III. FRANÇOIS MOMBOISSE, PRÉSIDENT DE LA FEVAD ET MARC LOLIVIER, DÉLÉGUÉ GÉNÉRAL
La FEVAD (Fédération du e-commerce et de la vente à distance) est un syndicat professionnel qui représente les acteurs du commerce électronique et de la vente à distance. La Fédération est née il y a 54 ans de la volonté des VPCistes de se regrouper. Elle fédère aujourd'hui plus de 500 entreprises et environ 800 sites internet, dont les 15 premiers sites de e-commerce en France. Elle regroupe à la fois des membres historiques issus de la vente à distance, des sites qui vendent essentiellement sur internet dits « pure players » et de très nombreuses enseignes magasins qui développent une activité de e-commerce, en complément de leurs activités en magasin.
La FEVAD a pour mission de développer la connaissance et l'information sur l'évolution de l'activité et d'agir en faveur d'un environnement favorable au développement éthique et durable du secteur.
Selon les chiffres de la FEVAD, le commerce électronique représente en 2010 un chiffre d'affaires de 31 milliards. Ce chiffre a été multiplié par 35 en 10 ans. Cette forte croissance s'explique notamment par une explosion de l'offre et de la demande. On compte aujourd'hui plus de 28 millions de Français qui achètent sur internet. Parallèlement on assiste au développement d'une offre de plus en plus riche et diversifiée. La FEVAD a recensé plus de 80.000 sites actifs en 2010. Il se créé actuellement 2 sites marchands toutes les heures en France.
1- En France, le développement du commerce électronique suit une courbe très ascendante. Selon vous, doit-on parler de rattrapage, ou de véritable conversion des Français à l'e-commerce ? Peut-on dire que le commerce électronique s'est émancipé de la vente à distance ?
L'année 2010 a permis de franchir un cap historique. Pour la première fois, plus de 50 % des Français ont acheté sur internet. La progression du nombre d'acheteurs en ligne s'est accélérée ces dernières années. La courbe de progression des acheteurs en ligne suit celle de l'équipement pour l'accès à internet. La France a longtemps souffert d'un retard important concernant le taux d'accès à internet notamment par rapport ses voisins à d'Europe du Nord. Certes, la qualité de l'accès était meilleure que dans beaucoup d'autres pays, notamment grâce à la pénétration du haut-débit, mais le pourcentage de foyers connectés est longtemps resté en retrait par rapport à des pays comme le Royaume-Uni, l'Allemagne ou les Pays-Bas où plus de 90% de la population a accès à internet. L'équipement pour l'accès à internet a fortement progressé ces dernières années en France, notamment au cours de l'année 2010, pour atteindre 73% des foyers. Cette progression s'est traduite par une forte accélération du nombre de cyber-acheteurs.
Il y a donc à la fois un phénomène de rattrapage et une véritable conversion des Français au e-commerce. Car si les Français sont de plus en plus nombreux à acheter sur internet, ils ont aussi tendance à consommer davantage de biens. Selon nos études, un acheteur en ligne commande en moyenne une fois par mois, pour un montant annuel de 1000 €.
Cette tendance s'accompagne d'un niveau de satisfaction très élevé. Selon le baromètre de la satisfaction mesuré tous les 6 mois par Médiamétrie/Netratings, plus de 96 % des personnes interrogées sont satisfaites de leurs achats en ligne au cours des 6 derniers mois.
La barrière de l'accès à internet est aujourd'hui principalement financière: 30 euros par mois, c'est trop pour de nombreux foyers. C'est pourquoi la mise en place d'un tarif social est une bonne idée. Par ailleurs, tous les territoires ne bénéficient pas encore d'une connexion en haut débit. La généralisation du haut débit serait d'autant plus favorable au commerce électronique qu'elle encouragerait incidemment l'installation des « néo-ruraux ».
S'agissant de l'émancipation du e-commerce vis-à-vis de la vente à distance, on peut dire que le e-commerce a révolutionné en quelques années la vente à distance. Aujourd'hui la FEVAD estime que plus de 75 % du chiffre d'affaires de la vente à distance aux particuliers passent par internet. Certaines entreprises de ventes à distance dites traditionnelles, réalisent plus de 70 % de leurs ventes sur internet et plus de 50 % des ventes en ligne d'habillement sont réalisées par les enseignes issues de la vente à distance traditionnelle. Dans l'ensemble, et contrairement à ce qui a pu être dit, ces entreprises ont pris la mesure du virage internet, même si cela a demandé de nombreuses adaptations.
