B. QUELQUES PISTES DE REFLEXION

1. L'Etat gagnerait à simplifier ses outils d'analyse stratégique et à rendre sa démarche plus libre, plus cohérente et plus transparente.
a) Simplifier les outils de l'analyse stratégique

Vos rapporteurs ont le sentiment que le grand nombre de documents 16 ( * ) nuit à la clarté de la démarche stratégique. Ils doutent que la diffusion, et plus encore l'exploitation de ces documents au sein de l'appareil d'Etat et dans la communauté industrielle de défense, soit optimale. Ils ne sont même pas certains que les décideurs étatiques accordent à ces documents l'importance qu'ils méritent. Le champ et l'articulation de ces documents mériteraient d'être repensés. Il serait dans l'intérêt de l'Etat de rendre publique, de façon maîtrisée, une partie de ces documents, comme c'est le cas aux Etats-Unis avec les listes de technologies militaires critiques ( military technologies critical list MTCL) ou en Grande-Bretagne avec la stratégie d'acquisition. Le PP30 mériterait d'être scindé en deux documents, car il est à la fois un outil de prospective opérationnelle, dans sa dimension scientifique et technologique, mais aussi un instrument de stratégie industrielle et de dialogue avec les entreprises.

Bref, une mise à plat des outils d'analyse stratégique et une clarification du statut des différents documents semblent nécessaires. Elles pourraient être inspirées par les impératifs suivants :

- l'impératif de transparence : le fait, par exemple, que la prospective opérationnelle soit secrète rend toute appréciation de l'adéquation du format des armées aux menaces anticipées impossible et, partant, tout contrôle parlementaire illusoire. Certes, il semble difficile, en raison même du principe de séparation des pouvoirs, que des parlementaires participent à des exercices de ce type. Il n'est même pas certain que les dirigeants de l'exécutif doivent y être très présents, sauf pour en valider ou infirmer in fine les conclusions et donc en assumer la responsabilité politique. Néanmoins, il est indispensable, comme c'est le cas aux Etats-Unis, que les grandes conclusions de la prospective opérationnelle soient rendues publiques. C'était du reste l'un des principaux mérites du Livre blanc de 2008 que de dresser une cartographie des menaces auxquelles notre pays doit se préparer. A défaut d'une telle cartographie, il est impossible pour les parlementaires d'apprécier l'adéquation des ambitions de défense aux menaces. Il y a évidemment en matière de défense beaucoup d'éléments qui ne peuvent être rendus publics. Mais nous sommes peut être allés trop loin dans la culture du secret-défense et l'intérêt bien compris de l'Etat commande de rendre publics certains documents.

- l'impératif de permanence : la présence d'un document stratégique fixant les lignes directrices de la défense de l'Etat pour une période longue présente des avantages, en particulier celui de fonder les lois de programmation militaire dans le but de mettre les équipements de défense à l'abri des régulations budgétaires annuelles. Néanmoins, le monde change au quotidien et pas tous les quinze ans. L'analyse stratégique doit donc être permanente. C'est une fonction de veille et de pilotage qui, parce que complexe, doit être organisée avec des personnes et des organismes spécialement mandatés pour la conduire. Par ailleurs, le fait de figer dans un document à longue durée de vie la vision stratégique de l'Etat peut conduire certains acteurs à en exagérer la valeur et lui conférer le statut d'un dogme. Peut être notre pays gagnerait-il à désacraliser l'analyse stratégique en ayant des documents de long terme plus brefs et plus incisifs, en synchronie avec les lois de programmation, et une analyse stratégique conduite sur une base plus rapprochée. Actuellement l'analyse du PP30 est censée être menée sur une base annuelle. Cette périodicité s'est avérée en pratique intenable. Il faudrait la recaler en synchronie avec les lois de programmation, peut-être sur la base d'une analyse tous les trois ans.

- l'impératif de liberté : pour être pertinentes la prospective géostratégique et la prospective opérationnelle ne doivent pas être contraintes par la prise en compte des moyens ou la définition des ambitions. Elles doivent associer de façon harmonieuse des hommes de l'art, militaires, industriels, politiques, mais aussi et surtout, des personnalités fortes capables d'envisager des scénarios inédits et de décrire des menaces improbables. La perversion de l'analyse serait de minorer certaines menaces, sachant qu'on ne pourra les parer pour des raisons budgétaires, ou d'en majorer d'autres, afin de justifier le maintien d'armements coûteux, mais désormais inutiles.

- l'impératif de sincérité commande de ne pas se payer de mots, comme par exemple définir au coeur des objectifs de la politique « la préservation de l'indépendance », et en même temps définir « l'ambition européenne comme une priorité ». Le plus d'Europe se traduira par un moins d'indépendance. Ce qui ne veut pas dire moins de souveraineté. Les termes mêmes de « souveraineté » et de « stratégie » utilisés ad nauseam doivent retrouver leur sens et ne pas servir à dissimuler des intérêts particuliers. L'idée même d'Europe de la défense doit être repensée et son expression reformulée. Sans doute faut-il cesser de parler « d'Europe de la défense » concept ectoplasmique et polysémique, et désormais parler de « défense européenne », concept plus solide, plus ancré dans une réalité tangible et susceptible de recouvrir le petit nombre de pays qui veulent et qui peuvent coopérer à une oeuvre commune. Qu'elle se fasse à deux, à trois ou à vingt sept, cette défense européenne nécessitera au préalable de conduire ensemble une analyse stratégique, car il ne peut pas y avoir de thérapie commune sans diagnostic partagé. Si défense européenne il doit y avoir, il faut au préalable une grande stratégie européenne, qu'elle porte ou non le titre de Livre blanc.

