II. LES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES SONT DESORMAIS CONFRONTÉES AU RETRAIT DE L'INGÉNIERIE DE L'ÉTAT EN MATIÈRE D'URBANISME
Les services de l'État fournissaient, depuis de nombreuses années, une aide indispensable aux collectivités territoriales à travers la dévolution de moyens financiers et la mise à disposition gratuite de ses services.
Mais ces dernières années, les élus ont constaté, dans leurs territoires, une réduction progressive et généralisée du champ de l'ingénierie publique de l'État . Celle-ci résulte de la combinaison de plusieurs facteurs : le droit européen de la concurrence, les critiques formulées par la Cour des comptes sur la légitimité de l'ingénierie publique de l'État, l'évolution jurisprudentielle du Conseil d'État, ainsi que la mise en oeuvre de la révision générale des politiques publiques (RGPP).
Ce mouvement - entamé depuis plus de dix ans -, notre collègue M. Yves Daudigny l'a très bien analysé dans son rapport précité consacré à l'ingénierie publique, dans lequel il décrit la situation des milliers de « communes ou groupements de communes de France qui n'ont pas la capacité d'organiser leurs propres services d'ingénierie », stigmatisant au passage la « chronique d'une mort annoncée de l'ingénierie publique d'État ».
A. L'AIDE DES SERVICES DE L'ÉTAT AUX COLLECTIVITÉS TERRITORIALES DANS L'EXERCICE DES COMPÉTENCES D'URBANISME
La décentralisation de l'urbanisme opérée par la loi n° 83-8 du 7 janvier 1983 relative à la répartition de compétences entre les communes, les départements, les régions et l'État impliquait que l'État aide les communes et leurs groupements à exercer leurs nouvelles compétences transférées .
Cela s'est traduit, d'une part, par la dévolution de moyens financiers et, d'autre part, par la mise à disposition gratuite des services de l'État.
1. Les concours financiers de l'État au bénéfice des collectivités territoriales en matière d'urbanisme
Depuis le 1 er octobre 1983, en application des dispositions 32 ( * ) de l'article 38 de la loi du 7 janvier 1983, les communes et leurs groupements peuvent exercer la compétence d'élaboration et de mise en oeuvre des documents d'urbanisme (SCOT, PLU et cartes communales) et délivrent , lorsqu'elles disposent d'un document d'urbanisme approuvé, les permis de construire et autres autorisations d'utilisation du sol en leur nom propre.
Les charges découlant de ces transferts facultatifs de compétences donnent lieu à une compensation financière sous la forme de concours particuliers 33 ( * ) au sein de la dotation générale de décentralisation (DGD) : le concours particulier de la DGD relatif à l'élaboration et la mise en oeuvre des documents d'urbanisme, et le concours particulier de la DGD au titre des contrats d'assurance destinés à garantir contre les risques contentieux découlant de la délivrance des autorisations d'utilisation du sol.
Le montant national a été fixé suivant la règle habituelle dite du « coût historique ». En revanche, l'activité d'élaboration des documents d'urbanisme étant essentiellement discontinue, l'État a voulu que la répartition entre communes tienne compte des charges . D'où le caractère spécifique de cette dotation. Elle n'est pas forfaitaire et indépendante de la dépense ultérieure effective comme la plupart des dotations de compensation. Elle n'est pas pour autant un remboursement. Elle n'est pas totalement automatisée sur critères comme la dotation globale de fonctionnement (DGF). Elle n'est pas à l'appréciation du préfet comme la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR).
En fait, elle combine plus ou moins ces diverses logiques .
La DGD documents d'urbanisme 34 ( * ) est répartie entre les préfets de région selon quatre critères affectés de coefficients fixés par le CGCT : le nombre de logements ayant donné lieu à permis, le nombre de communes sans documents d'urbanisme, le nombre de communes concernées par la loi littoral, la loi montagne, les zones de bruit des aérodromes. Les préfets de région la répartissent entre les préfets de département en tenant compte notamment des mêmes critères mais sans coefficients préétablis. Les préfets de départements la répartissent entre les communes sur avis d'un collège d'élus et au vu en particulier des documents d'urbanisme en cours d'élaboration ou en projet.
