III- L'UTILISATION DE L'IMAGERIE CÉRÉBRALE HORS DE LA SPHÈRE MÉDICALE

Selon Jean-Michel Besnier, « les techniques d'exploration et de visualisation du cerveau ont eu un résultat sur le plan des représentations mentales que l'on s'en fait au sein du public : elles ont banalisé le cerveau, au point que, chez un grand nombre de nos contemporains, le cerveau apparaît de plus en plus comme un organe comme un autre, dont les signaux chimiques d'interactions sont de mieux en mieux identifiés, et comparables à ceux de n'importe quel autre organe. C'est un effet de désenchantement, qui explique sans doute une certaine tolérance aux réductionnismes dans la façon dont les résultats des neurosciences sont présentés au public. » 151 ( * )

Pourtant, le cerveau est le support d'informations propres à chacun, il est le siège de la conscience, de l'identité personnelle. La connaissance de l'information cérébrale et des caractéristiques neurales de l'individu, entraîne une forme de transparence car elle touche à son intimité. Comme l'ont montré les débats lors des auditions publiques organisées par vos rapporteurs 152 ( * ) , la révolution scientifique à l'oeuvre dans le domaine de la recherche sur le cerveau suscite de multiples interrogations. Détournée, elle peut servir de support à des théories réductionnistes et déterministes dangereuses pour les libertés individuelles. Mal comprise ou mal utilisée, elle risque d'induire des discriminations dénoncées par la communauté scientifique elle-même.

Les connaissances issues de ces technologies incitent à une régulation et une précision des normes concernant les éventuelles utilisations de la neuroimagerie hors de la sphère scientifique et médicale. Cela pose la question de l'utilisation de la neuroimagerie par des sociétés d'assurance (santé, risque, sinistres, etc.) qui peuvent désormais utiliser les données pour profiler la nature des risques portés par les candidats à l'assurance, et ainsi mieux optimiser les primes ; les employeurs pourraient aussi envisager d'y recourir pour tester un candidat à l'embauche par exemple (mensonges, antécédents, loyauté, etc.).

Les avancées en neuroimagerie, particulièrement grâce à l'IRM fonctionnelle, font émerger la capacité sans précédent de corréler l'activité du cerveau avec les états psychologiques (de nombreux travaux ont été menés sur le mensonge), les grands traits de la personnalité (incluant l'extraversion, le pessimisme, la capacité à l'empathie, l'obstination, voire les attitudes racistes inconscientes, la prédisposition au crime violent...) et certains désirs (préférences sexuelles ou pour certains objets, exploitées en neuromarketing).

Les travaux visant à améliorer la compréhension du comportement criminel font envisager d'autres interprétations de la notion de responsabilité individuelle qui, dès lors, ne dépendrait pas exclusivement du libre-arbitre.

A- LE STATUT DE LA NEUROÉCONOMIE ET DU  NEUROMARKETING

La neuroéconomie, permettrait d'identifier des aptitudes de décision, avec leur corrélat anatomique, ou des capacités de motivation, et ce, avec une certaine précision, ce qui n'est pas sans risque au plan éthique.

Résultat d'une alliance disciplinaire, à l'intersection de la micro-économie, des sciences du vivant et de l'imagerie, la "neuroéconomie" correspond à un concept radicalement nouveau qui régulièrement fait le délice des médias et des communicants, notamment des publicitaires. « Le neurone est un « bon client » médiatique, particulièrement lorsque sa connaissance semble éclairer des comportements ordinaires, comme l'acte d'achat, les pratiques financières profanes ou expertes, ou encore les sources du « bonheur » - et, pas très loin, le jeu, le pouvoir, la sexualité, c'est-à-dire des domaines de la vie ordinaire qui sont présentés sous un angle totalement nouveau « de l'intérieur du cerveau », remarquait Frédéric Lebaron 153 ( * ) .

1- Les objectifs de la neuroéconomie

Le but de la neuroéconomie est de comprendre les processus, les sensations et l'action dans une situation où l'on doit prendre une décision. La naissance de la neuroéconomie vient de l'observation d'un paradoxe contredisant les théories habituelles de prises de décision développées par les économistes. Ceux-ci avaient défini à chaque prise de décision, un critère d'utilité correspondant à la probabilité de gagner en faisant un choix plutôt qu'un autre. Or on observe que les choix ne sont pas vraiment effectués en fonction de la probabilité de gagner. Lorsque l'on doit en faire un, chaque possibilité dispose d'une certaine proportion de gain qui ne correspond pas réellement à ce que cela pourrait apporter, mais le gain qu'on pense en tirer. Néanmoins, les personnes tiennent différemment compte de cette dimension, notamment quand il y a ambiguïté, que le degré de risque est incertain ; cette situation intéresse les économistes en temps de crise ou d'incertitude.


* 151 Audition publique du 30 novembre 2011.

* 152 Voir les comptes rendus des auditions publiques des 29 juin et 30 novembre 2011 en annexe.

* 153 26 Novembre 2010 dans Analyses

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