Pour autant, la révolution internet ne touche pas seulement la vente à distance traditionnelle. Elle concerne l'ensemble du commerce, car internet n'est pas qu'un simple canal de vente : il modifie en profondeur la manière de consommer et par conséquent la manière de commercer.
Commerces physiques et électroniques s'interpénètrent : de plus en plus, on compare d'abord sur Internet, puis on achète éventuellement en magasin. Les petites boutiques d'e-commerce, quand elles connaissent le succès, ont tendance à vouloir aussi une implantation physique.
2- Quelles sont les principales évolutions sociétales que vous percevez ou anticipez, susceptibles de favoriser ou de peser sur l'évolution du commerce en ligne ?
Les changements d'habitudes des consommateurs sont profonds. 80 % des achats sont dorénavant préparés sur Internet. Et 30 % des acheteurs en ligne reconnaissent avoir acheté sur internet après un passage en magasin. Le rapport à la distance évolue, de même que le rapport aux points de vente. Le coté pratique l'emporte sur la seule considération du prix - ce qui, d'ailleurs, a toujours été le cas, hormis durant la crise. Au final, les surfaces de vente magasin et internet tendent à se rapprocher.
Ces nouveaux comportements, ne sont pas sans conséquence sur les acteurs du commerce physique. Le client a désormais le choix d'acheter en magasin ou sur internet. Les magasins se doivent donc de susciter l'envie pour le consommateur de se déplacer. Le magasin dispose de nombreux atouts, tels que la perspective de la possession immédiate du produit ou encore le plaisir d'une expérience client réussie en magasin, ce qui passe notamment par la qualité de la relation humaine. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, Internet remet ainsi le vendeur au centre du dispositif. En réalité, les petits commerçants n'ont pas à craindre Internet à condition de jouer la carte de la relation client. Beaucoup l'ont compris et utilisent internet avec succès en complément de leur activité traditionnelle, n'hésitant pas à jouer la carte de l'authenticité sur internet, grâce à leur magasin. L'e-commerce est une révolution qui, à la différence des précédentes, ne met pas à l'écart le petit commerce .
Un autre phénomène qui joue en faveur du e-commerce est celui du raccourcissement du cycle de vie des produits. Cette tendance économique globale entraîne des besoins croissants d'écoulement des stocks . Ainsi, les ventes évènementielles se multiplient-elles et, en complément du B2C, se développe le C2C qui permet aux consommateurs d'écouler des produits en bon état mais dont le renouvellement accéléré des gammes précipite l'obsolescence. Par ailleurs, les politiques tarifaires s'adaptent : ainsi, Apple a dû réviser à la baisse les tarifs de l'Ipad 1, lors de la sortie de l'Ipad 2.
De même, face à des prix qui connaissent une amplitude et des fluctuations de plus en plus importantes, internet joue un rôle important. Le e-commerce permet de comparer beaucoup plus facilement les offres qu'auparavant. Cela a pour effet de renforcer la pression concurrentielle sur les prix, ce qui entraîne en retour un usage encore plus accru d'internet de la part des consommateurs,....Les jeunes sont comparativement moins perturbés par la volatilité des prix observée sur Internet.
Sous un autre angle, le bannissement progressif des voitures des centres ville pourrait également s'avérer un facteur favorable au développement du commerce électronique. Par ailleurs, l'étude des taux de pénétration par tranche d'âge, utile pour la prospective, permet d'anticiper mécaniquement une hausse du taux de pénétration global.
3- Anticipez-vous des innovations (techniques, méthodes commerciales, logistiques) porteuses pour le développement de l'e-commerce ? Identifiez-vous, réciproquement, des risques significatifs de nature technique (données personnelles, saturation des réseaux, pannes...) susceptibles de compromettre ce développement ?
Une des clés du succès du e-commerce réside dans sa capacité d'innovation quasi-permanente. Nos adhérents travaillent en permanence à l'amélioration de leur offre, notamment en mettant l'innovation au service de la relation client. Parmi les innovations à venir, il convient de citer le m-commerce, c'est-à-dire l'utilisation de l'internet mobile dans les achats. Citons également l'arrivée du « social shopping », c'est-à-dire des réseaux sociaux, le recours aux techniques de réalité augmentée qui permettra d'enrichir la présentation de l'offre à distance, ou encore le développement des offres « drive » qui permettent de combiner commande sur internet et retrait dans la journée dans un lieu physique. Il ne s'agit là que de quelques exemples concernant un secteur résolument porté sur l'innovation.