La DGD contrats d'assurance 35 ( * ) est répartie selon trois critères affectés de coefficients fixés par le CGCT : nombre de permis, nombre de logements figurant sur les permis, et population. La signature effective d'un contrat d'assurance est nécessaire. Si le contrat est signé en cours d'année, il est alors procédé à un prorata temporis .
Le système actuel est compliqué au regard des sommes distribuées 36 ( * ) , les services de la direction générale des collectivités locales (DGCL), auditionnés par votre délégation, indiquant ainsi qu' « une donnée en apparence aussi simple que le nombre de permis de construire n'est pas facile à fiabiliser. Plus précisément l'application statistique nationale « SITADEL 2 », n'est plus en mesure de distinguer le nombre de permis de construire et logements afférents délivrés par les communes de ceux délivrés par l'État, seuls les premiers étant à prendre en compte ». Les services de la DGCL ajoutent que « dès lors on peut se demander si la vérification de la présence effective d'un contrat d'assurance est bien utile. La charge administrative pour les préfectures est trop lourde. Une simplification s'impose. Notamment la part contrat d'assurance devrait reposer sur des données simples et faisant l'objet d'une centralisation nationale pour en dégager les préfectures ».
Votre délégation estime que si des réformes devaient être engagées en la matière, elles devraient, en tout état de cause, faire l'objet d'une large concertation avec les élus locaux .
2. La mise à disposition des services de l'État aux collectivités territoriales
Il faut distinguer deux types de prestations qui obéissent à des règles juridiques différentes.
a) Dans l'élaboration des documents d'urbanisme37 ( * ).
Les services de l'État peuvent être mis gratuitement à la disposition de la commune ou de l'EPCI. La prestation est donc facultative pour la commune aussi bien que pour l'État.
L'article L. 121-7 du code de l'urbanisme dispose ainsi que « les services extérieurs de l'État peuvent être mis gratuitement et en tant que de besoin à la disposition des communes ou des groupements de communes compétents, pour élaborer, modifier ou réviser les schémas de cohérence territoriale, les schémas de secteurs, les plans locaux d'urbanisme ou tout autre document d'urbanisme. Pendant la durée de cette mise à disposition, les services et les personnels agissent en concertation permanente avec le maire ou le président de l'établissement public ainsi que, le cas échéant, avec les services de la commune ou de l'établissement public et les professionnels qualifiés travaillant pour leur compte. Le maire ou le président de l'établissement public leur adresse toutes instructions nécessaires pour l'exécution des tâches qu'il leur confie ».
En outre, les services de l'État informent la commune ou l'EPCI compétent des règles et des enjeux particuliers du territoire concerné dans le cadre du « porter à connaissance ». Cette expertise est une aide précieuse et gratuite apportée aux services communaux.
Votre délégation estime que ce rôle d'État-expert et éclaireur de l'action publique locale aujourd'hui fondamental, en particulier pour les petites communes, doit être maintenu .
