2- La création de grands pôles de recherche en France
La France se dote progressivement de grands pôles de recherche fondamentales et translationnelles dont les équipements sont tous très récents. Vos rapporteurs en ont visité plusieurs et en ont apprécié le dynamisme, l'ouverture à l'international et la créativité. La plupart sont reconnus à l'étranger.
NeuroSpin 35 ( * )
NeuroSpin est un centre de recherche en neuroimagerie très récent; il fait partie de la direction des sciences du vivant du CEA, et fonctionne depuis le 1er janvier 2007. NeuroSpin repose sur une plateforme d'imagerie importante, ouverte à ses équipes et aux équipes externes, nationales ou internationales, académiques ou industrielles. Elle est dirigée par Denis Le Bihan, membre de l'Académie des Sciences et membre de l'Académie des Technologies, que la mission a rencontré lors de sa visite dans ce centre.
La recherche à NeuroSpin est organisée en six programmes scientifiques visant à repousser les limites de l'imagerie par résonance magnétique à très haut champ magnétique. Il s'agit d'étudier l'architecture fonctionnelle du cerveau à différentes échelles, de comprendre et de mettre en relation la variabilité phénotypique et génétique de l'architecture et du fonctionnement du cerveau, de faire progresser les connaissances sur le développement du cerveau et sa plasticité, d'élucider les codes cognitifs (langage, calcul, conscience), et de développer une recherche translationnelle pour faire progresser les connaissances et les méthodes diagnostiques sur certaines affections psychiatriques et neurologiques.
NeuroSpin s'appuie sur cinq laboratoires qui combinent une activité de recherche et développement et une activité de support de la recherche au sein de la plateforme : le laboratoire de recherche en résonnance magnétique nucléaire, le laboratoire de neuroanatomie, le laboratoire d'imagerie cognitive, le laboratoire de recherche biomédicale, le laboratoire de biologie intégrée.
La plateforme de recherche de NeuroSpin comporte une aile clinique pour l'accueil de volontaires sains et de patients, enfants, adultes ou seniors avec 8 lits d'hospitalisation de jour, des salles de tests et d'examens cliniques, une infirmerie, une IRM factice pour préparer les volontaires aux examens d'IRM, et une unité de soins intensifs pour les explorations de la conscience. La plateforme comporte une aile dédiée aux études précliniques.
L'objectif est de réunir en un même lieu les méthodologistes de l'imagerie et du traitement de signal, et les neurobiologistes pour développer en synergie les outils et les modèles permettant de comprendre le fonctionnement du cerveau normal et pathologique. Le couplage entre la méthodologie et la recherche fondamentale ou appliquée laisse espérer des retombées dans le domaine de l'intelligence artificielle, en sciences sociales, dans la prise en charge des patients et en matière industrielle.
Le regroupement d'équipes sur une plateforme d'imagerie de pointe dédiée à l'imagerie chez l'homme et à l'imagerie chez l'animal permet une recherche translationnelle.
Bénéficiant de l'expertise du CEA dans le domaine des aimants supraconducteurs, NeuroSpin s'est équipé et s'équipera dès 2012 de systèmes d'imagerie par résonance magnétique à très haut champ encore non disponibles ailleurs dans le monde. Le centre sera le seul à disposer d'un IRM à 11,7 Teslas. dans le cadre du projet franco-allemand Iseult de construction d'un imageur par résonance magnétique IRM de 11,75 T, avec une ouverture de 90 cm de diamètre permettant le passage du corps entier d'un patient, et garantissant la meilleure homogénéité du champ magnétique dans la zone ciblée.
Ce programme de recherche ambitieux (200 millions d'euros), effectué en collaboration avec des industriels franco-allemands du secteur (Guerbet, Siemens et Alstom), co-financé du côté français par Oséo et du côté allemand par le ministère de la recherche, devrait permettre de repousser les frontières actuelles de l'imagerie, et notamment de voir en détails les plaques amyloïdes de la maladie d'Alzheimer, car il s'agit d'atteindre une résolution spatiale suffisamment élevée pour descendre à l'échelle de la colonne corticale autour de la centaine de micromètres. NeuroSpin dispose pour le petit animal du premier prototype au monde à 17 Teslas pour établir les modèles de la structure et du fonctionnement du cerveau et des modèles de pathologies cérébrales. Selon Cyril Poupon 36 ( * ) , quand une souris transgénique a des plaques amyloïdes, on commence à les deviner à 7 Teslas, tandis qu'à 17 Teslas, la résolution est bien meilleure.
