énergies fossiles et le nucléaire, étudiées par ailleurs dans le présent rapport, renforcent la nécessité de pouvoir s'appuyer, à l'avenir, sur des filières fortes, pour lesquelles, par ailleurs, les positions industrielles sont encore à conquérir au niveau mondial.
L'augmentation provisoire du prix de l'électricité due aux renouvelables, incontestable, doit donc être prise pour ce qu'elle est : un investissement nécessaire pour l'avenir .
Des coûts complets économiques de
filières
Au final, afin d'aborder de manière objective la question des investissements à réaliser pour le parc de production électrique national sous l'angle des coûts, il conviendrait de comparer le coût courant économique (CCE) de chaque filière constituant une option a priori crédible dans l'état actuel des connaissances (réacteurs nucléaires de type EPR, hydraulique, éolien terrestre et maritime, photovoltaïque, hydraulique, etc.) ainsi que d'élargir cette démarche au coût complet économique des sources « d'électricité évitée » (ampoules basse consommation, effacement, etc.). Comme cela a été souligné en introduction, les moyens et les délais impartis à votre commission d'enquête ne lui ont pas permis de procéder elle-même à ce type d'investigation. En outre, il est clair qu'une telle enquête risquerait de se heurter, s'agissant des énergies renouvelables, tant à la dispersion des acteurs (et au secret des affaires) qu'à l'évolution parfois rapide des coûts des technologies employées dans les différentes filières. Néanmoins, votre commission a noté avec grand intérêt la volonté de la Cour des comptes de se pencher sur cette question et d'essayer de dresser un tel panorama et attend avec impatience le résultat de ses travaux. D'ici là, il reste possible de s'appuyer, avec les réserves d'usage, sur les analyses d'acteurs qui se sont essayés à l'exercice, en particulier M. Benjamin Dessus, président de Global Chance, dont le compte-rendu de l'audition et les documents lui ayant alors servi de support figurent dans le tome II du présent rapport. D'après les calculs de M. Dessus, le CCE de l'EPR se situera, « au plus bas, aux environs de 72 ou 73 euros / MWh et, au plus haut, aux alentours de 86 ou 87 euros / MWh », ce qui n'est pas contradictoire avec les calculs de la Cour des comptes. S'agissant des éoliennes terrestres, en partant des coûts réels observés cette année et d'une hypothèse de baisse à venir de l'ordre de 10 %, il a estimé que « le coût le plus élevé s'élèverait également à environ 85 ou 86 euros / MWh, quand le coût le plus bas - si on est vraiment dans des bons sites, dans des conditions de vent excellentes - serait lui aussi de l'ordre de 70 à 72 euros / MWh ». En revanche, l'éolien maritime et le photovoltaïque resteraient significativement plus chers dans un futur proche. M. Dessus a conclu sa démonstration en livrant à votre commission ses calculs relatifs au CCE de différentes sources d'économie d'électricité. Ainsi, le coût courant économique pour l'éclairage économe d'une maison s'élèverait de 12 à 13 euros / MWh évité. Selon l'auditionné, « pour un réfrigérateur de classe A++, c'est-à-dire l'un des plus récents et des plus économes, l'ordre de grandeur change : le coût courant économique atteint une centaine d'euros par mégawatt-heure [évité] ». Toutefois, s'agissant d'électricité non consommée, la comparaison ne doit pas se faire avec un coût de production mais avec un prix de l'électricité TTC facturée au client, donc de l'ordre de 130 euros / MWh actuellement. Si une telle analyse devait se confirmer, il s'agit là d'ordres de grandeur particulièrement intéressants, susceptibles d'éclairer utilement les pouvoirs publics, l'approche écologique ne s'opposant pas forcément à l'approche du meilleur coût financier pour la société. |
3. Des coûts réseaux en croissance
a) Un réseau confronté à d'importants besoins d'investissements sous l'effet d'une triple nécessité
(1) Maintenir le réseau actuel à niveau
RTE a obtenu en 2011 le meilleur niveau constaté historiquement en termes de temps de coupure équivalent (TCE), c'est-à-dire en termes de continuité d'alimentation, illustrant ainsi le très bon état du réseau français de transport d'électricité.
Source : Données RTE (graphique Sénat)
Le TCE est l'indice qui caractérise l'ampleur des coupures en considérant le volume d'énergie non distribuée ramené à la puissance moyenne distribuée au cours d'une année. Comme le montre le graphique ci-dessus, il n'a été que de 1 min. 42 s. en 2011, hors évènement exceptionnel, et de 2 min. 02 s. au total.
