EXAMEN EN COMMISSION
Réunie le mardi 10 juillet 2012, sous la présidence de M. Philippe Marini, président, la commission a entendu une communication de M. Francis Delattre, rapporteur spécial, sur le compte d'affectation spéciale « Pensions ».
M. Francis Delattre, rapporteur spécial . - La création d'un compte d'affectation spéciale (CAS) dédié aux pensions est une innovation de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF).
Beaucoup était attendu de ce nouveau dispositif, tant en termes de transparence que de bonne gestion. J'ai souhaité, par cette mission de contrôle, dresser un bilan de la mise en oeuvre de ce nouvel outil. L'enjeu est important puisque les dépenses retracées dans le compte s'élèvent pour 2011 à plus de 52 milliards d'euros.
A ma première question, le CAS « Pensions » a-t-il permis d'améliorer la transparence budgétaire, la réponse est assez clairement oui. En revanche, a-t-il permis une responsabilisation accrue des gestionnaires ? La réponse est plus mitigée.
A titre liminaire, je rappellerai qu'un compte d'affectation spéciale a pour objet d'isoler certaines recettes et dépenses du budget de l'Etat qui, en raison de leur nature, doivent faire l'objet d'une comptabilisation particulière. Un compte spécial constitue donc une exception au principe de non affectation, c'est-à-dire à l'interdiction d'affecter une recette à une dépense.
Le CAS « Pensions », plus spécifiquement, permet de retracer au sein d'un même document l'ensemble des dépenses de pensions dont l'Etat est redevable et les recettes concourant à leur financement.
Autre caractéristique essentielle d'un CAS, il doit être à l'équilibre. Par construction, chaque année, cet équilibre est assuré par le calcul de la « contribution employeurs » à la charge de l'Etat, qui est calculée de manière à ajuster les recettes du compte aux besoins de financement. Trois taux distincts sont retenus chaque année : un taux « civil », un taux « militaire » et un taux « allocations temporaires d'invalidité ».
En constante augmentation, ces taux ont été fixés pour 2012 à 68,59 % pour les personnels civils, 121,55 % pour les personnels militaires et 0,33 % au titre des allocations temporaires d'invalidité.
Ces contributions employeurs sont ensuite appliquées à une partie de la masse salariale de chaque ministère et imputées directement sur les programmes des ministères employeurs en tant que dépenses du titre 2.
Ces dépenses, inscrites dans les programmes des missions budgétaires concernées, viennent ensuite, en cours d'année, abonder les recettes du CAS. Il s'agit de la principale ressource du compte.
Le CAS « Pensions » a incontestablement accru la transparence budgétaire sur ces dépenses, leur financement et leur dynamique. Le CAS offre en effet désormais une connaissance exhaustive et une lecture quasi immédiate des dépenses de pensions de l'Etat et de leur financement, tous ces flux étant désormais retracés au sein d'un instrument budgétaire unique, alors qu'auparavant, l'ensemble de ces dépenses étaient dispersées dans le budget général.
Par ailleurs, le CAS « Pensions » permet d'appréhender les conditions d'équilibre du régime au travers, en particulier, du calcul de la contribution de l'Etat employeur. Compte tenu du fonctionnement du compte à l'équilibre, l'évolution du taux de contribution employeurs traduit en effet en quelque sorte l'augmentation du besoin de financement au titre des pensions.
Support d'une meilleure transparence, le CAS a-t-il aussi permis de responsabiliser les gestionnaires ? Ma réponse est beaucoup plus prudente.
Le CAS « Pensions » avait en effet également vocation, au sein des ministères employeurs, à permettre une meilleure prise de conscience des coûts complets engendrés par le recrutement d'un fonctionnaire, y compris après sa période d'activité, en incluant en quelque sorte l'équivalent de cotisations vieillesse au calcul de la masse salariale.
Il devait permettre de responsabiliser les gestionnaires par un meilleur suivi de leur masse salariale : en cas de dérapage de celle-ci, il leur revient de financer le surcroît de contribution au CAS, représentatif de la surcharge à terme sur les pensions.
Dans la pratique, l'identification des crédits destinés au CAS permet sans doute d'informer le gestionnaire sur le coût complet du recrutement d'un fonctionnaire, notamment comparativement à celui d'un contractuel.