Le « porter à connaissance »
prévu par l'article L 121-2
Selon les termes de la loi, le « porter à connaissance » est l'opération par laquelle « le préfet porte à la connaissance de la commune les informations nécessaires à l'exercice de ses compétences en matière d'urbanisme ». C'est donc le document transmis par le préfet à la commune lorsque celle-ci décide d'élaborer un document d'urbanisme sur son territoire (plan local d'urbanisme ou carte communale). Le préfet transmet également à l'EPCI compétent un « porter à connaissance » lors de l'élaboration d'un schéma de cohérence territoriale. L'article R. 121-1 du code de l'urbanisme précise le contenu du « porter à connaissance » . Celui-ci inclut les éléments à portée juridique tels que les directives territoriales d'aménagement, les dispositions relatives aux zones de montagne et au littoral, les servitudes d'utilité publique, ainsi que les projets d'intérêt général et les opérations d'intérêt national au sens de l'article L 121-9 du code de l'urbanisme. Le « porter à connaissance » informe également des études techniques dont dispose l'État notamment en matière de prévention des risques et de protection de l'environnement. Il s'agit d'un document public . |
b) Dans l'instruction des actes d'urbanisme
Le maire ou le président de l'EPCI peut disposer gratuitement des services de l'État pour celles des demandes qui lui paraissent justifier cette assistance technique .
En application de l'article 67 de la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales, les communes de 10 000 habitants et plus doivent instruire elles-mêmes les actes d'application du droit des sols.
Par ailleurs, en application de l'article 103 de la loi n° 2005-157 du 23 février 2005 relative au développement des territoires ruraux, les EPCI compétents de 20 000 habitants 38 ( * ) et plus doivent également instruire eux-mêmes les actes d'application du droit des sols.
Dès lors, l'aide est aujourd'hui réservée aux communes de moins de 10 000 habitants et aux EPCI de moins de 20 000 habitants . L'article L. 422-8 du code de l'urbanisme prévoit ainsi que « lorsque la commune comprend moins de 10 000 habitants ou lorsque l'établissement public de coopération intercommunale compétent groupe des communes dont la population totale est inférieure à 20 000 habitants, le maire ou le président de l'établissement public compétent peut disposer gratuitement des services déconcentrés de l'État pour l'étude technique de celles des demandes de permis ou des déclarations préalables qui lui paraissent justifier l'assistance technique de ces services. Pendant la durée de cette mise à disposition, les services et les personnels agissent en concertation avec le maire ou le président de l'établissement public qui leur adresse toutes instructions nécessaires pour l'exécution des tâches qu'il leur confie ». Aujourd'hui 70 % des actes instruits par les services de l'État, le sont pour le compte des communes.
En outre, une assistance juridique ponctuelle peut être accordée à toutes les communes et à tous les EPCI sur le fondement de l'article L. 422-8 du code de l'urbanisme : « une assistance juridique et technique ponctuelle peut être gratuitement apportée par les services déconcentrés de l'État, pour l'instruction des demandes de permis, à toutes les communes et établissements publics de coopération intercommunale compétents ».
L'article R. 422-5 précise que lorsque la collectivité territoriale décide de confier aux services de l'État tout ou partie de la mission, les modalités sont fixées par convention : « lorsque le conseil municipal ou l'organe délibérant de l'établissement public de coopération intercommunale compétent décide, en application de l'article L. 422-8, de confier aux services de l'État l'instruction de tout ou partie des déclarations préalables ou des demandes de permis, une convention précise les conditions et délais de transmission et d'instruction des dossiers, les obligations réciproques des parties en matière de classement, d'archivage des dossiers et d'établissement des statistiques ».
Sur ces fondements juridiques, le Conseil d'État a jugé, le 27 octobre 2008, dans l'arrêt « commune de Poilly-lez-Gien » que « ces conventions sont de droit lorsque les communes le demandent ». Le juge administratif en a ainsi déduit un régime de responsabilité différent du droit commun des prestations de services : la responsabilité de l'État n'est engagée que si le service de l'État a refusé d'exécuter un ordre du maire.