En termes de répartition des coupures selon les sites, en 2010, 94 % des sites clients n'ont subi aucune coupure longue (plus de 3 minutes), 82 % aucune coupure brève (entre 1 seconde et 3 minutes), 0,9 % plus d'une coupure longue et 0,6 % plus de 5 coupures brèves.
Cette performance du réseau de transport de l'électricité pourrait venir justifier les propos tenus par M. Dominique Maillard, président du directoire de RTE, devant votre commission : « On a de plus en plus de mal à convaincre nos concitoyens de la nécessité de continuer à renforcer et à développer le réseau ». Elle ne doit cependant pas faire oublier la nécessité de renouveler le réseau de transport existant et de sécuriser l'alimentation électrique de certains territoires électriquement fragiles.
Sur ce premier point, M. Dominique Maillard rappelait à votre commission qu'au rythme actuel de renouvellement du réseau de transport - 1 000 km par an sur les 100 000 km que compte le réseau - il faudrait un siècle pour le renouveler entièrement. Cette situation ne pose pas de problème actuellement, notre réseau très haute tension à 400 kV ayant été mis en service dans les années 1980, il reste, à trente ans, un réseau jeune. Il n'en demeure pas moins que le rythme de renouvellement devra s'accentuer.
(a) Assurer la sécurité électrique des territoires les plus vulnérables
La répartition des moyens de production et des centres de consommation est loin d'être équilibrée. En 2009, selon le Commissariat général au développement durable, onze régions sur vingt-deux avaient une production électrique supérieure à leur besoin. Le taux de couverture des besoins variait de 9 à 418 %. Et cette situation évolue sans cesse, comme le rappelait M. Dominique Maillard à votre commission : « la géographie des points de consommation et des points de production de l'électricité [étant] en perpétuelle évolution ».
Cette réalité nécessite donc des investissements ponctuels. On peut, par exemple, citer le projet Cotentin-Maine - une nouvelle ligne électrique aérienne à 2 circuits 400 kV de 160 km - permettant le développement des capacités de production du Cotentin, au premier rang desquelles se trouvent naturellement l'EPR de Flamanville mais également un important développement éolien en mer.
Mais surtout, le réseau de transport est confronté à la nécessité de sécuriser l'approvisionnement en électricité de deux territoires particulièrement exposés au risque de coupure. Il s'agit de la région Bretagne et, au sein de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur, des départements du Var et des Alpes-Maritimes. Ces régions ont en commun d'être déficitaires en moyens de production - en 2010, les moyens de production installés en Bretagne ne fournissaient que 9,5 % de la consommation - et géographiquement excentrées, ce qui les place en quasi-situation de « péninsule électrique ».
Elles connaissent, de plus, une croissance importante de leur consommation : ainsi, au cours des six dernières années, la consommation en Bretagne a augmenté de 20 % - 2,7 % par an - soit deux fois plus que la tendance nationale sur la même période. Cette croissance s'explique notamment par le dynamisme démographique de la région, et donc la croissance du secteur résidentiel et tertiaire, dont on sait que la consommation d'électricité connait une forte progression.
La croissance de la demande de pointe est également plus élevée en Bretagne que dans le reste du pays. Le même phénomène est observable en région PACA : « Là aussi, la consommation d'électricité croît plus vite qu'ailleurs » déclarait M. Dominique Maillard à votre commission.
Confronté à cette situation, RTE a lancé, avec les partenaires régionaux, l'ADEME et ERDF les initiatives « ÉcoWatt Bretagne » et « ÉcoWatt Provence Azur », qui consistent à adresser aux consommateurs volontaires, en général la veille pour le lendemain, une alerte les invitant à modérer leur consommation. Ces messages, envoyés par messagerie électronique ou par SMS, les informent de la survenue d'une période de pointe et sont assortis d'un certain nombre de conseils pour limiter la consommation ou la reporter à des heures moins chargées. En Bretagne, plus de 40 000 personnes ont adhéré à ce système et la contribution de ce dispositif à la réduction de la pointe est estimée à 40 MW.
Ces initiatives locales ne suffisent cependant pas à sécuriser l'approvisionnement en électricité de ces territoires. Compte tenu du déficit structurel entre production et consommation, la Bretagne est exposée à un risque généralisé d'écroulement de tension, du fait de l'éloignement entre centres de production et lieux de consommation. La partie nord de la région, et notamment le département des Côtes-d'Armor, verrait de plus son alimentation interrompue en cas d'indisponibilité de la ligne 400 kV Domloup-Plaine haute.
