EXAMEN EN COMMISSION
Réunie le mercredi 4 juillet 2012, sous la présidence de M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat, les membres de la commission ont entendu la communication des co-rapporteurs MM. Daniel Reiner et Yves Pozzo di Borgo. A l'issue de leur présentation, un débat s'est engagé :
M. Jean-Louis Carrère, président - Je remercie les co-présidents et les membres du groupe de travail pour ce rapport qui est dans l'esprit du travail confié aux différents ateliers.
Mme Nathalie Goulet - Il est important que nous puissions faire partager les enjeux exposés par nos concitoyens car le débat reste souvent confiné entre professionnels de la défense.
M. Jean-Louis Carrère, président - Je me réjouis du caractère parfois idéaliste du rapport, car c'est un moteur qui conduit à ne pas renoncer.
S'agissant de la coopération européenne en matière de défense, il convient de mettre l'accent sur la nécessité pour les états-majors des armées concernées de se mettre préalablement d'accord sur les spécifications des matériels commandés. Je suis conscient que ceci serait plus facile si la démarche d'un Livre blanc européen était entreprise. Je l'avais d'ailleurs évoqué lors de notre récente rencontre avec la commission de la défense du Bundestag.
M. Jean-Pierre Chevènement - Je partage les orientations du rapport qui nous conduira à quelques difficultés au moment des discussions budgétaires. Mais je suis prêt à faire le constat que « nous sommes vraiment à l'os » dans beaucoup de domaines.
La souveraineté et l'indépendance doivent être distinguées. La souveraineté est une notion de droit, elle est la « compétence de la compétence ». Elle ne peut se déléguer. Elle est la puissance originaire qui fonde les actes des gouvernements et des assemblées délibérantes. A côté de la souveraineté, il y a l'indépendance à laquelle on aspire et qui n'est jamais une réalité car on est toujours dépendant de beaucoup de choses. Elle relève de l'ordre contraint par la réalité concrète. Les deux notions sont donc très différentes. On peut déléguer des compétences, partager des compétences, mais cela suppose une volonté commune.
J'ai entendu ce qui a été exposé sur la défense européenne, elle suppose une analyse commune des menaces de conflits futurs. Cette analyse existe-t-elle ? Non. Pouvons-nous le faire pour le compte des autres ? Non. Nous ne pouvons la faire qu'ensemble. Cette réflexion n'a pas lieu.
Il y la question des armes nucléaires qui renvoie à des questions mondiales : la montée en puissance des grandes nations d'Asie qui développent leurs arsenaux nucléaires, le niveau des arsenaux russes et américains qui disposent de 1 550 armes et que ces pays n'ont pas vraiment l'intention de l'abaisser en dessous de cette limite. La dissuasion a d'abord pour fonction de protéger notre territoire ou, le cas échéant, de nous tenir en dehors d'une guerre où nos intérêts ne sont pas être engagés. Cette formulation ancienne n'a pas perdu de son actualité. Il y a des menaces de proliférations en matière balistique et d'armes de destruction massive, l'évolution du monde arabe reste incertaine, il faut donc rester vigilant.
La théorie des trois cercles n'est pas mauvaise, il ne faut pas l'abandonner. La DGA joue un rôle directeur en matière industrielle, en même temps elle a contribué au maintien de l'industrie de défense comme pôle d'excellence, cette préoccupation étant liée à l'idée de l'indépendance nationale. On connaît le tropisme de l'état-major qui voudra toujours d'obtenir son matériel rapidement en l'achetant sur étagère. L'arbitrage est toujours politique, il a toujours été fait dans le sens de la préservation du premier cercle ou du deuxième autant que possible.
Mais « autant que possible » renvoie à la question de savoir à ce que les Allemands voudront faire avec nous dans le domaine des armements terrestres où ils excellent, mais également dans le domaine naval ; et puis il y a des coopérations aussi avec d'autres pays comme l'Italie ou La Grande-Bretagne. Mais la coopération avec l'Allemagne se pose car, curieusement, comme beaucoup de pays européens, elle a fait l'analyse, qui est maintenant dans le traité de Lisbonne. Tous ces pays développent leur défense dans le cadre de l'OTAN, et donc s'en remettent aux Américains. Il se développe une sorte d'insouciance et de légèreté. Qu'y pouvons-nous ? Si les Allemands ne perçoivent pas aujourd'hui les menaces, demain ils les percevront peut-être. Mais le danger serait alors qu'ils se rangent encore davantage sous le bouclier américain et que les Américains imposent le fameux « burden sharing » qui ne résoudra pas le problème de la défense mais accroîtra notre dépendance.
M. Daniel Reiner - Je me réjouis que nous partagions la réflexion de Jean-Pierre Chevènement sur la définition des concepts et notamment celui de souveraineté. Sur le nucléaire, ce débat sera évoqué dans le cadre du groupe de travail sur l'avenir des forces nucléaires. S'agissant de l'effort de défense, il est du devoir de la France de porter cette question au sein de l'Europe en permanence, même si l'exercice est difficile. L'Europe doit être responsable de sa propre défense surtout à un moment où les États-Unis se désengagent progressivement du continent européen pour redéployer leurs forces.
M. Gérard Larcher - Je crois qu'il est très important que cette réflexion puisse être partagée entre les responsables de la défense au sein des assemblées parlementaires des pays européens les plus importants. Ne serait-il pas envisageable de réunir une conférence avec des présidents de commission de la défense, comme nous l'avions fait pour partager nos analyses en matière de politique agricole commune, il y a deux ans, avec les présidents des commissions compétentes.
Je partage l'analyse de M. Reiner sur le redéploiement des forces américaines vers l'Asie.
Je veux également souligner qu'il n'y a pas de stratégie industrielle future sans la contribution des industries de défense à la recherche et à l'économie de notre pays. Prenons par exemple le cas des nanotechnologies. Il est clair que si nous renoncions à disposer de capacités industrielles militaires critiques, nous serions absents de nombreux domaines porteurs d'avenir.
M. Xavier Pintat - Ma conviction est que le redéploiement américain crée une opportunité, avec l'accord franco-britannique sur le nucléaire, pour promouvoir un livre blanc européen.
Le besoin de transparence sur l'acquisition des équipements va de pair avec celui en matière de mutualisation et d'équipements développés en commun.
Il faut également insister sur les équipements critiques et leur sécurisation et avoir une approche permanente de ces questions, qui s'inscrivent dans le temps. Des technologies anodines développées par une petite entreprise aujourd'hui peuvent s'avérer critiques pour nos armées demain.
M. Daniel Reiner - On peut citer les technologies dans le domaine des infrarouges.
M. Jeanny Lorgeoux - La présentation du processus décisionnel entre la direction générale de l'armement, l'état-major des armées et la responsabilité politique est importante pour la compréhension du système.
M. Robert del Picchia - Il est important que ce rapport contienne des développements sur l'analyse stratégique. La commission avait amorcé ce genre de travail avec un rapport sur la fonction anticipation et stratégie au ministère des affaires étrangères.
M. Jean-Louis Carrère, président - L'enjeu est de convaincre l'opinion publique de l'importance et de l'utilité de l'effort de défense y compris en période de crise.
Le rapport du groupe de travail est adopté à l'unanimité.