C. LES ARTISTES DE LA SCÈNE FRANÇAISE OU UNE CARRIÈRE CHAOTIQUE
La troisième partie de ce rapport aborde les questions relatives aux artistes et propose une description de leur profil. Votre rapporteur souhaite simplement ici aborder ce qui est présenté par tous les professionnels comme une spécificité française : une carrière marquée par une période de creux au-delà de dix ans.
Les personnes auditionnées ont confirmé l'engouement pour les jeunes artistes sortant des écoles. Ces dernières organisent déjà, en leur sein, un processus de sélection préparant d'ailleurs à celui du marché. Les lauréats sont ainsi très « courtisés » alors que débute à peine leur carrière. « Poussés par le marché inflationniste, les musées achètent de plus en plus tôt par rapport à la carrière d'un artiste, et donc ratifient de plus en plus vite les choix du marché » 30 ( * ) . Nathalie Moureau et Dominique Sagot-Duvauroux évoquent « une accélération du processus de reconnaissance 31 ( * ) ».
UNE JEUNE DESIGNER FRANÇAISE FORMÉE
Delphine Frey est diplômée de l'Ecal (Ecole cantonale d'art de Lausanne - haute école d'art appliqué) en Suisse, et travaille en indépendante à l'international. Son travail est déjà connu en France notamment à travers le succès de sa création de cône de glace en porcelaine, soutenue par la Fondation Bernardaud. Son choix d'étudier hors de France s'explique, outre des raisons familiales, par l'attractivité de l'Ecal. Cette école propose une formation en lien très étroit avec les professionnels du monde de l'art : grâce à des ateliers avec des artistes phares, les diplômés sortent en possédant déjà des prototypes, un catalogue, et de fructueux contacts avec les galeries et les entreprises. L'un des projets de Delphine Frey a ainsi été exposé par son école à Art Basel Miami, où il a été découvert par la galerie française Kreo - à laquelle peu de jeunes talents ont accès. Des écoles comme le Royal College (Royaume-Uni), ou Eindhoven (Pays-Bas) assurent à leurs élèves une diffusion précoce dans les grands rendez-vous internationaux, où « les écoles françaises sont présentes, mais pas en force ». Le milieu des arts visuels et du design reste toutefois « un milieu difficile » : sur 10 diplômés du master, 3 seulement sont indépendants. L'école a également un rôle à jouer pour soutenir ces carrières instables, en permettant aux diplômés d'enseigner pour garantir une source de revenus et en mettant du matériel à leur disposition. Dans l'ensemble, les artistes « gardent un lien très proche » avec le réseau de leur formation initiale. |
Le risque pour les artistes est de rapidement tomber dans l'oubli alors que la France peine à promouvoir les artistes en milieu de carrière. On constate alors le travers d'un système qui ne s'occupe que des plus forts, des potentielles « stars » médiatiques, mais pas des artistes qui peuvent aussi bien exprimer les interrogations et la particularité d'une époque à travers leurs créations. Une étude des années 1990 de Raymonde Moulin a mis en évidence la visibilité des artistes français : seuls 4 % des individus ont une visibilité assez forte, et 85 % ont une visibilité faible. 78 % des artistes à forte visibilité ont toujours vécu de leur art, contre 13 % seulement pour les individus à faible visibilité.
Il ne s'agit pas ici de « forcer » le marché en créant des talents qui n'existent pas, mais simplement de pallier le défaut d'un système qui n'a pas suffisamment prévu de donner leur chance aux artistes qui ne sont ni des jeunes lauréats d'écoles ni des artistes confirmés. On peut alors proposer une visibilité aux artistes en milieu de carrière et leur offrir l'occasion de mieux vivre de leur activité artistique. C'est précisément l'objectif du projet de Palais de Tokyo rénové, présenté par le ministère de la culture.
Proposition n° 10 : Offrir aux artistes les moyens d'une visibilité plus forte tout au long de leur carrière. |
* 30 Catherine Millet - « L'art contemporain en France », Flammarion, 2005, p. 239.
* 31 In « Le marché de l'art contemporain », éditions la découverte, 2010, p. 35.