De même, l'alimentation des départements du Var et des Alpes-Maritimes repose sur la ligne 400 kV Tavel-Le Broc Carros et sur une ligne à 225 kV. Or, cet axe 400 kV arrive à saturation aux heures de pointe, avec un risque d'écroulement de tension. En cas d'avarie, l'ensemble du réseau 225 kV ne serait pas en mesure, à lui seul, d'assurer la totalité de l'alimentation de la zone, ce qui rendrait indispensable un délestage. Les grands feux de forêt de mai 2005 et juillet 2009 ont ainsi conduit à des coupures de courant dans 1,5 million et 1,2 million de foyers.
Afin d'améliorer la sécurité d'approvisionnement de la Bretagne, un « pacte électrique breton » a été conclu en 2010 avec l'État, la Région, l'ADEME et l'ANAH afin d'encourager des efforts importants de maîtrise de la demande d'électricité, de développer la production électrique à partir d'énergie renouvelable et, malgré tout, d'augmenter les capacités de production locale - réalisation d'une centrale dans la région de Brest - et de développer un « filet de sécurité breton », par la réalisation d'une liaison souterraine en 225 kV entre Saint-Brieuc et Lorient, pour un coût d'environ 200 millions d'euros.
En PACA, suite à l'annulation par le Conseil d'État en juillet 2006 de la déclaration d'utilité publique d'une nouvelle ligne 400 kV, RTE met en place un « filet de sécurité », à travers la construction de trois lignes à 225 kV, parallèlement à l'encouragement de la maîtrise de la demande et le développement de la production à partir d'énergie renouvelable.
(b) Garder à niveau un réseau dont la performance tend à se dégrader
Du côté du réseau de distribution d'électricité, on constate, en revanche, qu'après une nette amélioration de la qualité au cours des années 1980 et 1990, la performance du réseau s'est dégradée à partir du début des années 2000, comme le montre l'évolution sur le graphique ci-dessous du « critère B », c'est-à-dire de la durée moyenne annuelle de coupure par utilisateur des réseaux publics de distribution raccordé en basse tension.
Hors évènement exceptionnel - comme une tempête par exemple - ce temps est passé de 42 minutes en 2002 à 85 minutes en 2009. Il convient tout de même de rappeler que cet indicateur était à près de 400 minutes au début des années 1980.
Malgré cette évolution négative récente, la France reste bien placée en matière de continuité d'alimentation en Europe en termes de durée moyenne annuelle et de fréquence de coupures depuis 2001. C'est ce qui ressort du « quatrième rapport d'évaluation et de comparaison de la qualité de l'électricité en Europe » du CEER, le Conseil des régulateurs européens de l'énergie.
Depuis 2010, la tendance s'est à nouveau inversée : en 2011, le temps moyen de coupure s'est établi à 73 minutes toutes causes confondues, en baisse de 39 % par rapport à 2010.
(2) Développer les interconnexions avec les pays voisins avec trois objectifs
Le réseau de transport d'électricité français est interconnecté avec six pays : la Grande-Bretagne, la Belgique, l'Allemagne, l'Italie, l'Espagne et la Suisse. Les capacités d'échange avec chacun de ces pays sont limitées par les caractéristiques physiques du réseau et atteignent, au total 15,4 GW à l'exportation et 12 GW à l'importation.
Les capacités d'échange dépendent non seulement de la liaison entre les deux pays, mais également de la capacité des réseaux amont à injecter ou accueillir de la puissance. C'est pour cette raison que les valeurs des capacités d'exportation et d'importation ne sont pas forcément similaires. Par exemple, dans le cas de l'Allemagne, la nécessité de transporter l'électricité notamment renouvelable produite au nord vers les grands centres de consommation du sud tend à saturer l'axe électrique nord-sud : le gestionnaire de réseau de transport allemand doit donc prendre en compte cela, au-delà des capacités physiques de l'interconnexion, lorsqu'il fixe la capacité d'exportation vers la France, afin de ne pas risquer de saturer davantage la connexion nord-sud.
Capacités d'échange caractéristiques en hiver (en 2011)
Royaume-Uni |
Belgique |
Allemagne |
Suisse |
Italie |
Espagne |
Total |
|
Exports |
2,0 GW |
3,6 GW |
2,6 GW |
3,2 GW |
2,58 GW |
1,4 GW |
15,4 GW |
Imports |
2,0 GW |
1,8 GW |
3,6 GW |
2,1 GW |
1,16 GW |
1,3 GW |
12,0 GW |
Source : RTE, projet de schéma décennal de développement du réseau, 2011
(a) Le renforcement de la sécurité de l'alimentation
Les interconnexions sont un moyen d'augmenter la sécurité de l'alimentation, dans la mesure où elles permettent au système électrique de mieux absorber les chocs auxquels il pourrait être soumis, en les mutualisant au niveau européen.