Il est, en revanche, plus difficile d'établir que cette information influence concrètement les choix de recrutement. Ces derniers dépendent en effet de beaucoup d'autres facteurs. En tous les cas, les représentants des ministères employeurs que j'ai pu auditionner ne m'ont pas totalement convaincu sur ce point.
La création du CAS marque donc une étape importante vers une meilleure transparence budgétaire. Les améliorations nécessaires portent aujourd'hui davantage - c'est l'objet de mon second point - sur son pilotage : la qualité des prévisions tant en dépenses qu'en recettes ; le recouvrement des recettes ; l'amélioration de la performance.
L'exercice de prévision, tout d'abord, est essentiel pour le CAS « Pensions ». Il est vrai que les résultats de l'indicateur de qualité de la prévision de dépenses de pensions sont encourageants en 2011 et peuvent, sans doute, s'expliquer par les efforts de modélisation menés par le service des retraites de l'Etat (SRE) ces dernières années, ainsi que par une amélioration de la prévision des départs en retraite qui, lors des exercices précédents, avait été perturbée par la réforme de 2010.
Mais, comme le souligne la Cour des comptes, « il s'agit là d'un progrès, qui reste à confirmer ». Il convient, en effet, de rappeler que, compte tenu de la masse des dépenses que représentent les pensions, une erreur de 1 % peut se traduire par près de 500 millions d'euros de dépenses en plus ou en moins sur le CAS.
J'encourage donc la poursuite de ces efforts de prévisions en dépenses, comme en recettes, sans pour autant minimiser les aléas auxquels se confronte un tel exercice.
En matière de pilotage global du compte, je souhaite insister sur un élément auquel le ministère du budget a été confronté : les retards dans l'encaissement des recettes du CAS.
Le compte doit être approvisionné en temps et en heure par ses recettes, afin d'assurer le financement des dépenses de pension. Certes, il existe des délais comptables d'enregistrement des recettes, difficilement compressibles. Mais l'équilibre du compte souffre de retards dans les versements de certains ministères. Par exemple, 313 millions d'euros de subvention du ministère de la défense, pour assurer le paiement de la retraite du combattant et des pensions militaires d'invalidité, n'ont été encaissés qu'en février 2011, et non en janvier. Fin janvier 2011, les comptes du CAS étaient ainsi en déséquilibre de 700 millions d'euros.
Pour remédier à ces retards de versement, deux décrets sont en préparation. Le premier décret obligerait tout employeur public à verser ses contributions au CAS « Pensions » le dernier jour de chaque mois. Le second décret prévoit des pénalités financières si ces délais ne sont pas respectés. Les pénalités pèseraient sur les ministères, et seraient reversées au budget de l'Etat. Du point de vue des comptes publics, l'opération serait donc neutre. Mais cet instrument aurait pour intérêt de sensibiliser les gestionnaires à mieux respecter les délais de paiement de leurs cotisations.
Je profite également de cette partie pour m'arrêter sur un élément un peu « annexe » de ma mission de contrôle, mais qui a fait l'objet d'une attention particulière de notre commission, la réforme de la gestion des pensions de l'Etat.
Cette réforme devait être source de gains de productivité importants sur l'ensemble de la chaîne de gestion des pensions, sa logique impliquant que les fonctions assumées par les services de retraite au sein de chaque ministère soient transférées au nouveau service des pensions de l'Etat, rebaptisé « Service des retraites de l'Etat » (SRE).
En 2012, la Cour des comptes dresse un bilan sévère de cette réforme. Outre des retards dans le déploiement des comptes individuels de retraite et une adaptation encore incomplète des systèmes d'information, elle évoque « une réorganisation menacée d'être vidée de sa substance », compte tenu d'objectifs de gains de productivité revus à la baisse et du maintien des services de retraite dans les ministères employeurs. Je pense que c'est un point qu'il faudra suivre attentivement.
Autre élément que je souhaite approfondir à l'occasion des prochaines discussions budgétaires : la gestion des traitements attachés à la Légion d'honneur et à la médaille militaire. Sans en méconnaître l'enjeu hautement symbolique, ces milliers de « petites pensions » alourdissent le traitement de la chaîne de pensions alors même que leur montant unitaire n'excède pas six euros en moyenne. Selon le SRE, le coût de traitement de ces dossiers est supérieur aux sommes versées. Une piste possible de réforme pourrait être d'affecter les traitements aux sociétés d'entraide, en l'absence de réponse contraire de l'intéressé au terme d'un certain délai. Selon le SRE, cette piste permettrait des gains importants, mais difficiles à chiffrer.
