ANNEXES
COMPTES RENDUS DES AUDITIONS
I. JEAN-RÉMI GRATADOUR, VICE-PRÉSIDENT DE L'ACSEL, DIRECTEUR E-COMMERCE DE GÉOPOST ET MARIE GIROUD, CHARGÉE DE MISSION (ACSEL)
L'ACSEL (Association pour le commerce et les services en ligne) est né dans les années 80, avec l'avènement du Minitel. Son rôle est d'aider ses adhérents à anticiper l'impact des NTIC sur l'évolution du commerce. Parmi ses 180 adhérents, se trouvent d'importants e-commerçants, des logisticiens, des banques, etc. A noter qu'Amazon, qui développe une approche autonome, ne figure pas parmi ses adhérents.
Le succès du e-commerce est largement conditionné par la retenue du paiement jusqu'à la livraison, qui explique un développement international encore très limité. Au sein de l'ACSEL, diverses « commissions » coexistent, spécialisées notamment dans la distribution, la mobilité, l'identité numérique et le paiement.
Le pays le plus avancé est l'Angleterre avec une « distribution cross-canal ». Rappelons qu'aux Etats-Unis, Apple et Google ont encore la main sur les marchés et les usages. En France, l'ensemble de l'e-commerce connaît une croissance annuelle moyenne de l'ordre de 30 %, et de 20 % dans le périmètre du commerce de détail, donc à l'exclusion des services.
1- Existe-t-il une spécificité française quant au développement du commerce électronique qui, ces dernière années, suit une pente sans véritable équivalent dans le reste de l'Europe ? Comment l'expliquer ?
La concentration du commerce en France y a longtemps retenu le développement de l'e-commerce, en suscitant de fortes barrières à l'entrée. On s'explique difficilement que la mue ne se soit pas encore véritablement opérée pour la grande distribution.
La France se caractérise par un nombre important de « pure-players » qui représentent la moitié du « top ten », avec en particulier Pixmania, Rueducommerce, Alapage ou Amazon. En Grande-Bretagne, le commerce électronique représente 8 % du commerce de détail, avec une forte représentation des acteurs de la distribution traditionnelle (ex : Tesco) ; en Allemagne, autre modèle, on observe une forte représentation des acteurs traditionnels de la vente à distance, qui se sont adaptés à la nouvelle donne électronique. La répartition territoriale de la population constitue un facteur explicatif : aussi bien la Grande-Bretagne que l'Allemagne ou le Japon sont caractérisés par de fortes concentrations humaines qui facilitent l'acheminement des commandes. On note ainsi le succès de Tesco (alimentaire) en Grande-Bretagne et celui de Rakuten (alimentaire frais) au Japon.
Très tôt le commerce électronique a visé la grande distribution avec une concurrence par les prix. Si les grands groupes traditionnels rachètent des enseignes électroniques, ils le font très progressivement car, au fond, ils ne croient pas au modèle de l'e-commerce. A cet égard, on observera que la dernière stratégie de Carrefour consiste à « relancer » leurs magasins... Quand les grands acteurs miseront-ils massivement sur une stratégie « multi-canal » ?
Le jour où la grande distribution se réveillera, elle pourra s'appuyer sur une logistique de distribution si performante que La Poste pourra s'inquiéter.
Les périodes de crise, en exacerbant la « sensibilité-prix » sont favorables à la vente à distance, à quoi s'ajoute le renchérissement de l'énergie qui pénalise, par les déplacements personnels qu'il suppose, le commerce traditionnel. Le commerce électronique « aspire » littéralement certains produits, tels que la presse, la musique ou le tourisme. Les biens matériels sont aussi concernés, avec l'exemple frappant et inattendu du succès de la vente à distance de chaussures.
Les parts de marché augmentent mais la part de rentabilité demeure précaire. Non seulement les marges sont faibles en raison d'une forte concurrence par les prix, mais elles doivent être réinvesties en conquête de marché. Avec des progressions qui atteignent parfois 80 % par an, les financeurs doivent avoir les reins et les nerfs solides.