L'Institut du cerveau et de la moelle épinière (ICM ) 37 ( * )
L'Institut du cerveau et de la moelle épinière a été inauguré en 2010 ; les rapporteurs ont eu l'occasion de suivre l'évolution de l'installation des laboratoires. Cet institut de recherche, dont le bâtiment a été conçu par l'architecte Jean-Michel Wilmotte, dispose de 22 000 m2 de laboratoires et de services techniques. Equipé de quatre IRM dont 2 à 3 Teslas, un à 7 T, un à 11,7 T pour le petit animal, doté d'un centre de ressources biologiques, de plateformes techniques performantes et d'un centre d'investigation clinique, l'ICM est un projet ambitieux de 68 millions d'euros d'investissements. 600 chercheurs français et internationaux, ingénieurs et techniciens, travailleront en permanence sur le site.
L'ICM est une fondation privée reconnue d'utilité publique (décret du 13 septembre 2006), implantée sur un domaine public, le Centre hospitalo-universitaire de la Pitié-Salpêtrière. Soutenu financièrement par des partenaires institutionnels, l'ICM bénéficie également de fonds privés, ce qui lui confère des possibilités plus étendue de financement, et une plus grande latitude de fonctionnement. L'objectif de l'ICM est de réparer les lésions du cerveau et de la moelle épinière, sa mission porte sur la recherche par pathologie (la sclérose en plaque, la maladie d'Alzheimer, etc...), et le développement d'une recherche "transversale" sur l'ensemble des lésions dégénératives et traumatiques du cerveau et de la moelle épinière.
L'originalité de l'ICM réside dans son immersion au sein du groupe hospitalier de la Pitié-Salpêtrière ce qui permet de regrouper dans un même lieu les malades, les chercheurs et les médecins au bénéfice à la fois de la recherche clinique et de la recherche fondamentale. Ainsi dès leur mise au point, les traitements pour les lésions du système nerveux peuvent être appliqués aux patients dans les meilleurs délais.
La recherche y est décloisonnée, multidisciplinaire, et très ouverte aux chercheurs étrangers et aux échanges. Comme l'a souligné à maintes reprises Yves Agid 38 ( * ) , pour constituer et développer ses équipes de recherche, l'ICM a mis en place un Comité scientifique international chargé de repérer et recruter des talents de haut niveau. Cette sélection rigoureuse constitue l'une des principales garanties de son haut niveau scientifique. Les équipes de recherche (une quarantaine) sont indépendantes, mais alliées entre elles par des programmes transversaux de recherche favorisant la mutualisation des compétences.
L'équipe de l'ICM que les rapporteurs ont rencontrée, a constaté que les approches dans les différents domaines de la recherche (biologie moléculaire et cellulaire, neurophysiologie, sciences de la cognition, thérapeutique) étaient menées de façon trop cloisonnée en France, aussi a-t-elle décidé, à juste titre, de promouvoir une recherche multidisciplinaire.
La plateforme biomédicale CLINATEC à Grenoble
Visité par vos rapporteurs 39 ( * ) , CLINATEC est un centre de recherche biomédicale pluridisciplinaire multi-projets orienté sur l'élaboration de traitements innovants pour les maladies cérébrales et neurodégénératives. Il s'inscrit dans le prolongement des travaux du professeur Alim-Louis Benabid, neurochirurgien des hôpitaux, ancien chef de service de neurochirurgie au CHU de Grenoble et inventeur de la stimulation cérébrale profonde pour corriger les effets de la maladie de Parkinson, au sein de la direction de la recherche technologique du CEA. Les recherches continuent et sont toujours menées en partenariat avec le CHU Grenoble, l'INSERM et l'Université Joseph Fourier (UJF).