Lors de son audition, M. Dominique Maillard a exposé à votre commission l'exemple de l'arrêt brutal en France d'une tranche nucléaire de 1 000 MW. Si l'on raisonne uniquement sur le réseau français, cela représente, pour une puissance moyenne de 60 GW, une perte de puissance de 1,7 %. Si l'on raisonne au niveau d'un ensemble interconnecté comme l'est l'Europe continentale, cette même perte de puissance se faisant sur une puissance totale de production de 800 GW, la perte de puissance n'est plus que de 0,13 %.
Certains membres de votre commission ont pu s'inquiéter de la réversibilité de ce raisonnement, à savoir que si les interconnexions permettent de mutualiser les chocs auxquels la France serait soumise, elles nous exposent également aux chocs venus de l'extérieur. Ainsi, le dernier grand incident auquel a été soumis le système électrique français 111 ( * ) , le 4 octobre 2006, a bien été « importé » : une erreur humaine commise en Allemagne a eu pour conséquence de brutalement couper en deux l'Europe de l'électricité. La partie ouest étant alors importatrice nette de 10 GW, elle a connu un délestage qui a concerné au total environ 15 millions de consommateurs, en France mais aussi en Belgique, en Espagne et jusqu'au Maroc, pays également interconnecté.
Malgré tout, M. Dominique Maillard a estimé que la balance était clairement positive : « Aujourd'hui, et de manière quotidienne, la synchronisation des réseaux permet, à l'insu du consommateur final, de compenser d'éventuelles variations : centrales qui s'arrêtent brutalement de fonctionner, sautes de vent pour la production éolienne, etc. Tous ces incidents sont absorbés par la synchronisation des réseaux : plusieurs fois par jour, des actions de solidarité permettent la continuité de l'alimentation. »
(b) La gestion optimale de l'intermittence des énergies renouvelables
Les interconnexions sont également un moyen de faciliter l'intégration dans le système électrique de la production d'origine renouvelable. En effet, ces énergies, en dehors de l'hydraulique, sont par définition soumises à une intermittence de leur production, qui dépend de facteurs météorologiques, difficilement totalement prévisibles, et non corrélés aux variables qui guident l'évolution de la demande.
Le développement des interconnexions est alors un moyen de pallier cette intermittence, en important de l'électricité lorsque la production à base d'énergie renouvelable est insuffisante ou s'arrête brutalement. Devant votre commission, M. Dominique Maillard a développé l'exemple du Danemark, pays dans lequel la puissance éolienne installée est plus que considérable : 3 100 MW installés pour une consommation en pointe de 5 000 MW. Pour s'adapter à l'intermittence de ses éoliennes, le Danemark a considérablement développé ses interconnexions, qui sont aujourd'hui égales à sa puissance de pointe. Le pays peut donc importer - ou exporter - la totalité de ses besoins - ou de sa production - électriques.
(c) Le souci de modérer les prix sur le marché français
Les interconnexions sont également un moyen de diminuer le prix de l'électricité sur le marché français. En effet, lorsqu'un producteur choisit d'importer de l'électricité, il ne prend cette décision que si, à ce moment-là, son prix est inférieur au coût de production en France. Ce raisonnement reste valable même si le prix moyen de l'électricité augmentait chez nos voisins - du fait par exemple de l'arrêt des réacteurs allemands.
(d) Plusieurs projets de développement des interconnexions en gestation
Aujourd'hui, les capacités d'échanges - 15,4 GW à l'exportation et 12 GW à l'importation - sont insuffisantes pour permettre de faire circuler les volumes d'énergie que les acteurs du marché aimeraient échanger. Pour départager les producteurs voulant exporter leur électricité, il a donc été mis en place un mécanisme de mise aux enchères des capacités d'exportation.
Il n'en demeure pas moins que le développement des interconnexions est difficile, comme le rappelait à votre commission lors de son audition, M. Philippe de Ladoucette, président de la CRE. Si un tel développement est complexe, ce n'est pas tant pour une question de financement, que « parce qu'il soulève une question d'acceptabilité de la construction d'infrastructures lourdes ».