- l'impératif de cohérence consiste à adapter ses moyens à ses ambitions. Si la France veut vraiment mettre en oeuvre une politique d'indépendance nationale, cela a un coût important qu'il faudra assumer par des choix budgétaires volontaristes. L'impératif de cohérence commande également de ne pas procéder à la programmation financière, et encore moins aux arbitrages budgétaires - à la hausse comme à la baisse - sans avoir au préalable conduit une nouvelle analyse stratégique. Il serait inconséquent de s'interroger sur les programmes qu'il ne faut pas lancer ou sur ceux qu'il est possible de réduire sans réexaminer les ambitions de défense. S'il fallait envisager une diminution des dépenses de défense, ce que vos rapporteurs se refusent à faire, il faudrait alors, pour rester cohérent, accepter une diminution de nos niveaux d'ambition.

Précisions terminologiques

La matière est propice à l'abus de certains mots dont l'utilisation a contribué à en faire perdre le sens. Parmi ceux-là, il en est deux qui nécessitent d'être définis avec précision.

La souveraineté : il s'agit d'un concept de droit, qui a été dégagé par le légiste Jean Bodin en 1576 dans les "Six livres de la République". La définition retenue aujourd'hui en droit est celle énoncée par Louis Le Fur à la fin du XIX ème siècle : « La souveraineté est la qualité de l'État de n'être obligé ou déterminé que par sa propre volonté, dans les limites du principe supérieur du droit, et conformément au but collectif qu'il est appelé à réaliser ». Autrement dit, la souveraineté est un concept de droit qui ne connait que deux états : soit on est souverain, soit on ne l'est pas. La souveraineté se différencie de l'indépendance qui est un concept de fait, variable (indépendance énergétique, indépendance technologique, militaire etc) et contingent c'est-à-dire susceptible de prendre une multiplicité d'états de la dépendance à l'indépendance. Tous les Etats sont souverains. Rares sont ceux indépendants. Même la Chine et les Etats-Unis dépendent étroitement l'un de l'autre en raison de leurs liens commerciaux et financiers.

Stratégique est dérivé du grec stratos qui signifie « armée » et ageîn qui signifie « conduire ». Le strategos est celui qui marche en arrière des armées. Il n'est pas nécessairement lui-même un militaire. Dans la Grèce à la période classique, un tiers des stratèges étaient d'origine civile 17 ( * ) . Le strategos donne la "feuille de route" au général qui conduit les hommes à la bataille, quand il ne se confond pas dans la même personne. De façon simple, mais efficace, il apporte les réponses à cinq questions essentielles : 1) où aller ? 2) pour faire quoi ? 3) avec qui ? 4) avec quels moyens ? 5) dans quel calendrier ? Plus largement, la stratégie est l'art de coordonner l'action de l'ensemble des forces de la nation pour conduire une guerre, gérer une crise ou préserver la paix. Selon Charles de Gaulle : « La stratégie est de la compétence du gouvernement et de celle du haut-commandement des forces armées.» Par extension, c'est l'élaboration d'une politique, définie en fonction de ses forces et de ses faiblesses, compte tenu des menaces et des opportunités. Dépassant cette acception, certains pensent que la stratégie ne se résume pas à « l'organisation efficace de moyens pour atteindre un but ». « La stratégie est la capacité de définir une raison d'être - un dessein - qui assure la pérennité et l'épanouissement de ce qui est, et de ce qui sera » 18 ( * ) . Pour sa part, le général Beaufre dans Introduction dans la stratégie : « la stratégie est une dialectique des volontés employant la force pour atteindre leur but. » Derrière cette définition, on retrouve le pourquoi, le quoi et le comment qui sont les composantes de toute stratégie.

b) Mieux articuler les différentes étapes de l'analyse stratégique et de la définition de la politique de défense

En second lieu, vos rapporteurs considèrent que la coordination entre les différentes étapes de l'analyse stratégique gagnerait à être mieux articulée.

C'est le cas en particulier de la liaison entre la prospective géostratégique menée par la DAS et la prospective opérationnelle menée par l'EMA. Notre sentiment est qu'il n'est pas tenu suffisamment compte de la prospective géostratégique, dans l'exercice consistant à dresser la physionomie des menaces. En outre, d'autres acteurs devraient être associés à ce passage particulièrement critique : la DGA, bien sûr, pour ce qui est de l'aspect scientifique, mais aussi les laboratoires de recherche tels l'ONERA, pour les technologies, le ministère des affaires étrangères et, bien évidemment, les services de renseignement. Enfin, la notion de « menace » ne doit pas être l'angle unique de considération de la prospective opérationnelle. Celle-ci devrait également mieux englober la notion d'opportunité, qui inclut les prospects à l'export d'armements, mais pas seulement.

