2. Sécuriser la position des collectionneurs français en contrepartie d'un meilleur accès aux oeuvres d'art

Le rôle des collectionneurs est crucial et peut intervenir de plusieurs façons :

• dans le cadre de prêts d'oeuvres d'art ;

• à travers les dations ;

• comme soutien à la création artistique lorsque les acquisitions visent des artistes émergents.

L'exemple de la « Galerie des Galeries », espace d'exposition des Galeries Lafayette, est exemplaire en la matière. Votre rapporteur a eu l'occasion de mesurer l'impact direct de l'engagement des Galeries Lafayette lors de la FIAC 2010 puisque le groupe sponsorise la foire et a créé un « secteur Lafayette » pour aider chaque année 10 jeunes galeries qui n'auraient pas les moyens de produire leurs artistes sans ce soutien financier (frais de transport, d'hébergement, location du stand). Jusqu'alors le groupe avait d'ailleurs fait le choix de ne présenter que des artistes français dans ce cadre, même si la collection privée comporte des oeuvres d'artistes étrangers. En 1978, déjà, les Galeries Lafayette organisaient l'exposition « la France a du talent », en présentant Niki de Saint-Phalle et Jean Dubuffet. Depuis 2005, Guillaume Houzé organise une exposition annuelle d'art contemporain appelée « Antidote » à la Galerie des Galeries. L'intéressé tient à exposer les oeuvres de la collection privée en observant qu' « il y a un mal français autour de l'art : il faudrait que les artistes soient maudits, que les oeuvres d'art s'exposent seulement dans les institutions ou chez les galeristes, et que les collectionneurs restent discrets, voire secrets. Selon moi, pour favoriser la création et la diffusion de l'art, ce n'est pas l'idéal. Le titre de l'expo, « Antidote », est un clin d'oeil, comme un remède à ce mal. C'est un engagement sincère, profond, vis-à-vis de l'art et des artistes 39 ( * ) . »

Cette attitude des collectionneurs qui favorisent la diffusion de l'art est au coeur de l'action de l'ADIAF, l'association pour la diffusion internationale de l'art français.

LE PRIX MARCEL DUCHAMP

L'Adiaf a créé le prix Marcel Duchamp en 2000 afin de récompenser de jeunes artistes résidant et travaillant en France. Le Centre Pompidou en est partenaire, mais aussi le Mnam et la FIAC.

Quatre candidats (précédemment cinq) sont choisis chaque année, et chacun doit présenter une oeuvre dont les coûts de production sont supportés par l'Adiaf jusqu'à 30 000 euros.

Le lauréat est choisi par un jury composé de personnalités de divers secteurs et de divers pays .

Le lauréat reçoit une dotation de 35 000 euros et une exposition personnelle au Centre Pompidou lui est consacrée. Les nominés sont par ailleurs suivis ; les oeuvres de quarante d'entre eux ont par exemple été vendues au profit d'une association caritative pour le Japon en juin 2011, en partenariat avec Artcurial.

En 2011, pour la première fois les oeuvres des nominés sont présentée non pas au Centre Pompidou mais au LaM (Lille Métropole Musée d'art moderne, d'art contemporain et d'art brut).

Pour Gilles Fuchs, président de l'ADIAF, les débats récurrents sur la réintégration des oeuvres d'art dans la base d'imposition sur la fortune sont très dommageables pour la création artistique dans la mesure où les collectionneurs se retrouvent dans une position délicate, et dans une situation économique incertaine.

Votre rapporteur estime que devraient être distingués les collectionneurs ne soutenant pas la diffusion de l'art, de ceux ayant une action bénéfique pour le plus grand nombre. Le collectionneur qui prête ses oeuvres ne peut être assimilé à celui qui en la jouissance exclusive. Aussi serait-il justifié d'envisager en quelque sorte un statut fiscal des collectionneurs , qui pourrait être inscrit au code général des impôts, et qui aurait pour effet de sécuriser la situation de ces acteurs essentiels du marché de l'art .

Ce statut fiscal pourrait être accordé aux collectionneurs qui exposent ou prêtent leurs oeuvres (aux musées, expositions des collectivités, etc.) et assument financièrement toutes les obligations qui en découlent :

- la restauration ;

- la conservation (qui implique de disposer d'espaces hydro-métriquement bien tenus) ;

- le transport et l'assurance.

L'objectif de ce statut serait de garantir une certaine stabilité aux collectionneurs qui oeuvrent en faveur d'une démocratisation de l'art, dont devraient nécessairement tenir compte les lois de finances annuelles. Cette mesure paraît importante même si le contexte économique peut sembler peu opportun. En effet, le développement et la sécurisation de la situation des collectionneurs privés peut constituer une alternative à l'action de l'État dont les marges de manoeuvre financières sont de plus en plus restreintes. L'initiative privée doit être soutenue à long terme.

Proposition n° 19 : Inscrire, dans le code général des impôts, un statut fiscal spécifique aux collectionneurs prêtent ou exposent leurs oeuvres d'art pour en favoriser l'accès au public.

