C- L'ENCADREMENT DES PROTOCOLES DE RECHERCHE
Les chercheurs français 77 ( * ) en neuroimagerie et neurosciences ont fait part aux rapporteurs, à de nombreuses reprises, des multiples difficultés qu'ils rencontraient vis-à-vis de leurs collègues étrangers pour se hisser au meilleur niveau de la concurrence internationale, en raison des contraintes et limitations imposées par l'arsenal législatif et règlementaire français en matière de protection des libertés individuelles et d'utilisation des bases de données médico-administratives. Ils déploraient le manque de clarté des notions de recherches observationnelles et interventionnelles, et l'obligation de la présence d'un médecin pour des recherches purement observationnelles.
Une refonte législative de l'ensemble des dispositifs concernant les recherches sur la personne humaine vient précisément d'être adoptée par le Parlement et répond largement à ces doléances tout en clarifiant les procédures.
1- Le dispositif équilibré de la nouvelle loi du 5 mars 2012
Les dispositions légales et réglementaires encadrant les recherches sur la personne humaine trouvaient leur fondement dans la loi du 20 décembre 1988 relative à la protection des personnes qui se prêtent à des recherches biomédicales (dite loi Huriet-Sérusclat), codifiée aux articles L. 1121-1 et suivants du code de la santé publique. Depuis, un véritable millefeuille législatif s'était constitué avec l'intégration de plusieurs directives européennes et diverses lois successives, rendant l'encadrement de la recherche biomédicale de plus en plus complexe.
Parallèlement, la recherche observationnelle, notamment en neurosciences, est devenue une véritable recherche, source de réelles avancées, ce qui rendait d'autant plus nécessaire une évolution législative. La proposition de loi déposée en 2009 par le député de la Somme, Olivier Jardé, relative aux recherches impliquant la personne humaine, qui a été adoptée définitivement par le Parlement en février 2012 78 ( * ) , a procédé au toilettage complet du dispositif en vue d'en améliorer la cohérence, d'en simplifier le régime juridique, et de concilier protection des personnes et amélioration des conditions de la recherche et de l'innovation. Cette réforme devrait donc faciliter le travail des chercheurs français et répondre à leurs attentes.
Le nouveau texte institue un cadre légal commun à tous les types de recherches impliquant la personne humaine, qu'il s'agisse de recherches interventionnelles, de recherches avec des risques et des contraintes minimes, ou de recherches observationnelles. Á ces trois niveaux de recherche, correspondent trois niveaux de consentement, proportionnés aux risques et contraintes subis par les personnes qui s'y prêtent.
Le texte, à la discussion duquel a largement participé l'un de vos rapporteurs, a recueilli l'accord de la majorité comme de l'opposition, et a cherché à établir un régime juridique équilibré, favorisant le développement de la recherche, tout en garantissant la sécurité et le respect des personnes. Tous les projets de recherches impliquant la personne humaine doivent désormais recueillir l'avis favorable d'un Comité de protection des personnes (CPP) tiré au sort afin d'éviter tout risque de conflit d'intérêt éventuel avec les responsables de l'équipe de recherche.
Les CPP sont institués par la loi et agréés par le ministre chargé de la santé. Ils examinent les conditions de validité de la recherche, notamment au regard de la protection des personnes, l'adéquation, l'exhaustivité et l'intelligibilité des informations écrites à fournir, ainsi que la procédure à suivre pour obtenir le consentement éclairé, et la justification de la recherche sur des personnes incapables de donner leur consentement éclairé. La nouvelle loi institue auprès du ministre chargé de la santé une Commission nationale des recherches impliquant la personne humaine, chargée de la coordination, de l'harmonisation et de l'évaluation des pratiques des CPP. Elle peut désigner un second CPP en cas d'avis défavorable donné par le premier.
L'élargissement du champ d'action des CPP aux recherches non interventionnelles est une nouveauté essentielle qui vient combler un vide juridique, car la France était le seul pays à ne reconnaître, que la recherche biomédicale, à la différence de ses partenaires européens et des États-Unis. Le développement des recherches observationnelles, très utiles en neurosciences, est tout à fait récent ; celles-ci étaient jusqu'à présent ignorées de la loi.
Les chercheurs français étaient demandeurs d'un cadre légal plus solide, car les grandes revues scientifiques internationales n'acceptent de publier les résultats d'une étude que si celle-ci a été contrôlée par un comité d'éthique. La nouvelle définition permettra à la France d'être mieux armée pour prendre sa place dans la compétition internationale et démontre bien, s'il était nécessaire, que l'intérêt des chercheurs et la protection des personnes ne sont pas contradictoires.