Par exemple, le fait que le monde se réarme, en particulier la Chine et l'Inde, et qu'il continuera de le faire (conjecture de prospective géostratégique) doit-il être considéré comme une menace (risque d'interruption des routes maritimes, approvisionnement des matériaux stratégiques etc...) ou au contraire comme une opportunité (vente d'armes aux compétiteurs) ?

c) Consacrer plus de temps et d'attention à la confrontation des ambitions et des moyens

Il serait souhaitable de travailler davantage sur la boucle « définition des ambitions de défense - analyse des moyens ». C'est la partie la plus difficile mais aussi la plus nécessaire de l'analyse stratégique. Car il ne servirait à rien de mener une prospective stratégique et opérationnelle très élaborée si, in fine , tout est dicté par des considérations budgétaires ou de préservation de tel ou tel programme, de telle ou telle compétence, de telle ou telle entreprise. Autant dans ces conditions en faire l'économie et se contenter du vote annuel du budget.

Il s'agit de confronter l'outil de défense idéal que l'on souhaiterait avoir, avec l'équation budgétaire du moment et l'état de l'appareil de défense à un instant donné, ainsi que ses capacités d'évolution.

C'est le résultat de cette confrontation qui conditionne la cohérence du format des armées, la pertinence des stratégies d'alliance et d'acquisition, mais aussi la soutenabilité dans la durée de la trajectoire budgétaire et la faisabilité technologique et industrielle des programmes d'armement.

C'est pour cela qu'il sera essentiel d'attendre qu'une nouvelle analyse stratégique soit conduite par une nouvelle commission du Livre blanc avant d'effectuer des arbitrages budgétaires. Il ne serait en effet pas cohérent de trancher dans des programmes majeurs du type A400M, Rafale, Rénovation des Mirage 2000D, FREMM, Barracuda, Scorpion... afin d'obtenir des réductions de dépenses immédiates et puis de modifier le format des armées en fonction.

Pour faire des choix industriels pertinents, il faut déterminer quel format d'armées nous souhaitons, au service de quelles ambitions de défense, dans quel cadre d'alliance. Bref, il faut conduire une analyse stratégique prenant en compte la nouvelle équation budgétaire avant de décider de faire des coupes dans tels ou tels équipements.

d) Élaborer et rendre publique la stratégie d'acquisition des équipements militaires

La stratégie des trois cercles exposée dans le Livre blanc découle du constat que la France ne peut plus se payer tous les équipements militaires et qu'identifier les capacités et technologies les plus critiques pour notre indépendance, c'est se donner les moyens de concentrer nos ressources sur l'essentiel.

Or ce qui est essentiel n'est pas ce qui est important. Dresser un inventaire à la Prévert de toutes les technologies importantes et de toutes les capacités industrielles à fort effet de levier ne ferait que nous conduire à disperser nos moyens sur des capacités dont l'utilité militaire ne nous est peut être pas indispensable.

La stratégie d'acquisition doit permettre de prendre en compte les intérêts de l'Etat et de ses forces armées, qui ne se confondent pas toujours avec ceux de l'industrie de défense.

Pour être comprise et partagée par tous au sein de l'appareil d'Etat, cette stratégie d'acquisition doit être claire et transparente.

La transparence présente en soi plusieurs vertus dont la première est de permettre la critique et donc les améliorations. Une stratégie d'acquisition n'a pour objet de définir au cas par cas, au jour le jour, ce que l'Etat doit acheter ou pas. Mais elle permet de se doter des outils et des principes permettant, une fois le cap fixé, de conduire les affaires de l'Etat dans le brouhaha quotidien des actions militaires et diplomatiques internationales.

2. L'Etat doit déduire les CIMC de son analyse stratégique et non l'inverse

Les capacités industrielles militaires critiques (CIMC) doivent découler de la physionomie de l'outil de défense et non l'inverse. Si le nouveau Livre blanc dessinait un outil de défense très différent de l'outil actuel, il devrait donc en déduire les capacités industrielles associées.

Aujourd'hui notre outil de défense est organisé pour remplir trois missions, définies dans la préface du Livre blanc :

- « relever les défis que nous confèrent nos obligations internationales ;

- « assurer l'indépendance de la France ;

- « assurer la protection de tous les Français. »

Pour remplir ces missions, les forces armées doivent disposer des moyens leur permettant de garantir l'autonomie d'appréciation, l'autonomie de décision et l'autonomie d'action des responsables politiques. Elles doivent donc avoir la capacité non seulement de protéger les Français, sur l'ensemble du territoire national, y compris l'outre-mer, mais aussi de se projeter, pour remplir nos obligations internationales. Ces fonctions stratégiques supposent que l'Etat soit particulièrement vigilant sur les capacités industrielles militaires suivantes :

a) La surveillance de l'espace extra-atmosphérique et de l'espace aérien

La défense antimissile balistique (DAMB) telle que déployée dans le cadre de l'OTAN fait peser un risque de perte de la souveraineté de l'espace extra-atmosphérique européen. En effet, toute la chaîne DAMB sera américaine.

Le respect de notre autonomie stratégique commande au minimum que nous fassions des efforts dans l'alerte avancée (satellite infrarouges - radars) et l'architecture du système (commandement et de contrôle). Pour ce qui est des radars, peut être faudrait-il rouvrir la piste des radars transhorizon qui présentent l'avantage d'être tous azimuts (un seul pourrait suffire à assurer la protection du territoire métropolitain) et sont susceptibles de détecter des véhicules aériens en vol rasant.