La réflexion peut se poursuivre en rappelant tous les débats repris maintes fois dans les rapports consacrés au marché de l'art. De nombreuses pistes ont été évoquées par les différentes personnes auditionnées. Il s'agirait, entre autres, d'envisager le mécanisme de la dation en paiement pour l'impôt sur le revenu (mécanisme qui pourrait être valable également pour les artistes étrangers afin d'augmenter l'attractivité de la France), ou d'intégrer les collections dans le forfait de 5 % prévu pour les successions, toujours dans un esprit de contribution à la diffusion de l'art basé sur la circulation des oeuvres en faveur du grand public. Les collectionneurs pourraient également utilement compléter l'aide envisagée aujourd'hui sous forme d'avance sur recettes. De telles aides pourraient être déductibles de l'impôt sur le revenu dans la mesure où elles contribueraient à l'effort national en faveur de la création artistique. Elles pourraient également, via une structure comme l'IFCIC, pallier l'atomisation des aides financières dont souffre le milieu artistique, selon l'analyse de Mme Judith Benhamou-Huet.

DATION EN PAIEMENT

La dation en paiement permet au redevable de s'acquitter de certains impôts en cédant un bien . Elle concerne actuellement certains droits de mutation à titre gratuit et l'ISF.

Ce système porté par M. André Malraux a été instauré par la loi n° 68-1251 du 31 décembre 1968, et ses procédures définies par le décret d'application n° 70-1046 du 10 novembre 1970.

Article 1716 bis du code général des impôts

« Les droits de mutation à titre gratuit et le droit de partage peuvent être acquittés par la remise d'oeuvres d'art, de livres, d'objets de collection, de documents, de haute valeur artistique ou historique, ou [de certains] immeubles [...] afin de les céder à titre gratuit, en tant que dotation destinée à financer un projet de recherche ou d'enseignement [...], à un établissement public à caractère scientifique, culturel et professionnel, un établissement à caractère scientifique et technologique ou à une fondation de recherche reconnue d'utilité publique ou assimilée. »

Procédure

Elle est précisée aux articles 384 A et 310 G du code général des impôts, annexe 2 .

1. L'offre de dation du redevable est instruite par la direction générale des impôts.

2. La Commission interministérielle d'agrément pour la conservation du patrimoine artistique national consulte des experts et émet un avis sur l'intérêt de la dation.

3. Sur proposition du ministre dont relève le bien, le ministre du budget agrée la dation.

4. La décision notifiée au redevable, qui doit accepter pour que la dation soit parfaite.

5. Le bien rejoint la propriété de l'État et est affecté par le ministre compétent.

Les critères de sélection de la Commission visent des oeuvres d'intérêt artistique et/ou historique majeur , ou qui pourraient compléter des lacunes dans les collections nationales.

Contexte et évolutions

De 1972 à 2009, la Commission a été saisie de 700 dossiers, dont 58 % ont reçu l'agrément du ministre du budget. Près des deux tiers des demandes concernent des droits de succession, un cinquième l'impôt sur la fortune et une sur dix seulement des donations entre vifs.

L'ensemble des biens transmis à l'État depuis 1972 constituent une valeur de 809 millions d'euros. Le montant des dations reçues par les musées nationaux représente en moyenne 70 % de leurs crédits d'acquisition et les a dépassés à plusieurs reprises.

La dation en paiement fait partie des mesures contribuant à renforcer le rôle des collectionneurs privés . Elle a été mise en avant par le rapport sur le renouveau du marché de l'art de M. Martin Bethenod, alors commissaire général de la FIAC, présenté en avril 2008 à Mme Christine Albanel pour le lancement du « Plan de renouveau pour le marché de l'art ».

A l'occasion du 40 e anniversaire de la dation, le 27 janvier 2009, Mme Christine Albanel a annoncé vouloir l'étendre à l'impôt sur le revenu.

Exemples

- Picasso, 232 tableaux, 246 sculptures, 3100 dessins et gravures : paiement des droits de succession en 1973 à la mort de Picasso, fonds initial du musée Picasso ;

- Courbet, L'Origine du monde, 1866 (musée d'Orsay) : paiement des droits de succession en 1995 à la mort de Sylvia Bataille-Lacan ;

- plus de 100 partitions, 80 instruments : paiement des droits de succession en 1980 à la mort de Geneviève Thibault de Chambure, fonds initial du Musée de la musique.

L'objectif de sécurité juridique peut également être recherché par les institutions pour lesquelles les dations constituent une clé de voûte d'enrichissement des collections publiques. Ainsi l'annulation de la dation de Claude Berry par ses héritiers fut-elle un « coup dur » pour le Centre Pompidou.

Proposition n° 20 : Mieux encadrer le déroulement de la procédure de dation.


* 39 Interview de Guillaume Houzé in « Vivre côté Paris », octobre - novembre 2011.

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