C. QUELS MOYENS POUR QUELLE PROTECTION ?
1. Quel sera le niveau d'ambition de l'OTAN ?
Lors du sommet de Lisbonne, l'OTAN a affiché un objectif ambitieux : « assurer la couverture totale et la protection de l'ensemble des populations, du territoire et des forces des pays européens de l'OTAN contre la menace croissante que représente la prolifération des missiles balistiques ».
Cet objectif comporte une dimension politique évidente vis-à-vis des opinions publiques. Est-il réaliste au plan opérationnel ?
On peut déjà constater que les premiers travaux de mise en oeuvre des décisions de Lisbonne évoquent une hiérarchisation des priorités entre les zones à protéger et distinguent des sites ou moyens de haute valeur.
On peut aussi constater que cet objectif a été défini sans évaluation d'ensemble des moyens nécessaires pour l'atteindre . L'étude de faisabilité remise en 2006 sur une défense antimissile du territoire européen, déjà évoquée, évaluait à 27 milliards d'euros les investissements nécessaires à la couverture complète du territoire européen, hors moyens spatiaux. La recherche d'une protection absolue pourrait entraîner les pays membres dans une surenchère visant à accroître l'étendue et l'efficacité de la couverture, et donc vers des dérives financières.
Il faudra donc nécessairement affiner et préciser le niveau d'ambition de l'OTAN, à la fois dans la période transitoire durant laquelle l'EPAA n'est censée couvrir qu'une partie du territoire européen, et à terminaison du déploiement.
Celui-ci devra être en rapport avec le niveau de la menace probable ou possible, tel que les membres de l'OTAN l'auront en commun évalué.
Il devra également être raisonnable en termes de zones à couvrir prioritairement et de niveau de permanence et d'alerte des moyens.
2. Quelle sera la couverture assurée par la contribution américaine ?
La crédibilité de l'annonce faite à Lisbonne d'une future défense antimissile territoriale de l'OTAN repose sur l'idée que les déploiements prévus dans le cadre de l'EPAA américaine permettront à terme d'assurer la protection totale du territoire européen de l'OTAN.
Les cartes présentées par la Missile Defense Agency (voir plus haut) montrent effectivement une zone de couverture progressivement étendue à l'ensemble de l'Europe, grâce aux déploiements navals et aux deux sites Aegis Ashore en Roumanie et en Pologne.
Dans un rapport remis en janvier 2011 au Congrès des Etats-Unis 29 ( * ) , le General Accountability Office (GAO) souligne cependant les incertitudes sur l'architecture de l'EPAA au-delà des phases 1 et 2, sur les performances des moyens déployés et sur leur coût.
Le GAO observe par exemple que le Département de la défense n'a pas clairement défini la priorité qu'il accorde à l'EPAA par rapport aux autres missions de défense antimissile qu'il doit assurer au profit du territoire national et d'autres régions du monde. Il pointe l'absence de directive claire sur l'état final attendu : objet et durée des missions, zones à défendre, priorités au sein d'une région et entre les régions. Il estime que la réalisation de l'EPAA pourrait consommer une part importante du potentiel global des Etats-Unis en matière de défense antimissile, en fonction du niveau de la présence requise. Il s'agit par exemple de savoir si les bâtiments Aegis dont le déploiement est prévu en Europe devront assurer une présence physique continue, s'ils devront simplement pouvoir être disponibles sous faible préavis en réponse à une situation de menace montante, ou s'il y aura une combinaison de moyens permanents et de moyens disponibles sous faible préavis.
Le GAO note que le volume des moyens affectés à l'EPAA n'a pas été planifié que ce soit le nombre de bâtiments Aegis et de missiles SM-3, ou l'adjonction de batteries Patriot PAC-3 et THAAD, d'un radar AN/TPY-2 supplémentaire, de satellites de poursuite PTSS ou d'un détecteur aéroporté ABIR. Ainsi, l'armée de terre se dit préoccupée de ne pas savoir quels équipements seront déployés, quand ils le seront, où et pour quelle durée.
Enfin, le GAO s'interroge sur la soutenabilité financière de l'EPAA , faute de précision suffisante sur le volume des déploiements nécessaires, mais aussi d'analyse en coûts complets intégrant les acquisitions, l'infrastructure, les personnels et le fonctionnement. Il estime que le Département de la défense s'expose de ce fait à de plus grands risques sur le calendrier, les performances et les coûts.
Dans un rapport ultérieur de mars 2011 30 ( * ) , il s'inquiète aussi que des composants clef de l'EPAA entrent en production avant que la performance des systèmes n'ait été démontrée, soulignant que par le passé, des déficiences similaires dans la supervision des acquisitions liées à la défense antimissile avaient conduit à devoir les reprendre et à des augmentations de coût, des retards et des doutes sur les capacités livrées.
Face à ces remarques très critiques, le Pentagone et la Missile Defense Agency ont fait valoir que la caractéristique principale de l'EPAA était sa grande flexibilité. Les moyens pouvaient être renforcés, déplacés, ajustés en fonction d'une menace par définition évolutive.
Cet argument est recevable, mais il ne doit pas dispenser l'OTAN de s'interroger sur le niveau de protection qui sera effectivement apporté par les moyens américains .
Il faudra notamment étudier très finement les hypothèses servant de base au calcul de l'étendue des zones protégées : type de trajectoires et complexité des attaques, possibilités de contre-mesures, nombre, localisation et performances des systèmes de détection et des intercepteurs.
Une attention particulière devra être portée à l' examen des performances annoncées , qu'il s'agisse des capteurs ou des intercepteurs.
En effet, tous ces paramètres conditionnent la crédibilité de l'architecture d'ensemble présentée à l'OTAN.
* 29 GAO-11-220 - Ballistic Missile Defense - DOD needs to Address Planning and Implementation Challenges for Future Capabilities in Europe
* 30 GAO-11-372 Missile Defense - Actions Needed to Improve Transparency and Accountability mars 2001