Précisément, l'indépendance de la France supposerait également que nous mettions les moyens nécessaires pour rénover notre dispositif de surveillance de l'espace aérien : système de commandement et de contrôle des opérations aériennes (SCOAA) en respectant le déploiement de la version 4, et en s'engageant vers une version 5 qui nous assure un droit d'entrée dans le dispositif otanien de la DAMB.

b) La dissuasion nucléaire

Les capacités industrielles militaires critiques de la France en matière de missiles balistiques pourraient sérieusement être mises à mal si aucune solution n'était rapidement dégagée quant au successeur de la fusée Ariane. Il serait nécessaire de lancer les études amont sur un possible missile successeur du M 51.2 dans des délais assez brefs.

c) Les missiles de croisière hyper véloces

La France dispose avec le missile ASMP/A de l'un des meilleurs missiles de croisière assaillants au monde. Les technologies utilisées pour ce type de missile serviront pour les missiles de croisière, qui outre le fait d'être invulnérables à la DAMB, jouent un rôle croissant dans les conflits actuels (Libye etc).

L'ONERA et MBDA travaillent sur deux projets successeurs  de l'ASMP/A : un missile à statoréacteur (plage de vitesse Mach 4 à 5) PEA Camosis et un missile à super statoréacteur (Mach 7 à 8) PEA Prométhée. Il est important que ces programmes d'études amont puissent être menés dans de bonnes conditions.

d) L'interception de cibles rasantes

Les progrès de l'interception exo-atmosphérique sont connus. Il faut donc envisager que la prolifération change de forme, avec davantage de missiles rasants ou de missiles balistiques de courte portée manoeuvrants, de type SS-26 Iskander. La réponse à cette menace militaire passe par le développement des missiles Aster-15 (auto-défense) et Aster 30 (interception) ainsi que des systèmes (radars et C2) dans lesquels ils s'insèrent, soit à terre (SAMP/T) et donc des radars de conduite de tir (type GS1000) soit en mer (PAAMS) et donc de la mise en partage des radars (type SMART L (Thales NL) et des C2.

La DGA et la Marine nationale ont réalisé avec succès, le 4 avril 2012 à partir de la frégate Forbin, l'interception par le système PAAMS via un missile Aster 30 d'une cible aérienne simulant l'attaque d'un missile antinavire supersonique volant à très basse altitude. Il s'agit d'une première en Europe. Ce tir d'une haute technicité démontre la capacité du système antiaérien PAAMS à protéger un groupe aéronaval contre un type de menace particulièrement dangereux.

La réponse à cette menace militaire passe par un développement incrémental du missile ASTER 30 B1 pour améliorer ses performances tout en traitant ses obsolescences. Un tel développement permettrait de surcroit d'ouvrir une voie européenne au futur des systèmes antibalistiques Italiens, allemands, voire  britanniques.

e) Les drones

Le dossier des drones MALE mérite d'être rouvert. En effet, la pertinence économique de la création filière de drones MALE nationale ou même franco-britannique fait débat. Au regard des quantités envisagées seule un regroupement des besoins des différentes nations européens semble faire sens économiquement. Dans ces conditions, il semblerait opportun de laisser venir tous les éventuels candidats (EADS, Dassault, General Atomics ) à l'offre. Seule une cible la plus large possible permettra de réduire les coûts.

Il serait souhaitable par ailleurs que l'Etat tranche le dossier des drones tactiques.

f) Les avions de combat futur et les UCAV

L'Europe et la France en particulier ne sont pas restées inertes en matière de drones de combat (UCAV) dont les technologies et les doctrines d'emploi seront radicalement différentes des drones MALE. Deux projets sont en lice : le démonstrateur NEURON de Dassault et le démonstrateur TARANIS de BAé. L'Europe ne peut se permettre le luxe de recommencer les erreurs du combat fratricide Eurofighter/Rafale. Il est donc urgent de faire converger les deux projets et dégager une feuille de route industrielle et financière crédible.

g) Les nanotechnologies, la biologie, l'informatique et les sciences de la cognition

Le domaine des NBIC est parmi les plus prometteurs, avec des enjeux économiques et des avancées techniques considérables dans les domaines civils et militaires.

Les nanotechnologies, socle du processus de convergence de toutes ces technologies, peuvent conduire à des gains considérables dans l'industrie civile et à des écarts capacitaires significatifs pour les moyens de défense, car elles offrent une ultra-miniaturisation de fonctions existantes, parfois accompagnées par des réductions de coût et permettant la dissémination sur le terrain de fonctions intelligentes. Elles permettent également d'envisager de nouveaux matériaux aux propriétés avancées (résistance aux balles) et de nouvelles fonctions extrêmement importantes (furtivité, invisibilité).

Elles ne seraient pas pour autant dénuées de potentialités redoutables, si elles étaient détournées en vue de mettre au point de nouvelles armes, notamment à l'interface de la chimie et de la biologie. L'identification de leur juste encadrement est rendue d'autant plus critique que ces technologies sont porteuses d'enjeux économiques, éthiques, juridiques et sociétaux majeurs.

h) Galileo : la nécessaire indépendance vis-à-vis du GPS américain

Galileo est un projet européen de système de positionnement par satellite. Les quatre premiers satellites de la constellation seront testés à partir de 2011 et le système devrait être achevé d'ici 2019-2020.