S'agissant des menaces qui pourraient enrayer le développement du e-commerce, on se doit de rappeler que la « confiance » est un élément essentiel à toute forme de commerce. C'est encore davantage le cas en matière de commerce à distance où la confiance est une composante indispensable au développement de l'activité. Actuellement le niveau de confiance vis-à-vis de la vente en ligne est très élevé - ce qui n'a pas toujours été le cas - et il ne cesse de progresser.
Si on veut soutenir le développement du e-commerce sur le même rythme de croissance, il faut que nous puissions maintenir, voire améliorer, la confiance. A l'inverse, tout ce qui viendra altérer la confiance aura un impact négatif. Il s'agit donc d'un enjeu essentiel pour l'avenir de notre activité dont les acteurs ont conscience et sur lequel la FEVAD est largement mobilisée, aussi bien en ce qui concerne la sécurité des paiements que le respect des droits des clients du e-commerce.
Concernant les infrastructures, il est en effet probable que les réseaux actuels ne sont pas dimensionnés pour le très haut débit généralisé. Cela pose donc la question de l'adaptation de ces réseaux aux nouvelles exigences et donc celle aussi du financement de ces adaptations. Cela relance le débat autour de la règle de la « net neutrality », suivant laquelle le prix des abonnements au réseau est le même, quelle que soit la quantité de données transférées. Cette question ne concerne pas uniquement le e-commerce. Elle touche de nombreux autres usages de l'internet. Ce sujet est également essentiel pour l'avenir de l'internet. Les pouvoirs publics ont donc un rôle important à jouer. Cette question devrait être débattue au grand jour avec l'ensemble des acteurs.
4 - Pensez-vous que le commerce électronique soit sur le point d'atteindre une « masse critique » propre à susciter le développement de logistiques d'acheminement mutualisées et performantes ?
En France, le « capital confiance » dont bénéficie La Poste a créé des conditions favorables au développement du commerce électronique. Aujourd'hui le marché existe. D'autres acteurs se sont lancés parfois avec succès. Il important de favoriser l'émergence d'une offre concurrentielle dans ce domaine.
5- Diriez-vous que le commerce électronique a eu un impact sur les processus de production, par exemple dans le sens d'un approfondissement des organisations à flux tendus ?
Concernant la logistique, il semble que les consommateurs veuillent être livrés toujours plus rapidement : souvent le lendemain, sinon le jour même !
Le cas des produits personnalisés et des meubles sur mesure mis à part, il ne semble pas qu'on observe une tendance significative selon laquelle les organisations de production en flux tendus seraient, directement ou indirectement, activées en temps réel par des commandes sur Internet. Certains sites ont même tendance à stocker davantage afin de satisfaire plus rapidement les clients. Par ailleurs, la FEVAD ne croit pas à la désintermédiation au profit des producteurs. Cela n'exclut pas le fait que certains producteurs puissent décider de développer une activité de distributeur. Toutefois cela suppose des investissements conséquents que peu d'entre eux seront prêts à engager.
6- Le commerce via un mobile (m-commerce) vous semble-t-il promis à un bel avenir en France ? Croyez-vous au potentiel d'interactions entre e-commerce et réseaux sociaux ?
Il est probable que le mobile deviendra un véritable appendice technologique de l'homme. Aujourd'hui plus de 3 millions de Français ont déjà commandé en ligne via leur téléphone mobile. Ce chiffre a doublé en un an, et devrait continuer de progresser très fortement au cours des prochaines années. Le m-commerce aura un rôle aussi important sur Internet qu'en magasin, grâce aux applications basées sur la géolocalisation. De nombreuses applications, couplant internet mobile et magasins sont en train de voir le jour. Ainsi par exemple, les applications qui permettent de savoir si un article est en stock chez les revendeurs situés à proximité. D'autres applications communiquent des informations sur un produit en photographiant son code barre...
7- Comment voyez vous l'avenir du commerce électronique concernant l'alimentaire ?
Si les grandes surfaces spécialisées (GSS) sont au rendez-vous du tournant de l'économie numérique, les grandes surfaces généralistes éprouvent davantage de difficultés, notamment à cause de l'alimentaire, dont la vente en ligne engendre des coûts proportionnellement importants de préparation de la commande et de livraison.
