3. Moduler les dotations en fonction de la composition sociale des établissements en y associant l'enseignement privé
Les moyens accordés aux établissements ne prennent pas suffisamment en compte les différences existant entre les publics scolarisés. Votre rapporteure plaide pour une différenciation plus forte des ressources. Elle propose une modulation des dotations des collectivités territoriales et de l'État en fonction de la composition sociale des établissements afin d'accorder plus aux collèges et aux lycées défavorisés . Sans ce type de compensation financière, il ne paraît pas envisageable de réduire les inégalités de performances entre les établissements scolaires, dont la gravité a été mise en lumière crûment dans la dernière enquête PISA.
Pour les collèges, il pourrait être procédé de la façon suivante. Dans chaque département, le conseil général calculerait une dotation de base pour un établissement type dont la composition sociale reflèterait la moyenne départementale. Il appartiendrait ensuite à chaque conseil général de construire un système de modulations à la hausse et à la baisse en fonction de l'écart par rapport à l'établissement type. Dans chaque établissement, la composition sociale effective serait connue par déclaration de la profession des parents. Une surreprésentation des CSP+ conduirait à une baisse de la dotation, tandis qu'une surreprésentation des milieux populaires amènerait une correction à la hausse. Un plafonnement des modulations devrait être envisagé notamment pour éviter de créer paradoxalement des incitations financières à ne pas accroître la mixité sociale dans les établissements défavorisés.
De même, selon une procédure parallèle, l'État modulerait le taux d'encadrement ou la dotation globale horaire (DGH) en fonction de la composition sociale de l'établissement. Les ressources supplémentaires accordées dans des dispositifs spécifiques de l'éducation prioritaire, comme actuellement ECLAIR, seraient maintenues, au moins transitoirement. Votre rapporteure souligne que ces modulations permettront aussi de soutenir des collèges ruraux paupérisés qui ne peuvent bénéficier d'aides dans le cadre de la politique de la ville et en faveur desquels il n'existe que très peu de leviers aujourd'hui. Les contrats d'objectifs conclus entre le recteur et les établissements pourraient aussi prévoir des modulations supplémentaires de moyens, par exemple pour soutenir spécifiquement des établissements accueillant un contingent important d'élèves non francophones.
Ce qui vaut pour les établissements publics doit valoir pour les établissements privés sous contrat d'association avec l'État, par application du principe de parité. Votre rapporteure considère qu' aucune réforme de la carte scolaire ne parviendra à limiter l'ampleur des inégalités scolaires et à faire reculer la ségrégation si les établissements privés n'y sont pas associés .
Certes des verrous sur le financement des investissements et sur l'évolution du forfait d'externat contraignent sévèrement la progression des effectifs scolarisés dans les établissements privés. De plus, l'ouverture de nouvelles implantations est rendue difficile par la règle imposant cinq années hors contrat donc sans financement public, avant l'approbation par l'État. Cependant, la limitation des possibilités de dérogations conduira dans certaines régions à une hausse des demandes d'inscription dans le privé. C'est déjà le cas puisque le privé a gagné 10 000 élèves supplémentaires à la dernière rentrée. Cette hausse n'est pas uniquement due à la démographie mais traduit sans doute les démarches de parents n'ayant pas obtenu les dérogations espérées dans le public. Aujourd'hui comme dans les années à venir, le privé ne pourra satisfaire toutes les demandes, ce qui accroîtra de fait sa capacité à sélectionner les élèves qu'il accueille, son pouvoir de marché pourrait-on dire en adaptant le vocabulaire des économistes. Il paraît fort probable que le profil social des établissements privés continuera à s'éloigner de celui des établissements publics par surreprésentation des catégories supérieures. La ségrégation scolaire dans le second degré continuera alors à croître globalement, si la puissance publique n'intervient pas.
Au-delà des conflits idéologiques, qu'il serait vain et inopportun de rouvrir, votre rapporteure estime que l'État peut être plus exigeant avec les établissements privés sous contrat d'association pour accroître la diversité sociale de leur recrutement, en contrepartie des dotations versées et de l'absence de sectorisation. Il ne s'agit ni de diminuer, ni d'augmenter les effectifs scolarisés dans le privé, l'équilibre actuel résultant d'un compromis stable, mais de faire évoluer leur composition sociologique pour le rapprocher de celui de l'enseignement public, avec le souci de l'intérêt général.
La question est posée : peut-on continuer à accorder la même dotation à l'élève pour tous les établissements privés ou doit-on prévoir des modulations en fonction de la composition sociale de chacun d'eux, par exemple en fonction de la proportion d'enfants défavorisés qu'ils accueillent. Tous les établissements privés n'y perdraient pas, mais seulement ceux dont le recrutement favorise particulièrement les catégories supérieures et dans lesquels sont absents les boursiers. Une dotation plancher pourrait être garantie pour ne pas imposer de réorganisations brutales qui pénaliseraient les élèves.
Votre rapporteure est convaincue que cette proposition peut trouver des soutiens au sein même de l'enseignement privé, auprès de certains chefs d'établissement. Il s'agit en réalité pour l'État de s'assurer que l'argent public soit équitablement réparti. A cet effet, il lui appartient d'inciter financièrement l'enseignement privé à participer à l'effort commun en faveur de la mixité sociale.