Plusieurs projets ont, d'ores et déjà, été lancés ou sont à l'étude :
- sur l'axe France-Grande-Bretagne, un accord d'étude a été signé en novembre 2010 pour la mise en service, avant la fin de la décennie, d'une nouvelle interconnexion de 1 GW entre la Normandie et l'Angleterre. L'hypothèse d'un gigawatt supplémentaire pourrait être proposée dans le cadre du groupe de travail ;
- le paysage électrique de l'axe France-Benelux-Allemagne est susceptible de connaître des évolutions profondes, du fait de l'arrêt des réacteurs allemands. Le renforcement des capacités d'interconnexion est envisagé et des études sont en cours pour estimer les besoins de capacités ;
- l'axe France-Péninsule ibérique a été classé par le Conseil de l'Union européenne comme « projet prioritaire d'intérêt européen », témoignant ainsi de l'intérêt de cette nouvelle interconnexion. En effet, l'Espagne et le Portugal constituent aujourd'hui une « péninsule électrique » en Europe. La capacité d'échange d'énergie électrique maximale entre la France et l'Espagne est actuellement de 1 400 MW en hiver dans le sens France - Espagne : l'objectif est de porter la capacité d'échange à 2 800 MW dans un premier temps, puis à 4 000 MW dans un second temps. Cet investissement s'élève à 750 millions d'euros partagés entre le gestionnaire de réseau espagnol et le gestionnaire de réseau français, d'après M. de Ladoucette.
Dans les Alpes, c'est-à-dire vers la Suisse et l'Italie, le paysage électrique devrait également connaître des changements importants, avec le développement de STEP en Suisse et le développement rapide du parc photovoltaïque italien. Le principal projet en cours concerne la mise en service à l'horizon 2017 d'une liaison en courant continu entre la France et l'Italie (projet « Savoie-Piémont »), d'une capacité de deux fois 600 MW. Cette liaison serait souterraine, à travers la galerie de secours du tunnel du Fréjus. Le montant de l'investissement serait ici de 500 millions d'euros, d'après M. de Ladoucette.
Au total, M. Dominique Maillard a estimé lors de son audition que les capacités d'interconnexion devraient s'élever à 20 GW en 2025.
(3) Permettre le raccordement de la production d'origine renouvelable et le développement des nouveaux usages
Les énergies renouvelables ont ceci de particulier que leur implantation est liée à la présence de la ressource et ne coïncide donc pas spontanément avec la localisation des moyens classiques de production. C'est évidemment vrai pour l'éolien en mer, pour lequel il est nécessaire de développer un réseau de toutes pièces ; ça l'est également pour l'éolien terrestre, implanté dans les zones les plus favorables en termes de vent et où il fait l'objet d'une acceptation par la population. Ces contraintes rendent donc nécessaire un développement du réseau de transport.
(a) Des besoins de renforcement du réseau de distribution et plus ponctuellement de transport
Pour mémoire, le Grenelle de la mer prévoit d'implanter 6 GW d'éoliennes en mer à l'horizon 2020, tandis qu'en termes d'éoliennes terrestres - pour lequel la France possède le deuxième potentiel en Europe après la Grande-Bretagne - la puissance raccordée, aujourd'hui de 5,8 GW, devrait continuer à se développer au rythme actuel de 1 GW par an.
Le raccordement des fermes éoliennes se fait, certes, en très grande majorité (95 %) sur le réseau de distribution, mais l'évacuation de cette production sur le réseau amont nécessite d'importants renforcements et adaptations du réseau de transport, notamment dans le Nord et l'Est de la France, ainsi que dans le sud de l'Aveyron.
Le développement du parc photovoltaïque (0,8 GW par an), principalement dans le sud du pays, par son déploiement très diffus, ne devrait pas nécessiter d'adaptations pour le réseau 400 kV, mais uniquement des adaptations des réseaux régionaux.
Pour ERDF, l'essor des énergies renouvelables implique d'importants investissements : la loi NOME, à l'initiative du Sénat, et plus précisément de son rapporteur M. Ladislas Poniatowski, a mis à la charge des producteurs d'électricité l'intégralité des coûts de branchement et d'extension, mais les coûts de renforcement restent à la charge des gestionnaires de réseaux.
Au cours de son audition, Mme Michèle Bellon, présidente du directoire d'ERDF, a rappelé que « la quasi-totalité des installations de production d'énergie renouvelable est raccordée au réseau de distribution d'électricité ». Plus précisément, 95 % du parc éolien, pour un total de 6 063 mégawatts, et 99 % du parc photovoltaïque, pour un total de 2 321 mégawatts, sont raccordés au réseau de distribution. Au cours de l'année 2011, ERDF a mis en service 86 000 nouveaux sites de production d'énergie renouvelable.