Je terminerai cette deuxième partie, consacrée à la mise en oeuvre opérationnelle du CAS, par quelques développements sur le dispositif de performance.
Certains objectifs et indicateurs de performance sont des données de contexte, comme l'âge de départ en retraite et la durée moyenne de cotisation. Ce sont des éléments très utiles, mais pas des indicateurs de performance. En revanche, deux indicateurs reflètent la performance de l'action publique : le premier mesure la différence entre les dépenses prévues en loi de finances et celles effectivement réalisées ; le second évalue le coût moyen de liquidation d'une retraite lors de la cessation d'activité. Des travaux sont en cours pour améliorer cet indicateur, afin d'intégrer tous les coûts de gestion de pension (y compris les coûts pour les ministères) et d'en faire un vrai indicateur de productivité, permettant des comparaisons avec les autres régimes de retraite. Ce sont des travaux au long cours, mais d'ores et déjà engagés et qui doivent être menés à leur terme pour mieux connaître le coût réel de gestion des pensions des fonctionnaires.
Comme je le disais, la création du CAS « Pensions » marque une étape vers une meilleure transparence et les améliorations portent aujourd'hui davantage sur la qualité des prévisions, le recouvrement des recettes, l'amélioration de la performance...
Mais, plus largement, les progrès sont peut-être également à réaliser dans l'utilisation du CAS « Pensions » comme outil pour mieux gérer les pensions de l'Etat : autrement dit, quelles leçons tire-t-on finalement de l'augmentation du taux de contribution employeurs ou des besoins de financement mis en évidence par le CAS ? Cette dernière question renvoie à celle de l'équilibre du CAS à court et moyen termes et des nouvelles réformes qui devront, sans doute, être nécessaires.
S'agissant du court terme, je souhaite attirer votre attention sur l'évolution du compte et la pratique peu « lolfienne » qui consiste à mettre à contribution le budget général par le biais de contributions exceptionnelles.
Par nature, le compte devrait être à l'équilibre entre ses recettes et ses dépenses. Pour absorber les décalages de trésorerie infra-annuels, un fonds de roulement a été constitué, dès la création du CAS. Il a été doté de 1 milliard d'euros, correspondant à une semaine de dépenses. Son niveau devait être maintenu à 1 milliard d'euros.
Or, en pratique, le fonds de roulement a aussi été utilisé comme une variable d'ajustement, pour assurer l'équilibre entre les recettes et les dépenses. En 2011, et à nouveau en 2012, le compte d'affectation spéciale a ainsi été voté en déséquilibre lors de l'adoption du projet de loi de finances initiale. Pour compenser un montant de recettes inférieur aux dépenses, un prélèvement sur le fonds du roulement du CAS a été opéré en 2011, et un autre prélèvement est prévu en 2012, pour assurer l'équilibre du compte en exécution. Compte tenu de ces prélèvements, le fonds de roulement devrait être inférieur à 600 millions d'euros fin 2012. Il conviendra de suivre attentivement ce niveau qui pourrait exposer le CAS à des tensions en trésorerie, notamment en cas de retards de versements des ministères.
Pour compenser des recettes inférieures aux dépenses, des contributions exceptionnelles du budget général de l'Etat au compte ont également été opérées, en gestion 2011, à hauteur de 237 millions d'euros. La majeure partie de ces crédits ont transité par la mission « Régimes sociaux et de retraite ». Ces opérations « peu lolfiennes » ont été critiquées par la Cour des comptes. En effet, les crédits de la mission « Régimes sociaux et de retraite » sont d'une nature fondamentalement différente de ceux du CAS « Pensions ».
Au regard de la nature du CAS dont l'objet est de retracer l'ensemble des dépenses de pensions de l'Etat, les recettes et les dépenses devraient être mieux calibrées dès l'élaboration du projet de loi de finances et les écarts entre celles-ci compensés par un ajustement des taux de contribution employeurs, et non par des prélèvements sur le fonds de roulement ou des contributions exceptionnelles.