Aux trois niveaux de recherche correspondent trois niveaux de consentement, repris de la gradation très claire découlant de la convention d'Oviedo sur la biomédecine (que la France à ratifié en décembre 2011). La convention d'Oviédo prévoit un consentement écrit pour les recherches avec des risques, un consentement « libre et éclairé » pour les recherches avec des risques minimes, et la délivrance d'une information et un droit d'opposition pour les recherches observationnelles.
Olivier Oullier a bien précisé 79 ( * ) les bonnes pratiques mises en oeuvre à cet égard : « lorsque nous soumettons les protocoles expérimentaux au comité d'éthique de l'organisme promoteur de la recherche, puis au Comité de protection des personnes (CPP) et à l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS), il est écrit, dans les formulaires de consentement éclairé, que les volontaires ne peuvent participer aux expériences qu'à la condition d'accepter d'être informés en cas de découvertes d'anomalies sur les images cérébrales anatomiques. Cela nous est imposé par le CPP. »
Par ailleurs, l'article L.1121-3 stipulant que les recherches impliquant la personne humaine ne peuvent être effectuées que si elles sont réalisées sous la direction et sous la surveillance d'un médecin justifiant d'une expérience appropriée, qui alourdissait les procédures de certaines recherches observationnelles en neurosciences, a été complété et précisé : les recherches à risques minimes et les recherches non interventionnelles en sont dispensées, et peuvent être effectuées sous la direction et la surveillance d'une personne qualifiée, sous réserve de la vérification par le CPP de l'adéquation entre la qualification du ou des investigateurs et les caractéristiques de la recherche.
C'est une simplification des textes et de la procédure, qui devrait répondre aux critiques de certains chercheurs pour des recherches leur paraissant ne comporter aucun risque médical pour le patient. Ils éprouvaient des difficultés à respecter l'exigence de la présence d'un médecin responsable. Auparavant les recherches dispensées de surveillance médicale devaient figurer sur une liste fixée par un décret en Conseil d'Etat, qui n'a jamais été publié...
Olivier Jardé, député 80 ( * ) , rapporteur et auteur de la proposition de loi a ainsi résumé l'esprit et les avancées du nouveau texte : « J'ai la ferme conviction que cette proposition de loi marquera une étape très importante dans l'évolution du droit de la recherche. Ce droit est issu de la loi fondatrice de Claude Huriet du 20 décembre 1988. Mais cette loi avait été modifiée par de nombreux textes, si bien que nous étions parvenus à un millefeuille, un texte difficile à appliquer, voire complètement déconnecté de la recherche actuelle. Notre proposition de loi étend le champ d'application de la loi Huriet et en met certains aspects à jour. Toutefois, elle ne cherche pas à déplacer l'équilibre qui avait été obtenu en 1988, à savoir promouvoir la recherche sans laquelle il n'y a pas de progrès pour l'homme tout en protégeant les personnes qui se prêtent à ces recherches. Cet équilibre a été maintenu, ce qui est une excellente chose ».
Jean-Louis Touraine 81 ( * ) a également exprimé sa satisfaction à la fin du long examen de la nouvelle loi : « la rédaction que nous nous proposons de valider a le mérite de concilier la protection des personnes et la nécessité de la recherche et de l'innovation, indispensable au progrès médical. Nous avons trouvé un équilibre entre la recherche tous azimuts et l'interdiction de tout progrès. L'aléa qui demeure est limité et très encadré : on avancera sans prendre de risques. »
Vos rapporteurs considèrent que la nouvelle loi clarifie les conditions de la recherche sur la personne humaine, et concilie la protection des personnes et la promotion de la recherche. Sa mise en oeuvre dans de brefs délais devrait répondre aux difficultés des chercheurs menant des recherches non interventionnelles, telles que ceux-ci l'avaient souligné à plusieurs reprises.
Recommandations :
- Publier les dispositions règlementaires nécessaires, en vue d'une application rapide de la nouvelle loi du 5 mars 2012 relative aux recherches impliquant la personne humaine ;
- Installer dans les plus brefs délais la Commission nationale des recherches impliquant la personne humaine, instituée par la-dite loi.
* 77 Visite des Rapporteurs à Grenoble le 14 juin 2011, au Plateau de Saclay au NeuroSpin du CEA le 18 janvier 2012 et à Lyon au Centre de recherches en neurosciences le 14 février 2012.
* 78 Loi n° 2012-300 du 5 mars 2012 relative aux recherches impliquant la personne humaine.
* 79 Professeur de psychologie à l'Université d'Aix-Marseille et conseiller scientifique du Centre d'analyses stratégiques. (Audition publique du 29 juin 2011).
* 80 Compte-rendu de la séance publique du 25 janvier 2012.
* 81 Député, membre de l'OPECST