Il garantira l'autonomie de l'Union européenne vis-à-vis des Etats-Unis et de la Russie dans ce domaine critique pour l'indépendance nationale. Il déploiera des facultés avancées par rapport à celles présentement offertes par le GPS des Etats-Unis ou le GLONASS de la Russie.

Cette indépendance est importante car le GPS actuel souffre de nombreuses restrictions sur la précision du positionnement, la fiabilité ou la continuité. Le positionnement peut être impossible dans certaines zones du globe ou à certains moments, pour des raisons techniques ou politiques.

i) Andromède : le « nuage souverain informatique » pour protéger le secret industriel

Le cloud ou nuage est un concept de stockage informatique situé hors les murs d'une entreprise, sur des serveurs accessibles par internet. Ce besoin ne concerne pas la défense, dont les réseaux (DR, CD, SD) sont déconnectés physiquement les uns des autres et d'Internet, mais séduit beaucoup d'entreprises privées (PME et ETI) et même des administrations, essentiellement pour des raisons économiques.

Le problème est qu'aujourd'hui les nuages appartiennent essentiellement à de grands acteurs américains tels que Microsoft, Cisco, IBM, Apple, HP ou Google, qui vient du reste de sortir son cloud , baptisé Drive.

A qui appartiennent les données stockées dans le nuage ? Dans certains Etats américains, la loi locale prévoit qu'elles soient également la propriété de l'opérateur qui les héberge. Le Patriot act permet au gouvernement en cas de risques liés au terrorisme d'accéder à toute donnée stockée par une société américaine. Même avec un stockage privé en France, garanti par contrat, que se passerait-il si le prestataire était racheté par un opérateur asiatique ou moyen-oriental qui effectuerait des copies de sauvegarde loin de nos frontières ?

Ces craintes ont décidé la France, en 2009, comme la Grande-Bretagne ou l'Allemagne, à bâtir un cloud souverain. Après le retrait de SFR et de Dassault-Systèmes, c'est le couple Thalès-Orange qui a été agréé pour donner naissance au cloud souverain français : Andromède, pour un montant de 350 millions d'euros. Ce cloud souverain sera destiné aux administrations et aux entreprises afin de stocker des informations sensibles telles que des données personnelles administratives, des renseignements liés à l'e-santé ou encore des informations économiques.

3. L'Etat doit poursuivre ses efforts pour la sécurisation des approvisionnements en matériaux critiques

L'État français veille à la sécurité d'approvisionnement de son industrie, civile et de défense 19 ( * ) . Le 24 janvier 2011 a été créé par le décret n° 2011-100 un comité pour les métaux stratégiques (COMES) placé auprès du ministre de l'industrie afin de garantir nos approvisionnements.

Le COMES rassemble :

- des services de l'État (SGDSN, Mindef, Minefi, MAEE, MEEEDM) ;

- des organismes techniques (ADEME, AFD, BRGM, IFREMER)

- les fédérations professionnelles des industries minières, métallurgiques, chimiques, mécaniques, aéronautiques, automobiles, de recyclage, etc..

Dans ce cadre, le ministère de la défense (DGA et DAS) et le SGDSN mènent des études spécifiques aux besoins de la défense.

Une veille permanente doit être organisée. La presse a beaucoup parlé des « terres rares », groupe de métaux aux propriétés voisines. Mais il serait dangereux de focaliser notre attention sur les seules terres rares. Bien d'autres métaux jouent un rôle critique dans l'industrie de défense. Certaines substances, comme par exemple le carbure de tungstène, n'entrent pas dans les matériaux utilisés pour les armes, mais sont essentielles à la fabrication de l'outillage de ces armes. Sans ce métal, il serait impossible d'usiner les blindages les plus durs. D'autres matériaux jouent également un rôle critique. Il peut s'agir de briques spéciales pour des fours spéciaux, de lubrificateurs de moules, de composants essentiels pour les équipements électroniques, tels que le Gallium.

Dans le même ordre d'idées, l'Etat doit veiller non seulement à la sécurité d'approvisionnement de ces matériaux, en diversifiant si possible ses sources, mais il doit également s'inquiéter des routes de transport, qui sont pour la plupart des routes maritimes.

4. L'action sur l'offre : ne pas renoncer à faire baisser les coûts des équipements militaires

L'industrie de défense présente plusieurs caractéristiques fortes, parmi lesquelles l'étroitesse des séries de production, l'importance des coûts de développement dus à la recherche permanente de technologies de rupture, l'impossibilité d'exporter ses matériels les plus performants. Tout cela conduit à une inflation des coûts et des délais. Cette inflation n'est pas propre à l'Europe. Il suffit pour s'en convaincre de penser au programme d'avion de combat américain Joint Strike Fighter (JSF). Néanmoins, il n'y a pas de fatalité à la hausse des équipements de défense. Les entreprises elles-mêmes doivent faire des efforts car sinon elles finiront par ne plus avoir de clients, y compris leurs propres Etats. Pour enrayer cette hausse plusieurs séries d'actions méritent d'être considérées.

a) Réexaminer les doctrines d'emploi

L'objectif est ici de concentrer nos moyens budgétaires sur les équipements critiques et acquérir des équipements moins gourmands en technologie pour le reste.

