VIII. LUDOVIC DUPREZ, DIRECTEUR GÉNÉRAL ET COFONDATEUR DE CHRONODRIVE

Le projet de Chronodrive a été lancé en 2002. Il est né de l'analyse selon laquelle la livraison à domicile constitue une fausse bonne idée, car elle est onéreuse (elle coûte, en effet, entre 15 et 20 euros), nécessite une présence à domicile et implique des délais de livraison relativement importants. Avec Martin Toulemonde, nous avons inventé le Drive pour pallier ces inconvénients. La formule du drive s'appuie, par ailleurs, sur le principe de la « dichotomie des courses » entre « achats-plaisir » et « achats-corvées » (si l'on excepte une troisième catégorie que sont les achats d'investissement -gros électroménager, matériel informatique, etc.). Le drive veut capter les « courses-corvées » effectuées dans les super et hyper marchés, objectif qu'il doit probablement atteindre car on observe que les clients des drives « retournent » vers le petit commerce, selon toute vraisemblance pour les « courses-plaisir ».

En février 2004, le premier Chronodrive a été ouvert à Marcq-en-Baroeul, près de Lille. La deuxième implantation remonte à novembre 2006. Aujourd'hui, l'entreprise dispose de 31 implantations dont une en Italie, et il est prévu 18 ouvertures en 2011. A titre d'exemple, le site de Marcq-en-Baroeul réunit cent collaborateurs. Au total, l'entreprise emploie 1 600 salariés. Elle est très attachée à la promotion interne.

Auchan est l'actionnaire de référence de Chronodrive depuis le commencement de son activité, ce qui lui permet d'accéder à des conditions plus avantageuses auprès des fournisseurs. Ainsi, Chronodrive fait partie, avec Auchan, du même groupement d'intérêt économique (GIE), qui négocie avec les fournisseurs. La logistique « supermarché » d'Auchan livre aux drives (moyennant rétribution) la plupart des produits que ces derniers distribuent. A noter que la politique tarifaire de Chronodrive est libre et consiste à s'aligner sur les prix des hypermarchés locaux. Pour les différentes fonctions informatiques requises par son activité, Chronodrive recourt à des entreprises extérieures.

A volume de vente égal, en comparaison d'une grande surface, le drive nécessite plus de main-d'oeuvre, mais seulement un tiers du « foncier », et les aménagements intérieurs sont ceux d'un entrepôt, bien plus rudimentaires. Chronodrive propose 8 500 références ; l'objectif est d'atteindre 10 000 références -contre 15 000 pour un hypermarché Auchan pour l'alimentaire. L'activité a commencé avec 3 500 références, et ce sont les clients qui ont suggéré les autres à la faveur de leurs commandes successives sur le site de Chronodrive... Les commandes sont disponibles 2 heures après la confirmation de la commande (une demi-heure pour les commandes en internet mobile). Les clients viennent alors quand ils veulent recupérer leurs courses en moins de 5mn sur le site chronodrive proche de chez eux. Ces commandes sont disponibles pendant 24 H. Pour faciliter la constitution du panier, la disposition des stocks est optimisée pour réduire le nombre de pas des opérateurs, qui circulent dans les rayons avec un caddie (un par commande). Les produits surgelés et les packs de bouteilles sont ajoutés au dernier moment. Sur le premier Chronodrive (2004), une partie du « picking » avait été robotisée, mais ce process s'est révélé peu adapté en raison de la trop grande différence de consistance existant entre les produits pour garantir une préhension sans dommages. Les drives fonctionnent avec 4 ou 5 jours de stock au maximum. A leur choix, ils peuvent se fournir localement, notamment pour le frais ; par ailleurs, l'approvisionnement en vin est propre à Chronodrive, qui entend proposer une cave spécifique et attractive. Comme les clients ne rentrent pas dans les locaux, l'entreprise mise beaucoup sur l'aspect extérieur des drives, en s'adaptant aux spécificités architecturales locales.

Depuis le commencement de l'activité, la typologie des clients a évolué. S'il s'est toujours agi d'une clientèle essentiellement familiale et composée de ménages bi-actifs, les profils sociaux-professionnels, initialement plutôt élevés, tendent à se diversifier.

Pour les ménages, la maîtrise des dépenses domestiques est meilleure sur Internet : l'arbitrage des prix est plus transparent (les listes de produits permettent une comparaison plus aisée que dans les rayons des supermarchés), les clients sont moins « tentés » par des incursions vers des produits ne figurant pas sur leur liste de courses (notamment sous l'injonction des enfants) et le total engagé apparaît en permanence (ce facteur est étayé par le fait que l'on retrouve, statistiquement, des ressauts de commandes correspondant à des seuils de 50 euros, 100 euros, etc.). Certes, le niveau de gamme des produits commandés se trouve globalement équivalent à celui acheté dans les supermarchés, mais comme la composition socio-professionnelle de la clientèle des drives demeure légèrement plus privilégiée que la moyenne, on en déduit que l'effet d'arbitrage sur les prix fonctionne mieux (la même clientèle, dans un supermarché, aurait orienté son caddie vers des produits plus haut-de-gamme).