CLINATEC a trois axes de recherche : le développement de dispositifs médicaux pour la neurostimulation et pour l'administration localisée de médicaments, ainsi que le développement de neuroprothèses pour la suppléance fonctionnelle. Concernant l'amélioration de la technique de stimulation cérébrale profonde à haute fréquence, comme l'a expliqué François Berger 40 ( * ) , à l'heure actuelle, malgré son efficacité avérée, cette technique doit encore être améliorée. Les équipes de CLINATEC souhaitent développer de nouvelles thérapies et des outils de diagnostic efficaces en diminuant la taille des nanotubes de carbone constituant les électrodes, pour effectuer des thérapies plus ciblées et moins invasives. Le recours aux micro-nanotechnologies pourrait permettre de diminuer fortement la taille, la forme, la configuration des électrodes, leur consommation en énergie, et le dispositif d'alimentation pour améliorer la qualité de vie du patient implanté.
Le développement de neuroprothèses pour la suppléance fonctionnelle des déficits moteurs, auditifs et visuels a pour but de compenser les handicaps des tétraplégiques ou les troubles sensoriels de la vision ou de l'audition. L'administration localisée de médicaments a pour objectif de focaliser les effets de ces substances dans les sites d'action, et de diminuer les effets indésirables liés à une diffusion étendue à l'organisme. CLINATEC complète deux autres plateformes du CEA dédiées aux recherches sur les maladies du cerveau : le centre NeuroSpin de Saclay, la plateforme MirCen (CEA-INSERM) de Fontenay-aux-Roses ; nous avons eu l'occasion de visiter ces deux centres à plusieurs reprises.
Comme l'ont expliqué, lors de la visite à Grenoble, Dominique Grand, adjoint au directeur du CEA Grenoble, et Jean-Louis Amans, responsable des programmes, le concept de CLINATEC est celui d'un hôtel à projets visant à rassembler des cliniciens, des chercheurs en neurosciences et des biologistes ; c'est une incitation à interagir avec des experts en micro-nanotechnologies, pour permettre aux médecins et chirurgiens de mettre en oeuvre leurs propres procédures médicales et chirurgicales, tout en participant, par leur compétence de soins, à l'amélioration des équipements techniques nécessaires aux avancées de leurs pratiques.
L'apport du Grenoble Institut des Neurosciences (GIN)
Le Pr. Claude Fuerstein 41 ( * ) , a expliqué que le Grenoble Institut de neurosciences (GIN) dont sont parties prenantes, l'INSERM, le CEA, le CHU de Grenoble, et l'Université Joseph Fourier, s'appuie sur un partenariat local avec CLINATEC. C'est dans le cadre du GIN que les chercheurs et les cliniciens mettent en oeuvre les modèles animaux expérimentaux des pathologies pour permettre l'expérimentation des prototypes de CLINATEC avant passage chez l'homme. Sur les dix équipes que compte le GIN, trois sont impliquées dans les recherches menées à CLINATEC, notamment celles qui portent sur le mouvement et les prothèses de bras.
Le Gipsa-lab (Laboratoire grenoblois Images, Parole, Cognition Signal )
Le Gipsa-lab est une unité de recherche mixte du CNRS, de l'Université Joseph Fourier et de l'université Stendhal ; elle est conventionnée avec l'Institut national de la recherche en informatique et automatique (INRIA), l'Observatoire de Grenoble et l'Université Pierre Mendès-France. Sa démarche scientifique s'appuie sur des méthodes avancées en automatique, traitement de la parole, signal et images, et intègre des notions de réseau, de contrôle-commande, de modélisation, d'analyse. Gipsa-lab est constitué de 13 équipes organisées en trois départements : Automatique, Images et signal, Parole et cognition. Parmi ses 13 équipes, une équipe-projet est commune avec l'INRIA en Rhône-Alpes, une équipe de recherche est reconnue par l'Observatoire des sciences de l'Univers de Grenoble (SygmaPhy) et 5 équipes sont membres de l'UFR "Neurosciences et RMN Biomédicale".
Fort de 300 personnes dont plus d'une centaine de doctorants, le Gipsa-lab est un laboratoire pluridisciplinaire développant des recherches fondamentales et finalisées sur les signaux et systèmes complexes. Il est reconnu pour ses recherches dans ce domaine. Il effectue des expériences sur l'apprentissage de la parole chez l'enfant, et développe des projets dans les domaines de l'énergie, de l'environnement, de la communication, des systèmes intelligents, de la santé et de l'ingénierie linguistique.