En matière de blindés terrestres, par exemple, où deux grands programmes devraient être lancés dans les années qui viennent, il faut peut-être réexaminer la façon dont nous utilisons nos moyens militaires. Des transports de troupes à plus d'un million d'euros sont-ils nécessaires dans tous les types de missions ? Ne faut-il pas au contraire des moyens plus nombreux et moins onéreux à côté d'un petit nombre de véhicules hautement protégés ? Ne pourrait-on pas accompagner nos blindés de véhicules de flanc-garde plus petits, plus manoeuvrants, mais aussi plus adaptés à nos théâtres habituels de déploiement, en particulier en Afrique ?

b) Poursuivre l'action sur les règles d'acquisition

Depuis 2008, une action importante a été menée dans l'ordre réglementaire.

Les directives du paquet défense de 2009, en particulier la directive sur les marchés publics de défense et de sécurité, ont pour ambition de permettre une réduction des coûts des équipements militaires par la création d'un grand marché de défense qui permette d'amortir les investissements sur des séries longues, de partager les coûts non récurrents de développement et d'éliminer les concurrents les moins compétitifs.

Mais en l'absence de clause de préférence communautaire, ces directives ne permettront pas l'émergence d'un marché européen de la défense. Elles faciliteront, en revanche, l'émergence d'un marché transatlantique des équipements de défense. Or sur ce marché, les équipementiers américains, parce qu'ils disposent d'un marché vaste et profond et d'une protection réglementaire que nos industriels n'ont pas (le Buy American Act ), ont des avantages comparatifs considérables qui à terme pourraient se traduire par la disparition des compétiteurs européens ou, à tout le moins, par leur américanisation.

Une renégociation des directives européennes du paquet défense afin d'y incorporer une clause de préférence communautaire semble difficile et pour tout dire hors de portée. Cela tient en particulier à la position britannique et au positionnement commercial de BAé sur le marché américain. En revanche la proposition d'une lettre d'intention en faveur d'une préférence communautaire mériterait d'être tentée avec les Allemands, les Italiens et les Espagnols afin de créer un coeur industriel de défense européen.

A défaut, il serait souhaitable de lancer une campagne pour lever le Buy American Act pour les industriels de la défense européens au nom du principe de réciprocité. Il n'y a aucune raison pour que les industriels américains puissent vendre leurs équipements en Europe et que la réciproque ne soit pas vraie.

Enfin, on peut se demander pourquoi l'Etat français renonce souvent de lui-même à faire des appels d'offre dans des secteurs tels que les drones, ce qui joue contre ses propres intérêts et se traduit par un renchérissement des équipements acquis.

Dans le même ordre d'idées, l'action de la France en faveur de la création d'un brevet unitaire de l'Union européenne, qui semble être à nouveau considéré, pourrait avoir des retombées positives en matière de protection intellectuelle des capacités industrielles militaires européennes.

c) Ne pas renoncer à des programmes en coopération

Les grands programmes d'armement menés en coopération européenne ont donné des résultats mitigés. La coopération européenne dans les industries de défense regorge d'exemples de programmes dont les délais ont été plus longs et les coûts plus chers que s'ils avaient été menés nationalement, qui ont connu des dérapages de prix et ont débouché sur des produits moins cohérents voire si différents que tout partage des coûts de maintenance en est impossible.

Cela a été le cas de l'avion de chasse Eurofighter, dont l'assemblage est effectué sur quatre sites différents, des frégates Horizon franco-italiennes qui n'ont plus en commun que le nom, ou encore de l'hélicoptère de transport NH-90 qui a donné lieu à vingt-sept versions différentes. Les causes en sont bien connues : divergences des besoins opérationnels des états-majors, décalages des calendriers d'équipement, « juste retour » industriel, absence de nation leader ou d'industriels leader.

Néanmoins certains programmes européens ont été de grand succès. Parmi d'autres et sur la période récente, on retiendra les programmes de missiles Air/Air Météor, qui devrait faire son entrée dans les forces sous peu et dont les performances semblent prometteuses, les programmes de missiles Mer/Air ou Sol/Air PAAMS/SAAMP-T de défense anti-aérienne voire de défense antimissile balistique.

Surtout, sans coopération, certains programmes n'auraient tout simplement pas existé. C'est le cas en particulier de l'avion de transport européen A400M. Même si ce programme a connu des difficultés, il est finalement en bonne voie d'achèvement et le produit final semble, là aussi, très prometteur et bien moins cher que si les nations européennes avaient dû acheter des C17 américains sur étagère.

Malheureusement, plus aucun grand programme commun n'est envisagé en Europe. C'est fort dommage car, à condition d'être bien menés et peut-être au prix de l'abandon du principe du juste retour, ces programmes permettent de réduire le coût des équipements.

Est-il encore raisonnable de lancer sur une base nationale un nouveau programme de véhicule de transport de troupes terrestres (VBMR) ? Avons-nous vraiment tout tenté pour une coopération en matière de blindés terrestres ? Est-il possible qu'aucun autre pays européen ne soit intéressé en matière d'alerte avancée ?