Interrogée par votre rapporteur sur le détail des investissements nécessaires sur le réseau de distribution du fait du développement des énergies renouvelables, Mme Michèle Bellon a apporté des précisions supplémentaires :
« Nous avons créé quatre nouveaux postes sources en 2011 uniquement pour des grands champs de photovoltaïque et d'éolien, et nous nous apprêtons à en créer entre six et dix cette année. Un poste source, suivant sa conception et sa localisation, coûte entre 2 millions et 4 millions d'euros. Pour créer un poste source, qui est également un poste de transformation entre le réseau de transport et notre réseau, il faut amener l'électricité très haute tension sur ce poste source, ce qui implique des renforcements, qui représentent 40 millions d'euros en 2011 et 55 millions d'euros en 2012. »
« On estime entre 550 millions et 1,4 milliard d'euros [d'ici à dix ans] le coût du renforcement du réseau, et non du raccordement au réseau, suivant les hypothèses de développement du photovoltaïque. Alors que la PPI était, je le rappelle, de 5 700 mégawatts de photovoltaïque, nous sommes plutôt aujourd'hui sur une trajectoire de 8 000 mégawatts. Mais nous n'excluons pas un engouement ou des mesures qui permettraient d'atteindre les 12 000 mégawatts. »
Sur la question des coûts engendrés pour le gestionnaire du réseau de distribution par le seul raccordement du parc photovoltaïque, on retiendra cependant que lors de son audition, M. Philippe de Ladoucette avait indiqué à votre commission d'enquête l'existence d'un débat entre la CRE et ERDF sur ce point : « Il y a un débat sur le coût : ERDF penche pour 735 millions d'euros, nous l'estimons plutôt à 400 millions d'euros ».
(b) Des investissements supplémentaires à prévoir au titre des nouveaux usages
Mme Michèle Bellon a indiqué à votre commission qu'ERDF estimait le coût du développement des véhicules électriques à 1 000 euros par véhicule, en se basant sur l'hypothèse que « lorsqu'on possède un véhicule électrique, même si 80 % de la population fait moins de 40 kilomètres par jour, notamment en ville, il faut avoir une borne chez soi et une au travail ou sur la voie publique ».
b) Une augmentation des investissements réseau amenée à s'accélérer
Les différents besoins d'investissements sur le réseau que nous venons de voir ont conduit les gestionnaires du réseau à augmenter leurs prévisions d'investissements, ce qui signifiera logiquement une augmentation du TURPE.
(1) La poursuite de l'effort d'investissement de RTE
Au début des années 2000, les investissements de RTE se situaient autour de 500 à 600 millions d'euros par an (en euros courants). À partir de 2007, ils ont commencé à augmenter de façon régulière, de près de 14 % par an. En 2012, la prévision d'investissements atteint 1,38 milliard d'euros, soit plus du double par rapport à 2006, et représentent plus du tiers du chiffre d'affaires de RTE (4 milliards d'euros).
Source : RTE ; pour 2012, il s'agit de prévisions (graphique Sénat)
M. Dominique Maillard, président du directoire de RTE, a indiqué à votre commission qu'il considérait nécessaire de maintenir ce rythme d'investissement au cours des prochaines années, voire de l'accentuer légèrement : « Nous pensons qu'il faudra sans doute atteindre en euros courants des niveaux compris entre 1,5 milliard et 1,6 milliard d'euros d'ici à 2015 ».
Plus précisément, dans son projet 2011 de schéma décennal de développement du réseau, RTE proposait 10 milliards d'investissements au cours des 10 prochaines années, soit environ 1 milliard par an. Cette somme recouvre les principales infrastructures de transport, mais il faut y ajouter des investissements, qui ne sont pas pris en compte dans le schéma décennal, pour le renouvellement du réseau existant et les renforcements ponctuels sur le réseau de répartition, pour un montant dont l'ordre de grandeur tourne autour d'un demi-milliard par an.
Pour les trois années à venir, toujours hors renouvellement et renforcement ponctuel du réseau actuel, ce sont trois milliards d'euros qui sont proposés, soit 1 milliard d'euros par an également.
Cette somme se répartit ainsi :
- 21 %, soit 630 millions d'euros, pour les interconnexions internationales ;
- 27 %, soit 810 millions d'euros, pour la sécurité d'alimentation et la croissance de la charge ;
- 19 %, soit 570 millions d'euros, pour les raccordements et l'accueil de production ;
- 32 %, soit 960 millions d'euros, pour la sécurité du système.
(2) Les investissements de ERDF : un programme de grande ampleur pour accompagner la transition énergétique
Du côté du réseau de distribution, le début des années 2000 avait été, comme on l'a vu supra 112 ( * ) marqué par une baisse importante du niveau des investissements. Après avoir atteint 3 milliards d'euros en 1993, ils ont diminué jusqu'à un « plancher » de 1,4 milliard en 2003-2004. Cette diminution des investissements trouve son origine dans la baisse de plus de 25 % des tarifs en euros constants entre 1993 et 2005.
À partir de 2005, les investissements sont repartis à la hausse, et ont doublé entre 2005 et 2012, en euros courants, passant de 1,5 milliard à 3 milliards.
