B- L'UTILISATION DE LA NEUROIMAGERIE EN JUSTICE
Le droit peut être amené à prendre en compte de nouveaux modes de preuves fondées sur des images ou sur des données issues d'imagerie cérébrale, et des acteurs économiques et sociaux peuvent en banaliser l'usage, ce qui n'est pas sans poser problème, comme on l'a déjà vu.
1- L'utilisation ancienne dans des procès aux États-Unis
a- L'état de la réflexion aux États-Unis
En 1991 à New York, Herbert Weinstein, soixante-cinq ans, étrangla sa femme, puis maquilla le meurtre en suicide en jetant le corps du douzième étage d'un immeuble de Manhattan. Lors de son procès en 1992, il reconnut les faits, mais plaida l'irresponsabilité au motif qu'un kyste, niché dans son cerveau, expliquait son comportement agressif, étayant sa thèse par la production de clichés d'imagerie cérébrale. Depuis cette date, l'imagerie cérébrale a été utilisée comme élément de preuve dans des centaines de procès aux États-Unis, afin d'éviter à certains accusés la peine capitale, ou de prouver l'irresponsabilité d'un accusé, l'immaturité neuronale des adolescents, de détecter le mensonge, voire d'identifier les éventuels biais cognitifs des jurés ou des juges.
Yves Agid 156 ( * ) a estimé d'ailleurs que le kyste en question n'avait eu aucune incidence sur le comportement de cette personne. Christian Byk 157 ( * ) a rappelé qu'aux États-Unis, la loi « excuse » les comportements pour lesquels les circonstances font disparaître le caractère blâmable de l'acte incriminé; ainsi l'aliénation mentale et la minorité sont « les excuses individuelles » les plus concernées par l'utilisation des neurosciences.
La fiabilité limitée des techniques de neuroimagerie incite peu la justice américaine à s'en servir comme preuve de l'accusation ; elles sont plutôt utilisées comme soutien aux moyens de défense de l'accusé dans certains États. À ce jour, 614 cas ont été répertoriés aux États-Unis pour lesquels des images obtenues par IRM fonctionnelle ont été introduites au niveau pénal comme "preuve". La commission présidentielle sur la bioéthique met en place un groupe de réflexion intitulé « la neuroimagerie et le soi » qui devrait démarrer fin mars 2012. Les juristes américains expriment une certaine réserve à l'égard de l'usage de la neuroimagerie dans les procès et demandent que l'utilisation de cette technique reste soumise à des critères juridiques d'admission de la preuve scientifique.
En raison de l'augmentation de ces démarches au niveau des cours de justice, par l'intermédiaire d'entreprises dont l'expertise et la déontologie sont sujettes à caution, un manuel guide destiné aux juges d'instruction a été rédigé sous la direction du juge Jed Rakoff 158 ( * ) . Celui-ci est une véritable autorité en la matière. Lors de notre entretien avec lui, il a insisté sur l'importance de l'imagerie cérébrale dans les procès mettant en cause des personnes jeunes dont la neuromagerie pouvait laisser apparaître une certaine immaturité.
Le document dont il a dirigé la mise au point ne prétend pas fournir une ligne de conduite uniforme et constante. Il est le fruit d'une étroite collaboration entre neuroscientifiques et juges d'instruction et tente de répondre aux différentes questions qui se posent aux praticiens de la justice ; il a bénéficié du soutien financier de la Fondation Mac Arthur, très impliquée dans ce domaine, notamment par le biais du financement de plusieurs projets: Il s'agit de définir les critères qui, au regard de la loi, définissent l'état mental d'un accusé ou d'un témoin, d'évaluer la capacité d'un accusé à l'auto-régulation de son comportement, et de déterminer dans quelles circonstances et par quels moyens les preuves neuroscientifiques doivent être admises et analysées. À ce jour, il n'existe aucune réponse uniforme, on procède au cas par cas, ce qui préoccupe le juge Jed Rakoff.
b- L'utilisation de l'IRM et du polygraphe dans la détection du mensonge
Alors que la recherche dans ce domaine est encore lacunaire, deux sociétés américaines proposent d'ores et déjà un service spécialisé dans la détection de mensonge par IRM fonctionnelle : « Cephos corporation » et « No Lie MRI ». Nous nous sommes entretenus avec Stephen Raken 159 ( * ) , et nous avons visité le « laboratoire » de la Cephos . Nous avons été surpris pour ne pas dire choqués de la manière dont se déroulaient les détections de mensonge, par leur coût élevé de 4000 dollars et par les certitudes exprimées quant à la validité du procédé. L'activité de ces sociétés semble pour le moins faiblement encadrée déontologiquement et commercialement, elle concerne surtout le mensonge dans la sphère privée (couples, enfants, emploi, etc.). Cette pratique est inquiétante car elle vise des affaires privées qui vont des conflits conjugaux à l'embauche, voire la souscription d'assurances.
A terme, il faut s'attendre à une utilisation plus grande de cette technique par d'autres clients (employeurs, assureurs, etc.) voire par des autorités (police, tribunaux, etc.), car aux États-Unis, l'usage du détecteur de mensonge est habituel, et parfois obligatoire dans certains États. C'est ainsi que pour accéder à certains emplois, notamment comme agent du FBI 160 ( * ) , il faut accepter de passer au traditionnel test du polygraphe, lequel a été admis en 2007 par la loi dans dix-neuf États et est laissé à l'appréciation du juge dans les cours fédérales.
* 156 Membre fondateur de l'Institut du cerveau et de la moelle épinière (ICM). Professeur de neurologie, membre de l'Académie des sciences, membre du membre du Comité consultatif national d'éthique (CCNE) - (Audition publique du 30 novembre 2011).
* 157 Magistrat à la Cour d'appel de Paris, secrétaire général de l'association internationale de droit, éthique et sciences - (Audition des Rapporteurs du 7 décembre 2011).
* 158 Juge à la Cour du district de New York- (Mission des Rapporteurs aux États-Unis du 11 au 14 octobre 2011).
* 159 Directeur de Cephos Corporation - (Mission des Rapporteurs aux États-Unis du 11 au 14 octobre 2011).
* 160 Entretien au FBI - (Mission des Rapporteurs aux États-Unis du 11 au 14 octobre 2011).