En tout état de cause, l'instruction par les services de l'État est obligatoire pour les autorisations 39 ( * ) délivrées au nom de l'État . Cela est justifié dans la mesure où l'État doit être en capacité de garantir les intérêts supra-communaux. À cet égard, il faut rappeler qu'en matière de droit des sols, en particulier s'agissant de la délivrance des permis, l'État intervient dans trois cas : lorsque la commune ne dispose pas de documents d'urbanisme ; lorsqu'il s'agit d'une opération d'intérêt national ; lorsque le permis est déposé par l'État, un État étranger ou un établissement public de l'État.
c) Une démarche innovante : « la démarche atelier »
L'ex ministère de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement a développé une démarche « d'Atelier national » sur des sites pilotes depuis 2006. Il s'agit d'initier des réflexions conjointes entre l'État et les élus locaux pour élaborer des stratégies de territoire et aborder les sujets par l'approche de projets locaux respectueux de l'identité du territoire.
L'Atelier national mobilise une équipe projet mandatée par l'État. Concrètement, cette méthode s'articule autour de trois séances d'atelier réunissant élus, équipe chargée du projet et État, et permet de mettre en place des dynamiques à des échelles de territoire pertinentes en termes d'identité et d'avenir commun, sur une période de un à deux ans.
Elle permet également d'investir sur une proximité renouvelée entre les services de l'État et les élus locaux autour des questions d'orientations de long terme. À ce jour, 21 sites ont ainsi bénéficié de cette démarche autour de trois thèmes sélectionnés : littoral, montagne, territoires économiques (12 sites métropolitains ont bénéficié de la démarche Atelier national « littoral », et « montagne » ; 9 sites sont actuellement engagés dans l'Atelier national « territoires économiques »).
Chaque Atelier national donne lieu à des livrables (un ouvrage faisant ressortir le déroulement de l'Atelier national et sa méthode), ainsi que chaque site (carnets de suivi, esquisses, cartographies, présentations ; feuille de route ; rapport de synthèse).
Votre délégation accueille positivement cette nouvelle forme d'accompagnement des territoires sur des projets stratégiques . Cette démarche expérimentale, qui confère une nouvelle posture aux services de l'État, mérite d'être encouragée, car après cette expérience sur des sites pilotés par le ministère, il s'agit dorénavant de transférer cette approche aux services déconcentrés de l'État afin qu'ils se saisissent de ce moyen pour construire des perspectives communes mais aussi des espaces de discussion entre État et élus locaux.
L'Atelier national constitue finalement un instrument qui permet :
- d'élaborer un projet anticipateur à une échelle géographique indépendante des limites institutionnelles et adaptée à la réflexion autour des enjeux du territoire ;
- de renouveler les partenariats entre élus locaux et État dans une logique de dialogue centré sur le projet stratégique à l'échelle d'un territoire plutôt que sur les moyens de mise en oeuvre de projets opérationnels de court terme ;
- de positionner les services déconcentrés de l'État en tant que facilitateurs de réflexions stratégiques conformes au Grenelle de l'environnement en amont de projets opérationnels à petites échelles.
* 32 Dispositions codifiées dans l'article L. 124-4 du code de l'urbanisme.
* 33 Cette dotation annuelle permet d'aider les communes ou les établissements publics à élaborer ou faire évoluer leurs documents d'urbanisme notamment suite à la loi SRU et au Grenelle de l'environnement, ces concours s'élevant en 2012 à 18 millions d'euros, selon les données transmises par le ministère de l'intérieur et le ministère de l'écologie.
* 34 Prévue aux articles R. 1614-41 et suivants du code général des collectivités territoriales (CGCT).
* 35 Prévue aux articles R. 1614-54 et suivants du CGCT.
* 36 18 millions d'euros pour les documents d'urbanisme et 5 millions d'euros pour les contrats d'assurance selon les données transmises par la direction générale des collectivités locales du ministère de l'intérieur.
* 37 Les documents d'urbanisme (PLU communaux ou intercommunaux, SCOT) constituent des documents stratégiques permettant aux collectivités territoriales de maîtriser leur développement et de porter leurs projets de développement et d'aménagement du territoire.
* 38 Ce seuil avait été fixé initialement à 10 000 habitants par la loi de 2004.
* 39 Exemples : Prisons, commissariats de police, collèges, lycées, logements sociaux.