Comme le rappelait devant votre commission Mme Michèle Bellon, ERDF a investi « 2,3 milliards d'euros en 2009, 2,6 milliards d'euros en 2010 et 2,8 milliards d'euros en 2011, soit une croissance moyenne de 10 % par an. Cette croissance des investissements se poursuit au même rythme et atteindra 3 milliards d'euros en 2012.» .
À ces investissements réalisés par ERDF, il faut ajouter les investissements réalisés par les autorités concédantes - en majorité en zones rurales - pour un montant d'environ 850 millions d'euros en 2011.
Pour ce qui concerne la période 2013-2016, ERDF a indiqué à votre rapporteur qu'il estimait les besoins d'investissements sur les réseaux de distribution à 14,1 milliards d'euros pour les quatre prochaines années, hors projet Linky, soit 3,53 milliards d'euros par an.
Ces investissements se répartissent ainsi :
- 48 %, soit 6,80 milliards, pour le raccordement des utilisateurs et le renforcement des réseaux consécutifs aux raccordements (dont 900 millions pour les énergies renouvelables et le véhicule électrique). Cette estimation repose sur les hypothèses du raccordement de 450 000 nouveaux clients par an, d'un développement des énergies renouvelables permettant d'atteindre d'ici 2020 8 GW pour le photovoltaïque et 12 GW pour l'éolien terrestre et une flotte de 500 000 véhicules électriques en 2020 ;
- 13%, soit 1,8 milliard, pour les obligations réglementaires, la sécurité des ouvrages et les obligations de voirie. Ces dépenses permettent la mise à niveau d'ouvrages pour raisons de sécurité, dans un contexte où les obligations réglementaires sont en hausse (décret « DT-DICT » précité notamment) ;
- 8 %, soit 1,1 milliard, pour le développement des outils de travail et des moyens d'exploitation, c'est-à-dire essentiellement les véhicules et engins d'exploitation (nacelles, moyens de travaux sous tension, groupes électrogènes...), les systèmes d'information pour la gestion clientèle ou l'amélioration du pilotage des interventions, ou encore les moyens de télécommunication ;
- 31 %, soit 4,4 milliards, pour les programmes visant à réduire la vétusté du réseau, améliorer la qualité et minimiser les instabilités croissantes du système. Il s'agit notamment du plan « Aléas climatiques » (enfouissement de lignes haute-tension), le renouvellement de réseaux d'anciennes technologies et le remplacement des composants obsolescents des postes sources, ou encore, du développement de démonstrateurs dans le cadre des « réseaux intelligents ».
Concernant les besoins d'investissements après 2016, la tendance devrait être à la hausse également. Dans les dix prochaines années, Mme Michèle Bellon considère que les besoins d'investissements se situeront entre 40 et 45 milliards d'euros, hors coût de déploiement du compteur Linky ( cf. infra ), soit entre 4 et 4,5 milliards d'euros par an.
Le montant de 40 milliards d'euros correspond à une hypothèse de développement des énergies renouvelables conforme à la programmation pluriannuelle des investissements, à une hypothèse de flotte de 500 000 véhicules électriques à l'horizon de 2020 et à législation constante. Le montant de 45 milliards d'euros serait atteint si le véhicule électrique devait voir son développement confirmé par rapport à l'hypothèse du Livret vert du sénateur Louis Nègre, c'est-à-dire si le nombre de véhicules électriques atteignait 2 millions. Cela représenterait alors pour ERDF 1,5 milliard d'euros d'investissements supplémentaires.
Mme Michèle Bellon a également insisté devant votre commission sur la nécessité d'éviter ce qu'elle a appelé « l'effet yo-yo » : « La dimension industrielle des réseaux électriques impose stabilité et visibilité. Le maintien d'une politique d'investissements régulière, avec les moyens techniques et humains qui permettent sa mise en oeuvre, est indispensable pour améliorer le réseau, préparer l'avenir et tendre vers un temps de coupure raisonnable ».
Évolution de la
facture annuelle d'électricité
d'un ménage type entre
2011, 2016 et 2020
(Hors taxes mais CSPE comprise)
Source : CRE, graphique Sénat
Évolution de la facture annuelle d'électricité d'un ménage type ayant souscrit l'option heures pleines - heures creuses consommant 8,5 MWh par an (et donc a priori équipé d'un chauffage électrique).