Le Centre de recherche en neurosciences de Lyon 42 ( * ) (CRNL)
Depuis janvier 2011, le Centre de recherche en neurosciences de Lyon (CRNL) rassemble l'expertise multidisciplinaire de 11 équipes, 350 chercheurs issus de laboratoires de l'INSERM, du CNRS et de l'Université Lyon I. Il s'agit de créer de nouvelles synergies dans l'étude du cerveau et des pathologies associées allant de la cellule au comportement, et de la paillasse au patient.
D'après le Dr Olivier Bertrand, directeur du CRNL, il s'agit de relier les différents niveaux de compréhension du cerveau, et de renforcer la recherche translationnelle grâce à des échanges permanents entre les avancées conceptuelles de la recherche fondamentale et les défis cliniques. En 2014, la plupart des équipes du Centre devrait être localisée sur le NeuroCampus, au voisinage immédiat des hôpitaux neurologiques femme mère enfant, et psychiatrique. Sur ce site unique, combinant recherche fondamentale, recherche clinique et plateformes de haute technologie, un bâtiment de 6000 m2 sera dédié au Centre de recherche en neurosciences de Lyon.
Pour l'instant le centre dispose de plates-formes situées à proximité les unes des autres dans le grand campus des Vinatiers. La plate-forme d'exploration du mouvement chez l'Homme est équipée d'un système d'analyse tridimensionnelle du mouvement multiarticulaire ( Optotrak ), d'un système d'analyse binoculaire « temps réel » ( Eyelink2 ), qui permet de connaître instantanément la direction de chaque oeil dans l'espace. La plateforme NeuroChem propose ses compétences à l'intérieur du Centre ou à l'extérieur (organismes de recherche, hôpitaux, industrie pharmaceutique), dans le cadre de prestations ou de collaborations de recherche. Le plateau d'optogénétique met également à disposition des équipes du centre un outil adapté à l'injection en intra-cérébrale de virus vecteurs de transgène, ainsi que des lasers bleus (excitation) et jaunes (inhibition) pour l'optogénétique.
Le pôle 3C à Marseille
Inauguré en 2005, le pôle 3C, du nom de ces trois unités constitutives : Comportement-Cognition-Cerveau, a pour objectif une recherche fondamentale en psychologie cognitive et en neurosciences intégratives. Ces trois unités constitutives offrent un environnement scientifique dont le périmètre correspond en majeure partie à celui de la section 27 (Comportement-Cognition-Cerveau) du CNRS.
L'activité scientifique du pôle est adossée à une recherche fondamentale en psychologie cognitive et en neurosciences intégratives ; elle s'enrichit de l'approche clinique et du recours à des techniques extrêmement diverses, depuis celles de la biologie moléculaire jusqu'à celles impliquées par l'expérimentation humaine et animale en contexte social. Ce regroupement résulte d'un effort de longue durée pour structurer des forces jusqu'alors dispersées en matière de recherches sur le comportement, le cerveau et la cognition. Le pôle a acquis en 2010 le statut de département de recherche ; il intègre près de 180 personnes au total (dont 75 doctorants ou post-doctorants) et s'est doté d'un conseil de gestion dirigé par Pascal Huguet , avec Thierry Hasbroucq pour directeur adjoint. Il est installé à Marseille dans le site Saint-Charles, Université d'Aix-Marseille.
* 35 Visite des Rapporteurs le 18 janvier 2012.
* 36 Chef du Laboratoire de résonance magnétique nucléaire (NeuroSpin/Laboratoire d'imagerie et de spectroscopie - LRMN) au CEA.
* 37 Visite des Rapporteurs le 14 mars 2011 et le 13 décembre 2011.
* 38 Membre Fondateur de l'ICM, professeur de neurologie et neurosciences, membre de l'Académie des Sciences et du Comité consultatif national d'éthique (CCNE).
* 39 Visite des Rapporteurs le 14 juin 2011.
* 40 Professeur de médecine, directeur général et exécutif de CLINATEC (CEA), Institut des neurosciences et CHU de Grenoble, INSERM.
* 41 Professeur de physiologie et de neurosciences à l'université Joseph Fourier de Grenoble.
* 42 Visite des Rapporteurs à Lyon le 14 février 2012.