Quoi qu'il en soit, le taux de pénétration des drives est encore relativement réduit. Il faut donc une forte densité locale pour décider d'une implantation. Le critère concernant le type de population est finalement celui de la « famille à deux voitures ».

Les clients s'avèrent en revanche très fidèles. Les autres enseignes développent aussi leurs drives : Leclerc, Carrefour... aux Etats-Unis, Wal-Mart a aussi commencé. Auchan a créé, parallèlement, « Auchandrive », dont le concept est celui d'un drive jumelé avec un hypermarché.

En définitive, on distingue 3 types de drives : le drive « pur », le drive situé sur un parking d'hypermarché et le drive adossé à la réserve d'un super ou hypermarché (ce dernier type de drive pouvant apparaître, si l'on ose dire, comme « bricolé »).

D'une façon générale, au regard d'une grande surface de vente, l'impact d'un drive sur son environnement se caractérise par de plus fortes créations d'emploi et moins d'investissements (faible intensité capitalistique) ; chaque année, d'importantes dépenses de recherche et de développement sont engagées, tandis que de nouvelles implantations sont financées. L'urbanisme se veut vertueux en respectant l'intégrité architecturale, et le développement, durable (moins de déplacements pour faire ses courses compte tenu de l'emplacement du drive, bâtiment à faible dépense énergétique).

Enfin, le développement des drives a tendance à pénaliser les grandes surfaces alimentaires et à profiter au commerce de proximité. Pour les « courses-corvée », la clientèle des drives est directement détournée des grandes surfaces, y compris du hard discount (car de nombreux clients fréquentent ce type de magasin pour gagner du temps). Pour leurs « courses-plaisir », ces clients tendent aussi à délaisser les grandes surfaces ou les centres commerciaux, puisqu'ils n'y sont plus conduits par la nécessité des « courses-corvée » ; ils ont donc tendance, ici, à réinvestir le commerce de proximité.

1 - Pensez-vous que la croissance du commerce électronique est durable au rythme actuel ?

La poursuite d'une forte croissance semble évidente. Pour l'alimentaire, la livraison à domicile restera confidentielle. A noter que les nouveaux clients des drives sont, pour la moitié d'entre eux (80 % au commencement de l'activité), des personnes n'ayant jamais acheté sur le web...

2 - Dans votre secteur, anticipez-vous des innovations (techniques, de méthode commerciale, logistiques...) ou des modifications comportementales porteuses pour le développement de l'e-commerce ? Identifiez-vous, réciproquement, certains facteurs risquant de compromettre ce développement ?

Les innovations sont très nombreuses. Elles concernent la gestion du front office, avec la technologie des sites web et celle du merchandising sur le web. D'autres innovations consistent en diverses applications sur mobile. Les innovations portent aussi sur les outils de recrutement et de fidélisation des clients.

Concernant Chronodrive, l'entreprise réfléchit à une personnalisation fine de l'offre selon le profil et l'historique de consommation de ses clients. Par ailleurs, la possibilité d'assumer la fonction de point-relais est étudiée.

Pour ce qui est des risques, ils demeurent élevés pour les drives car leur rentabilité demeure fragile. Une évolution du contexte législatif, qui ne soumet pas aujourd'hui les drives aux mêmes contraintes d'urbanisme que les supermarchés, pourrait donc compromettre le développement des premiers. Or, certaines velléités d'assimiler les drives à de l'urbanisme commercial sont régulièrement exprimées... En outre, la création de taxations non justifiées, souvent évoquée, constituerait un autre handicap.

Plus généralement, la peur technologique, le sentiment d'incompétence et la défiance par rapport aux techniques constituent les plus grands risques pesant sur le développement de l'e-commerce.

3 - L'e-commerce alimentaire est-il devenu rentable ?

Si l'entreprise Chronodrive dégage suffisamment de « cash-flow » pour investir afin de s'inscrire dans une stratégie de croissance, elle n'est pas rentable à l'heure actuelle. La difficulté de trouver des financements afin de permettre la croissance des établissements d'e-commerce, qui nécessitent des investissements massifs durant leur période d'envol, fait la force des « click and mortars », qui peuvent compter sur les bénéfices tirés de leur activité de commerce « physique ».

4 - Le commerce électronique débouche-t-il, d'après votre expérience, sur un renforcement de la concurrence ?

L'e-commerce est très vertueux pour la concurrence, la recherche des prix les plus bas incitant les commerces à s'aligner. L'e-réputation est également très importante dans ce contexte.

5 - Le m-commerce vous semble-t-il appelé à connaître un essor significatif en France et l'anticipez-vous ? Croyez-vous au potentiel d'interactions entre e-commerce et réseaux sociaux ?

Nous constatons une croissance étonnante des commandes à Chronodrive effectuées via un mobile ; il est vrai que ce type d'accès au site permet de nouveaux gains de temps, car la commande s'effectue souvent, alors, en « temps caché » (temps d'attente dans les transports, etc.). Les réseaux sociaux ont, quant à eux, un effet d'amplification et les acteurs du commerce électronique ont l'obligation d'y être. Cependant, ces réseaux s'avèrent peu adaptés au commerce et je ne crois pas en l'existence de synergies décisives avec des systèmes qui, pour être très intrusifs, recèlent de nombreuses lignes de fragilité.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page