Ces projections sont réalisées à législation constante, sans modification des comportements de consommation et sur la base des hypothèses suivantes :
- la part fourniture comprend l'ARENH, la part marché et les coûts commerciaux ;
- le prix de l'ARENH et le prix de marché de base évoluent en fonction de l'inflation ;
- le TURPE évolue de 2 % par an hors inflation jusqu'en 2016 puis de 3 % hors inflation ;
- l'évolution de la CSPE résulte de l'atteinte des objectifs de programmation pluriannuelle des investissements en matière de développement des énergies renouvelables à l'horizon 2020 ;
- l'inflation est de 2 % par an.
* 92 Le taux de disponibilité (Kd) illustre l'aptitude d'un réacteur à fournir de l'énergie ; cette énergie n'est pas forcément appelée par le réseau électrique. Il se distingue du taux de charge, rapport de l'énergie effectivement fournie, durant un intervalle de temps déterminé, au produit de la puissance nominale en régime continu, par cet intervalle de temps (CEA - Elecnuc, Les centrales nucléaires dans le monde , édition 2011).
* 93 Avis n° 2012-AV-0139 de l'Autorité de sûreté nucléaire du 3 janvier 2012 sur les évaluations complémentaires de la sûreté des installations nucléaires prioritaires au regard de l'accident survenu à la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi.
* 94 Les coûts de construction évalués par la Cour des comptes ne comprennent pas les frais d'ingénierie et de main d'oeuvre (6 800 M€), les charges de pré-exploitation (3 488 M€), ni les intérêts intercalaires liés au décalage entre l'engagement des dépenses de construction et le début de la production effective d'électricité (12 780 M€).
* 95 The Times, Soaring costs threaten to blow nuclear plans apart , 7 mai 2012.
* 96 Indication de M. André-Claude Lacoste, président de l'ASN, lors de son audition devant la commission d'enquête.
* 97 Areva, Résultats annuels 2011 .
* 98 Voir la délibération de la CRE du 5 mai 2011 portant avis sur le projet d'arrêté fixant le prix de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique à 42 € / MWh au 1 er janvier 2012.
* 99 Rapport de la Cour des comptes, annexe 16, p. 343.
* 100 Rapport de la Cour des comptes, annexe 16, p. 344.
* 101 Voir la discussion dans l'encadré « Quel coût pour un stockage des matières radioactives « valorisables » ? », p. 70.
* 102 Voir supra page 32 du présent rapport la discussion sur l'inclusion des dépenses de recherche publique dans le coût de l'électricité.
* 103 De même qu'on pourrait discuter de la prise en compte des dépenses publiques de recherche dans le coût de l'électricité, on pourrait envisager l'inclusion des crédits publics de sécurité, sûreté et transparence ; notamment les dépenses de sécurité civile et les budgets de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) et de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN). Ces coûts sont estimés par la Cour des comptes à un niveau de 230 millions d'euros en 2010 (rapport de janvier 2012, p. 80).
* 104 Cette estimation reprend le calcul proposé par M. Guy Brassard (voir Référence à la section « La question à long terme du risque nucléaire ») d'une prime annuelle de 4 010 millions d'euros, qui permettrait d'assurer un accident nucléaire d'un coût de 100 milliards d'euros. Cette prime est rapportée à la production électronucléaire pour calculer l'impact sur le coût de l'électricité en € / MWh.
* 105 Rapport de la Cour des comptes, annexe 16, p. 345.
* 106 En particulier le crédit d'impôt développement durable défini à l'article 200 quater du code général des impôts et la réduction d'impôt dite « ISF-PME », issue de la loi « TEPA » (loi n° 2007-1223 du 21 août 2007 en faveur du travail, de l'emploi et du pouvoir d'achat) et codifiée à l'article 885-0 V bis du code général des impôts.
* 107 La puissance-crête est la puissance maximale théorique délivrée dans des conditions idéales d'ensoleillement. Elle est mesurée en watt-crête (Wc).
* 108 La très forte « prime d'intégration au bâti » qui caractérise les tarifs de rachat français était censée favoriser notamment les fabricants de panneaux relativement haut de gamme, mais les normes édictées ont été régulièrement contournées par les professionnels. Votre rapporteur considère qu'il pourrait être temps d'acter cet échec et de rapprocher les tarifs des panneaux intégrés et non intégrés, en particulier en revoyant les tarifs des panneaux non intégrés au bâti.
* 109 L'arrêté définit cette durée comme le quotient de l'énergie produite pendant une année par la puissance maximale installée.
* 110 Cette enquête est annexée à la suite du présent rapport.
* 111 Sur ce point, voir notamment le rapport d'information n° 357 (2006-2007) de MM. Michel Billout, Marcel Deneux et Jean-Marc Pastor, fait au nom de la mission commune d'information sur la sécurité d'approvisionnement électrique de la France et les moyens de la préserver.
* 112 Cf. supra p. 136.