S'agissant des équilibres à plus long terme, je reviens quelques instants sur la réforme des retraites de 2010. Comme vous le savez, cette réforme a reposé sur deux volets : l'application des mesures de relèvement d'âge aux fonctionnaires comme aux salariés du secteur privé et l'introduction de mesures de convergence entre le régime général et la fonction publique, notamment s'agissant des taux de cotisation salariale.
Les prévisions d'économies associées à ces mesures décrivaient une montée en charge du dispositif s'accélérant après 2014 et devant se traduire par un impact de 4,6 milliards d'euros sur le CAS en 2020 par rapport à 2010, réparti comme suit : 1,6 milliard d'euros en recettes supplémentaires et 3 milliards d'euros en moindres dépenses.
Il est difficile d'évaluer aujourd'hui l'impact de cette réforme entrée en vigueur seulement le 1 er juillet 2011.
Le conseil d'orientation des retraites procède actuellement à la réactualisation des projections des besoins de financement des différents régimes de retraites, afin de tenir compte des effets de la réforme de 2010, mais également de la dégradation de la conjoncture économique intervenue depuis lors. Ces nouveaux travaux permettront sans aucun doute de mieux apprécier les éventuels efforts supplémentaires qui seront nécessaires.
M. Philippe Marini, président . - Pouvez-vous revenir sur le niveau du fonds de roulement du CAS et l'impact sur celui-ci des retards dans le versement de certaines subventions au compte ?
M. Francis Delattre, rapporteur spécial . - Pour absorber les décalages de trésorerie au cours de l'année, un fonds de roulement a été constitué dès la création du CAS à hauteur de 1 milliard d'euros. Mais son niveau a ensuite fluctué, notamment parce qu'il a été utilisé comme variable d'ajustement en loi de finances initiale pour assurer l'équilibre entre les recettes et les dépenses du compte. Le fonds de roulement devrait ainsi être inférieur à 600 millions d'euros fin 2012, ce qui peut poser problème s'il y a des retards dans les versements de contributions au CAS. Par exemple, l'année dernière, 313 millions d'euros de subvention du ministère de la défense, pour assurer le paiement de la retraite du combattant et des pensions militaires d'invalidité, n'ont été encaissés qu'en février 2011, et non en janvier. Fin janvier 2011, les comptes du CAS étaient ainsi en déséquilibre de 700 millions d'euros, soit un niveau que ne pourrait absorber le fonds de roulement de 2012.
Mme Marie-France Beaufils . - L'exercice de prévision est en matière de pensions extrêmement délicat. Certains effets sont difficiles à prévoir, notamment l'impact d'une réforme sur les comportements de départs à la retraite. C'est un peu ce que nous constatons dans nos collectivités territoriales. Certains agents, compte tenu des nouveaux paramètres, peuvent anticiper ou reculer leur départ.
M. Francis Delattre, rapporteur spécial . - C'est ce qui s'est produit avec la disparition progressive du départ anticipé pour les parents de trois enfants.
Mme Fabienne Keller . - C'est un sujet assez « aride », mais aux enjeux financiers essentiels. Vous l'avez rappelé : plus de 52 milliards d'euros. Je pense que les gestionnaires devraient avoir une approche globale : le « coût » d'un agent en activité et son « coût » une fois en retraite. Plus généralement, je pense qu'il faudrait revoir les perspectives de carrière des fonctionnaires.
M. Francis Delattre, rapporteur spécial . - Un autre chiffre est impressionnant : le montant des engagements hors bilan de l'Etat au titre des pensions, soit environ 1 200 milliards d'euros.
Mme Marie-France Beaufils . - Il y a aussi un sujet sur les relations financières entre le CAS « Pensions » et la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales (CNRACL) en raison d'un transfert de personnels dans le cadre de la décentralisation.
M. Francis Delattre, rapporteur spécial . - Deux mouvements financiers résultent de ces dispositions :
- l'Etat rembourse les pensions versées par la CNRACL pour les agents ayant effectué une partie de leur carrière pour l'Etat ;
- la CNRACL reverse à l'Etat les cotisations et contributions assises sur les traitements de ces agents et qui seraient revenues à l'Etat si les agents n'avaient pas été transférés aux collectivités territoriales.
Le solde des transferts avec la CNRACL est positif pour le CAS. Mais, à partir de 2022, les pensions versées seront plus importantes que les cotisations reçues.
A l'issue de ce débat, la commission a donné acte de sa communication au rapporteur spécial et en a autorisé la publication sous la forme d'un rapport d'information.