En France, l'essor du commerce électronique a longtemps été retardé par le souci de certaines enseignes de ne pas concurrencer leurs réseaux de franchisés. Cela peut expliquer ici un développement plus tardif du commerce multi-canal qu'en Grande-Bretagne.
Les sites de vente privée se sont appuyés sur une faille de la réglementation des soldes, qui sont permises à condition de présenter ce caractère privé. Il suffit donc de s'inscrire (gratuitement) à ces ventes, lorsqu'elles sont signalées par ces sites, pour bénéficier de soldes à tout moment de l'année. Il s'agit d'un marché représentant un milliard d'euros en France dont le site éponyme draine 700 millions d'euros.
2- Le commerce via un mobile (m-commerce) vous semble-t-il promis à un bel avenir en France ? Croyez-vous au potentiel d'interactions entre e-commerce et réseaux sociaux ?
Oui, car le m-commerce permet la rencontre du e-commerce et de la proximité géographique.
Google a capté 50 % de la publicité en ligne, ainsi que les données concernant les intentions potentielles d'achat. Or, à la fin des années 2000, sont apparus les réseaux sociaux et, depuis environ 18 mois, ce phénomène s'intègre insidieusement au commerce électronique, de façon très différente de Google, en s'appuyant sur les relations entre les gens, la question étant de trouver la façon d'utiliser le « marché » énorme des discours sur les commerçants.
Google a raté ce virage et Facebook conteste ainsi l'hégémonie du célèbre moteur de recherche - qui a été un fort élément structurant du commerce électronique. Cette seconde étape est très difficile à comprendre, on ne sait pas vraiment comment l'e-commerce va s'approprier cet effet de réseau. Un nombre croissant d'e-commerçants greffent leur stratégie sur Facebook. On voit apparaître des « gate community » (plates formes privées de commerce). Facebook souhaiterait créer une telle « gate community ».
A noter qu'I-phone demande 30 % du prix de la vente de la presse pour transiter sur ce support. Pourrait-on passer d'un système ouvert à un système fermé ?
3- Le dédale des remises, des comparateurs et des méthodes de vente sur Internet constitue-t-il plutôt un frein ou un facteur favorable à la diffusion de l'e-commerce ? Peut-on parler, avec le commerce électronique, d'une amélioration de la concurrence ?
La concurrence est exacerbée et les marges sont d'autant plus faibles que marques et producteurs sont parfois tentés de limiter l'intéressement des revendeurs en ligne. Le coût d'acquisition du client tend à augmenter continuellement. Ainsi, on retiendra que la marge nette de Pixmania est de 1 %. Au total, les clients sont les grands gagnants du commerce électronique.
Dans 5 à 10 ans, e-commerce, m-commerce et réseaux sociaux s'entremêleront.
En attendant, aux Etats-Unis, les « pure players » sont ceux qui connaissent la plus forte croissance, en s'appuyant sur une « market place » et/ou en fournissant des prestations de service, par exemple de type logistique. Amazon a probablement vocation à devenir le « Wallmart du Net ».
4- Les sites de regroupement d'acheteurs sur un mode coopératifs ont-ils un avenir ?
Les limites des « clust » résident dans la qualité des servies rendus avec une fidélisation très difficile. Ainsi, sur le site « Groupon » se trouvent des offres à prix coûtant, en dépit de quoi l'on observe que les clients y souscrivant ne reviennent pas. On atteint donc les limites du modèle (absence de bénéfice, pas de fidélisation).
5- Quels seraient les principaux facteurs de progrès de nature juridique pour le commerce électronique ?
En premier lieu, l'harmonisation fiscale est hautement souhaitable avec une TVA qui est problématique. Le prix du livre pose un problème pour les acteurs français et il ne faudrait pas que ce dernier connaisse une trajectoire semblable à celle observée pour la musique. Pour les aspects juridiques, la loi sur l'économie numérique a bien « bordé » le marché et l'e-commerce paraît dorénavant suffisamment encadré.