Il deviendra de plus en plus difficile, avec des budgets européens en baisse et des industriels dans l'obligation de rechercher une part croissante de leurs ressources sur les marchés extracommunautaires, de construire de tels programmes. Certains industriels imaginent d'ores et déjà l'avenir à travers des partenariats stratégiques avec des puissances émergentes davantage que par la réalisation de programmes européens.

d) Ne pas placer trop d'espoirs dans le partage capacitaire

Le partage capacitaire ( pooling and sharing ) consiste à mettre en partage des équipements militaires. Cela permet d'acheter moins d'équipements et de continuer à faire à plusieurs ce que l'on ne peut plus faire tout seul. Mais le partage capacitaire suppose, le moment venu, d'être assuré de pouvoir disposer des équipements. Cela suppose aussi que tout le monde ait quelque chose à partager, ce qui est de moins en moins le cas.

Cette technique de partage des coûts peut donner de bons résultats dans les équipements éloignés du champ de bataille (transport aérien, matériel médical...). Mais peut-on envisager un partage des moyens de combat, comme par exemple les avions de combat ? Les Belges, les Hollandais, les Danois et les Norvégiens semblent vouloir s'y hasarder en raison d'une expérience commune découlant du partage d'un même équipement (le club F-16). Mais avec qui la France serait-elle prête à partager son aviation de combat ?

e) L'Etat doit repenser sa stratégie industrielle

L'industrie de défense française est un pôle d'excellence de l'industrie française. Il n'y aura pas de réindustrialisassions de notre pays, sans prise en compte de l'industrie de défense.

Paradoxalement, alors que la stratégie industrielle prend souvent l'avantage sur la stratégie d'acquisition, l'Etat actionnaire - au plus haut niveau de décision - semble avoir cruellement manqué de vision, en particulier dans les secteurs de l'armement naval, de l'armement terrestre et de l'électronique de défense.

Il ne s'agit pas de remettre au goût du jour les nationalisations ni un quelconque « mécano industriel », hors de portée financière. Mais l'Etat ne peut se désintéresser de la façon dont les entreprises de défense s'organisent.

Or, tout le monde le sait, le marché des équipements de défense européen est trop fragmenté, avec un nombre trop important d'acteurs n'ayant pas la taille critique pour les investissements de R&D. Il est donc temps que l'Etat mette de l'ordre dans ses participations, puisque les règles du marché, en particulier la directive MPDS, ne joueront pas le rôle orthopédique que l'on en attend, surtout si ceux-là même qui l'ont promue, en particulier notre pays, refusent d'y recourir.

Les dernières années ont été marquées par la montée en puissance du groupe Dassault comme groupe pivot de l'industrie de défense française, avec la prise de participation majoritaire au capital de Thales, puis à travers celui-ci dans DCNS et Nexter. L'idée avait même été évoquée un moment de la constitution d'un champion national, à l'instar du groupe britannique BAE.

Cette stratégie est critiquable à maints égards. D'abord parce qu'elle laisse l'Etat face à un monopoleur national et le condamne donc à acheter les produits de ce monopoleur au prix fort. Ensuite, parce que la constitution de monopoles est injustifiable si elle se fait au profit d'intérêts privés. Enfin, parce qu'elle ne pourra jamais conduire à la constitution d'une « Europe de la défense » et handicapera les différents champions nationaux européens (BAE, Dassault, Finmeccanica), omnipuissants sur leur marché intérieur, mais d'une taille insuffisante pour entrer en compétition avec leurs concurrents occidentaux.

Il serait donc préférable de favoriser la constitution de groupes européens. Les industries de défense européenne doivent avoir une taille critique suffisante pour concurrencer leurs compétiteurs sur les marchés mondiaux et offrir aux forces armées européennes des équipements performants mais moins chers.

Pour repenser sa stratégie industrielle, l'Etat a besoin de moyens financiers, mais aussi et surtout d'une vision claire et cohérente.

Pour ce qui est des moyens financiers , il ne nous semble pas raisonnable, dans le contexte actuel, de créer un fonds souverain supplémentaire dédié à la défense, ce qui aurait pour effet d'augmenter la dette. En revanche, il est peut être encore temps d'orienter les fonds inutilisés du FSI vers les entreprises de défense, ce qui n'a pas été fait jusqu'à présent. Il conviendrait d'étudier la possibilité d'affecter tout ou partie du reliquat de ce fonds vers des programmes de R&D dans le secteur de la défense.

Pour ce qui est de la vision, l'État doit repenser sa stratégie, non pas de façon isolée, mais de concert avec ses alliés . La raison pour laquelle toutes les tentatives de regroupement ont échoué au niveau des programmes, au niveau des règles ou au niveau capacitaire, ou au niveau des restructurations industrielles, c'est simplement parce qu'il n'y a pas eu d'accord préalable sur la vision stratégique d'ensemble, sur une grande stratégie pan européenne.

Les succès de l'Etat stratège industriel en France

Dans l'après-guerre, l'Etat français a reconstruit la France avec la volonté farouche d'assurer l'indépendance nationale. L'idée a été reprise de ce que faisaient les Allemands en liant la recherche technologique et l'industrie de défense. C'est ainsi qu'ont été créés les instituts de recherche et de technologie (IRT) : l'ONERA, le CEA, le CENT, l'INRA, l'Institut Saint Louis (ISL), l'institut français du pétrole 20 ( * ) . La DGA a été créée en 1961 avec pour mission de « construire une défense nationale indépendante fondée sur la force de dissuasion ».

