10. Dr Alfred da SILVA, Directeur Exécutif de l'Agence de Médecine Préventive (AMP)
Présentation générale des activités de l'AMP
Créée en 1972 par Charles Mérieux et Jacques Monod, l'Agence de Médecine Préventive est une association loi de 1901 qui a vocation à améliorer la santé et le bien-être des populations les plus exposées aux menaces sanitaires. La fondation de l'AMP traduisait la nécessité de créer une structure pour participer à des campagnes de vaccination dans les pays du Sud. L'AMP s'inscrit également dans une démarche de soutien à la recherche de nouveaux vaccins qui permet de rapprocher les recherches du terrain. Les travaux de recherche pour mettre au point un vaccin contre la méningite (contre un méningocoque de groupe A par les laboratoires Mérieux) illustrent l'ambition initiale de l'AMP : produire de nouveaux vaccins afin de prévenir les populations des maladies infectieuses émergentes, endémiques ou pandémiques.
Les missions de l'AMP se sont progressivement élargies et recouvrent désormais des études des conditions pratiques de la prévention. Le docteur da Silva illustre cette diversification des modes de prévention de l'AMP par un effort accru pour adapter les messages sanitaires aux sociétés concernées : l'AMP compte parmi ses équipes plusieurs anthropologues dont le rôle est d'analyser la perception de la maladie par les populations.
L'AMP travaille dans plus de 30 pays à revenus faibles et intermédiaires qui se situent essentiellement en Afrique et en Asie du Sud-Est.
Les leviers d'actions pour assurer une meilleure prévention des maladies infectieuses dans les pays du Sud
1) Le volet logistique.
Si les sommes mobilisées sont considérables (Fondation Gates, Unitaid), les résultats n'ont pas toujours été à la hauteur des ambitions des donateurs. Le docteur da Silva indique que « l'intendance n'a pas suivi ». L'existence de failles dans la chaîne d'approvisionnement des vaccins et des médicaments financés par ces organismes diminue considérablement la portée pratique de ces actions. Faute d'une gestion efficace par les administrations des pays bénéficiaires, une quantité importante d'aide est perdue du fait de ces dysfonctionnements logistiques. Pour pallier à cette situation contreproductive, des concessions de distribution des médicaments sont conclues entre le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) et le groupe Bolloré. Le groupe Bolloré assure par exemple la majeure partie de la gestion logistique des médicaments, des moustiquaires imprégnées, des rétroviraux en République démocratique du Congo. Les travaux de partenariats public-privé dans ce domaine tout comme la formation de logisticiens, notamment par l'AMP, permettront d'optimiser la distribution des produits de santé aux populations menacées.
2) Le volet « ressources humaines »
Le docteur da Silva évoque une véritable « crise en ressources humaines en santé » qui s'explique par l'inefficience des pouvoirs publics locaux. Le maintien du personnel de santé dans des conditions opérationnelles a été directement été remis en cause par l'application des politiques d'ajustements structurels de la Banque mondiale à la fin des années 1970-début des années 1980 dans les pays d'Afrique subsaharienne.
Cette désorganisation des personnels de santé se double de phénomène de « brain drain » (fuite des cerveaux) des médecins qui font le choix personnel et professionnel de l'émigration. Pour contenir cet exode médical, on encourage le développement du secteur privé afin d'assurer la formation et la rémunération de certains professionnels de santé.
3) Le volet « veille sanitaire »
L'Afrique subsaharienne est confrontée à d'énormes problèmes de suivi des pathogènes du fait du caractère inexistant ou embryonnaire des réseaux de veille épidémiologique. Les rigidités de l'administration centrale couplées à la faiblesse institutionnelle des ministères en charge de la santé contribuent à pérenniser ce statu quo. La plupart des ministères de la santé n'ont pas mis en place un réseau épidémiologique (chercheurs, universités, laboratoires, hôpitaux) capable d'identifier rapidement les menaces infectieuses. Pour autant, des embryons de veille épidémiologique parviennent à se mettre en place comme en témoignent les activités de l'Institut national de recherche biomédicale en République démocratique du Congo.
Evoquant l'Institut de veille sanitaire français, le docteur da Silva souhaiterait voir se développer des échanges de pratiques entre « veilleurs du Nord » et « veilleurs du Sud » afin de mettre en place un suivi épidémiologique. La veille sanitaire illustre un champ à privilégier pour la coopération Nord-Sud (y compris pour les coopérations décentralisées) en matière de sécurité sanitaire qui doit aller au-delà d'une simple assistance technique et s'étendre à des missions de conseil et d'échanges de bonnes pratiques. L'AMP a d'ailleurs mis en place un laboratoire mobile de microbiologie qui a vocation d'aider les pays à renforcer la surveillance des maladies et la riposte aux flambées épidémiques dans les régions isolées.
Les Etats-Unis ont engagé une veille stratégique des menaces des maladies infectieuses à travers des relais du CDC ( Centre for Diseases Prevention and Control ) l'agence fédérale de santé qui s'apparente à un organisme paramilitaire en liaison avec la Navy. Le gouvernement américain a notamment mis en place un Epidemic Intelligence Service (EIS) ce qui témoigne du caractère résolument stratégique de leurs actions de contrôle des menaces épidémiques dans les pays du Sud. Le docteur da Silva mentionne également la contrepartie économique de l'aide apportée aux pays du Sud par les grandes puissances : obtenir des souches qui ont vocation à être brevetées par les laboratoires nationaux.
Le docteur da Silva reste optimiste quant aux évolutions de la situation sanitaire des pays d'Afrique subsaharienne en raison de l'accroissement continu du niveau d'éducation de la population et de l'émergence d'une classe moyenne. A cette mutation sociologique doit répondre une mutation dans la conception des politiques sanitaires, principalement à travers la poursuite des efforts de formation des professionnels de santé. En outre, il convient également d'améliorer les institutions chargées de mettre en place les politiques sanitaires ce qui ne pourra pas se faire sans l'implication des parlementaires et plus généralement de la société civile.