VI. ALAIN RALLET, PROFESSEUR DE SCIENCES ÉCONOMIQUES, DIRECTEUR DE L'ADIS - ANALYSE DES DYNAMIQUES INDUSTRIELLES ET SOCIALES, UNIVERSITÉ PARIS-SUD

1- Pensez-vous que la croissance du commerce électronique qui, ces dernière années, suit en France une pente sans véritable équivalent dans le reste de l'Europe, est durable ? Allons-nous sortir d'un « marché de niche », dont votre rapport sur « le commerce à l'ère de l'économie numérique » fait état ? Anticipez vous des innovations (techniques, de méthode commerciale, logistiques...) porteuses pour le développement de l'e-commerce ? Identifiez-vous, réciproquement, certains facteurs risquant de compromettre ce développement ?

Si l'on est sorti d'un marché de niche pour certains domaines tels que les voyages ou les biens culturels, même aux Etats-Unis l'e-commerce ne représente guère plus de 4 % du commerce de détail. Quoiqu'il en soit, l'acte de passer commande à distance s'est banalisé, notamment sous l'impact de la permanence du lien Internet, que permet la généralisation progressive du haut débit. En réalité, l'apport principal du commerce électronique n'est pas la vente à distance, qui existait déjà, mais l'ensemble des autres fonctions apportées par l'e-commerce : c'est l' « éléctronisation » du commerce .

Le lien de filiation de l'e-commerce avec la vente à distance se vérifie dans l'avance incontestable qu'avaient, au tournant des années 2000, des entreprises telles que les 3 Suisses ou La Redoute en termes d'automatisation de la chaîne logistique.

La question se pose de l'avenir de l'appareil de distribution. On connaîtra probablement des innovations majeures sous le triple impact :

- des politiques publiques en matière de mobilité avec, par exemple, la fin de l'étalement urbain ;

- de nouvelles formes de concurrence, avec notamment la réimplantation des enseignes de la grande distribution dans les centres urbains (cf. la déclinaison des « Casinos » et autres...) ; à noter qu'un réinvestissement commercial du centre-ville peut se trouver favorisé, d'une façon générale, par les possibilités d'« électronisation » du petit commerce (bornes électroniques de commandes, m-commerce) ainsi que sa capacité à faire office de point-relais ;

- du comportement des consommateurs qui, pour nombre d'entre eux, pourraient continuer à considérer que les « courses » constituent une pratique sociale digne d'intérêt (à cet égard, les Etats-Unis ont, les premiers, allumé des « contre-feux » en transformant les centres commerciaux en centres de loisirs).

2- Quelle peut-être l'incidence de l'e-commerce sur la dynamique de la production et des prix ?

Malgré la transparence du marché de l'e-commerce, on constate une forte dispersion des prix sur Internet, qu'explique le fait que les consommateurs sont prêts à supporter une « prime d'assurance » pour s'approvisionner auprès de vendeurs à forte notoriété. Il ne semble pas que ce différentiel tende à diminuer.

Au travers des comparateurs, se reconstitue paradoxalement une véritable « opacité » du marché : les référencements ne sont pas systématiques sur les sites des comparateurs, tandis que l'ordre de présentation des offres ne rend pas précisément compte de différences pouvant porter, par exemple, sur les modalités ou les délais de livraison.

3- Le commerce électronique pourrait-il atteindre une « masse critique » telle qu'il suscite le développement de logistiques d'acheminement mutualisées et performantes ?

La logistique a dû être adaptée au commerce électronique par les « click and mortars » qui pensaient initialement pouvoir mutualiser toute leur logistique afin d'obtenir des économies d'échelle.

Aujourd'hui la question est celle de la logistique urbaine : il ne faudrait pas que le consommateur soit finalement remplacé par une noria de camionnettes. La solution passe probablement par l'augmentation des points-relais.

D'une façon générale, en termes d'implantation, la logistique de l'e-commerce est déjà bien installée et, en matière d'aménagement du territoire, il n'y a pas ici de révolution à attendre. Le problème est bien celui de la capillarité des réseaux pour le « last mile ».

4- Quel pourrait-être l'impact de la croissance de l'e-commerce sur l'organisation physique du commerce ?

Ma perception n'est pas inspirée par un « déterminisme technologique », selon lequel les TIC façonneraient l'avenir de la distribution. Je tâche plutôt d'anticiper l'évolution d'activités préexistantes, du fait qu'elles sont « équipées » de ces technologies. Je demeure convaincu qu'à l'avenir, la diffusion des TIC se fera principalement ressentir dans les magasins.

5- Le m-commerce vous semble-t-il appelé à connaître un essor significatif en France ? Croyez-vous au potentiel d'interactions entre e-commerce et réseaux sociaux ?

Le commerce sur les terminaux mobiles (m-commerce) connaîtra un essor important. L'impact d'une information disponible pour le consommateur toujours plus abondante (positionnement du prix, qualité, signalement d'offres diverses) est ambivalent quant à sa rationalité : d'une part il bénéficie d'un maximum d'éléments lui permettant de rationaliser son comportement mais, d'autre part, la pléthore des offres le pousse à des achats compulsifs.

Consommer devient en réalité une occupation de plus en plus exigeante d'un point de vue cognitif et c'est pourquoi l'intervention d'un tiers, qu'il s'agisse d'un vendeur en magasin ou d'un « ami » interpellé via un réseau social, sera de plus en plus secourable.

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