Dans les années 1990, le contrôle de l'Etat s'est fortement allégé, avec la privatisation des industries de défense et l'évolution du rôle de la DGA. La direction de la recherche et des études techniques du ministère de la défense a été supprimée en 1992-1993. Celle-ci était fondée sur une approche bottom up : on partait des propositions faites à la base par les services techniques des armées. La nouvelle approche a privilégié la démarche top down . Une équipe d'« architectes de systèmes de forces » est chargée d'élaborer un plan sur trente ans (le PP 30). Un « service d'architecture des systèmes de forces » est créé au sein de la nouvelle « direction des systèmes de forces et de la prospective ». Il est flanqué d'un « service de la recherche et des études amont », chargé de préparer concrètement, en fonction de ce plan, l'évaluation des besoins de recherche.

Les anciens arsenaux de la direction des constructions navales (DCN) et du groupement des armements terrestres (GIAT) ont été privatisés pour devenir respectivement DNCS et NEXTER. Les tutelles s'en sont trouvées relâchées avec pour conséquence l'affaiblissement de la politique industrielle. Les grands groupes qui ont émergé ont une logique de marché à moyen terme (5- 10 ans) et internationale. Alors que l'Etat conserve une vision plus longue et centrée sur sa souveraineté. L'Etat n'a plus les moyens d'une stratégie industrielle de défense qui soit calquée sur le modèle de ce qui s'est fait, ne serait ce que parce il n'a plus les moyens de prendre le contrôle du capital des entreprises de défense qu'il a privatisées. Il faut donc repenser cette stratégie avec des instruments nouveaux.

5. L'action sur la demande - promouvoir la défense de l'Europe

Tous les Etats européens bénéficient de la protection des Etats-Unis au travers de l'Alliance atlantique. Beaucoup en ont profité pour réduire leur outil de défense au-delà du raisonnable. Ils bénéficient aujourd'hui de cette sécurité, sans en payer le prix. Cette situation pourrait ne pas durer si les Etats-Unis se lassaient de payer pour les Européens. Il faut donc que, dans le respect de leurs alliances, les Européens se prennent en charge eux-mêmes.

Mais pas plus que la défense des Etats-Unis ne repose sur les seuls Etats de Floride et de Californie, la défense de l'Europe ne peut reposer exclusivement sur la France et le Royaume-Uni. La défense de l'Europe est aujourd'hui une nécessité parce que plus aucun Etat européen n'a les moyens d'assumer seul les coûts d'un outil de défense permettant de satisfaire les principales fonctions stratégiques. Il est donc nécessaire que chacun y contribue à la même hauteur, avec le même pourcentage d'effort. Cela aussi fait partie de la solidarité européenne.

Les réflexions qui précèdent permettent de voir en quoi l'absence de réflexion stratégique partagée au niveau européen entrave l'émergence d'une authentique politique de défense européenne.

Si l'on souhaite mettre en place une politique de défense européenne, la première chose par laquelle commencer est bien de mener une analyse stratégique partagée avec une même vision géostratégique, une même vision des conflits futurs, partageant les mêmes ambitions et définissant ensemble les grandes lignes de l'outil de défense.

Tant qu'il n'y aura pas d'accord sur tout cela, il ne pourra y avoir de politique de défense européenne, pas plus que la constitution d'une base industrielle de défense européenne, tout au plus la mise en place de quelques centrales d'achats 21 ( * ) et des projets ponctuels. Bref, un « Livre blanc sur la défense européenne » n'est pas une option pour ceux qui souhaiteraient que la France soit porteuse d'une ambition européenne. Il en est le préalable.


* 16 Voir annexe : la démarche stratégique française

* 17 Debra Hamel, « Strategoi on the Bema : The separation of Political and Military Authority in Fourth-Century Athens » the Ancient History Bulletin 1995 ç (1) pp 25.39

* 18 Philippe Baumard, « le vide stratégique » CNRS Editions janvier 2012

* 19 Voir notamment : « La sécurité des approvisionnements stratégiques de la France »: rapport d'information n° 349 (2010-2011) de M. Jacques Blanc, fait au nom de la commission des affaires étrangères et de la défense, déposé le 10 mars 2011

* 20 Le CNRS a été créé en 1939.

* 21 Dans un article paru dans le journal Le Monde, le 21 mai 2012, le professeur Jolyon Howorth de Yale et le Général Jean-Paul Perruche, directeur de recherches à l'INSERM déclarent : « L'expérience franco-britannique lancée il y a dix-huit mois par le traité de défense de Lancaster House montre que le bénéfice à escompter de la mutualisation et du partage est proportionnel à l'interdépendance acceptée, c'est-à-dire "in fine" à la souveraineté partagée. Il y a peu de chances que la simple coordination de moyens nationaux soit à la mesure du problème capacitaire et d'ambition des Européens. Le partage de souveraineté n'a de sens que s'il s'intègre dans des politiques convergentes, des objectifs de sécurité et des stratégies partagés, c'est-à-dire dans un processus d'intégration politique. Même s'il peut paraitre un objectif utopique à certains, le partage de souveraineté est sans doute préférable à la perte de souveraineté que génèrent les coupes budgétaires et les déficits capacitaires nationaux qu'elles engendrent. La mutualisation et le partage ont des incidences politiques, économiques, industrielles et opérationnelles. L'UE a l'avantage d'être un projet politique global, là où l'OTAN ne traite que de sécurité ; elle est aussi le lieu où les Européens créent des intérêts communs, il serait logique qu'elle soit aussi le lieu où ils les défendent ensemble. ».

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