Par ailleurs, les habitudes de consommation dans le domaine de l'alimentaire notamment en France sont très fortes.
Enfin, à la différence d'autres secteurs, tels que le secteur des produits techniques, ou celui des produits culturels, le secteur de l'alimentaire n'a pas été « perturbé » par des pure-players susceptibles d'accélérer le mouvement des acteurs de la distribution classique vers le e-commerce.
Malgré tout, il existe un potentiel important dans ce domaine. 11% des acheteurs en ligne ont acheté des produits alimentaires sur internet. Ce chiffre devrait augmenter dans les années à venir. La stratégie des systèmes « drive » aujourd'hui reprise par la plupart des enseignes de la grande distribution devrait y contribuer.
En outre, de plus en plus d'agriculteurs, organisés en coopératives, vendent directement sur le net.
8- L'e-commerce engendre-t-il un surcroît de concurrence qui pèse sur les prix ? Qu'en est-il dans le marché intérieur européen ? La réduction des marges constitue-t-elle un risque pour la viabilité de ce commerce ? Les fonctions de recherche (sélections des moteurs de recherche, comparateurs de prix) permettent-elles d'accéder aux meilleures offres ? Déplore-t-on des ententes ?
La concurrence devient planétaire : 25 % des internautes français ont déjà acheté à l'étranger. Cette concurrence peut s'accroître en dépit des coûts d'acheminement, dont il ne faut pas surévaluer l'impact : quelques « hubs » peuvent livrer plusieurs pays...
Le problème des marges est crucial. Le rapport publié par la Commission des Finances du Sénat sur la fiscalité et internet ou encore, le récent rapport du Credoc sur les prix et internet montrent que la rentabilité est difficile à atteindre. Cela s'explique notamment par des marges en moyenne plus faibles dans le e-commerce, notamment en raison de la facilité de comparaison des offres par le consommateur, qui entraine une obligation de compétitivité sur les prix.
Un projet de directive européenne (directive « Droits des consommateurs ») a pour objet d'obliger les sites de commerce électronique à livrer dans toute l'Europe, en fixant au profit de l'acheteur un délai de rétractation de deux fois 14 jours (14 jours pour signaler l'intention de renvoyer un produit, auxquels s'ajouteraient 14 autres jours pour renvoyer effectivement ce produit) - au lieu de 7 jours en France et dans la plupart des pays européens -, tout en mettant les frais de réexpédition à la charge du vendeur (pour toute commande excédant 40 euros), décision qui relève aujourd'hui de la politique commerciale des entreprises de commerce électronique.
Ces mesures seraient lourdes de conséquences sur la santé financière de beaucoup d'entreprises en Europe, notamment pour les PME et TPE. Elles auraient un impact négatif sur la concurrence et donc la profondeur du choix disponible sur Internet, car si certaines structures auront la capacité financière d'absorber la hausse des coûts d'exploitation, toutes ne le pourront pas - en particulier les PME. Au total, des répercussions sur le niveau général des prix semblent inévitables. C'est pourquoi la FEVAD a demandé au gouvernement français de ne pas soutenir le texte adopté par la Commission IMCO et a sollicité les autorités européennes pour ouvrir une concertation avec les professionnels du secteur sur ce sujet qui concerne 500 millions de consommateurs et des centaines de milliers d'entreprises à travers l'Union.
Observations diverses :
La fréquence de consultation des sites n'est pas tout : la FNAC est ainsi la première entreprise en nombre d'acheteurs en ligne (chiffres 2010). A noter qu'il n'existe pas de « classement » des entreprises de commerce électronique selon leur chiffre d'affaires : cette donnée, parfois considérée comme stratégique, n'est pas toujours diffusée par les entreprises ; par ailleurs, pour les « click and mortars », il peut être difficile de faire le départ entre l'activité liée au commerce électronique et les activités commerciales « classiques »).
Le commerce électronique est incontestablement favorable à l'environnement, comme le montre l'étude du cabinet Estia. Il permet de diviser par 4 les émissions de gaz à effet de serre.
Entre 2006 et 2009, la moitié des emplois créés dans le commerce l'ont été dans le e-commerce (source : Etude sur l'Emploi dans le e-commerce, réalisé par le Cabinet d'étude Asterès pour le compte de la FEVAD).